Un air de liberté pour unique bagage
ancré à tous les ports
pour toute arme un archet chantant sur son Duport*
le chevalier Slava avait fait le voyage

Son violoncelle avait une âme           (et son âme était sœur de Slava)
comme en auront peu de violons
mâle voix d’Apollon
jaillie d’un corps de femme

car il chantait la liberté pour Prokofiev
son père spirituel dont il était l‘élève
et pour Chostakovitch et pour Khatchatourian.
Et pour Soljenitsyne sans aucun faux fuyant

à prêter sa datcha il encourait l’exil.
Russe, déchu de Russe, chassé de sa Russie
lui le juste Slava sa femme et ses deux filles
fuyaient vers l’Occident et la démocratie

dont il n’avait connu qu’une copie infâme.
Son archet pour épée dansant sur son Duport
à New-York ou Paris ancré à tous les ports
chantait la liberté qui sortait de son âme

bousculant les frontières
Ses amis Dutilleux, Berio et Britten
leurs œuvres lui dédièrent
suivis par Xenakis nouvel ami d’Athènes

Solidarnosc à Gdansk avait rompu ses chaînes
et le rideau de fer laissait percer l’azur
quand un coup de tonnerre fit s’écrouler le mur
mur de honte à Berlin qu’avait dressé la haine

plus tôt que les puissants ne l’aient imaginé
C’est la joie qui éclate et bientôt se déchaîne
en vastes graffitis et refrains épicènes
graves ou carillonnés

Mais sourd à ce vacarme
Inconnu de la foule et seul au pied du mur
son archet pour toute arme
arrachant de son âme un émouvant murmure

seul avec un archet chantant sur son Duport
un air de liberté pour unique bagage
ancré au nouveau port
le chevalier Slava avait fait le voyage