ÉLÉGIE POUR UNE OMBRE

 

À mon père.
In memoriam.

 

Le chant des tombeaux s’élève dans la nuit. Les ombres s’étendent sur la pierre. Le feuillage dort et les oiseaux rêvent dans leurs nids. Mais toi, tu reposes dans les vents fatigués de ta vie. Comme tu sembles loin. Et si serein est ton visage quand je te regarde encore une fois, près de cette flamme de bougie qui éclaire tes mains posées sur la table, belles et tranquilles. Tu as vieilli, tu es parti et maintenant la nuit me rend à ton regard, à ses patiences souveraines d’autrefois quand le chant s’inspirait d’une genèse tardive. Les arbres, les rivières et l’herbe s’offrant aux justesses de l’inquiétude et du désir. Ce soir pourtant, je recueille ton visage dans les miroirs de l’oubli, de ce temps soupçonneux qui nous assigne sans relâche au vent qui passe. J’ignore si tu vas toujours de demeure en demeure, mendiant le silence et la prospérité du jour. Je suis là et je te contemple. Une inaltérable tendresse semble te préserver de l’illusion mortuaire. De ce rien parcouru aux flancs d’un horizon aboli. Mais tu es si seul dans mon souvenir. Et j’écoute cette soudaine absence qui va comme les nénuphars sur l’eau rejoindre la sobre rumeur de tes origines. Un écho sans lendemain perdu dans ta mort. Dans la mienne aussi, si malhabile toujours. Si fragile quand le chant des tombeaux s’élève dans la nuit.

 

Strasbourg, mars 1994

 

Évelyne SPEISER

37000 TOURS

 

Franco-suisse, Évelyne SPEISER est née le 21 novembre 1956 à Sarlat (24). Elle écrit depuis 1976. Elle a publié a partir de 1985 dans diverses revues littéraires à Paris, en province, en Belgique et en Suisse. Ses poètes de prédilection sont Pierre REVERDY, SAINT-JOHN PERSE, HÖLDERLIN, RILKE (dans le texte) et bien d’autres qu’elle aime et découvre avec curiosité.