UN SONGE
Le laboureur m’a dit en songe : « Fais
ton pain ;
Je ne te nourris pas ; gratte la terre et
sème. »
Le tisserand m’a dit : « Fais tes
habits toi-même. »
Et le maçon m’a dit : « Prends la
truelle en main. »
Et seul, abandonné de tout le genre humain,
Dont je traînais partout l’implacable anathème,
Quand j’implorais du ciel une pitié suprême,
Je trouvais des lions debout dans mon chemin.
J’ouvris les yeux, doutant si l’aube était
réelle
De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient
semés.
Je connus mon bonheur, et qu’au monde où nous
sommes
Nul ne peut se vanter de se passer des
hommes ;
Et depuis ce jour-là, je les ai tous aimés.
Extrait de « Stances et poèmes »
SULLY PRUDHOMME
(1839 - 1907)
Sincère et anxieux, il fait partie des parnassiens mais reste un peu à part. Il regrette sa foi perdue mais jamais oubliée. Il restera toujours mélancolique. Il a publié de nombreux écrits en prose dont « De l’expression dans les Beaux-Arts », « La Vraie Religion selon Pascal », « Psychologie du libre arbitre »... Ses œuvres poétiques sont très connues dont « Stances et poèmes », « Les Épreuves », « Les Solitudes », « Impressions de guerre »... Comblé d’honneurs, il est élu à l’Académie française en 1881 puis est lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.
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