"Mur de poésie de Tours" 2004

Poètes français

 

UN SONGE

 

Le laboureur m’a dit en songe : « Fais ton pain ;
Je ne te nourris pas ; gratte la terre et sème. »
Le tisserand m’a dit : « Fais tes habits toi-même. »
Et le maçon m’a dit : « Prends la truelle en main. »

Et seul, abandonné de tout le genre humain,
Dont je traînais partout l’implacable anathème,
Quand j’implorais du ciel une pitié suprême,
Je trouvais des lions debout dans mon chemin.

J’ouvris les yeux, doutant si l’aube était réelle
De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés.

Je connus mon bonheur, et qu’au monde où nous sommes
Nul ne peut se vanter de se passer des hommes ;
Et depuis ce jour-là, je les ai tous aimés.

 

Extrait de « Stances et poèmes »

 

SULLY PRUDHOMME

(1839 - 1907)

 

Sincère et anxieux, il fait partie des parnassiens mais reste un peu à part. Il regrette sa foi perdue mais jamais oubliée. Il restera toujours mélancolique. Il a publié de nombreux écrits en prose dont « De l’expression dans les Beaux-Arts », « La Vraie Religion selon Pascal », « Psychologie du libre arbitre »... Ses œuvres poétiques sont très connues dont « Stances et poèmes », « Les Épreuves », « Les Solitudes », « Impressions de guerre »... Comblé d’honneurs, il est élu à l’Académie française en 1881 puis est lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.