SACERDOCE
Non, je ne puis, Seigneur, éloignez ce calice.
Pour pleurer, pour souffrir et de votre justice
Porter en fléchissant le fardeau douloureux
Je suis prêt, je suis prêt : sous votre main sévère
Je courberai s’il faut mon front dans la poussière
Et vous apporterai, doux tribut, ô mon Père,
Les soupirs de mon cœur et les pleurs de mes yeux.
Mais gravir cet autel, immoler cette hostie,
Désaltérer ma lèvre au flot de votre sang,
Rompre ce pain, ce Pain où palpite la vie
Devant qui l’univers s’incline en frémissant.
Tous les jours, désormais, monter à ce calvaire
Voilé pour l’œil mortel, mais visible à la Foi
Contempler ces splendeurs et mêler ma misère
À cette majesté de l’éternel mystère
Qu’un seul mot de ma bouche abaisse jusqu’à moi.
Entre l’homme et le ciel, médiateur sublime,
Faire monter la terre et descendre les cieux,
Et là, debout, aux pieds de l’auguste victime
Porter du genre humain la prière et les vœux.
Non, je ne puis, Seigneur, éloignez ce calice,
Trop fragile est mon cœur, trop terrestre est ma voix,
Trop indignes mes mains de ce grand sacrifice,
De ce suprême honneur trop terrible est le poids.
Enfant, je suis le dieu qui commande au tonnerre,
Qui peuplai le néant de vivantes beautés,
Qui lançai dans l’espace immense et tutélaire
Des mondes de soleils et de jeunes clartés.
Je suis fort, je peux tout, je veux sur ta faiblesse
Épancher de mon sein la céleste vigueur,
Et jusqu’au sacerdoce, haussant ta petitesse
L’honorer d’un rayon de ma propre grandeur.
Laisse là tout amour et tout penser vulgaire,
Entre au temple sans crainte et marche vers l’autel,
À toi la tâche obscure et le devoir austère
De t’immoler sans trêve au bien universel.
Marche les yeux levés au ciel qui te contemple
Dans la voie héroïque ouverte devant toi
Et que ta vie au monde offre un si pur exemple
Qu’on lise dans tes mœurs la beauté de ma loi.
Enfant, sois mon témoin, mon apôtre, mon verbe,
Que ma voix soit ta voix, mon esprit ton esprit,
Et que ta charité, tel un manteau superbe
S’ouvre à toute douleur comme un suprême abri.
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Seigneur, les passions vont assiéger ma route,
J’entends autour de moi se déchaîner les flots
L’orage à l’horizon monte, monte… et je doute
Que l’enfant puisse seul en braver les assauts.
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Oui, plus l’effort est grand, plus la victoire est belle,
Adieu les rêves d’or, la paix des jeunes ans,
Le mal est ici-bas la tempête éternelle
Qu’affrontent sans trembler les forts et les vaillants.
Souriant à la mer dont le bruit t’épouvante
Mon étoile là-haut dans l’azur resplendit
Qu’importent les écueils, qu’importent les tourments,
L’héroïsme triomphe où le danger grandit.
Va donc et ceins tes reins pour l’œuvre rédemptrice
La foi, c’est la raison d’un espoir immortel
S’il arrive au combat que ta vertu fléchisse
Souviens-toi que ta force est là, sur cet autel.
1895
Charles DELOUP
Pour l’ordination d’un ami.
Portrait de Charles DELOUP.
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