J’ai mal à mon pays
pauvre pays de Creuse
que l’on disait heureuse
avant qu’ils soient partis

Quand reviendront-ils avec leurs gros sabots
ces maçons de la Creuse qui bâtirent nos châteaux
en taillant le calcaire et en clivant l’ardoise
de Blois jusqu’à Versailles et de Tours à Amboise ?

Car la Creuse est en deuil de ses tailleurs de pierre
de ses tailleurs d’habits, de sabots, et d’enclumes
dont les outils chantaient plus longtemps que leurs maîtres
beaucoup mieux c’est bien sûr que ne le fait ma plume

J’entends toujours tinter joyeux à mon réveil
Le gracile angélus qui me donnait des ailes
Vidé de ses grenouilles ai mal à mon étang
qui peu à peu s’envase hélas avec le temps
Dans ma mémoire encore elles bercent mon sommeil
J’entends toujours le soir juste en m’endormant
La crécelle et l’écho de leurs croassements

J’ai mal au cœur, j’ai mal à toi ma douce Creuse
à ton granit bleu qui te fait croire rugueuse
quand tu n’es que solide, à ta solidité
que les mœurs barbares de la modernité
ont rendu si fragile et combien malheureuse

J’ai mal à tes eaux vives et à leur pureté
où sauvage et discrète
bien que toujours coquette
frétille la truite d’or
emplie d’une allégresse qu’elle a vraiment bien tort

de nous communiquer. Telle une indigestion
dont j’ai grande souffrance
je souffre d’un trop plein de communication
J’ai mal à l’abondance
uniforme et vendeuse
qui tue ta rareté ô mon unique Creuse
Ma Creuse originale, ai mal à la violence

qui chaque jour en force soit disant nous informe

J’ai si mal à ma Creuse vidée de sa substance