"Mur de poésie de Tours" 2002 - Poètes de Touraine

 

MALOYA

 

Au magma de ton souvenir ô mon île de la Réunion
Le volcan de mon cœur a déclenché son ultime explosion
Celle en syncrèse de ta lave or et sang
Sillonnant depuis l’horizon au cimier marcescent

Sauvage j’habitais jadis un Eden
Au tourbillon de ces flots turquoises
Où batifolent les sirènes d’ébène
Sous la corolle déployée d’une fleur d’armoise

Un bleu constellé où les marsouins jonglent avec les étoiles
De mer agriffées à la chevelure moutonnante des vagues
Et comme enchâssées à l’anneau d’une bague
Lorsqu’elles s’enroulent dans les ocelles du voile

Sur un sable caressé je me souviens d’une armée de Moas
Le regard halluciné surplombant un cratère de vin
Buvant dans le crâne le fiel du divin
Était-ce à Pâques ou à la plage de Goa ?

Dans les souffles massalés les ailes diaphanes des phaétons
Qui au-dessus de l'immense océan brasillant d’écailles
Telle de l'araignée papillotante la dentelle d’aiguaïl
Dans l’œil des gouffres vont cueillir le lumineux plancton

Perlant du basalte des remparts abrasés
En une avalasse d'agates embrasées
La ravine qui trempe son ventre étreint
Dans le smaragdin de l'océan indien

Le petit port diamanté de Sainte-Rose
Où naquit Josian à l’anse de la Marine
Et sous la pagode de paille une sublime ondine
Plongeant dans la pourpre d’un bénitier serti de roses

Pareille à une rafflésie fluorescente offrant son miel
D’un saignant soleil qui fait fulminer les étincelles
Des lataniers emperlés, des vacoas et filaos chargés de sel
Quand mille tisserins ou abeilles vermeilles vrombissent au ciel

Là-bas sur le piton émaillé de verts aloès
Faisant face à l’azur un calvaire rivé à la falaise
Et cet autre encore écorché au piment des braises
D’un Golgotha flamboyant nommé la Fournaise

Hérissées du panache des champs de cannes rousses
Des fourrages les rémiges frémissantes des grandes papangues
Dardant de leurs archères tes moindres recoins de la brousse
Cherchant le sang rissolant à la chair des tengues

D’un jardin où ensemble fermentent les suaves mangues
Jaques et jamalaques, papayes, margassayes et vavangues
Et devant l’auguste guétali parsemé d’hibiscus un rang d’ilangs-ilangs
Tissant son arabesque aux blancs lambrequins de la varangue

Et dans la fraîcheur des nuits de pleine lune
De ces loups rêvés au doux pelage de prune
Venus me convier à l’escalade des dunes
Pour aller au miroir lactescent contempler la lagune

Ou dans l’alcôve parfumé de cet alveus étrange
Que les larmes scintillantes du ciel effrangent
D’un vol silencieux de gracieux petits anges
Des nuages me chanter leur numineuse louange

L’aurore au front ocre des grands grévilaires
Ou aux ramées safranées des aigres évies
De l’éclat d’un oiseau bleu pourfendant l’air
Le phœnix qui s’envole de l’arbre de vie

Tapissée de cresson enfin une rivière frissonnante
Dont la tendre lumière entre des crucifix serpente
Où les hommes viennent tremper leur ombre assoiffée
Comme naguère retrouvés leurs ancêtres l’avaient fait

Que d’images folles, ô mon île de la Réunion
Les saveurs épicées tressées aux couleurs métissées
Fourmillant dans la lie d’acéteuses émotions
Ont fait rejaillir de mon cosmos les faisceaux du passé.

 

À Nadège

 

JONI