LE BAIN D’UNE DAME ROMAINE

 

Une esclave d’Égypte, au teint luisant et noir,

Lui présente, à genoux, l’acier pur du miroir ;

Pour nouer ses cheveux, une vierge de Grèce

Dans le compas d’Isis unit leur double tresse ;

Sa tunique est livrée aux femmes de Milet,

Et ses pieds sont lavés dans un vase de lait.

Dans l’ovale d’un marbre aux veines purpurines

L’eau rose la reçoit ; puis les filles latines

Sur ses bras indolents versant de doux parfums,

Voilent d’un jour trop vif les rayons importuns,

Et sous les plis épais de la robe onctueuse

La lumière descend molle et voluptueuse :

Quelques-unes, brisant des couronnes de fleurs,

D’une hâtive main dispersent leurs couleurs,

Et, les jetant en pluie aux eaux de la fontaine,

Des débris embaumés couvrent leur souveraine

Qui, de ses doigts distraits touchant la lyre d’or,

Pense au jeune Consul, et, rêveuse, s’endort.

 

Le 20 mai 1817.

 

Extrait de " Poèmes antiques et modernes ",

 

Alfred de VIGNY

(1797 - 1863)

 

Né à Loches, en Indre-et-Loire, Alfred de VIGNY fit partie des gardes-rouges sous Louis XVIII. Il abandonna bientôt l’armée pour les Lettres et s’installa à Paris. Académicien français, il est l’auteur de nombreux poèmes comme " La mort du Loup ", d’un roman historique " Cinq-Mars ", d’une pièce de théâtre " Chatterton " qui connut un grand succès, d’un recueil de poésies " Poèmes antiques et modernes ", d’ouvrages à thèse " Stello ", " Servitude et grandeur militaires ". Il exprime la solitude à laquelle condamne le génie et exalte la résignation stoïque. En 1845, il est élu à l’Académie Française. Son dernier recueil " Destinées " paraîtra un an après sa mort.

 

Une rue de Tours porte son nom ; c’est l’ancienne rue Anglaise.