"Mur de poésie de Tours" 2000

Poètes français du XXème siécle

 

À MON ENFANT

 

Je t’aime plus que tout, mon enfant, mon trésor,
J’aime tes larges yeux, et tes fins cheveux d’or,
Ta bouche qui sourit comme une rose ouverte,
Tes pieds que chaque soir je baise éperdument,
Et ta main fuselée, et le frémissement
De ta jeunesse éclose en ma maison déserte.

Pour toi je me fais jeune et me plais à chanter ;
Mon rire sonne encor quand sonne ta gaîté ;
Comme toi j’ai quatre ans, une claire prunelle,
J’adore les chevaux et les moutons bêlants,
Les comiques pantins aux grelots frissonnants,
Et la blonde poupée aux robes de dentelle.

Rien n’est plus beau, vois-tu, que de guider tes pas,
Que d’éveiller ton âme aux choses d’ici-bas,
Quand nous allons tous deux, libres, sous la ramure ;
Et la fleur que je cueille, et l’oiseau que tu vois,
Et le soleil glissant sur la mousse des bois,
Parfum, chanson, clarté, c’est toute la nature.

C’est toute la nature, et c’est tout le bonheur,
Simplicité profonde, œuvre du créateur,
Où tu verras un jour la vérité première.
Que ton rêve se borne à ce frais horizon,
En écoutant à l’aube, au toit de ta maison,
L’appel joyeux des nids penchés dans la lumière.

Comme ces fins rameaux qui tremblent dans ta main,
Que nous avons brisés sur le bord du chemin,
Séduits par la beauté diaphane du givre,
Splendeur qui recouvrait un périssable bois
Et laisse maintenant couler entre tes doigts,
Avec une eau glacée, un rêve qui t’enivre,

La vie a des bouquets tout givrés de plaisir,
De merveilleuses fleurs que l’on voudrait cueillir ;
Elle est belle, elle plaît, elle est changeante et femme.
Nous l’appelons à nous, de désir suffocant,
Mais sa beauté se fond au feu de notre sang,
Et glisse avec des pleurs, un regret dans notre âme.

Sois fort, car ton étreinte étouffera ton cœur.
Sois bon dans la richesse et noble en ta douleur.
Donne, sans te lasser, à celui qui t’implore ;
Le pain au malheureux, un baiser au souffrant,
Que ton amour sur tous se pose triomphant,
Ô mon petit enfant si doux, si faible encore !

 

Gisèle BARBOTIN

(1900 - 1958)

 

Poétesse de la nature et de l’amour, Gisèle BARBOTIN est née à Argenton-sur-Creuse. Elle a eu soif toute sa vie de connaissances littéraires, depuis les poètes anciens jusqu’aux contemporains. Elle est reçue à l’Académie du Centre et devient membre de la Société des Gens de Lettres en 1928. Elle publie deux recueils, "Toute vie a son charme" fin 1933 et "La Douleur dans l’Amour" en 1935. Gisèle Barbotin a un style proche de Anna de Noailles et de Marceline Desbordes-Valmore.