DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS
À L’ÉPREUVE DE LA VIEILLESSE
de Aude ZELLER
Éditions Desclée de Brouwer, Paris, 2003, 188 pages
Aude Zeller est psychothérapeute et analyste transgénérationnelle. Conférencière, elle enseigne en intégrant l’art et la symbolique. Dans ce livre « À l’épreuve de la vieillesse », elle nous parle avec délicatesse, de la dégénérescence et de la mort, à la lumière d’une spiritualité centrée sur le temps du passé vers l’avenir. Elle n’hésite pas à se référer à Freud, à Dionysos ou à Mercure s’ils peuvent apporter leur contribution à la compréhension délicate de nos proches dans ce moment frontière proche de la vie à la lisière de la mort. La dépendance du vieillard paraît une étape de régression mais elle est le chemin de tous vers une métamorphose permettant de quitter cette terre. Redevenir enfant pour retourner dans le sein de sa mère morte, est un chemin tortueux et délicat mais qui seul, conduit à l’Au-delà.
Ce livre retrace le dialogue entre une mère en fin de vie, Denyse, et sa fille. L’écrivain, Aude Zeller nous permet d’approcher les liens de tendresse et les trésors de douceur qui peuvent se révéler dans cet accompagnement vers la mort. L’expérience personnelle de l’écrivain est ouverte sur le monde afin d’aider chacun à faire le point et à réagir d’une manière constructive face à la mort plutôt que de cacher son jeu et d’empêcher l’autre de s’exprimer. Cet essai est divisé en deux parties : « Les larmes de la lune » et « Les larmes d’ambre » voulant évoquer la fin de vie partagée en deux étapes, celle de la révolte, de la souffrance puis celle du temps précieux restant, du dépassement de la douleur vers l’accueil de l’Au-delà.
Freud, lui-même, malgré son incroyance, ne peut s’empêcher de dévoiler que « dans son inconscient, tout le monde se pense immortel. » (p. 9)
Dans son souci de permanence, l’homme se révolte de sa perte d’autonomie puis d’intelligence :
« Était-elle intelligente celle qui perdit la tête sans perdre le cœur ? » (p. 13)
Le vieillard se rappelle mieux de son passé que du présent ; il retourne en enfance, dit-on. Mais ce retour est une étape vers « l’entrée dans une nuit de l’âme, promesse d’une nouvelle aurore à dévoiler. » (p. 16)
L’être humain doit peu à peu lâcher prise, accepter sa dégradation après avoir crier son refus, « changer la vision de sa réalité et entourer sa souffrance d’une nouvelle lumière » (p. 21)
Chaque perte est un pas vers l’Au-delà et demande l’acceptation qui est facilitée par le soutien affectif : « (…) elle s’acheminait en douceur vers les retrouvailles d’une nouvelle mémoire fécondée par l’amour. » (p. 85) (…) « Il lui restait maintenant à devenir une enfant de l’univers. » (p. 91)
Parfois le malade devient incompréhensible : « Denyse avait-elle choisi de devenir folle pour se faire sage ? » (p 31) Mais où est la sagesse à l’approche de l’inconnu ? Peut-être faut-il passer par la folie pour accepter ?
« Devant la force de cette conscience qui avait mis à genoux la démence, la vie put alors s’incliner en toute confiance. » (p. 113)
Trouver les mots qui aident à franchir le cap, est un labyrinthe où chaque pas est délicat, hésitant mais où l’amour trouve un chemin, par une caresse, une intention, un regard :
« j’ai recherché constamment l’attitude la plus juste pour maintenir une relation de femme sensible face à une autre femme en souffrance. » (p. 68)
Le malade doit apprendre à se détacher de son corps comme le papillon de sa chrysalide :
« Denyse dut quitter doucement et dignement la vie. Elle avait mangé son pain noir fait de larmes et d’angoisses et bu sa coupe de vertige. Elle perdit alors son corps. » (p. 39)
« Perdre et se défaire peuvent alors devenir affaire de désir qui, d’abord rabattu sur l’horizontalité d’un signe de souffrance toute humaine, creuse parfois son sillon sous la bannière d’un délire pour jaillir ensuite dans toute la verticalité de sa promesse vers son essence divine et vers la joie. » (p. 175)
Aude Zeller fait passer ses propres convictions spirituelles d’une manière naturelle et recadre sa propre expérience dans celle de l’humanité :
« Elle portait discrètement son enfant divin dans les entrailles de sa conscience, ce devenir d’humanité véritable, ce « va vers toi » ordonné par Dieu à Abraham, portant le germe divin d’une mutation profonde et le secret de la victoire sur la mort. » (p. 146)
Ce livre est une histoire de larmes car il n’y a pas de fin de vie sans souffrance, sans renoncement et acceptation. Il est toujours difficile de perdre et là, plus qu’ailleurs de perdre son autonomie, de perdre la tête avant de perdre la vie, de se détacher du concret pour aller vers l’inconnu. Cet essai philosophico-mystique se termine par l’expression de ce cheminement :
« (…) la dimension spirituelle d’un regard sur une fin de vie ouvre d’autres horizons, insoupçonnés à première vue, (…). L’être pourrait alors, malgré sa souffrance et grâce à son épreuve, se retourner vers sa véritable identité en quittant le chemin de l’exil et achever en beauté son Œuvre tout humaine. » (p. 185)
20 juin 2006
Catherine Réault-Crosnier
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