DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS
LOUP
de Nicolas VANIER
aux Éditions XO, 2008, 399 pages
Né en 1962, Nicolas Vanier est un grand voyageur du Grand Nord. Il nous fait partager ses aventures à travers ses ouvrages dont Le Chant du Grand Nord, L’Or sous la neige, L’Odyssée sibérienne, Mémoires glacées qui connaissent un grand succès. Deux films ont été réalisés à partir de Le Dernier Trappeur et Loup. Parmi ses livres récents, citons Le grand Voyage en deux tomes. Nous retrouvons dans tous les livres de Nicolas Vanier, l’art de maintenir l’attention du lecteur avec des mots forts, l’admiration et le respect de la nature à travers des paysages vierges de toute trace humaine ou d’humains en symbiose avec les éléments depuis des générations.
Dans Loup, Nicolas Vanier nous raconte avec beaucoup de sagesse et de philosophie respectueuse de toute vie, l’histoire d’un enfant de cinq ans, Serguei, qui voit pour la première fois un loup et ne ressent aucune crainte. Serguei connaît déjà les lois de la nature et sait que « chaque vie se paie par une mort, que celle-ci est une autre expression de la vie et que, bien souvent, elles se confondent. » (p. 13) Il n’oubliera pas cette première rencontre, « Pas plus qu’il n’oublierait les yeux jaunes qui, au-delà des races, des transgressions et des haines millénaires, avaient plongé tout au fond des siens. » (p. 13) Ce moment fugace est-il conséquence ou prémonition ? Il est impossible de le dire. Cependant toute la vie de Serguei va être pénétrée par l’empreinte du loup à la limite du concevable.
Le livre commence de manière dynamique et grandiose : « Lancée au triple galop, la grande harde de plus de deux mille rennes était comme une avalanche : une force capable de détruire à peu près n’importe quoi sur son passage. » (p. 9)
Serguei, jeune homme, est choisi pour être le gardien du troupeau de rennes dont les loups sont les ennemis implacables à tuer. Mais il rencontre par hasard, une louve et ses petits. La louve le regarde : « Dans l’intensité presque insoutenable de ses yeux d’ambre, il y avait un mélange d’innocence et de défi. La mère nourricière remplissait son rôle. La prédatrice montait la garde. » (p. 48) Alors, fasciné et attendri, il transgresse la loi immuable ; il ne tire pas. « La louve fixait la gueule du canon, avec un mélange d’assurance et de sérénité inébranlables. » (p. 48)
La vie de Serguei vient de basculer car même s’il n’a eu aucun témoin, il n’est plus le même. Il n’a plus qu’une idée, revoir la louve et ses petits, même s’il continue de garder son troupeau. Il sait aussi qu’un jour, celui-ci peut être attaqué par les loups. Il s’approche chaque jour un peu plus des loups, apprivoise et se laisse apprivoiser : « Il fallut trois jours à Serguei pour avancer le caillou de deux mètres. Moins de un mètre par jour. » (p. 50)
Instinctivement, Serguei se lie d’amitié avec ces bêtes sauvages. Il a même donné un nom à la mère, Voulka. Il sait pourtant qu’« On ne nomme pas les bêtes qu’on traque. On les tue, c’est tout. » (p. 51) Au-delà du rationnel, il parlait à Voulka en ami respectueux : « Tu es belle, Voulka, (…). Tu es magnifique ! Tu es la plus belle louve que je n’ai jamais vue ! » (p. 51)
Le retour à la réalité humaine est dur. Des membres de son clan viennent le voir et commence à se douter de quelque chose, d’autant plus qu’ils repèrent des traces de pas dans la neige tandis que Serguei nie farouchement la présence de loups. Serguei essaie de concilier tout et aussi son amour pour Nastazia, la belle aux « magnifiques yeux en amande » (p. 139) qui finit par partager son secret : « – J’ai peur, Serguei… J’aime tes loups autant que toi. Mais je ne veux pas te perdre à cause d’eux. » (p. 139) Bientôt il va être rejeté de son clan quand une meute de loups attaque le troupeau de rennes alors il fuit, préférant la présence de ses loups à celle des humains qui ne le comprennent pas : « il était désormais partie intégrante de « sa » meute, le loup en lui n’occupait pas toute la place. L’autre moitié était toujours humaine, toujours évène. » (p. 174) Il ne renie pas ses origines, son père Nicolaï, sa mère Anadya, ni sa fiancée Nastazia, mais il suit sa voie, près des loups. Pour leur sauver la vie, il arrive même à leur faire comprendre qu’il ne doive pas trop approcher du troupeau. Il leur apprend là où ils peuvent aller sans crainte, là où ils doivent s’arrêter. Il les conduit sur un territoire vierge et il les remercie à sa manière : « Euphorique, Serguei mit ses mains en porte-voix et poussa un long hurlement qui imitait leur chant. Au loin Torok et les siens lui répondirent… » (p. 178)
Quand d’autres humains « aux bâtons cracheurs de mort » (p. 214) arrivent sur le territoire des loups, Serguei cherche à aider ses amis les loups. Il découvre alors la barbarie des nouveaux-venus en hélicoptère, chasseurs irrespectueux de la nature, polluants, détruisant sans arrière pensée, simplement pour l’attrait du gain. Il les voit tirer en série sur des mouflons et délaisser la viande dont chaque tribu use avec parcimonie et respect : « Chacun d’eux sortit un long couteau de chasse (…). Soulevant les bêtes par leurs énormes cornes en kératine, les chasseurs tranchèrent les têtes et les emportèrent, abandonnant le reste aux corbeaux (…). » (p. 214) Ils voulaient simplement leurs trophées ! Serguei est abasourdi, écœuré. Cela lui paraît presque irréel, lui qui a tant appris à respecter la nature et à prendre juste ce qu’il a besoin. Nicolas Vanier, comme Serguei, connaît le bonheur de « Passer sur le paysage en le caressant » (p. 225). Serguei va à la rencontre de ces hommes cruels avec méfiance mais dans l’espoir de leur faire comprendre l’importance de cet équilibre plus que millénaire. Il est abasourdi de leur réponse méprisante. Ils le traitent de : « vestiges d’un passé révolu et complètement obsolète (…). Dans l’avenir, il n’y aura plus de place que pour les hommes comme nous. » (pp. 226 et 227)
Après ce contact avec la civilisation dite civilisée, Serguei va de révélation en révélation. Il constate l’importance pour ces hommes, de tuer, de boire des alcools forts, de gagner le maximum d’argent et toujours plus au détriment des autres humains. Ils saccagent sans pitié les paysages ; ils tuent sans remords les animaux ; ils polluent sans arrière pensée. À l’opposé, Nicolas Vanier nous fait partager les coutumes locales, sages et respectueuses de l’environnement : « Les Évènes ne tuaient pas les grands mâles reproducteurs (….) ; à chaque expédition, on chassait une dizaine de jeunes de un an ou deux. Leur chair était tendre et la disparition de quelques bêtes ne compromettait pas les équilibres naturels. » (p. 212)
Il fait la connaissance d’Oksana, une fille qu’il avait connue dans son enfance. Elle habitait dans un clan voisin du sien puis elle est partie avec ces étrangers. Elle est belle mais bientôt il va comprendre qu’elle est un espion à leur service, prête à tout pour gagner une information. Elle met ses charmes sexuels au service des chasseurs et pour faire parler des gens comme lui. (p. 238)
Serguei apprend aussi à vivre en toute situation, de « paix intérieure » et de « sérénité. » (p. 260) Serguei sauve la vie d’un de ses Occidentaux, Astrov, lors d’un accident d’avion, dans l’immensité neigeuse à perte de vue. Astrov change de monde. Lui qui était « pilote et guide de grandes chasses (…) pour traquer l’ours ou l’élan au Kamtchatka, le mouflon ou le loup en Sibérie » (p. 219), devient un être inférieur, incapable de se débrouiller seul.
Râleur, Astrov se plaint toujours. Serguei n’est pas sur la même longueur d’ondes : « – Vous, les Occidentaux, vous avez toujours des montres, mais vous n’avez jamais le temps. » (p. 273) Serguei pressent que « L’homme est un loup pour l’homme. » (p. 282) Serguei montre à Astrov comment se nourrir en pêchant mais sa pensée reste naturellement philosophique même dans ces gestes simples : « Le jeu commençait : « un jeu » de vie et de mort, autant pour le poisson que pour l’homme, dont la survie dépendait de cette pêche. » (p. 306) Serguei profite de la situation de dépendance pour enseigner à Astrov, les gestes de survie et d’équilibre de la nature qu’il ne faut pas casser. Astrov minimise en rigolant, l’impact des chasseurs de têtes sur la population locale. Mais Serguei sait que chacun a sa place, dans cette chaîne où tout déséquilibre peut entraîner la mort : « Les gens de mon peuple tueront (…) moins de mouflons au printemps prochain. Ils devront se contenter de viande de renne… » (p. 310) Et s’il n’y a pas assez de rennes, c’est la population locale qui va périr. Astrov respecte malgré tout Serguei car il sait que sans lui, il serait mort depuis longtemps (p. 314). Lorsqu’Astrov est retrouvé par les Occidentaux, Sergei s’enfuit mais Astrov le rattrape pour le remercier en lui offrant une caisse d’alcool et un GPS, deux cadeaux inutiles sinon dangereux pour Serguei car ils sont le symbole de la dépendance au mode de vie occidentale. Lui, il se repère sans problème dans ce vaste désert de neige et il sait que trop d’alcool annihile la vigilance et abîme l’homme. Alors Serguei en refusant, lui répond : « – Si ce voyage n’a servi qu’à te maintenir en vie, alors, il n’a servi à rien. Seuls tes actes diront s’il t’a appris quelque chose. » (p. 338)
Après les coupeurs de têtes, Serguei découvre les coupeurs d’arbres : « Une infinité de troncs coupés « à blanc », presque à ras du sol, qui formaient un tapis de bouchons grisâtres recouvrant tout le flanc de la montagne. » (p. 345) Sergei arrive à stopper la destruction d’une forêt en saccageant le matériel mais les Occidentaux furieux se promettent de revenir avec le double de matériel et des hommes de garde, avec « ordre de tirer sur tout ce qui bouge ! ». (p. 359)
Nicolaï, le père de Serguei a appris l’exploit de son fils et regrette de l’avoir renié. Il voudrait l’aider mais d’abord il doit le retrouver et se réconcilier avec lui. Serguei, lui, est toujours avec ses loups. « Son trophée serré entre ses crocs, Voulka tourna vers lui la flamme de ses yeux jaunes. Dans ce regard, il lisait toujours ce même mélange de tendresse et de sauvagerie, de volonté farouche et de courage sans limites. » (p. 375) Serguei apprécie pleinement ses moments de grâce mais il sait aussi que son peuple a besoin de lui et sa fiancée lui manque. Serguei a les paroles de la sagesse et du courage quand il empêche à nouveau avec l’aide de son clan, le nouveau massacre d’arbres : « tout ce qui vient de la nature est une source de vie. (…). Si on pille la nature ou qu’on la détruit, la source se tarit. Elle se tarit pour tout le monde et elle ne coulera jamais plus ! Jamais plus ! » (p. 388) Mais cette victoire saura-t-elle arrêter la folie de destruction des hommes ? Car ailleurs, pendant ce temps : « ils ont encore construit des ponts, des routes, coupé des forêts entières (…). » (p. 398)
Il n’y a pas de réponse absolue mais la sagesse est de rester confiant et vigilant. L’avenir est insaisissable. En attendant, il reste « le chant éternel des loups. » (p. 398)
20 janvier 2013
Catherine Réault-Crosnier
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