Annie Spillebout était pour moi, une grande amie en poésie et c’est avec émotion que je vais essayer de lui rendre hommage. Tous ceux qui l’ont connue, ont apprécié sa gentillesse, son humour, son horreur de toute grossièreté et de toute violence ainsi que son érudition.
Annie savait rester simple, passionnée par la vie, le savoir, la littérature. Elle appréciait de voyager non pour son simple agrément mais pour des motifs culturels ; elle assistait à des conférences, participait à des visites littéraires, allait à des concerts, des opéras. Elle ne gardait pas ses souvenirs pour elle mais aimait ensuite les faire partager avec beaucoup d’enthousiasme, tout en sachant analyser ses impressions. Elle aimait aussi réfléchir, écrire, échanger, ce qu’elle a pu faire jusqu’au bout de sa vie. Elle a ainsi connu de nombreuses personnes qui sont devenues au fil des ans, ses amis.
Tous ceux qui l’ont connue, regrettent son départ alors qu’elle était toujours très active. Elle se sentait simplement fatiguée. Malgré son absence, elle reste avec nous par la pensée et au fond de notre cœur.
Catherine RÉAULT-CROSNIER rendant
hommage à Annie SPILLEBOUT Biographie d’Annie Spillebout : Je peux parler de sa vie grâce aux renseignements que m’a
apportés son fils, Paul Spillebout. Qu’il reçoive ici le témoignage de
mon remerciement. Annie Spillebout est née le 28 août 1916, sous
le nom de Collin, à Baugé, en Maine-et-Loire. Elle était déjà poète
étant enfant puisqu’elle m’a confié un jour avoir créé des poèmes
avant de savoir écrire. Elle a fait ses études au lycée Molière à Paris en
même temps que Jacqueline de Romilly (bien que n’étant pas dans la même
classe) ce qui explique sa joie de la revoir et de lui parler lors de la
séance solennelle de l’Académie Berrichonne au Val de Grâce à Paris. Elle a passé son baccalauréat de lettres puis a exercé
en tant qu’institutrice à Strasbourg pendant quinze ans. Elle s’est
ensuite mariée avec Mr Gabriel Spillebout qui était alors
professeur de lettres dans un lycée. Annie a eu cinq enfants et ceux-ci
ayant grandi, elle a eu envie d’enrichir ses connaissances
intellectuelles. Pour cela, elle a passé avec succès à quarante ans, une
licence de droit puis un concours dans la magistrature. Elle a ensuite été
admise au barreau de Nancy vers 1963 et est devenue avocate. Elle n’a
plaidé qu’une seule fois mais elle n’est pas la seule à avoir agi
ainsi puisque Corneille a fait de même. Entre temps, son mari a obtenu un poste de chercheur au
CNRS à Nancy en 1963 et pendant dix ans, a travaillé sur les dictionnaires
des siècles passés dans la collection « Trésors de la langue
française ». Il a préparé une thèse d’État qu’il a soutenue à
la Sorbonne en 1968. Il a alors obtenu un poste à la faculté des lettres
de Tours en 1971. Annie Spillebout a donc suivi son mari à Tours. Ayant
été marquée par la mort d’êtres chers, elle s’est réfugiée dans la
poésie pour exprimer sa douleur. La poésie était son jardin secret, sa
confidente. Elle écrivait depuis longtemps déjà sur des petits papiers,
sur des cahiers pour elle-même, un peu comme Marceline Desbordes-Valmore. J’ai
retrouvé deux de ses poèmes datant de 1932 et de 1936 ; elle aurait
donc écrit ces poèmes, très jeune, à 16 et 20 ans. Son mari, Mr Gabriel Spillebout, connaissait bien ses
talents de poète ; c’est pourquoi il a souhaité qu’elle publie un
premier recueil « Le fer et l’eau ». Celui-ci est paru
à compte d’auteur en 1973. Lui ont succédé « Trois heures du
matin » en 1975 puis « Brimbelles » en 1978. Ces trois recueils ne contiennent qu’une partie de son
œuvre mais sont représentatifs de son style classique, emprunt de
nostalgie, de cris de douleurs, d’émotion profonde, de romantisme. En 1975, Annie Spillebout est lauréate de l’Académie
française pour l’ensemble de son œuvre. En 1983, elle obtient le prix
Maurice Rollinat qui est un grand prix de poésie classique. Annie Spillebout n’a jamais cessé d’œuvrer dans des
associations variées, souvent littéraires mais parfois surprenantes,
régionales ou autres ce qui témoigne de sa vitalité intellectuelle. Elle était membre de l’Académie Berrichonne, Pour les associations régionales, elle était membre des
amis du Nord en Touraine et de l’association Alsace-Lorraine en Touraine.
Elle était intéressée par les contacts même en dehors du milieu
littéraire ce qui explique qu’elle était aussi membre de l’Association
des veuves civiles. Annie lisait beaucoup. Elle avait lu tout Zola, tout
Balzac et même trois fois, le livre « À la recherche du temps
perdu » de Marcel Proust qui était son auteur préféré. Les
madeleines avaient pour elle, le charme des choses passées et qui ont
disparu comme pour Marcel Proust et elle les mangeait toujours avec
émotion. Marcel Proust et Maurice Rollinat étaient ses deux
auteurs préférés mais elle s’intéressait à la littérature de
tous les siècles et n’hésitait pas à aborder la littérature
étrangère. Grande lectrice, elle était aussi amateur de
télévision, de cinéma et elle pouvait parler intensément d’un film qui
l’avait séduite. Elle était assoiffée de découvertes, de nouveautés,
passionnée de littérature et possédait une culture étonnante. Elle
récitait par cœur à brûle-pourpoint des poèmes qu’elle aimait. Sa
mémoire ne lui faisait jamais défaut mais son érudition allait de pair
avec une grande simplicité. Elle est restée lucide et active jusque dans ses
derniers instants et elle nous a quittés discrètement, en fin de nuit, le
vendredi 26 juin 1998. Sa poésie : Annie Spillebout est un grand poète classique. Je vais
donc parler maintenant de sa poésie. Elle aimait utiliser de préférence des formes
moyenâgeuses comme la ballade, le rondel et même le pantoum, plutôt
que les formes habituelles qu’elle savait pourtant manier avec autant d’habileté.
Elle recherchait les formes avec retour ce qui créait un refrain à
ses poèmes en même temps qu’un leitmotiv lancinant. Les idées fortes qu’elle
voulait transmettre, ressortaient alors avec plus de vigueur et de
musicalité. Elle est assez proche de Marie-Noëlle de part la forme
de sa poésie et l’expression de ses émotions. Mais essayons de dégager
la personnalité propre à Annie Spillebout. Dans le poème « Sur le thème de l’aventure »,
elle nous confie dans un murmure « Si je pouvais partir »
et ces paroles reviennent pour insister sur son désir, sur cet élan
imaginaire, un peu comme dans « Le bateau ivre » d’Arthur
Rimbaud : « Si je pouvais partir, comme une Romantique, ( ...) Si je pouvais, mon Dieu, d’une harmonie florale Alléger ma lourdeur, puis assécher mes larmes, Dans ce voyage de rêve, elle nous parle de Gauguin et « du
paradis perdu » et d’« adoration de la fuite du
temps » ce qui ne peut que nous rappeler le livre « À la
recherche du temps perdu » de son auteur préféré Marcel Proust. Dans son premier livre « Le fer et l’eau »,
les titres à eux seuls contiennent le message du poète, ses thèmes
préférés : la nature, les voyages, la nostalgie, les douleurs. La nature, elle l’exprime dans des poèmes comme
« Acier », « Eau », « Liserons »,
« Mouette », « La pluie douce », ... Les voyages de ce poète n’ont pas un sens
strict ; Annie peut partir dans l’espace comme dans « Côte
bretonne » ou bien dans le temps avec « Morts »,
« Ressouvenir », « Déménagement », ... La nostalgie, l’acceptation de la vie même lorsqu’elle
est cruelle, Annie Spillebout l’exprime avec force dans
« Bonheurs », « Soir », « Impuissance »,
« Continuité », « Ceux qui restent »,
« Néant », « Vieillesse », ... Ici jaillit toute l’intensité
d’émotion de ce poète devant les douleurs de la vie comme dans le poème
« Ceux qui restent » : « Dans les soirs quotidiens où les choses
pareilles Et le feu rougeoyant au fond de nos cervelles, Si l’un de nous parfois, sortant de soi quand même, Le poète exprime ici l’intensité de sa douleur par « la
mort du silence » pour endormir « la haine » ;
c’est un cri venant du plus profond de son intimité, un appel au secours.
Ce livre se termine avec « Dieu fuyant », poème d’angoisse
où elle essaie de trouver la foi : « Je tends mon corps, désespéré (...) Ce texte murmure des choses qu’on n’ose pas dire car
qui dans la douleur, n’a pas douté de Dieu ? Dans « Trois heures du matin », son
deuxième livre, elle nous parle de son passé comme dans « Image
alsacienne » où le poète promène ses pensées sur les bords du
Rhin : « Vous rappelez-vous bien mes âmes, Chez Annie Spillebout, tout poème descriptif comporte un
message, ainsi celui des bords du Rhin, nous parle des âmes qui sont celles
des défunts que le poète aima. Après l’Alsace, Annie nous raconte Paris à travers
« Les pigeons de Notre Dame ». On connaît l’attrait que ces
oiseaux ont exercé sur elle. Annie aimait les regarder, les écouter, les
nourrir. Elle traite ici de deux sujets en parallèle, de la Vierge Marie qu’elle
supplie et des pigeons roucouleurs qui, eux aussi, sont un baume venu du
ciel pour soigner ses blessures à l’âme : « (...) Elle termine son poème par « Notre Dame des
Sept Douleurs ? ». Marie, elle aussi, a souffert dans
son âme en perdant son fils et Annie se sent proche d’elle. Les affres de la guerre n’ont pas été sans marquer sa
vie comme dans le poème « Déportés » et elle voudrait que la
paix revienne mais des images la hantent, « les soldats qui
partent », « la pluie grise », « l’aube
froide ». Elle ne sait pas si elle doit espérer, comme dans
« Souvenir de guerre » : « Mes espoirs ont traîné leurs misérables
pas ». Bien que n’étant pas native de la Touraine, Annie
Spillebout a écrit « Devant la Loire » car une rivière permet
toujours à un poète d’exprimer la fuite du temps et ses pensées : « Elle a donc passé, ma vie tant aimée, Cette rivière lui rappelle son « enfant qui
dort où va la rivière », son enfant mort. Annie peut dire sa
douleur dans un cri perçant ou dans un poème de douceur comme « Toussaint »
qui n’est pas sans rappeler le poème « La biche » de Maurice
Rollinat dans lequel : « La biche brame au clair de lune Chez Annie Spillebout, le poème
« Toussaint » se termine ainsi : « Où parties mes amours ? où mon espoir si
tendre ? La similitude de pensées de ces deux textes peut
inconsciemment s’expliquer par la proximité d’Annie avec le poète
Maurice Rollinat sans pour cela parler de plagiat puisqu’Annie garde sa
sensibilité propre en regard des faits réels qu’elle a vécus. Dans son dernier livre « Brimbelles »,
Annie nous parle aussi de poètes qu’elle aime comme Baudelaire dans
« Tu chériras la mer » où elle essaie de retrouver l’ambiance
de ce poème qu’elle aime à travers ses mots personnels, sa sensibilité
à fleur de peau. Voici le final de ce texte : « Dans son algue une âme est verte et
fuyante : Comme tout être déchiré, Annie Spillebout a ressenti l’angoisse
d’être seule comme dans « Solitude » et les mots « Je
suis seule » reviennent comme un marteau qui frappe et frappe
encore dans un monde où l’on ressent la perte de ceux qui ont disparu. En conclusion, Annie Spillebout est un poète de
profonde émotion, qui nous confie ses pensées intérieures en des vers qui
touchent les cordes de l’âme. La musique des mots nous berce pour mieux
nous émouvoir. Chez Annie, la douleur est si intense qu’elle nous dit
« Qu’on n’en parle plus » ; c’est d’ailleurs le
titre du dernier poème du recueil « Brimbelles » : « « ... Qu’on n’en parle plus. »
... Qui se souviendra Les beaux soirs heureux, les soleils qui virent, Lorsqu’Annie me lisait ce poème, je lui répondais que
je ne l’oublierais pas. Nous, tous ses amis, ses proches, nous garderons
son souvenir et c’est le moment de lui redire notre fidélité dans le
temps, au-delà de la mort. Oui, Annie, nous ne t’oublierons pas, ni la musique de
tes vers, ni les mots prononcés, ni les moments heureux qu’avec toi, nous
avons partagés. « Qui se souviendra ? » nous dit
le poète. Annie, si tu nous entends, sache bien que nous ne t’oublierons
pas. Catherine RÉAULT-CROSNIER Août 1998
lors de la séance solennelle de l'Académie Berrichonne, le 12 septembre
1998, à Sancerre.
À gauche debout, Monsieur Paul SPILLEBOUT.
présidente d’honneur des amis de René
Boylesve,
vice-présidente d’Art et Poésie de Touraine,
membre des amis de Maurice Rollinat,
membre du jury du prix Maurice Rollinat depuis
1987,
membre des amis de Marcel Proust,
membre des amis de Rabelais,
membre des amis de Paul-Louis Courier,
membre des amis de George Sand à Carpentras,
membre de l’association de la défense de la
langue française.
Partir vers des pays d’où l’on ne revient pas !
Vers un Orient factice, ou quelque Pacifique
Où je retrouverais des Gauguins pas à pas.
Orner ce qui me reste à vivre de printemps !
N’être qu’un chant jailli d’une ardente chorale
Et ne plus adorer que la fuite du temps.
Rire comme l’on rit quand on n’a pas vécu ;
Croire à de vieux gris-gris et retrouver des charmes
Pour mourir de bonheur au paradis perdu ... »
Tisseront leur cruelle et calme indifférence,
Nous serons là, raidis dans le mensonge immense,
Et d’insipides mots dérouleront leur chaîne.
Nos gestes coutumiers et leur même cadence
N’en sauront pas trahir l’horreur et la démence,
Qui viendront s’affaisser au bord de nos prunelles.
Poussait l’atroce cri d’impuissante révolte,
Le monde quotidien le prendrait à la gorge,
Et la mort du silence endormirait sa haine. »
Vers ce Dieu jamais rencontré ... »
le canal de la Marne au Rhin
que, par de beaux jours, nous longeâmes ? »
En cette aurore où les pigeons,
sur les corniches de l’église,
avaient de somptueux frissons,
m’attendiez-vous, madone exquise ? »
elle a donc passé comme une rivière. »
Et pleure à se fondre les yeux,
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune. »
Où mes enfants de chair, arrachés de mon sein ?
Les biches sous la pluie pleurent de nous attendre,
et le jardin se meurt aux veilles de Toussaint. »
sur le sable mou ton nom s’est tracé
mais la mer montant, lécheuse, appuyante,
la mer impassible a tout effacé ... »
des jours enchantés remplis de vos rires !
Quand je pâlirai sur le blanc du drap,
Qui se souviendra ?
les mots prononcés,
les tendres passés,
l’or de vos cheveux, l’argent de vos rires,
quand je m’en irai, chiffonnant le drap,
qui s’en souviendra ? ... »
NB : Outre le présent article, vous pouvez lire sur ce site six poèmes d'Annie SPILLEBOUT ayant participé aux "Murs de poésie de TOURS" : "Les pigeons" en 2000, "Tu chériras la mer..." en 2001, "Qu'on n'en parle plus" en 2002, "Dimanche de pluie" en 2003, "Automne lorrain" en 2004 et "Contraste" en 2005. |
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