HOMMAGE À ANNIE SPILLEBOUT

 

Annie SPILLEBOUT, le 7 février 1986

 

Annie Spillebout était pour moi, une grande amie en poésie et c’est avec émotion que je vais essayer de lui rendre hommage. Tous ceux qui l’ont connue, ont apprécié sa gentillesse, son humour, son horreur de toute grossièreté et de toute violence ainsi que son érudition.

Annie savait rester simple, passionnée par la vie, le savoir, la littérature. Elle appréciait de voyager non pour son simple agrément mais pour des motifs culturels ; elle assistait à des conférences, participait à des visites littéraires, allait à des concerts, des opéras. Elle ne gardait pas ses souvenirs pour elle mais aimait ensuite les faire partager avec beaucoup d’enthousiasme, tout en sachant analyser ses impressions. Elle aimait aussi réfléchir, écrire, échanger, ce qu’elle a pu faire jusqu’au bout de sa vie. Elle a ainsi connu de nombreuses personnes qui sont devenues au fil des ans, ses amis.

Tous ceux qui l’ont connue, regrettent son départ alors qu’elle était toujours très active. Elle se sentait simplement fatiguée. Malgré son absence, elle reste avec nous par la pensée et au fond de notre cœur.

Catherine RÉAULT-CROSNIER rendant hommage à Annie SPILLEBOUT
lors de la séance solennelle de l'Académie Berrichonne, le 12 septembre 1998, à Sancerre.
À gauche debout, Monsieur Paul SPILLEBOUT.

Biographie d’Annie Spillebout :

Je peux parler de sa vie grâce aux renseignements que m’a apportés son fils, Paul Spillebout. Qu’il reçoive ici le témoignage de mon remerciement.

Annie Spillebout est née le 28 août 1916, sous le nom de Collin, à Baugé, en Maine-et-Loire. Elle était déjà poète étant enfant puisqu’elle m’a confié un jour avoir créé des poèmes avant de savoir écrire.

Elle a fait ses études au lycée Molière à Paris en même temps que Jacqueline de Romilly (bien que n’étant pas dans la même classe) ce qui explique sa joie de la revoir et de lui parler lors de la séance solennelle de l’Académie Berrichonne au Val de Grâce à Paris.

Elle a passé son baccalauréat de lettres puis a exercé en tant qu’institutrice à Strasbourg pendant quinze ans. Elle s’est ensuite mariée avec Mr Gabriel Spillebout qui était alors professeur de lettres dans un lycée. Annie a eu cinq enfants et ceux-ci ayant grandi, elle a eu envie d’enrichir ses connaissances intellectuelles. Pour cela, elle a passé avec succès à quarante ans, une licence de droit puis un concours dans la magistrature. Elle a ensuite été admise au barreau de Nancy vers 1963 et est devenue avocate. Elle n’a plaidé qu’une seule fois mais elle n’est pas la seule à avoir agi ainsi puisque Corneille a fait de même.

Entre temps, son mari a obtenu un poste de chercheur au CNRS à Nancy en 1963 et pendant dix ans, a travaillé sur les dictionnaires des siècles passés dans la collection « Trésors de la langue française ». Il a préparé une thèse d’État qu’il a soutenue à la Sorbonne en 1968. Il a alors obtenu un poste à la faculté des lettres de Tours en 1971.

Annie Spillebout a donc suivi son mari à Tours. Ayant été marquée par la mort d’êtres chers, elle s’est réfugiée dans la poésie pour exprimer sa douleur. La poésie était son jardin secret, sa confidente. Elle écrivait depuis longtemps déjà sur des petits papiers, sur des cahiers pour elle-même, un peu comme Marceline Desbordes-Valmore. J’ai retrouvé deux de ses poèmes datant de 1932 et de 1936 ; elle aurait donc écrit ces poèmes, très jeune, à 16 et 20 ans.

Son mari, Mr Gabriel Spillebout, connaissait bien ses talents de poète ; c’est pourquoi il a souhaité qu’elle publie un premier recueil « Le fer et l’eau ». Celui-ci est paru à compte d’auteur en 1973. Lui ont succédé « Trois heures du matin » en 1975 puis « Brimbelles » en 1978.

Ces trois recueils ne contiennent qu’une partie de son œuvre mais sont représentatifs de son style classique, emprunt de nostalgie, de cris de douleurs, d’émotion profonde, de romantisme.

En 1975, Annie Spillebout est lauréate de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. En 1983, elle obtient le prix Maurice Rollinat qui est un grand prix de poésie classique.

Annie Spillebout n’a jamais cessé d’œuvrer dans des associations variées, souvent littéraires mais parfois surprenantes, régionales ou autres ce qui témoigne de sa vitalité intellectuelle.

Elle était 

membre de l’Académie Berrichonne,
présidente d’honneur des amis de René Boylesve,
vice-présidente d’Art et Poésie de Touraine,
membre des amis de Maurice Rollinat,
membre du jury du prix Maurice Rollinat depuis 1987,
membre des amis de Marcel Proust,
membre des amis de Rabelais,
membre des amis de Paul-Louis Courier,
membre des amis de George Sand à Carpentras,
membre de l’association de la défense de la langue française.

Pour les associations régionales, elle était membre des amis du Nord en Touraine et de l’association Alsace-Lorraine en Touraine. Elle était intéressée par les contacts même en dehors du milieu littéraire ce qui explique qu’elle était aussi membre de l’Association des veuves civiles.

Annie lisait beaucoup. Elle avait lu tout Zola, tout Balzac et même trois fois, le livre « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust qui était son auteur préféré. Les madeleines avaient pour elle, le charme des choses passées et qui ont disparu comme pour Marcel Proust et elle les mangeait toujours avec émotion.

Marcel Proust et Maurice Rollinat étaient ses deux auteurs préférés mais elle s’intéressait à la littérature de tous les siècles et n’hésitait pas à aborder la littérature étrangère.

Grande lectrice, elle était aussi amateur de télévision, de cinéma et elle pouvait parler intensément d’un film qui l’avait séduite. Elle était assoiffée de découvertes, de nouveautés, passionnée de littérature et possédait une culture étonnante. Elle récitait par cœur à brûle-pourpoint des poèmes qu’elle aimait. Sa mémoire ne lui faisait jamais défaut mais son érudition allait de pair avec une grande simplicité.

Elle est restée lucide et active jusque dans ses derniers instants et elle nous a quittés discrètement, en fin de nuit, le vendredi 26 juin 1998.

 

Sa poésie :

Annie Spillebout est un grand poète classique. Je vais donc parler maintenant de sa poésie.

Elle aimait utiliser de préférence des formes moyenâgeuses comme la ballade, le rondel et même le pantoum, plutôt que les formes habituelles qu’elle savait pourtant manier avec autant d’habileté. Elle recherchait les formes avec retour ce qui créait un refrain à ses poèmes en même temps qu’un leitmotiv lancinant. Les idées fortes qu’elle voulait transmettre, ressortaient alors avec plus de vigueur et de musicalité.

Elle est assez proche de Marie-Noëlle de part la forme de sa poésie et l’expression de ses émotions. Mais essayons de dégager la personnalité propre à Annie Spillebout.

Dans le poème « Sur le thème de l’aventure », elle nous confie dans un murmure « Si je pouvais partir » et ces paroles reviennent pour insister sur son désir, sur cet élan imaginaire, un peu comme dans « Le bateau ivre » d’Arthur Rimbaud :

« Si je pouvais partir, comme une Romantique,
Partir vers des pays d’où l’on ne revient pas !
Vers un Orient factice, ou quelque Pacifique
Où je retrouverais des Gauguins pas à pas.

( ...)

Si je pouvais, mon Dieu, d’une harmonie florale
Orner ce qui me reste à vivre de printemps !
N’être qu’un chant jailli d’une ardente chorale
Et ne plus adorer que la fuite du temps.

Alléger ma lourdeur, puis assécher mes larmes,
Rire comme l’on rit quand on n’a pas vécu ;
Croire à de vieux gris-gris et retrouver des charmes
Pour mourir de bonheur au paradis perdu ... »

Dans ce voyage de rêve, elle nous parle de Gauguin et « du paradis perdu » et d’« adoration de la fuite du temps » ce qui ne peut que nous rappeler le livre « À la recherche du temps perdu » de son auteur préféré Marcel Proust.

Dans son premier livre « Le fer et l’eau », les titres à eux seuls contiennent le message du poète, ses thèmes préférés : la nature, les voyages, la nostalgie, les douleurs.

La nature, elle l’exprime dans des poèmes comme « Acier », « Eau », « Liserons », « Mouette », « La pluie douce », ...

Les voyages de ce poète n’ont pas un sens strict ; Annie peut partir dans l’espace comme dans « Côte bretonne » ou bien dans le temps avec « Morts », « Ressouvenir », « Déménagement », ...

La nostalgie, l’acceptation de la vie même lorsqu’elle est cruelle, Annie Spillebout l’exprime avec force dans « Bonheurs », « Soir », « Impuissance », « Continuité », « Ceux qui restent », « Néant », « Vieillesse », ... Ici jaillit toute l’intensité d’émotion de ce poète devant les douleurs de la vie comme dans le poème « Ceux qui restent » :

« Dans les soirs quotidiens où les choses pareilles
Tisseront leur cruelle et calme indifférence,
Nous serons là, raidis dans le mensonge immense,
Et d’insipides mots dérouleront leur chaîne.

Et le feu rougeoyant au fond de nos cervelles,
Nos gestes coutumiers et leur même cadence
N’en sauront pas trahir l’horreur et la démence,
Qui viendront s’affaisser au bord de nos prunelles.

Si l’un de nous parfois, sortant de soi quand même,
Poussait l’atroce cri d’impuissante révolte,
Le monde quotidien le prendrait à la gorge,
Et la mort du silence endormirait sa haine. »

Le poète exprime ici l’intensité de sa douleur par « la mort du silence » pour endormir « la haine » ; c’est un cri venant du plus profond de son intimité, un appel au secours. Ce livre se termine avec « Dieu fuyant », poème d’angoisse où elle essaie de trouver la foi :

« Je tends mon corps, désespéré (...)
Vers ce Dieu jamais rencontré ... »

Ce texte murmure des choses qu’on n’ose pas dire car qui dans la douleur, n’a pas douté de Dieu ?

Dans « Trois heures du matin », son deuxième livre, elle nous parle de son passé comme dans « Image alsacienne » où le poète promène ses pensées sur les bords du Rhin :

« Vous rappelez-vous bien mes âmes,
le canal de la Marne au Rhin
que, par de beaux jours, nous longeâmes ? »

Chez Annie Spillebout, tout poème descriptif comporte un message, ainsi celui des bords du Rhin, nous parle des âmes qui sont celles des défunts que le poète aima.

Après l’Alsace, Annie nous raconte Paris à travers « Les pigeons de Notre Dame ». On connaît l’attrait que ces oiseaux ont exercé sur elle. Annie aimait les regarder, les écouter, les nourrir. Elle traite ici de deux sujets en parallèle, de la Vierge Marie qu’elle supplie et des pigeons roucouleurs qui, eux aussi, sont un baume venu du ciel pour soigner ses blessures à l’âme :

« (...)
En cette aurore où les pigeons,
sur les corniches de l’église,
avaient de somptueux frissons,
m’attendiez-vous, madone exquise ? »

Elle termine son poème par « Notre Dame des Sept Douleurs ? ». Marie, elle aussi, a souffert dans son âme en perdant son fils et Annie se sent proche d’elle.

Les affres de la guerre n’ont pas été sans marquer sa vie comme dans le poème « Déportés » et elle voudrait que la paix revienne mais des images la hantent, « les soldats qui partent », « la pluie grise », « l’aube froide ». Elle ne sait pas si elle doit espérer, comme dans « Souvenir de guerre » :

« Mes espoirs ont traîné leurs misérables pas ».

Bien que n’étant pas native de la Touraine, Annie Spillebout a écrit « Devant la Loire » car une rivière permet toujours à un poète d’exprimer la fuite du temps et ses pensées :

« Elle a donc passé, ma vie tant aimée,
elle a donc passé comme une rivière. »

Cette rivière lui rappelle son « enfant qui dort où va la rivière », son enfant mort. Annie peut dire sa douleur dans un cri perçant ou dans un poème de douceur comme « Toussaint » qui n’est pas sans rappeler le poème « La biche » de Maurice Rollinat dans lequel :

« La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux,
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune. »

Chez Annie Spillebout, le poème « Toussaint » se termine ainsi :

« Où parties mes amours ? où mon espoir si tendre ?
Où mes enfants de chair, arrachés de mon sein ?
Les biches sous la pluie pleurent de nous attendre,
et le jardin se meurt aux veilles de Toussaint. »

La similitude de pensées de ces deux textes peut inconsciemment s’expliquer par la proximité d’Annie avec le poète Maurice Rollinat sans pour cela parler de plagiat puisqu’Annie garde sa sensibilité propre en regard des faits réels qu’elle a vécus.

Dans son dernier livre « Brimbelles », Annie nous parle aussi de poètes qu’elle aime comme Baudelaire dans « Tu chériras la mer » où elle essaie de retrouver l’ambiance de ce poème qu’elle aime à travers ses mots personnels, sa sensibilité à fleur de peau. Voici le final de ce texte :

« Dans son algue une âme est verte et fuyante :
sur le sable mou ton nom s’est tracé
mais la mer montant, lécheuse, appuyante,
la mer impassible a tout effacé ... »

Comme tout être déchiré, Annie Spillebout a ressenti l’angoisse d’être seule comme dans « Solitude » et les mots « Je suis seule » reviennent comme un marteau qui frappe et frappe encore dans un monde où l’on ressent la perte de ceux qui ont disparu.

 

En conclusion, Annie Spillebout est un poète de profonde émotion, qui nous confie ses pensées intérieures en des vers qui touchent les cordes de l’âme. La musique des mots nous berce pour mieux nous émouvoir. Chez Annie, la douleur est si intense qu’elle nous dit « Qu’on n’en parle plus » ; c’est d’ailleurs le titre du dernier poème du recueil « Brimbelles » :

« «  ... Qu’on n’en parle plus. » ... Qui se souviendra
des jours enchantés remplis de vos rires !
Quand je pâlirai sur le blanc du drap,
Qui se souviendra ?

Les beaux soirs heureux, les soleils qui virent,
les mots prononcés,
les tendres passés,
l’or de vos cheveux, l’argent de vos rires,
quand je m’en irai, chiffonnant le drap,
qui s’en souviendra ? ... »

Lorsqu’Annie me lisait ce poème, je lui répondais que je ne l’oublierais pas. Nous, tous ses amis, ses proches, nous garderons son souvenir et c’est le moment de lui redire notre fidélité dans le temps, au-delà de la mort.

Oui, Annie, nous ne t’oublierons pas, ni la musique de tes vers, ni les mots prononcés, ni les moments heureux qu’avec toi, nous avons partagés.

« Qui se souviendra ? » nous dit le poète. Annie, si tu nous entends, sache bien que nous ne t’oublierons pas.

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

Août 1998

 

NB : Outre le présent article, vous pouvez lire sur ce site six poèmes d'Annie SPILLEBOUT ayant participé aux "Murs de poésie de TOURS" : "Les pigeons" en 2000, "Tu chériras la mer..." en 2001, "Qu'on n'en parle plus" en 2002, "Dimanche de pluie" en 2003, "Automne lorrain" en 2004 et "Contraste" en 2005.