DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS
(article écrit pour La Gazette Berrichonne de Paris, suite à la présentation par Jean-Christophe Rufin de son livre Le grand Cœur, lors de la IVème Rencontre des Académies de la Région Centre, le samedi 13 octobre 2012 à Châteauroux)
LE GRAND CŒUR
de Jean-Christophe Rufin
de l’Académie du Berry et de l’Académie française
aux Éditions Gallimard, 2012, 498 pages
Jean-Christophe Rufin qui a été reçu à l’Académie du Berry, le 29 mars 2003 à Bourges, n’a jamais oublié cette Académie même après avoir été reçu à l’Académie française, le 19 juin 2008. Il a eu la délicatesse de nous citer dans son discours sous la Coupole : « Je salue d’ailleurs ici les représentants de l’académie du Berry, dignes héritiers de George Sand et d’Alain-Fournier. Ils m’aident à entretenir l’affection que j’ai pour la champagne berrichonne, la Sologne et le Boischaut ». Il a ensuite continué à nous donner des signes d’amitié respectueuse en particulier en nous rendant hommage dans la revue Berry Magazine du printemps 2012 : « je voulais poser quelques jalons envers mes amis de l’Académie du Berry et leur dire qu’ils pouvaient toujours compter sur moi. » Et maintenant, le 13 octobre 2012, dans le cadre du le colloque des quatre Académies de la région Centre, il est venu nous honorer de sa présence à Châteauroux. Il nous a redit sa confiance en la valeur de l’Académie du Berry dont il est heureux de faire partie. Nous l’en remercions infiniment. Tout d’abord, il a pris la parole, remerciant le président de l’Académie du Berry, M. Alain Bilot de son invitation puis il a présenté son dernier livre paru Le Grand Cœur dans lequel il rend hommage au Berry puisque Jacques Cœur a fait construire son palais à Bourges. Pour terminer, il a dédicacé son livre auprès d’un public nombreux et heureux.
Son livre Le Grand Cœur est étonnant et passionnant et je vous propose de l’analyser ici. Il est indéniable que Jean-Christophe Rufin est aussi parti sur les traces de son propre passé puisque la ville de Bourges et le palais Jacques Cœur, sont des lieux prestigieux qu’il a connus dans son enfance. L’histoire se déroule sous le règne de Charles VII où Jacques Cœur, grand Argentier du roi, tient le rôle principal.
Il faut dénouer l’écheveau de la vie dans ce roman, alliant idéal et histoire concrète. Nous débutons par la fin de la vie de Jacques Cœur sur une île grecque, petit paradis de soleil : « Je sais qu’il est venu pour me tuer ». (p. 13) Jean-Christophe Rufin parle avec le « je » pour mieux se mettre dans la peau de ce personnage hors du commun et proche de lui. Dans ce cadre idyllique, un sourd complot se trame. Mais Jean-Christophe Rufin nous entraîne au début de la vie de Jacques Cœur qui, par sa seule volonté et son art du commerce, apporte peu à peu, les richesses du monde oriental en France et dans toute l’Europe. Il devient plus riche que le roi : « J’ai été l’homme le plus riche d’Occident » (p. 206). À la guerre de Cent ans, succèdent le goût du commerce, du luxe, une ère de bien-être et de paix : « La paix n’est pas la suspension de la guerre. La paix, c’est l’industrie des hommes, (…) c’est l’essor des villes et des foires. » (p. 143)
Voyageur aventurier, Jacques Cœur comme l’auteur, s’enivre d’autres manières de vivre, d’horizons lointains, de liberté et d’action sans jamais perdre confiance dans l’adversité. Il atteint les sommets de la reconnaissance. Aux croisades, il préfère la conquête par le commerce.
Sa femme Macé garde toujours une place dans son cœur et c’est pour elle, pour satisfaire sa soif de beauté et de richesse et aussi pour se faire pardonner ses absences, ses voyages, qu’il fait construire le palais Jacques Cœur, mélange de château fort d’un côté et d’art de la Renaissance de l’autre : « J’avais offert un palais à Macé pour prix de la liberté de n’être jamais près d’elle. » (p. 334)
Mais Charles VII n’a plus besoin de lui et est jaloux de sa richesse. Il est prêt à le trahir. Jacques Cœur le sait : « Tu l’as sauvé et maintenant il n’a plus besoin de toi » (p. 379).
Jacques Cœur trouve une âme sœur en la favorite du roi, la Dame de Beauté, Agnès Sorel qui disparaîtra à vingt-quatre ans. Ils frôlent l’amour interdit.
Jean-Christophe Rufin ponctue son livre, de pensées et d’une
certaine philosophie de vie que le lecteur peut faire sienne :
« Talent, réussite, succès font de vous un ennemi
de l’espèce humaine (…). » (p. 48) ;
« L’essentiel est de garder assez d’énergie pour
changer lorsque l’écart devient souffrance et que l’on comprend son
erreur. » (p. 63) ;
« Déchu, j’étais délivré, et la captivité me
rendait la liberté. » (p. 426).
Jacques Cœur naît à une vie inconnue en voyageant et découvre « l’inconcevable, l’inattendu, le fabuleux » (p. 89) qui donnent un sens à son existence. Il sait aussi faire face à l’adversité lorsqu’il est emprisonné, qu’il fuit, qu’il est traqué, « ce dénuement, loin de m’accabler, me remplit d’un plaisir inattendu. » (p. 112)
Jean-Christophe Rufin nous emporte sur ses propres traces à Bourges comme dans ses voyages, avec Jacques Cœur, dans une soif jamais inassouvie d’espaces, de liberté, de découvertes, de rêves vers un ailleurs à la frontière de l’impalpable : « Tel est mon rêve de liberté : être comme ces nuées qui filent devant elles sans obstacle. » (p. 486)
Entre roman picaresque et ébauche autobiographique, charme mélancolique et précision biographique, nous découvrons à travers Le Grand Cœur, la vie de Jacques Cœur sublimée par la fougue littéraire d’un grand conteur, l’académicien Jean-Christophe Rufin.
19 octobre 2012
Dr Catherine Réault-Crosnier, membre du Haut Conseil de l’Académie du Berry
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