DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

L’ABYSSIN

de Jean-Christophe RUFIN,

 

prix Goncourt du premier roman 1997
prix Méditerranée 1997

 

Éditions Gallimard, 583 pages, 1997

 

 

En une cavalcade effrénée, Jean-Christophe RUFIN nous entraîne sur les chemins de Jean-Baptiste PONCET, jeune médecin des pachas du Caire ; celui-ci rêve de voyage et d’amour. Il va pouvoir essayer de satisfaire son premier rêve, celui d’aller à la découverte du plus mythique des grands souverains de l’Orient, le Négus, en Abyssinie.

« Chacun cherche ce qu’il n’a pas » (p. 79), nous dit l’écrivain par la voix de Jean-Baptiste PONCET. Ce médecin tend vers cet idéal, voulant obtenir un statut auquel il n’a pas accès, pour pouvoir parvenir à son deuxième rêve, celui d’obtenir la main de la fille du Consul du Caire, Alix de MAILLET :

« Quelque chose, pourtant, lui disait qu’il pouvait réunir l’inconciliable, c’est-à-dire ne renoncer ni au désir qu’il avait de connaître l’Abyssinie et de s’y illustrer, ni à la tentation de conquérir l’inaccessible Alix de Maillet, dont tout en lui proclamait qu’elle n’avait été créée que pour le rencontrer et le rendre heureux. » (p. 101)

Malgré le caractère improbable de ces deux rêves, Jean-Baptiste PONCET reste optimiste :

« Il y a entre elle et moi d’extraordinaires obstacles ; seules d’extraordinaires circonstances peuvent les surmonter. » (p. 101)

Cependant il s’éloigne de sa bien aimée, serein, pour la conquérir. En effet si son voyage réussit, il pense obtenir par ce succès, sa main… Utopie ?… Mais l’amour n’a-t-il pas conquis l’univers de tous les possibles ?

« Ce premier temps de l’amour est ainsi fait que tout ce qui le retarde l’alimente ; tout ce qui le contrarie le réconforte. » (p. 255)

Jean-Baptiste PONCET découvre l’Abyssinie, déjouant bien des pièges, en particulier celui d’appartenir à un groupe religieux car beaucoup sont prêts à l’accaparer, jésuites, capucins… Ayant accompli sa mission, il revient vainqueur, vers son amour. Plus il se rapproche du Caire, plus son optimisme lui paraît illusoire et ce qu’il redoute, se confirme. Sa réussite ne lui apporte pas la reconnaissance qu’il attendait. On refuse de le croire, on le rabaisse. Il veut témoigner au roi Louis XIV, le Roi-Soleil, de son périple dans le but d’obtenir le titre d’ambassadeur ; on veut l’en dissuader. Dans ce chaos, son amour est la seule lumière qui ne le trahit pas :

« Chacun avait le sensation de vivre un moment fugace, irréparable, précieux non pas en raison de l’engagement qu’il contenait et qui était depuis longtemps déjà pris, mais simplement parce qu’il ne reviendrait jamais. » (p. 300)

Il part pour Versailles grâce aux jésuites voulant profiter de l’affaire. Hélas son entrevue mêlée des pièges des courtisans est un échec total qui met en jeu sa vie. Il refuse l’esclavage de la pensée et s’enfuit ; c’est là qu’ayant perdu toute illusion, il se sent heureux :

« on allait le chercher, le poursuivre car il désobéissait au plus grand des rois. Pourtant jamais, en cette nuit glacée, fouetté par les branches, les yeux ruisselant de larmes, il ne s’était senti aussi libre et aussi confiant. » (p. 469)

Revenant au Caire incognito, il revoit Alix et elle accepte de partir avec lui, délaissant sa vie mondaine et familiale, vie d’honneurs et d’artifices que son père lui avait préparée, ainsi que le mari de son rang qu’il lui avait choisi. Elle préfère l’amour vrai même si elle sait qu’elle devra se battre dans un avenir incertain certes, mais au côté de celui qu’elle a choisi. Son chemin est tracé, celui du bonheur. Jean-Christophe RUFIN conclut son livre par :

« des gens heureux on ne sait pas grand chose. Ils vivent, voilà tout, et le bonheur leur tient lieu d’histoire. » (p. 580)

Si ce roman se termine un peu comme un conte de fées, l’auteur nous tient en haleine durant tout le parcours de ces deux êtres si éloignés par le destin, et seules leurs volontés farouches ont pu avoir raison des réalités injustes de la vie habituelle. Ainsi chacun peut s’assimiler à eux et trouver la part qu’il a faite à la vraie vie dans la routine quotidienne. Belle leçon de courage et de lucidité devant tout ce qui nous enchaîne. Sachons comme ces deux amoureux aller au plus juste, au-delà des idées préconçues et des dogmes accaparants et étouffants. Jean-Christophe RUFIN, par ce roman, nous engage à un choix de vie ; quel sera le nôtre ?

 

27 octobre 2002

Catherine RÉAULT-CROSNIER