Maurice ROLLINAT
(1846 - 1903)
Poète et Musicien du Fantastique
(150ème anniversaire de sa naissance)
Le poète Maurice ROLLINAT est né le 29 décembre 1846 à CHÂTEAUROUX. Il est issu d’une vieille famille berrichonne originaire d’ARGENTON-SUR-CREUSE, famille de notaires, d’avocats, dont fait partie Monsieur Michel SAPIN, maire actuel de cette ville et ancien ministre.
Je vais décrire la vie et l’œuvre de ce poète qui n’est pas délaissé, grâce au soutien actif de l’association "Les amis de Maurice ROLLINAT".
Tout d’abord parlons du père de ce poète, François ROLLINAT dont Maurice était très proche. François ROLLINAT exerçait le métier d’avocat, mais accablé par les soucis familiaux et fatigué par la routine de sa profession, il paraissait généralement triste et était enclin au pessimisme et au découragement. Cependant dans les rares moments où il pouvait se libérer de ses occupations, il devenait l’homme le plus gai et le plus drôle qui soit. Maurice ROLLINAT héritera de ses deux tendances et gardera pour son père une affection profonde et une admiration peu communes.
À l’égard de sa mère, ses sentiments furent réservés. Elle avait une conception rigide de la morale et de la religion, un sens pratique très développé qui se heurtèrent très tôt, semble-t-il, à la fantaisie et aux aspirations de son fils.
Grâce à l’amitié qui unissait son père à George SAND, Maurice ROLLINAT eut dès sa jeunesse, un contact direct avec la littérature. Cette amitié purement intellectuelle dura jusqu’à la mort de François ROLLINAT et on peut considérer George SAND comme la "marraine littéraire" de Maurice ROLLINAT car il rencontra avec son père à NOHANT et à GARGILESSE, il lui confia ses poèmes à lire et il lui demanda conseil. De passage à CHÂTEAUROUX, George SAND alla souvent rue des Notaires, bavarder avec François ROLLINAT. Aux yeux de cet enfant, elle apparut auréolée de la gloire de ses écrits.
Dans son enfance, Maurice fit ses études chez les prêtres à CHÂTEAUROUX et obtint le baccalauréat. Il allait en vacances chaque été dans le domaine de Bel-Air près d’ARGENTON-SUR-CREUSE.
Quand son père mourut brusquement le 13 août 1867, ce fut un choc sentimental et nerveux qui contribua aux angoisses et aux souffrances de sa vie d’adulte.
Son frère aîné, Émile, était doux, sensible, épris de littérature; proche de lui ; il se suicida à l’âge de 33 ans, au cours d’un accès de folie. Ces deux deuils donnèrent à Maurice ROLLINAT l’impression de vivre dans l’intimité de la mort et le désir d’interroger les figures disparues.
Bien qu’ayant une formation intellectuelle de qualité, il a du mal à gagner sa vie et n’est pas satisfait de ses emplois. Il voudrait vivre de sa poésie. Il se rend à PARIS.
En 1876, il a le plaisir de voir un de ses poèmes "Les cheveux", inséré dans la troisième livraison du Parnasse contemporain, poème influencé par un conte d’Edgar POE :
"Mais elle blêmissait de jour en jour ; sa chair
Quittait son ossature, atome par atome,
Et navré, je voyais son pauvre corps si cher
Prendre insensiblement l’allure d’un fantôme.
Puis à mesure, hélas ! que mes regards plongeaient
Dans ses yeux qu’éteignait une mort insatiable,
De moments en moments, ses cheveux s’allongeaient
Entraînant par leur poids sa tête inoubliable".
(EXTRAIT)
Las d’attendre, il publie en 1877, à son compte, "Dans les brandes", recueil qui célèbre la brande berrichonne, l’odeur de la terre paysanne, "Bel Air" la propriété de ses parents, GARGILESSE un des villages favoris de George SAND. "Dans les brandes" est dédié à la mémoire de George SAND qui était morte un an plus tôt, le 8 juin 1876. Cet hommage paraît justifié puisque George SAND, dans sa correspondance avec le jeune poète, ne cessa de l’encourager à chanter la nature.
Ce livre se rattache au régionalisme littéraire en plein épanouissement à cette date ; il reste imprégné de sa longue communion avec la nature minutieusement observée, artistement décrite, anxieusement interrogée.
Parmi les poèmes champêtres, citons : "Les gardeuses de boucs", "Les petits taureaux", "La mare aux grenouilles", "La vache", "Les dindons", "Le lièvre", "Le petit coq", "L’écureuil"...
Ce dernier poème montre le côté paisible de la nature, cependant à l’approche de la nuit, une touche d’angoisse devant l’inconnu s’immisce dans la tranquillité de la narration :
"Le petit écureuil fait de la gymnastique
Sur un vieux chêne morne où foisonnent les guis.
Les rayons du soleil, maintenant alanguis,
Ont laissé le ravin dans un jour fantastique.
Le paysage est plein de stupeur extatique ;
Tout s’ébauche indistinct comme dans un croquis.
Le petit écureuil fait de la gymnastique
Sur un vieux chêne morne où foisonnent les guis.
Tout à l’heure, la nuit, la grande narcotique,
Posera son pied noir sur le soleil conquis ;
Mais, d’ici là, tout seul, avec un charme exquis,
Le petit écureuil fait de la gymnastique".
Malgré tout, quelques pièces macabres comme "Le petit fantôme", "Le remords", "La mort du cochon", "Le convoi funèbre", "Le cimetière", "Le feu follet", "Le chien enragé", "La mare aux grenouilles"... sillonnent ce livre de ci, de là, annonciatrices de la tendance du deuxième recueil de Maurice ROLLINAT.
Dans "La mare aux grenouilles", le côté énigmatique et inquiétant de la nature se mêle à une description très fine qui n’est pas sans nous rappeler les descriptions dans "La mare au diable" de George SAND :
"Cette mare, l’hiver, devient inquiétante,
Elle s’étale au loin sous le ciel bas et gris,
Sorte de poix aqueuse, horrible et clapotante,
Où trempent les cheveux des saules rabougris.
La lande tout autour fourmille de crevasses,
L’herbe rare y languit dans des terrains mouvants,
D’étranges végétaux s’y convulsent, vivaces,
Sous le fouet invisible et féroce des vents ;
Les animaux transis, que la rafale assiège,
Y râlent sur des lits de fange et de verglas,
Et les corbeaux - milliers de points noirs sur la neige –
Les effleurent du bec en croassant leur glas.
(…)
Et tout rit : ce n’est plus le corbeau qui croasse
Son hymne sépulcral aux charognes d’hiver :
Sur la lande aujourd’hui la grenouille coasse,
- Bruit monotone et gai claquant sous le ciel clair".
(EXTRAITS)
Un certain nombre de ces poèmes sont mis en musique par le poète lui-même car Maurice ROLLINAT est non seulement un habile versificateur mais aussi un compositeur de talent qui aime jouer au piano en chantant ses poèmes en public.
Malgré son élan créateur, son premier livre n’a aucun succès. Découragé, il se plaint de l’incompréhension générale. Il décide donc de n’écrire que pour lui. Il continue de mettre ses vers en musique ainsi que ceux d’autres auteurs comme BAUDELAIRE. Il fait partie du "Chat noir", il commence alors à être apprécié des milieux littéraires et Sarah BERNHARDT l’aide à être connu.
En 1878, il épouse Marie SERULLAZ, une femme riche et cultivée mais très vite ils ne s’entendent plus et se séparent définitivement cinq ans plus tard. Elle lui a inspiré plusieurs poèmes du temps de leur vie commune dont "L’amante macabre". Il rêve de gloire littéraire mais il est assailli de crises de migraines tenaces l’obligeant à s’isoler lors de celles-ci.
De 1877 à 1882, Maurice ROLLINAT ne publie rien. Il continue de se faire connaître. En 1882, à 36 ans, lorsqu’il fait éditer son deuxième livre "Les névroses", sa reconnaissance littéraire se concrétise pour lui par l’accueil triomphal de ce volume. C’est le livre le plus connu de ce poète ; c’est celui sur lequel ses détracteurs s’appuient pour conclure hâtivement que l’auteur est un imitateur, presque un plagiaire, de BAUDELAIRE et d’Edgar POE. Maurice ROLLINAT reste démuni devant les critiques acerbes de certains écrivains contemporains, lui qui a le souci de montrer la fragilité et la vanité humaines d’une façon moderne, avec son tempérament fougueux et névrosé.
"Les névroses" se composent de plusieurs chapitres : "Les âmes, Les luxures, Les refuges, Les spectres, Les ténèbres" ; c’est un chant douloureux où certains thèmes reviennent régulièrement, celui de la poussière, de la vision d’une tombe, de la hantise de l’au-delà.
Dans la première partie "Les âmes", le poète parle de l’Art et des génies, Frédéric CHOPIN, Edgar POE, de ses inspirateurs dans un climat de frissons, de douleurs, de musique, de plaintes, de parfums. Voici le poème sur Edgar POE :
"Edgar POE fut démon, ne voulant pas être Ange.
Au lieu du Rossignol, il chanta le Corbeau ;
Et dans le diamant du Mal et de l’Étrange
Il cisela son rêve effroyablement beau.
Il cherchait dans le gouffre où la raison s’abîme
Les secrets de la Mort et de l’Éternité,
Et son âme où passait l’éclair sanglant du crime
Avait le cauchemar de la Perversité.
Chaste, mystérieux, sardonique et féroce,
Il raffine l’Intense, il aiguise l’Atroce ;
Son arbre est un cyprès ; sa femme, un revenant.
Devant son oeil de lynx le problème s’éclaire :
- Oh ! comme je comprends l’amour de Baudelaire
Pour ce grand Ténébreux qu’on lit en frissonnant !".
"Les luxures" qui constitue le chapitre suivant, nous parle du frisson de l’animalité avec sensualité et énergie :
"Ô ma pauvre sagesse, en vain tu te dérobes
Au fluide rôdeur, âcre et mystérieux
Que, pour magnétiser le passant curieux,
L’Inconnu féminin promène sous les robes !
Les robes ! où circule et s’est insinuée
La vie épidermique avec tous ses frissons,
Et qui, sur les trottoirs comme entre les buissons,
Passent avec des airs de barque et de nuée !".
(EXTRAIT DE "LES ROBES")
Le chapitre "Les refuges" nous présente les endroits où le poète sait se ressourcer pour retrouver la paix de l’âme dans la nature, par exemple dans "Le liseron" :
"Le liseron est un calice
Qui se balance à fleur de sol.
L’éphémère y suspend son vol
Et la coccinelle s’y glisse.
Le champignon rugueux et lisse
Parfois lui sert de parasol ;
Le liseron est un calice
Qui se balance à fleur de sol.
Or, quand les champs sont au supplice,
Brûlés par un ciel espagnol,
Il tend toujours son petit bol
Afin que l’averse l’emplisse :
Le liseron est un calice".
Dans "Les spectres", le poète nous entraîne vers un autre univers, celui du fantastique où la vision lancinante de la mort est omniprésente par exemple dans "La folie" :
"La tarentule du chaos
Guette la raison qu’elle amorce.
L’esprit marche avec une entorse
Et roule avec d’affreux cahots.
Entendez hurler les manchots
De la camisole de force !
La tarentule du chaos
Guette la raison qu’elle amorce.
Aussi la mort dans ses caveaux
Rit-elle à se casser le torse,
Devant la trame obscure et torse
Que file dans tous les cerveaux
La tarentule du chaos".
Dans le dernier chapitre, "Les ténèbres", Maurice ROLLINAT poursuit son chemin vers la fatalité de la mort. Il nous force à nous enfoncer dans les ténèbres qui s’épaississent de plus en plus. Certains titres à eux seuls témoignent bien de cette tendance : "Les larmes, Le cercueil, Le cadavre, Le glas, La putréfaction...". Son interrogation sur l’au-delà ne peut pas nous laisser indifférents par exemple dans "Chansons des amoureuses" :
"Nos soupirs s’en vont dans la tombe
Comme des souffles dans la nuit,
Et nos plaintes sont un vain bruit
Comme celles de la colombe.
Tout prend son vol et tout retombe,
Tout s’enracine et tout s’enfuit !
Nos soupirs s’en vont dans la tombe
Comme des souffles dans la nuit.
C’est toujours la mort qui surplombe
Le nouvel amour qui séduit,
Et pas à pas, elle nous suit
Dans la volupté qui nous plombe.
Nos soupirs s’en vont dans la tombe".
Après le triomphe de son livre "Les névroses" à PARIS, Maurice ROLLINAT reste démuni devant les critiques et il tourne le dos à la fortune pour se réfugier à FRESSELINES en 1883, dans la Creuse, où il vécut avec sa compagne Cécile POUETTRE. Il continuera d’écrire dans la campagne, des poèmes de visions plus douces, plus sereines, imprégnées de la paix de la nature.
Son livre "L’abîme" est la suite de "Les névroses" (1886). Dans celui-ci, il veut sonder l’homme lui-même, l’hypocrisie, l’intérêt, l’égoïsme, la colère, la luxure... Il analyse les indices de ce qu’est l’homme, ses habitudes, ses vices, ses faiblesses, ses projets.
En 1891, Maurice ROLLINAT publie un recueil de poésies pour enfants : "Nature". Ces petits poèmes sont tirés de ses précédents ouvrages et destinés aux écoliers. En 1982, Mary C. DONNELL a fait éditer un choix illustré de pièces tirées de cette œuvre. Dans ce livre, le poète nous montre non seulement ses dons d’observation de la nature en toute simplicité mais aussi il y ajoute une autre dimension car il dote la nature d’une âme sensible et pénétrante d’où s’élève une vibrante émotion, par exemple dans "La biche" :
"La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.
Pour raconter son infortune
À la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.
Mais aucune réponse, aucune,
À ses longs appels anxieux !
Et le cou tendu vers les cieux,
Folle d’amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune".
Maurice ROLLINAT vivra à FRESSELINES dans la simplicité et appréciera de faire de longues marches dans la campagne. Des crises de migraines intenses l’obligeront régulièrement à s’isoler, à s’enfermer chez lui mais il aura trouvé ici la paix de l’âme jusqu’à la mort de sa compagne, Cécile POUETTRE, en 1903. Il tente alors de se suicider sans y réussir. Il refuse de se soigner et meurt le 26 octobre 1903 dans son lit, sans agonie, sans souffrance, sans effort, d’un marasme physiologique, à l’âge de 57 ans.
Ses derniers poèmes ont été réunis dans un livre posthume, sous le titre "Fin d’œuvre", en 1919.
Pour terminer, analysons les traits de caractère ayant influencé le style d’écriture de ce poète : Maurice ROLLINAT a été marqué par la mort de son père et de son frère à un âge de vie fragile et il a vécu par ailleurs avec un désir de gloire littéraire contrebalancé par un état maladif chronique évoluant sous formes de crises épisodiques migraineuses. Il restera toujours conscient de ses troubles, en gardera la hantise et l’exprimera dans ses poèmes.
En utilisant comme conversion de ses pulsions angoissantes, l’expression de ses idées, il arrive à se décharger partiellement de son angoisse, par exemple dans le poème "L’étoile du fou" :
"Luis encore ! et surtout, cher Astre médecin,
Accours me protéger, si jamais dans mon sein
Serpentait l’éclair rouge et noir du Suicide".
(EXTRAIT)
Ses poèmes lui servent de soupape de sécurité et lui permettent donc d’éviter une décompensation vers une dépression, un suicide, une désintégration de la personnalité, une psychose.
En conclusion, Maurice ROLLINAT reste un grand poète classique du début du siècle, influencé par George SAND à ses débuts puis par BAUDELAIRE et Edgar POE mais il garde son originalité propre par son goût du fantastique et du morbide provenant de son intériorité et de son désir de retrouver les chères figures disparues. Le nom de ce poète a figuré dans le dictionnaire Larousse pendant la première moitié de ce siècle ; alors les enfants apprenaient ses poèmes à l’école en France ainsi que dans les pays francophones.
Depuis la mort de Maurice ROLLINAT, plusieurs centaines d’articles lui ont été consacrés : Émile VINCHON a recueilli dans plusieurs livres, documents et études ; Hugues LAPAIRE et Alexandre ZAVAES publièrent de précieuses biographies ; Régis MIANNAY y a consacré sa thèse de doctorat ès lettres sous le titre "Maurice ROLLINAT, poète et musicien du fantastique". Enfin, le bulletin de l’association des amis de Maurice R0LLINAT nous apporte régulièrement de nouveaux renseignements.
Actuellement des chercheurs et des écrivains essaient de continuer à le faire connaître en France et à l’étranger. Puissent les manifestations qui auront lieu dans le cadre du 150ème anniversaire de sa naissance, permettre la réhabilitation de ce poète !
26 novembre 1995
Docteur Catherine RÉAULT-CROSNIER,
TOURS
NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.
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