Maurice Rollinat, « LE VENT »

 

 

(Texte lu à plusieurs voix avec des poèmes mis en musique par Michel Caçao, le 19 novembre 2016 à Argenton-sur-Creuse, dans le cadre de la soirée de poésie des journées annuelles de l’association des Amis de Maurice Rollinat.)

 

 

Le vent ne laisse pas les poètes indifférents. Ils s’en inspirent dans la diversité de leur élan créatif. Ainsi avec Maurice Rollinat, le vent peut être caresse, miroir de l’âme, élément incontournable de la nature, proche du monde animalier et des petites gens. Vous le trouverez ici dans tous ses états, dans l’ensemble de ses livres de poésie.

Dans les Brandes, livre centré sur la campagne, le vent peut être présent à travers la veine fantastique du poète comme ces extraits de poèmes où vous le trouverez sous des facettes diverses, dans la plainte, dans une ambiance fantastique proche d’Edgar Poe, dans un magnétisme envoûtant et aussi dans la douceur légère :

NUIT FANTASTIQUE

(…)
Des carcasses, cohue âpre et ténébreuse,
Dansent au cimetière entre les cyprès ;
Tout un bruissement lointain de forêts
Se mêle au choc des os – plainte douloureuse. –

Le vent creuse
Les marais.

(…)

Sous les vents, le bateau qu’enchaîne une corde
Au rivage pierreux crève son vieux flanc.
Le chêne formidable en vain s’essoufflant
Succombe : il faut que sous l’effroyable horde

Il se torde
En hurlant.

(…)

(Dans les Brandes, pages 102 à 104)

 

LES ARBRES

(…)
De vous un magnétisme étrange se dégage,
Plein de poésie âpre et d’amères saveurs ;
Et quand vous bruissez, vous êtes le langage
Que la nature ébauche avec les grands rêveurs.

Quand l’éclair et la foudre enflent rafale et grêle,
Les forêts sont des mers dont chaque arbre est un flot,
Et tous, le chêne énorme et le coudrier grêle,
Dans l’opaque fouillis poussent un long sanglot.

Alors, vous qui parfois, muets comme des marbres,
Vous endormez, pareils à des cœurs sans remords,
Vous tordez vos grands bras, vous hurlez, pauvres arbres,
Sous l’horrible galop des éléments sans mors.
(…)

Les seules nuits de mai, sous les rayons stellaires,
Aux parfums dont la terre emplit ses encensoirs,
Vous oubliez parfois vos douleurs séculaires
Dans un sommeil bercé par le zéphyr des soirs.
(…)

(Dans les Brandes, pages 113 et 115)

Les animaux peuvent aussi être décrits en symbiose avec le vent comme dans le poème mis en musique par Maurice Rollinat :

LA CHANSON DE LA PERDRIX GRISE

La chanson de la perdrix grise
Ou la complainte des grillons,
C’est la musique des sillons
Que j’ai toujours si bien comprise.

Sous l’azur, dans l’air qui me grise,
Se mêle au vol des papillons
La chanson de la perdrix grise
Ou la complainte des grillons.

Et l’ennui qui me martyrise
Me darde en vain ses aiguillons,
Puisqu’à l’abri des chauds rayons
J’entends sous l’aile de la brise
La chanson de la perdrix grise.

(Dans les Brandes, pages 208 et 209)

 

Dans Les Névroses, le vent n’est pas un élément principal ; il est parsemé de ci, de là, au fil des différents chapitres de ce recueil. Nous pouvons le trouver dans « Le ciel », symbole mystique à travers « des zéphyrs angélisés » (p. 46), ou bien léger, insouciant, sensuel (dans « Le vent d’été ») et aussi voyageur à la présence indirecte dans le mouvement des nuages (« Ballade des nuages ») :

LE VENT D’ÉTÉ

A Léon Tillot

Le vent d’été baise et caresse
La nature tout doucement :
On dirait un souffle d’amant
Qui craint d’éveiller sa maîtresse.

Bohémien de la paresse,
Lazzarone du frôlement,
Le vent d’été baise et caresse
La nature tout doucement.

Oh ! quelle extase enchanteresse
De savourer l’isolement,
Au fond d’un pré vert et dormant
Qu’avec une si molle ivresse
Le vent d’été baise et caresse !

(Les Névroses, page 213)

 

BALLADE DES NUAGES

A Armand Dayot.

Tantôt plats et stagnants comme des étangs morts,
On les voit s’étaler en flocons immobiles
Ou ramper dans l’azur ainsi que des remords ;
Tantôt comme un troupeau fuyard de bêtes viles,
Ils courent sur les bois, les ravins et les villes ;
Et l’arbre extasié tout près de s’assoupir,
Et les toits exhalant leur vaporeux soupir
Qui les rejoint dans une ascension ravie,
Regardent tour à tour voyager et croupir
Les nuages qui sont l’emblème de la vie.
(…)

(Les Névroses, page 214)

 

Dans L’Abîme, après la gloire à Paris et sa fuite de la vie parisienne tapageuse, Maurice Rollinat rumine ses idées noires puis les jette sur le papier. L’écriture reste alors pour le poète, une soupape de sécurité lui permettant de ne pas plonger dans la désespérance totale. Rollinat se ressource auprès des éléments et des petites gens (p 113). Le fantastique domine et le vent devient symbole, étendard à suivre :

LES MAGICIENS

Bergère noire de l’étrange
Qui mène son vague troupeau
Par les chemins creux du tombeau
En filant à la terre un lange
Couleur de crime et de corbeau,
La Grande Nuit par qui tout change
Rend l’amour fantastique et beau,
Car elle entre dans cette fange
Comme le vent dans un drapeau ;
Elle s’y donne, s’y mélange,
Et le mystère, son suppôt,
Sous les ténèbres de la peau
Fait éclore le mauvais ange…
Mais brusquement le jour se venge
Et l’Amour redevient crapaud.

(L’Abîme, pages 113 et 114)

 

Dans La Nature, le vent peut nous étonner par la diversité des situations dans lesquelles il se trouve sous la plume de Maurice Rollinat. Il tient la première place puisqu’il est le premier poème de ce livre. Alors le vent s’étale sur dix pages ! Dans ce poème jamais lassant, le poète déploie son talent pour montrer le vent sous toutes ses facettes. Il utilise une grande variété de vocabulaire et d’associations de mots qui font sa richesse poétique. Le fantôme n’est jamais loin mais nous sommes aussi captivés par le rythme créé, par l’alternance dans chaque strophe, de deux fois trois octosyllabes puis d’un vers court, un pentasyllabe. L’humanisation du vent entretient aussi notre intérêt car sous sa plume, il devient voix, toucher, mouvement, vie, sentiments, vagabondage, errance, souffrance, désirs… Mais laissons place à sa magie :

LE VENT

Elément fantôme, ondoyant,
Impalpable, invisible, ayant
La soudaineté, le fuyant,

Toutes les forces,

Tous les volumes, tous les poids,
Tous les touchers, toutes les voix,
Toutes les fougues, à la fois

Droites et torses…

Le vent ! Protée aérien,
Surveillant, quand il ne dit rien,
Sa métamorphose qu’il tient

Constamment prête !

Le vent ! frôleur du liseron,
Du grain de sable, du ciron,
Et, tout à coup, le bûcheron

De la tempête !

Soufflant la bonne exhalaison,
Il recèle une trahison,
Puisqu’à cette même saison

Où son haleine

Va délecter les odorats,
Les Pestes et les Choléras
Sont les voyageurs scélérats

Qu’elle promène.

La Terre semble jubiler
Et l’Océan se consoler
Lorsque le vent veut s’appeler

Zéphir ou brise.

La fleurette est pour ce berceur
Une toute petite sœur
Qu’il vient câliner en douceur

Et sans surprise.

Las de siffler et de gémir,
Certains jours, il paraît dormir :
A peine alors s’il fait frémir

La moindre tige ;

Il s’endort, puis s’éveille un brin,
Souffle minuscule et serein
Qui lutine au ras du terrain

Et qui voltige.

Même on dirait qu’il a le goût
Du silence, qu’il s’y dissout ;
Un soupir de soupir, c’est tout

Ce qu’il profère :

Il flotte mystique, enchanté,
Comme une âme de volupté
Dans la diaphanéité

De l’atmosphère.

Il se distrait du calme plat
En vagabondant çà et là ;
Sans que son humeur pour cela

Soit tracassière,

Il bat la feuille qui devient
D’un vert neuf ou d’un vert ancien,
Car il l’époussète aussi bien

Qu’il l’empoussière.

Mais avec le temps automnal,
Les hauteurs, la plaine, le val,
Sont pris du frisson végétal

A l’improviste ;

On se retourne en maint endroit
Sur un coup subit qu’on reçoit…
C’est le vent aigre, presque froid

Et déjà triste.

Et dès lors, derrière, devant,
De côté, toujours s’élevant,
Flue et reflue un bruit bouffant ;

Avant la pluie,

C’est un claquement sec, un peu
Comme le frou-frou d’un bon feu,
Quand la flamme jaune au dard bleu

Lèche la suie.

Les feuilles cessant de stagner
Commencent à dodeliner,
On voit très au loin moutonner

Toute leur masse ;

Un trouble parcourt le gazon,
La girouette, le buisson
Gesticulent à leur façon,

Et l’eau grimace.

Quand la tempête se produit,
Le vent hurle. C’est toujours lui
Qui la devance, la conduit

Et la présage ;

Et son mauvais surgissement
Fait sentir plus spectralement
Le livide assombrissement

Du paysage.

Au fond des campagnes, dans l’air,
Quel cauchemar et quel enfer
Quand, parmi la foudre et l’éclair,

Le vent inflige

Sa démence à l’obscurité !
Tout tourne en pleine cécité
Dans l’effroyable insanité

De ce vertige.

L’hôte inquiet d’un vieux manoir
Doit nécessairement savoir
Combien il est lugubre et noir,

Les nuits d’orage,

D’entendre, tout seul, du dedans,
Ces gigantesques bruits grondants,
Confus d’abord, bientôt stridents

Et pleins de rage.

Insensiblement, par filets
Plaintifs, saccadés, maigrelets,
Le vent glisse entre les volets

Et sous les portes,

Et, s’engouffrant aux corridors,
Il gémit ainsi que des morts
Qui viendraient pleurer leurs remords

Avec des mortes.

La rumeur monte, en plus chagrin,
Comme un bourdonnement marin ;
Et puis, tumulte souterrain,

Clameur mourante

De tout un peuple massacreur.
Rires de folles en fureur…
C’est la musique de l’horreur

Dans l’épouvante !

Le vent ne commence parfois
Qu’à fendre l’air en tapinois,
Qu’à gercer l’eau, tâter les toits,

Froisser le chêne,

Coucher l’herbe et raser le roc :
Il se tasse pour un grand choc,
Et subitement, tout d’un bloc,

Il se déchaîne

Contre les bois, les prés, les monts,
Routes, sentiers, sables, limons ;
Il faut au jeu de ses poumons

Les vastitudes

Et s’exaspérant des prisons
Que lui font les quatre horizons
Il cogne à toutes les cloisons

Des solitudes !

Il fouille les coins et les creux ;
Au sommet des glaciers affreux
La neige, par monceaux vitreux,

Par masses blanches,

S’écroule sous son cinglement
Qui poursuit caverneusement
La chute et l’engloutissement

Des avalanches.

Les océans sont rendus fous
Par les plongements de ses coups,
Il redescend au fond des trous,

Remonte aux cimes…

Et rebouleversant les flots,
Précipite encor son chaos
Des escarpements les plus hauts

Dans les abîmes.

Il met le feuillage en haillons,
Sabre les blés sur les sillons,
Prend l’herbe dans ses tourbillons,

La tord, la hache ;

Il livre même des combats
Aux vieux arbres de haut en bas,
Et quand il ne les pourfend pas,

Il les arrache !…

Et, toujours, par tout l’univers,
Par les continents et les mers,
Les champs, les cités, les déserts,

Passe et repasse,

Tour à tour tendre et furieux
Ce grand souffle mystérieux :
La respiration des cieux

Ou de l’espace !

(La Nature, pages 1 à 10)

Nous pouvons aussi rencontrer le vent dans deux extraits de « La prière » où il est étonnamment empli de mysticisme avant de se confondre avec les éléments primordiaux dans la dernière strophe. Il peut être élément en symbiose avec l’univers dans un extrait de « Lune d’orage » ou apportant une atmosphère religieuse dans « Nuit mystique », thème abordé jusqu’à l’extase dans « La journée divine » :

LA PRIÈRE

(…)
Tel soir de pluie, un solitaire
Rend l’espace plus solennel
En y voyant dans l’arc en ciel
L’Arc de triomphe du Mystère.

Écoutant le Vent il l’invoque,
Il l’adore en humant la mer,
Et par son ivresse de l’air
Qui rit, s’exclame et soliloque,
(…)

Et surtout grande est la prière
Sans autres témoins que l’air nu,
Le ciel et l’eau, l’arbre et la pierre.

(La Nature, pages 342 à 345)

 

LUNE D’ORAGE

(…)
Tout à l’heure, avec ce frisson
De la tempête qui s’amasse,
Une averse humectait l’espace
Et le sol, de telle façon

Que le vent moite qui circule
Mouille encore ce clair-obscur,
Amalgame tranquille et pur
De l’aurore et du crépuscule.
(…)

Hors le murmure coassant,
Tout bruit d’en bas tombe et s’enterre ;
Puis, la couleur devient mystère,
La forme va s’assombrissant,

Et par degrés, toujours plus brune,
Elle chancelle et se réduit…
Et l’orage reprend la nuit :
Les nuages mangent la lune.

(La Nature, pages 50 à 55)

 

NUIT MYSTIQUE

(…)
Les brises de velours s’embaument tout exprès
Pour fêter cette nuit qui les met en voyage,
Et la lueur d’en haut vogue sur le marais
En laissant derrière elle un vaporeux sillage.
(…)

(La Nature, pages 163 et 164)

 

LA JOURNÉE DIVINE

(…)
Mon extase monte, s’élève,
Jusqu’en l’azur s’épanouit,
Je suis un peu l’herbe qui luit,
L’eau qui court, le rocher qui rêve.

Comme l’air, le zéphir, l’arome et la clarté,
Ma pensée est éparse en cette immensité
Dont elle voit, raisonne et vit l’architecture.
(…)

(La Nature, pages 248 et 249)

Nous aurions pu aussi citer d’autres poèmes comme « La nuit d’orage » (pages 212 à 218) où fantastique et épouvante dominent à la manière d’Edgar Poe.

 

Dans son livre Les Apparitions, Maurice Rollinat vieillissant, est encore plus pessimiste mais le vent lui apporte un souffle venu d’ailleurs, entre rêve et voyage par l’esprit.

Dans le poème « Les choses », le vent sert d’introduction au sujet principal, chassant nos pensées par sa présence :

LES CHOSES

Non ! Ce n’est pas toujours le vent
Qui fait bouger l’herbe ou la feuille,
Et quand le zéphyr se recueille,
Plus d’un épi tremble souvent.

Soufflant le parfum qu’elle couve,
Suant le poison sécrété,
La fleur bâille à la volupté
Et dit le désir qu’elle éprouve.
(…)

(Les Apparitions, pages 1 à 8)

Après avoir entendu le vent exprimer ses états d’âme sous la plume du poète, partons dans « La soirée verte » près du vent en symbiose avec les éléments qui l’entourent. Il est à la fois à peine perceptible individuellement et en même temps, présence vivante par son haleine et son mouvement :

LA SOIRÉE VERTE

Le soir tombait avec une lenteur magique,
La grande nappe d’eau qui dormait sans un pli
Répercutait profonds dans son miroir poli
Le nuage rampant et l’arbre léthargique.

Le seul glissottement des sources de la rive
Pleurant dans le silence un goutteleux soupir
Berçait l’air engourdi que le muet zéphir
Coupait, tiède et frôlant, d’une haleine furtive.
(…)

(Les Apparitions, pages 150 et 151)

Avec Maurice Rollinat, le vent n’est pas toujours de passage. Il peut être minutieusement décrit en symbiose avec l’univers (« Crue d’automne ») ou empli de délicatesse à travers la dernière feuille prête à tomber dans la menace de l’orage et de la pluie qui cingle. Alors le vent nous emporte avec le poète, toujours plus loin. Nous nous imprégnons de cette atmosphère sombre, contrebalancée par de petites touches discrètes d’espoir par exemple à travers « le brouillard bleu » mais toujours domine la force indomptable et ses déchaînements :

CRUE D’AUTOMNE

L’air s’embrume : voici que l’époque est venue
Où le feuillage tient pour la dernière fois.
Le vent force, et la pluie ayant dormi des mois,
Recommence à tomber sur la terre chenue.
(…)

C’est le matin. – Le ciel a soufflé dans l’espace
Le malaise orageux dont il est travaillé ;
Parfois, très sourdement, d’un nuage caillé
Le tonnerre répond au coup de vent qui passe.
(…)

Et la pluie imprégnant ces rafales d’automne,
Aussi froides bientôt que celles de l’hiver,
Tend ses fils qui, cinglés, se tordent comme un ver,
Puis s’arrête et reprend, compacte et monotone.

Ayant couché le vent, toute seule, enfermée
Par des monts et des bois voilés d’un brouillard bleu,
Elle occupe les airs de ce sinistre lieu
Que voûte le ciel bas d’un dôme de fumée.
(…)

(Les Apparitions, pages 152 à 157)

Le vent omniprésent auparavant, peut être aussi simple élément du paysage comme dans le poème « Les fossés » ; il n’apparaît alors qu’en final, pour clore le débat de la furie de l’eau et pour nettoyer des empreintes de mort :

(…)
Et, quand la nature s’endeuille,
Ils sont la tranchée où, souvent,
On voit balayés par le vent
Bien des cadavres de la feuille.

(Les Apparitions, page 171)

Maurice Rollinat ne montre pas toujours le vent de manière macabre. Il peut aussi le présenter sous forme orageuse. Dans le poème « Pluie magique », Maurice Rollinat le rend solennel avec le mot « pompeux ». Notons l’atmosphère « bizarre » si caractéristique du poète. Très souvent, Maurice Rollinat crée des contrastes ; il fait alors côtoyer l’étrangeté et les « frais zéphyrs ». Ces oppositions répétées entretiennent encore plus l’attention du lecteur et traduisent bien le claquement du tonnerre près de « la pluie extraordinaire » qui nous rappelle les Histoires extraordinaires d’Edgar Poe.

Nous ne devons surtout pas oublier la dernière strophe si caractéristique du talent du poète. Maurice Rollinat pose une note romantique avec la lune puis ajoute une douceur étrange avec l’association oxymorique de la couleur verte près des âmes et des crapauds, et le rapprochement des mots « savourent » proche de l’extase et de « la pâleur des roses ».

PLUIE MAGIQUE

Immense, et d’un pompeux magique si bizarre,
Apparaissant partout planté de rosiers blancs,
Le parc, abandonné des frais zéphyrs tremblants,
Souffle son parfum mort dans le jour qui s’effare…

Soudain, l’orage éclate et la voix du tonnerre
Au milieu du silence horrible de l’endroit
Roule ! le tourbillon de l’ouragan s’accroît,
Aussi fou que la pluie est extraordinaire.

Car, au torrent à pic de ses gouttes énormes
Se mêle un flux d’infiniment petites formes
Qu’on voit bientôt ramper sous la nue au repos,

Et, la lune glissant sur les brumes décloses,
Diamante et verdit ces âmes de crapauds
Qui savourent la nuit dans la pâleur des roses.

(Les Apparitions, pages 175 et 176)

Après cette vision apocalyptique, partons près de l’« Effet de vent » situé à la première place tout au long de ce sonnet. Maurice Rollinat lui donne une vie dynamique en utilisant des verbes d’action variés « traverse », « débrouille », « reternit », « fustige », « mord », « caresse », et même étonnamment lui créant une pensée, avec le verbe « flatte ». Le vent continue de déferler tout au long de ce poème à travers mille actions et mouvements sans jamais nous lasser car nous nous laissons entraîner par ce souffle. Pour finir, Maurice Rollinat ajoute une note de musique avec les mots « morceau » et « clavier », transformant le vent en musicien comme lui :

EFFET DE VENT

Aujourd’hui le vent froid qui lutine l’eau plate
La traverse en tous sens, la brosse, la vernit,
L’obscurcit, la débrouille et puis la reternit,
La fustige, la mord, la caresse et la flatte.

Y décochant moiré l’infini des frissons,
Il en tend l’élastique au plaisir de son souffle,
Il la pince, la tord, la creuse, la boursoufle,
A la fois la pétrit de toutes les façons.

Il lui fait des tuyaux, des loupes et des dents,
Après qu’il l’a ridée à plis se confondant
Ou qu’il l’a crespelée en frisons insensibles,

Et, toujours va changeant, furtif, prestigieux,
Le grand morceau muet que chante pour les yeux
Ce liquide clavier sous ces doigts invisibles.

(Les Apparitions, pages 177 et 178)

Si le vent est humanisé dans ce poème, il ne l’est pas dans « L’ouragan » où à l’opposé, il reste élément de l’univers, force violente, déchaînée, incontrôlable. Le talent fantastique de Maurice Rollinat se déploie dès le premier mot « Convulsion » et plus loin, « effrayant », « mugissements », « chaos », « abîmes de vertige ». En opposition à cette furie, le vent devient vers la fin du poème, tourné vers « l’éternité » en même temps qu’il reste finitude, secret et aussi étonnamment « L’Infini » avec un « I » majuscule. Maurice Rollinat se transforme alors en philosophe à la recherche d’un ailleurs hors de ce monde enchaîné, déchaîné.

L’OURAGAN

Convulsion de la Tempête
Par les immensités vaguant,
La musique de l’ouragan
Commence où la nôtre s’arrête :

Car, avec l’effrayant prestige
De ses mugissants lamentos,
Elle traduit tous les chaos,
Tous les abîmes du vertige.

Interprète d’éternité,
N’exprimant de l’humanité
Que le tourbillon de sa cendre,

Elle évoque, seul dans sa nuit,
Dans le secret de son ennui,
L’Infini… pour qui sait l’entendre.

(Les Apparitions, pages 196 et 197)

L’ouragan peut changer de visage quand le jour s’efface. Alors apparaît « Enfin la nuit ! » dans un univers chaotique et apocalyptique avec « Le sanglant astre en feu » près du « vol d’un grand oiseau ». Les papillons ne volent pas mais flottent dans un déluge d’eau avant l’inertie de tout, image de fin du monde. Alors « paix » et « mystère » se côtoient. Dans ce silence, des voix apparaissent, « Le sinistre miaou / Du hibou », le ricanement et les pleurs de la chouette. Horreur, mort, extase se confondent à l’unisson.

Les changements de rythme d’un vers à l’autre, un alexandrin suivi d’un hexasyllabe suivi de trois vers de trois syllabes puis d’un alexandrin. Cette succession (de vers) se poursuivant tout au long du poème, accentue le fracas de l’ouragan et les effets fantastiques. Maurice Rollinat est vraiment un maître dans l’art de jongler avec les rythmes ! Ici le vent n’est pas toujours présent directement mais il fait partie intégrante du tableau au milieu de la mouvance des éléments :

ENFIN LA NUIT !

S’écroulant dilaté, pendu toujours moins haut,

Le sanglant astre en feu,

Peu à peu,

Se recule

Et s’annule.

L’onde à souffles froidis éteint barque et roseau ;

Le gris du crépuscule

Teint l’air bleu

Où se meut

La virgule

Que fait double au lointain le vol d’un grand oiseau.

Encore çà et là flottent des papillons.

On voit se rassembler,

Se mêler

Bien des ailes

Toutes frêles,

Tourniquant leur trépas dans les derniers rayons ;

Et voici demoiselles

Revoler,

Sauteler

Sauterelles

Dans le blême où tremblote un brumeux vermillon.

(…)

Il monte alors des fonds de limoneuses voix :

Le sinistre miaou

Du hibou

Mord, relance

Le silence ;

La chouette ricane et pleure aussi parfois ;

La feuille se balance

Au frou-frou

Du vent mou.

Somnolence,

Et vague horreur planant sur la cime des bois !

(…)

(Les Apparitions, pages 213 à 216)

De la même veine que ces visions nocturnes, le vent, dans « Le batelier », est décrit dans les deux premiers quatrains, de manière dramatique dans un crescendo envahissant le monde en contraste avec la marche du poète qui apporte un souffle de vie dans un paysage dévasté :

LE BATELIER

Lugubre, horrifiant les cieux, les paysages
Qu’ébranlaient, caverneux, des coups de foudre longs,
La tempête, soufflant des hauteurs et des fonds,
M’avait surpris, le soir, dans de grands marécages.

En hâte, je franchis bois, ravine, bruyère,
Des fouillis de chardons, des nappes de bourbiers,
Des pacages mouvants, bossus, creux et noyés,
Et, sur la berge enfin je longeai la rivière.
(…)

(Les Apparitions, pages 242 à 244)

Après nous avoir fait percevoir concrètement le vent, Maurice Rollinat peut aussi nous entraîner dans le monde des sentiments. Dans un poème intitulé « La Bonté » ennoblie par l’utilisation du B majuscule, le vent se trouve là étonnamment :

(…)
La Bonté ? C’est pour notre monde
Plein de révolte et de douleur,
Ce qu’est l’averse pour la fleur,
Ce qu’est le frais zéphyr pour l’onde.
(…)

(Les Apparitions, page 294)

 

Dans les livres parus après la mort du poète, le vent a très peu de place.

 

Dans Les Bêtes, le vent à peine perceptible, est rarement présent comme dans « Fleurs-papillons » dans le vers : « Au zéphir que sa fuite emporte, » (page 13) ou dans « Le sphinx », le vent n’est pas cité mais présent indirectement à travers « Des arbres claquant lourds ainsi que des drapeaux » (page 18).

 

Dans Fin d’Œuvre, le vent peut être associé à la musique comme dans cet extrait de :

LANGAGE DU RÊVE

(…)
Un langage extraordinaire
Qui vous chante autant d’inconnu
Que la mer, le ruisseau menu,
Le vent, la pluie et le tonnerre…
(…)

(Fin d’Œuvre, pages 75 et 76)

 

Maurice Rollinat a su décrire magistralement, dans la force étonnante de son art poétique, le vent dans tous ses états. Il est présent dans la diversité de ses possibilités d’expression, de mouvements et de ses états d’âme. Nous l’avons rencontré ici magicien ou rêveur parmi les nuages, démon ou ange, animé de vie ou porteur de mort, violent ou léthargique, mouillé, babillant ou muet, énigmatique ou très concret, à peine perceptible ou extraordinaire, simple élément. Il vit, humanisé, musicien du rythme. Grâce à l’art du poète, il est porté vers l’humanité et même l’expression de l’invisible.

 

Catherine Réault-Crosnier

Novembre 2016

 

Bibliographie

Livres de Maurice Rollinat utilisés :

– Rollinat Maurice, Les Névroses, G. Charpentier, Paris, 1883, 399 pages
– Rollinat Maurice, Dans les Brandes, poèmes et rondels, G. Charpentier, Paris, 1883, 281 pages
– Rollinat Maurice, L’Abîme, poésies, G. Charpentier, Paris, 1886, 292 pages
– Rollinat Maurice, La Nature, poésies, G. Charpentier et E. Fasquelle, Paris, 1892, 350 pages
– Rollinat Maurice, Les Apparitions, G. Charpentier et E. Fasquelle, Paris, 1896, 310 pages
– Rollinat Maurice, L’Abîme, poésies, G. Charpentier, Paris, 1886, 292 pages
– Rollinat Maurice, Les Bêtes, poésies, Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, 1911, 234 pages
– Rollinat Maurice, Fin d’Œuvre, Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, 1919, 341 pages

 

 

NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter sur le présent site, le dossier qui leur est consacré.