(Conférence lue à cinq voix avec des poèmes mis en valeur à la guitare par Michel Caçao, le samedi 18 novembre 2023 à Argenton-sur-Creuse, dans le cadre de la soirée de poésie des journées annuelles de l’association des Amis de Maurice Rollinat.)
Dès son enfance, Maurice Rollinat a été imprégné par la musique. Il avait des oncles et des tantes qui jouaient du piano et même composaient des morceaux. Jean Anatole dans son article « La famille Rollinat » paru dans le Bulletin n° 35 (de 1996, pages 34 et 35), indique à propos de Philippe Rollinat : « D’exécutant, il devenait compositeur. Parmi ses œuvres, nous connaissons : « Le Tyrol », deux valses intitulées « Bianca » et « Papillon ». Il écrivit également de la musique sur les paroles de sa sœur, Madame Danais. » Puis à propos de Marie-Louise : « Également musicienne, virtuose de violon, elle composa des chansons dont « Fauvette » et la « Montagnarde ».
Pendant sa scolarité à l’école Saint-Pierre, Maurice Rollinat jouait de l’harmonium au cours des offices religieux jusqu’au jour où des parents d’élèves s’aperçurent qu’il mêlait des airs populaires à la musique sacrée.
Dès ses premiers poèmes, composés au début de son adolescence, la musique est présente :
DÉDIÉ À MA MÈRE POUR SA FÊTE Mère, je prends ma lyre, et je mêle ma voix comme une eau pure et cristalline ; (…) (Poèmes de jeunesse proposés par Catherine Réault-Crosnier et Régis Crosnier, p. 15)
|
|
UNE NUIT (…)
; une voix romantique Dans cette immense paix, le rossignol parfois (Poèmes de jeunesse…, p. 57)
CE QUE J’AIME (…) (Poèmes de jeunesse…, p. 63) |
Dans ses deux premiers livres Dans les Brandes et Les Névroses, des poèmes entiers lui sont même consacrée, tels « La Musique », « Le Piano », « Marches funèbres », « Chopin », « La Cornemuse » ou « Mon Épinette ».
Dans « La Musique », il exprime tous les bienfaits qu’il ressent lorsqu’il joue du piano. Elle devient « torrent du rêve », « nectar aimé » et « philtre béni ». Pour mieux exprimer ses sensations, Maurice Rollinat joue avec les changements de rythme et les alternances de vers ; la trame d’ensemble en octosyllabes contraste avec la première et la dernière strophe en vers plus courts, alternant tétrasyllabes et hexasyllabes :
LA MUSIQUE A Frédéric Lapuchin. A l’heure où l’ombre noire Brouille et confond La lumière et la gloire Du ciel profond, Sur le clavier d’ivoire Mes doigts s’en vont. Quand les regrets et les alarmes Elle me verse tous les baumes Elle m’apaise quand je souffre, |
|
Elle mouille comme la pluie, Dans ses fouillis d’accords étranges Les rythmes ont avec les gammes O Musique, torrent du rêve, A l’heure où l’ombre noire Brouille et confond La lumière et la gloire Du ciel profond. Sur le clavier d’ivoire Mes doigts s’en vont. (Les Névroses, pp. 49 et 50) |
Dès son enfance, Maurice Rollinat a joué du piano. Adulte, il a continué comme au cabaret du Chat Noir où il captivait, hypnotisait, ensorcelait le public. Cet art l’a aidé à être célèbre. Le piano ne le quittera jamais puisque même à Fresselines, pendant vingt ans, il jouera du piano pour lui seul, pour ses invités et ses amis. « Intime confident », le piano « console [le] cœur et [l’]esprit qui vague » du poète.
LE PIANO A Marcel Noël. Puis-je te célébrer autant que je le dois, Sois fier d’être incompris de la vulgarité ! Le rêve tendrement peut flotter dans tes sons ; Intime confident du vrai musicien, (Les Névroses, p. 51) |
Dans « Marches funèbres » le poète allie la sensualité esquissée à travers la femme qui joue du piano et l’harmonie qui vibre au diapason des musiciens, Beethoven, Chopin, en symbiose avec les marches funèbres frôlant l’effroi de la mort unie à l’espoir de l’immortalité :
MARCHES FUNÈBRES Toi, dont les longs doigts blancs de statue
amoureuse, Toi, le cœur inspiré qui veut que l’Harmonie Joue encore une fois ces deux marches funèbres Plaque nerveusement sur les touches d’ivoire Et tu seras bénie, et ce soir dans ta chambre (Les Névroses, page 52) |
Frédéric Chopin a été l’un des musiciens préférés de Maurice Rollinat et même son préféré. Il a été le compagnon de George Sand de 1838 à 1847 ; à cette date, Maurice Rollinat venait juste de naître, il n’a pas pu le connaître mais en a certainement entendu parler par son père. Le poème intitulé « Chopin » a été publié pour la première fois dans La Renaissance littéraire et artistique du 30 novembre 1873. George Sand, qui avait certainement eu connaissance de ce poème auparavant, dans une lettre datée du 21 janvier 1873, écrit à Maurice Rollinat : « Tu n’as pas compris Chopin si tu n’as vu que le côté déchirant. Il avait aussi le côté naïf, sincère, enthousiaste, et tendre, ce n’était pas un génie incomplet. » Gustave Kahn dans un article paru dans La Nouvelle Revue du 15 novembre 1903, met en évidence les liens entre Maurice Rollinat, Chopin et le Berry : « Il avait aussi beaucoup fréquenté l’œuvre de Chopin, dont on pourrait peut-être retrouver l’influence dans sa façon d’écrire la musique. Chopin l’intéressait, parce que souffrant, parce que mort jeune, parce que douloureux, et aussi, par les liens qui l’unirent à George Sand, il faisait corps, pour l’imagination de Rollinat, à ce Berry qu’il aime tout entier, tel quel, et qu’il préfère à Paris. » (La Nouvelle Revue du 15 novembre 1903, article « Maurice Rollinat », page 252). Pour Maurice Rollinat, Chopin est un « frère du gouffre » et un « amant des nuits tragiques », la musique les rassemble mais il ne retient que les aspects « douloureu[x] » et « macabre[s] ». Dans ce poème, l’émotion domine, la force de la conviction, des sentiments, subliment la grandeur de l’artiste. Maurice Rollinat emplit son poème d’un chant qui se termine en lamento.
CHOPIN A Paul Viardot. Chopin, frère du gouffre, amant des nuits tragiques, L’harmonie a perdu son Edgar Poe farouche Ta musique est toujours – douloureuse ou macabre
– Les délires sans nom, les baisers frénétiques |
|
La morbide lourdeur des blancs soleils d’automne ; L’abominable toux du poitrinaire mince L’âcre senteur du sol quand tombent des
averses ; Tout cela, torsions de l’esprit, mal physique, Vierges tristes malgré leurs lèvres incarnates, |
|
Au fond de tes Scherzos et de tes Polonaises, Sur la croupe onduleuse et rebelle des gammes Ta musique a rendu les souffles et les râles, Triste ou gai, calme ou plein d’une angoisse
infinie, Hélas ! toi mort, qui donc peut jouer ta musique ? (Les Névroses, pp. 53 à 55) |
Le poème « La Cornemuse » nous emporte dans la musique berrichonne traditionnelle et le folklore, mais aussi près des légendes rustiques avec ces « sons de flûte et de hautbois » qui « semblaient râlés par une femme » « près du carrefour des croix ».
LA CORNEMUSE Sa cornemuse dans les bois Ces sons de flûte et de hautbois Sa cornemuse ! Il est mort. Mais, sous les cieux froids, Sa cornemuse. (Les Névroses, page 201) |
Dans le poème « Mon Épinette », nous partons à la campagne avec « Jean » qui « fait la cour à Jeannette ». Nous avons quitté les thèmes sérieux pour la « chansonnette » « aux sons de mon épinette ».
MON ÉPINETTE Jean fait la cour à Jeannette Fou de sa mine finette Dont la voix de serinette Avec une chansonnette – Là-bas, plus d’une rainette La lune à la maisonnette, Il suit partout la brunette, Aussi calin que Minette Il effleure sa cornette Pendant que la grande Annette (Dans les Brandes, pages 39 à 41) |
Dans de très nombreux poèmes, la musique est présente sans être le sujet principal.
Dans « La Voix », « la voix de surnaturelle amante ventriloque » a des sons de violoncelle, d’alto, de harpe ou de hautbois :
Voix de surnaturelle amante ventriloque Dit par elle, mon nom devient une musique : Et puis elle a des sons de métal et de verre : (Les Névroses, pp. 29 et 30) |
Maurice Rollinat nous emporte près de « La Blanchisseuse du Paradis » qui travaille « Au son de musiques étranges / De harpes et de clavecins » :
LA BLANCHISSEUSE DU PARADIS A Mademoiselle Ducasse. Au son de musiques étranges Elle blanchit robes et langes Et les bienheureuses phalanges (Les Névroses, p. 47) |
« L’Amante macabre » joue du clavecin, mais « Le piano geignait avec tant d’âpreté, / Qu’en l’écoutant, Chopin eût frémi d’épouvante. » Le cadre est bâti dès le premier vers ; l’envoûtement créé emplit peu à peu la pensée ; la magie, l’horreur, le frisson de l’épouvante dominent le spectateur, avec la présence permanente de la musique et du chant.
L’AMANTE MACABRE A Charles Buet. Elle était toute nue assise au clavecin ; Une pâle veilleuse éclairait tristement Oh ! magique en effet ! Car il semblait
parler Ma spectrale adorée, atteinte par la mort, Osseuse nudité chaste dans sa maigreur ! Elle chantait : (…) « Mais, jusqu’au bout, mon cœur boira l’étrangeté Et tandis que ce chant de la fatalité (Les Névroses, pp. 255, 256 et 257) |
Dans « Les Météores », plusieurs personnages sont décrits avec des termes de musique :
(…) Lamartine ! Eden pur où des harpes étranges George Sand ! à jamais reine des
bucoliques ! De Vigny ! crépuscule automnal où l’on hume Baudelaire ! Élixir de spleen et d’ironie, (Fin d’Œuvre, pp. 147 à 150) |
Pour « Le Sourd », il lui reste en mémoire les musiques et les bruits qu’il aimait :
(…) Donc, les sons q’j’aimais pas, maint’nant j’peux
m’en défendre, Je m’redis couramment dans l’âme et la cervelle (Paysages et Paysans, p. 114) |
Pour terminer, voici une série d’exemples où des éléments de la nature sont comparés à de la musique :
Dans « L’Allée de peupliers » les arbres se transforment en harpes :
(…) (Les Névroses, p. 131) |
Dans « Le Vent », celui-ci devient « la musique de l’horreur » :
(…) Clameur mourante De tout un peuple massacreur. Dans l’épouvante ! (…) (La Nature, p. 8) |
Quant à « L’Ouragan », sa musique « traduit tous les chaos » :
Convulsion de la Tempête Car, avec l’effrayant prestige (Les Apparitions, p. 196) |
À l’opposé, « La Voix du vent » apporte « sa grande musique mineure » :
(…) (Paysages et Paysans, p. 169) |
Avec son poème « Les deux Bouleaux », Maurice Rollinat nous charme en décrivant leur « musique verte ».
(…) (Paysages et Paysans, p. 103) |
Et dans « La bonne Rivière », les crapauds « Vous jouent leur musique mineure » :
(…) Qui, certains soirs, flûteurs dispos, (La Nature, p. 279) |
Chez Maurice Rollinat, poésie et musique sont intimement liées dès ses premières poésies à l’adolescence. Que ce soit pour décrire un instrument de musique, un compositeur, des événements de la vie courante ou de la nature, des termes musicaux sont souvent utilisés, rappelant que le poète est aussi un musicien.
Août / novembre 2023
Catherine RÉAULT-CROSNIER et Régis CROSNIER
NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.
|