LA MUSIQUE DANS LES POÈMES DE MAURICE ROLLINAT

 

 

(Conférence lue à cinq voix avec des poèmes mis en valeur à la guitare par Michel Caçao, le samedi 18 novembre 2023 à Argenton-sur-Creuse, dans le cadre de la soirée de poésie des journées annuelles de l’association des Amis de Maurice Rollinat.)

 

Dès son enfance, Maurice Rollinat a été imprégné par la musique. Il avait des oncles et des tantes qui jouaient du piano et même composaient des morceaux. Jean Anatole dans son article « La famille Rollinat » paru dans le Bulletin n° 35 (de 1996, pages 34 et 35), indique à propos de Philippe Rollinat : « D’exécutant, il devenait compositeur. Parmi ses œuvres, nous connaissons : « Le Tyrol », deux valses intitulées « Bianca » et « Papillon ». Il écrivit également de la musique sur les paroles de sa sœur, Madame Danais. » Puis à propos de Marie-Louise : « Également musicienne, virtuose de violon, elle composa des chansons dont « Fauvette » et la « Montagnarde ».

Pendant sa scolarité à l’école Saint-Pierre, Maurice Rollinat jouait de l’harmonium au cours des offices religieux jusqu’au jour où des parents d’élèves s’aperçurent qu’il mêlait des airs populaires à la musique sacrée.

Dès ses premiers poèmes, composés au début de son adolescence, la musique est présente :

DÉDIÉ À MA MÈRE POUR SA FÊTE

Mère, je prends ma lyre, et je mêle ma voix
aux suaves accords qui coulent sous mes doigts

comme une eau pure et cristalline ;

(…)

(Poèmes de jeunesse proposés par Catherine Réault-Crosnier et Régis Crosnier, p. 15)

 

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Dédié à ma mère pour sa fête de Maurice Rollinat.

 

UNE NUIT

(…)                                ; une voix romantique
Venait de la montagne… ineffable, mystique,
On eut dit, par instants, comme le son d’un cor,
Comme un soupir de flûte, ou bien de harpe… encor.
(…)

Dans cette immense paix, le rossignol parfois
Glissa cet accent doux et tendre de sa voix,
Sublime expression d’une harmonie étrange,
Echo fidèle et pur de la harpe d’un ange,
(…)

(Poèmes de jeunesse…, p. 57)

 

CE QUE J’AIME

(…)
J’aime le beau ciel bleu,
Et mon piano sonore ;
(…)

(Poèmes de jeunesse…, p. 63)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Une Nuit de Maurice Rollinat.

 

Dans ses deux premiers livres Dans les Brandes et Les Névroses, des poèmes entiers lui sont même consacrée, tels « La Musique », « Le Piano », « Marches funèbres », « Chopin », « La Cornemuse » ou « Mon Épinette ».

Dans « La Musique », il exprime tous les bienfaits qu’il ressent lorsqu’il joue du piano. Elle devient « torrent du rêve », « nectar aimé » et « philtre béni ». Pour mieux exprimer ses sensations, Maurice Rollinat joue avec les changements de rythme et les alternances de vers ; la trame d’ensemble en octosyllabes contraste avec la première et la dernière strophe en vers plus courts, alternant tétrasyllabes et hexasyllabes :

LA MUSIQUE

A Frédéric Lapuchin.

A l’heure où l’ombre noire

Brouille et confond

La lumière et la gloire

Du ciel profond,

Sur le clavier d’ivoire

Mes doigts s’en vont.

Quand les regrets et les alarmes
Battent mon sein comme des flots,
La musique traduit mes larmes
Et répercute mes sanglots.

Elle me verse tous les baumes
Et me souffle tous les parfums ;
Elle évoque tous mes fantômes
Et tous mes souvenirs défunts.

Elle m’apaise quand je souffre,
Elle délecte ma langueur,
Et c’est en elle que j’engouffre
L’inexprimable de mon cœur.

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Musique de Maurice Rollinat.

Elle mouille comme la pluie,
Elle brûle comme le feu ;
C’est un rire, une brume enfuie
Qui s’éparpille dans le bleu.

Dans ses fouillis d’accords étranges
Tumultueux et bourdonnants,
J’entends claquer des ailes d’anges
Et des linceuls de revenants ;

Les rythmes ont avec les gammes
De mystérieux unissons ;
Toutes les notes sont des âmes,
Des paroles et des frissons.

O Musique, torrent du rêve,
Nectar aimé, philtre béni,
Cours, écume, bondis sans trêve
Et roule-moi dans l’infini.

A l’heure où l’ombre noire

Brouille et confond

La lumière et la gloire

Du ciel profond.

Sur le clavier d’ivoire

Mes doigts s’en vont.

(Les Névroses, pp. 49 et 50)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Musique de Maurice Rollinat.

Dès son enfance, Maurice Rollinat a joué du piano. Adulte, il a continué comme au cabaret du Chat Noir où il captivait, hypnotisait, ensorcelait le public. Cet art l’a aidé à être célèbre. Le piano ne le quittera jamais puisque même à Fresselines, pendant vingt ans, il jouera du piano pour lui seul, pour ses invités et ses amis. « Intime confident », le piano « console [le] cœur et [l’]esprit qui vague » du poète.

LE PIANO

A Marcel Noël.

Puis-je te célébrer autant que je le dois,
Cher interlocuteur au langage mystique ?
Hier encor, le chagrin, ruisselant de mes doigts,
T’arrachait un sanglot funèbre et sympathique.

Sois fier d’être incompris de la vulgarité !
Beethoven a sur toi déchaîné sa folie,
Et Chopin, cet Archange ivre d’étrangeté,
T’a versé le trop plein de sa mélancolie.

Le rêve tendrement peut flotter dans tes sons ;
La volupté se pâme avec tous ses frissons
Dans tes soupirs d’amour et de tristesse vague ;

Intime confident du vrai musicien,
Tu consoles son cœur et son esprit qui vague
Par ton gémissement, fidèle écho du sien.

(Les Névroses, p. 51)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Piano de Maurice Rollinat.

 

Dans « Marches funèbres » le poète allie la sensualité esquissée à travers la femme qui joue du piano et l’harmonie qui vibre au diapason des musiciens, Beethoven, Chopin, en symbiose avec les marches funèbres frôlant l’effroi de la mort unie à l’espoir de l’immortalité :

MARCHES FUNÈBRES

Toi, dont les longs doigts blancs de statue amoureuse,
Agiles sous le poids des somptueux anneaux,
Tirent la voix qui berce et le sanglot qui creuse
Des entrailles d’acier de tes grands pianos,

Toi, le cœur inspiré qui veut que l’Harmonie
Soit une mer où vogue un chant mélodieux,
Toi qui, dans la musique, à force de génie,
Fais chanter les retours et gémir les adieux

Joue encore une fois ces deux marches funèbres
Que laissent Beethoven et Chopin, ces grands morts,
Pour les agonisants, pèlerins des ténèbres,
Qui s’en vont au cercueil, graves et sans remords.

Plaque nerveusement sur les touches d’ivoire
Ces effrayants accords, glas de l’humanité,
Où la vie en mourant exhale un chant de gloire
Vers l’azur idéal de l’immortalité.

Et tu seras bénie, et ce soir dans ta chambre
Où tant de frais parfums vocalisent en chœur,
Poète agenouillé sous tes prunelles d’ambre,
Je baiserai tes doigts qui font pleurer mon cœur !

(Les Névroses, page 52)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poèmeMarches funèbres de Maurice Rollinat.

Frédéric Chopin a été l’un des musiciens préférés de Maurice Rollinat et même son préféré. Il a été le compagnon de George Sand de 1838 à 1847 ; à cette date, Maurice Rollinat venait juste de naître, il n’a pas pu le connaître mais en a certainement entendu parler par son père. Le poème intitulé « Chopin » a été publié pour la première fois dans La Renaissance littéraire et artistique du 30 novembre 1873. George Sand, qui avait certainement eu connaissance de ce poème auparavant, dans une lettre datée du 21 janvier 1873, écrit à Maurice Rollinat : « Tu n’as pas compris Chopin si tu n’as vu que le côté déchirant. Il avait aussi le côté naïf, sincère, enthousiaste, et tendre, ce n’était pas un génie incomplet. » Gustave Kahn dans un article paru dans La Nouvelle Revue du 15 novembre 1903, met en évidence les liens entre Maurice Rollinat, Chopin et le Berry : « Il avait aussi beaucoup fréquenté l’œuvre de Chopin, dont on pourrait peut-être retrouver l’influence dans sa façon d’écrire la musique. Chopin l’intéressait, parce que souffrant, parce que mort jeune, parce que douloureux, et aussi, par les liens qui l’unirent à George Sand, il faisait corps, pour l’imagination de Rollinat, à ce Berry qu’il aime tout entier, tel quel, et qu’il préfère à Paris. » (La Nouvelle Revue du 15 novembre 1903, article « Maurice Rollinat », page 252). Pour Maurice Rollinat, Chopin est un « frère du gouffre » et un « amant des nuits tragiques », la musique les rassemble mais il ne retient que les aspects « douloureu[x] » et « macabre[s] ». Dans ce poème, l’émotion domine, la force de la conviction, des sentiments, subliment la grandeur de l’artiste. Maurice Rollinat emplit son poème d’un chant qui se termine en lamento.

CHOPIN

A Paul Viardot.

Chopin, frère du gouffre, amant des nuits tragiques,
Ame qui fus si grande en un si frêle corps,
Le piano muet songe à tes doigts magiques
Et la musique en deuil pleure tes noirs accords.

L’harmonie a perdu son Edgar Poe farouche
Et la mer mélodique un de ses plus grands flots.
C’est fini ! le soleil des sons tristes se couche,
Le Monde pour gémir n’aura plus de sanglots !

Ta musique est toujours – douloureuse ou macabre –
L’hymne de la révolte et de la liberté,
Et le hennissement du cheval qui se cabre
Est moins fier que le cri de ton cœur indompté.

Les délires sans nom, les baisers frénétiques
Faisant dans l’ombre tiède un cliquetis de chairs,
Le vertige infernal des valses fantastiques,
Les apparitions vagues des défunts chers ;

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Chopin de Maurice Rollinat.

La morbide lourdeur des blancs soleils d’automne ;
Le froid humide et gras des funèbres caveaux ;
Les bizarres frissons dont la vierge s’étonne
Quand l’été fait flamber les cœurs et les cerveaux ;

L’abominable toux du poitrinaire mince
Le harcelant alors qu’il songe à l’avenir ;
L’ineffable douleur du paria qui grince
En maudissant l’amour qu’il eût voulu bénir ;

L’âcre senteur du sol quand tombent des averses ;
Le mystère des soirs où gémissent les cors ;
Le parfum dangereux et doux des fleurs perverses ;
Les angoisses de l’âme en lutte avec le corps ;

Tout cela, torsions de l’esprit, mal physique,
Ces peintures, ces bruits, cette immense terreur,
Tout cela, je le trouve au fond de ta musique
Qui ruisselle d’amour, de souffrance et d’horreur.

Vierges tristes malgré leurs lèvres incarnates,
Tes blondes mazurkas sanglotent par moments,
Et la poignante humour de tes sombres sonates
M’hallucine et m’emplit de longs frissonnements.

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Chopin de Maurice Rollinat.

Au fond de tes Scherzos et de tes Polonaises,
Epanchements d’un cœur mortellement navré,
J’entends chanter des lacs et rugir des fournaises
Et j’y plonge avec calme et j’en sors effaré.

Sur la croupe onduleuse et rebelle des gammes
Tu fais bondir des airs fauves et tourmentés,
Et l’âpre et le touchant, quand tu les amalgames,
Raffinent la saveur de tes étrangetés.

Ta musique a rendu les souffles et les râles,
Les grincements du spleen, du doute et du remords,
Et toi seul as trouvé les notes sépulcrales
Dignes d’accompagner les hoquets sourds des morts.

Triste ou gai, calme ou plein d’une angoisse infinie,
J’ai toujours l’âme ouverte à tes airs solennels,
Parce que j’y retrouve à travers l’harmonie,
Des rires, des sanglots et des cris fraternels.

Hélas ! toi mort, qui donc peut jouer ta musique ?
Artistes fabriqués, sans nerf et sans chaleur,
Vous ne comprenez pas ce que le grand Phtisique
A versé de génie au fond de sa douleur !

(Les Névroses, pp. 53 à 55)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Chopin de Maurice Rollinat.

Le poème « La Cornemuse » nous emporte dans la musique berrichonne traditionnelle et le folklore, mais aussi près des légendes rustiques avec ces « sons de flûte et de hautbois » qui « semblaient râlés par une femme » « près du carrefour des croix ».

LA CORNEMUSE

Sa cornemuse dans les bois
Geignait comme le vent qui brame
Et jamais le cerf aux abois,
Jamais le saule ni la rame,
N’ont pleuré comme cette voix.

Ces sons de flûte et de hautbois
Semblaient râlés par une femme.
Oh ! près du carrefour des croix,

Sa cornemuse !

Il est mort. Mais, sous les cieux froids,
Aussitôt que la nuit se trame,
Toujours, tout au fond de mon âme,
Là, dans le coin des vieux effrois,
J’entends gémir, comme autrefois,

Sa cornemuse.

(Les Névroses, page 201)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Cornemuse de Maurice Rollinat.

Dans le poème « Mon Épinette », nous partons à la campagne avec « Jean » qui « fait la cour à Jeannette ». Nous avons quitté les thèmes sérieux pour la « chansonnette » « aux sons de mon épinette ».

MON ÉPINETTE

Jean fait la cour à Jeannette
Dans mon salon campagnard,
Aux sons de mon épinette.

Fou de sa mine finette
Et de son grand œil mignard,
Jean fait la cour à Jeannette

Dont la voix de serinette
Mêle un branle montagnard
Aux sons de mon épinette.

Avec une chansonnette
Au refrain très égrillard
Jean fait la cour à Jeannette.

– Là-bas, plus d’une rainette
Coasse dans le brouillard,
Aux sons de mon épinette.

La lune à la maisonnette,
Sourit, – timide et gaillard,
Jean fait la cour à Jeannette.

Il suit partout la brunette,
De l’étagère au placard,
Aux sons de mon épinette.

Aussi calin que Minette
Qui se pourlèche à l’écart,
Jean fait la cour à Jeannette.

Il effleure sa cornette
D’un baiser ; – puis, sur le tard,
Aux sons de mon épinette,

Pendant que la grande Annette
Endort son petit moutard,
Jean fait la cour à Jeannette
Aux sons de mon épinette.

(Dans les Brandes, pages 39 à 41)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Mon Épinette de Maurice Rollinat.

Dans de très nombreux poèmes, la musique est présente sans être le sujet principal.

Dans « La Voix », « la voix de surnaturelle amante ventriloque » a des sons de violoncelle, d’alto, de harpe ou de hautbois :

Voix de surnaturelle amante ventriloque
Qui toujours me pénètre en voulant m’effleurer ;
Timbre mouillé qui charme autant qu’il interloque,
Son bizarre d’un triste à vous faire pleurer ;
Voix de surnaturelle amante ventriloque !

Dit par elle, mon nom devient une musique :
C’est comme un tendre appel fait par un séraphin
Qui m’aimerait d’amour et qui serait phtisique.
O voix dont mon oreille intérieure a faim !
Dit par elle, mon nom devient une musique.
(…)

Et puis elle a des sons de métal et de verre :
Elle est violoncelle, alto, harpe, hautbois ;
Elle semble sortir, fatidique ou sévère,
D’une bouche de marbre ou d’un gosier de bois,
Et puis elle a des sons de métal et de verre.
(…)

(Les Névroses, pp. 29 et 30)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Voix de Maurice Rollinat.

Maurice Rollinat nous emporte près de « La Blanchisseuse du Paradis » qui travaille « Au son de musiques étranges / De harpes et de clavecins » :

LA BLANCHISSEUSE DU PARADIS

A Mademoiselle Ducasse.

Au son de musiques étranges
De harpes et de clavecins,
Tandis que flottent par essaims
Les cantiques et les louanges,

Elle blanchit robes et langes
Dans l’eau bénite des bassins,
Au son de musiques étranges
De harpes et de clavecins.

Et les bienheureuses phalanges
Peuvent la voir sur des coussins
Repassant les surplis des saints
Et les collerettes des anges,
Au son de musiques étranges.

(Les Névroses, p. 47)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Blanchisseuse du Paradis de Maurice Rollinat.

« L’Amante macabre » joue du clavecin, mais « Le piano geignait avec tant d’âpreté, / Qu’en l’écoutant, Chopin eût frémi d’épouvante. » Le cadre est bâti dès le premier vers ; l’envoûtement créé emplit peu à peu la pensée ; la magie, l’horreur, le frisson de l’épouvante dominent le spectateur, avec la présence permanente de la musique et du chant.

L’AMANTE MACABRE

A Charles Buet.

Elle était toute nue assise au clavecin ;
Et tandis qu’au dehors hurlaient les vents farouches
Et que Minuit sonnait comme un vague tocsin,
Ses doigts cadavéreux voltigeaient sur les touches.

Une pâle veilleuse éclairait tristement
La chambre où se passait cette scène tragique,
Et parfois j’entendais un sourd gémissement
Se mêler aux accords de l’instrument magique.

Oh ! magique en effet ! Car il semblait parler
Avec les mille voix d’une immense harmonie,
Si large qu’on eût dit qu’elle devait couler
D’une mer musicale et pleine de génie.

Ma spectrale adorée, atteinte par la mort,
Jouait donc devant moi, livide et violette,
Et ses cheveux si longs, plus noirs que le remord,
Retombaient mollement sur son vivant squelette.

Osseuse nudité chaste dans sa maigreur !
Beauté de poitrinaire aussi triste qu’ardente !
Elle voulait jeter, cet ange de l’Horreur,
Un suprême sanglot dans un suprême andante.
(…)

Elle chantait : (…)

« Mais, jusqu’au bout, mon cœur boira l’étrangeté
« Dans ces gouffres nommés Poésie et Musique.
(…)

Et tandis que ce chant de la fatalité
Jetait sa mélodie horrible et captivante,
Le piano geignait avec tant d’âpreté,
Qu’en l’écoutant, Chopin eût frémi d’épouvante.
(…)

(Les Névroses, pp. 255, 256 et 257)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème L'Amante macabre de Maurice Rollinat.

Dans « Les Météores », plusieurs personnages sont décrits avec des termes de musique :

(…)
Hugo ! c’est le clairon gigantesque qui sonne
La fanfare du droit et de la liberté !
Et ses vers, blancs chevaux que l’art caparaçonne,
Galopent dans la nuit du rêve illimité.
(…)

Lamartine ! Eden pur où des harpes étranges
Vibrent si doucement dans un air embaumé
Qu’on dirait un écho de la lyre des anges
Tombé du haut du ciel sur le monde charmé.
(…)

George Sand ! à jamais reine des bucoliques !
Musique des baisers d’une exquise longueur !
Clairière de l’extase, où les mélancoliques
Vont se griser d’amour, de vague et de langueur.
(…)

De Vigny ! crépuscule automnal où l’on hume
Le mystère des bois, où l’oiseau jase encor
Et qu’attriste parfois au milieu de la brume
La fanfare plaintive et lointaine du cor.
(…)

Baudelaire ! Élixir de spleen et d’ironie,
Harem vertigineux des modernes Saphos !
Bal sinistre où l’orchestre a des sons d’agonie,
Et que la mort traverse en agitant sa faux.
(…)

(Fin d’Œuvre, pp. 147 à 150)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Les Météores de Maurice Rollinat.

Pour « Le Sourd », il lui reste en mémoire les musiques et les bruits qu’il aimait :

(…)
Puis, j’possède un’ mémoir’ qui r’met tout à sa place,
Les chos’ et les personn’ que j’connus étant p’tit,
Où tout c’que mes organ’ d’âme et d’corps ont senti
Parl’ comm’ dans un écho, se mir’ comm’ dans un’ glace.

Donc, les sons q’j’aimais pas, maint’nant j’peux m’en défendre,
N’voulant plus m’en souv’nir i’ sont ben trépassés,
Tandis que ma mémoir’ ramène du passé,
Fait r’musiquer en moi tous ceux q’j’aimais entendre.

Je m’redis couramment dans l’âme et la cervelle
L’gazouillant des ruisseaux, l’croulant des déversoirs,
La plaint’ du rossignol, du crapaud dans les soirs,
L’suret d’la cornemuse et l’nasillant d’la vielle.
(…)

(Paysages et Paysans, p. 114)

 

Pour terminer, voici une série d’exemples où des éléments de la nature sont comparés à de la musique :

Dans « L’Allée de peupliers » les arbres se transforment en harpes :

(…)
Mais l’orage éclata ; l’autan lâcha ses hordes,
Et les arbres bientôt devinrent sous leurs doigts
Des harpes de géants, qui toutes à la fois
Résonnèrent avec des millions de cordes.
(…)

(Les Névroses, p. 131)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème L'Allée de peupliers de Maurice Rollinat.

Dans « Le Vent », celui-ci devient « la musique de l’horreur » :

(…)
La rumeur monte, en plus chagrin,
Comme un bourdonnement marin ;
Et puis, tumulte souterrain,

Clameur mourante

De tout un peuple massacreur.
Rires de folles en fureur…
C’est la musique de l’horreur

Dans l’épouvante !

(…)

(La Nature, p. 8)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Vent de Maurice Rollinat.

Quant à « L’Ouragan », sa musique « traduit tous les chaos » :

Convulsion de la Tempête
Par les immensités vaguant,
La musique de l’ouragan
Commence où la nôtre s’arrête :

Car, avec l’effrayant prestige
De ses mugissants lamentos,
Elle traduit tous les chaos,
Tous les abîmes du vertige.
(…)

(Les Apparitions, p. 196)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème L'Ouragan de Maurice Rollinat.

À l’opposé, « La Voix du vent » apporte « sa grande musique mineure » :

(…)
Sa grande musique mineure
Qui, tour à tour, grince et mugit,
Sur toute la pensée agit
Comme une voix intérieure.
(…)

(Paysages et Paysans, p. 169)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Voix du vent de Maurice Rollinat.

Avec son poème « Les deux Bouleaux », Maurice Rollinat nous charme en décrivant leur « musique verte ».

(…)
Ceints d’un lierre imitant un grand serpent inerte,
Pommés sur leurs troncs droits, tout lamés d’argent blanc,
Ils charment ce pacage où leur froufrou tremblant
Traîne le bercement de sa musique verte.
(…)

(Paysages et Paysans, p. 103)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Les deux Bouleaux de Maurice Rollinat.

Et dans « La bonne Rivière », les crapauds « Vous jouent leur musique mineure » :

(…)
C’est le calme plat des tombeaux,
La bonne joie intérieure
Dans la rivière des crapauds,

Qui, certains soirs, flûteurs dispos,
Vous jouent leur musique mineure…
Heureux gardons, heureux barbeaux !
(…)

(La Nature, p. 279)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La bonne Rivière de Maurice Rollinat.

 

Chez Maurice Rollinat, poésie et musique sont intimement liées dès ses premières poésies à l’adolescence. Que ce soit pour décrire un instrument de musique, un compositeur, des événements de la vie courante ou de la nature, des termes musicaux sont souvent utilisés, rappelant que le poète est aussi un musicien.

 

Août / novembre 2023

Catherine RÉAULT-CROSNIER et Régis CROSNIER

 

 

NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.