Claude Monet et Maurice Rollinat – 1889 en Creuse

« Entre ciel et ravin »

Affiche de l’après-midi littéraire organisé par l’Association des Amis de Maurice Rollinat, le 3 mars 2012, à la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges.

 

MAURICE ROLLINAT ENTRE CIEL ET RAVIN, EN POÉSIE

 

Cette conférence de Catherine Réault-Crosnier, a été lue à plusieurs voix avec des poèmes mis en musique par Michel Caçao, en première partie de l’après-midi littéraire organisé par l’association des Amis de Maurice Rollinat, le 3 mars 2012, à la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges.

 

Portrait de Claude Monet à l’encre de Chine, par Catherine Réault-Crosnier. Portrait de Maurice Rollinat à l’encre de Chine, par Catherine Réault-Crosnier.

 

Maurice Rollinat est arrivé à Fresselines en 1883. Il y est resté vingt ans. Sa poésie est donc imprégnée de ces paysages. Claude Monet est venu rendre visite à Maurice Rollinat à Fresselines de février à juin 1889. Monet et lui, ont rendu chacun avec art, leurs impressions face à cette nature sauvage.

Lors des séjours successifs de Monet à Fresselines en 1889, ces deux artistes ont partagé leurs pensées, leurs recherches. Je laisserai Jean-François Demeure, spécialiste de la technique picturale de Monet, vous présenter les points importants du questionnement de Monet en Creuse. Pour ma part, j’essaierai d’aborder les points de convergence et de divergence entre eux, à travers le livre de Rollinat, La Nature, entièrement écrit à Fresselines et paru en 1892, il y a donc cent-dix ans cette année, en 2012.

Que ressent Rollinat face à ces paysages ? Comment décrit-il le ciel, les ravins qui fascineront aussi le peintre ? Choisissons certains poèmes représentatifs par leur thème, en les classant par unité d’idées en gardant à l’esprit le but de cette démarche, revenir sur les pas du poète proche du peintre, en 1889 et redécouvrir avec eux, ces paysages fascinants. Laissons place au souffle de Rollinat dans le vent, la tempête, au crépuscule, à sa pensée qui s’arrête sur les blocs de rochers et au bord des ravins. Laissons-nous guider par son rythme qui nous emporte dans sa marche champêtre dans l’immensité ou près de l’infiniment petit.

 

L’hiver, le froid

Rollinat souhaitait rencontrer Monet. Il écrit en juin 1888 à Gustave Geffroy, pour qu’il l’aide dans cette démarche. Il renouvelle sa demande en janvier 1889. (Bulletins des Amis de Maurice Rollinat, n° 2 p. 19 ou 46 p. 10). Émile Vinchon nous dit : « Cette fois, Claude Monet se met en route malgré l’hiver. La campagne creusoise est sous la neige (…). » (id., n° 2 p. 19). Claude Monet qui approchait de la cinquantaine, arrive à Fresselines, pour travailler. Il fait froid, l’air est humide. Maurice Rollinat s’est souvent plaint de ce climat rigoureux dans lequel il a vécu vingt ans. Le paysage ressemble certainement à celui que le poète décrit dans « Impression d’Hiver ». Rollinat n’enjolive jamais ses descriptions. Il traduit en couleurs et en mots, cette région « solitaire » et cette saison inhospitalière qui ont aussi fasciné Monet qui a voulu les peindre.

IMPRESSION D’HIVER

L’herbe tombe en décrépitude,
L’eau vive gèle au fond des trous :
Seul, un bois de pins et de houx
Reste vert dans la solitude.

Ironique par ce temps rude
Cette couleur a l’air moins doux
Que les tons fanés, bruns et roux.
Dont l’œil prend la morne habitude.

Ce verdoiement noircit le froid,
Et quand on marche en cet endroit
Une vague horreur vous escorte :

Car ils semblents maudits, l’hiver,
Ces terrains tout nus comme un ver,
Sans un lambeau de feuille morte.

(La Nature, pp. 34 et 35)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Impression d’hiver de Maurice Rollinat.

Il y a convergence de pensée entre Monet et Rollinat, fascination devant les blocs de pierre. Deux quatrains extraits de « Les Feuilles Mortes » de Rollinat nous rappellent les rochers peints par Monet dans leur impressionnante nudité hivernale. Mais avec Rollinat la réalité se transforme en vision spectrale tandis que dans le poème « Le Froid », cette vision côtoie l’inhospitalité de la terre :

LES FEUILLES MORTES

(…)
La montagne surgit en vain
Pour animer tant de ruines,
Elle-même est dans ces bruines
Aussi mornes que le ravin.
(…)

Les visions diminuées
Font des spectres à l’horizon.
Le libre espace est en prison
Sous sa coupole de nuées.
(…)

(La Nature, pp. 43 et 47)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Les feuilles mortes de Maurice Rollinat.

 

LE FROID

(…)
Parmi ces plans aux lignes roides
Le soleil, flambant sans chaleur,
Met sur la forme et la couleur
Un glacis qui les rend plus froides.

On voit les vallons, les montagnes
Qui hérissent leur nudité.
Votre frisson est augmenté
Par l’aspect transi des campagnes.

Les granits font le froid des marbres,
Le malaise ambiant vous vient
Si fort qu’on souffre avec le sien
L’obscur grelottement des arbres :
(…)

Tous les creux, toutes les empreintes
De la roue et du pied des bœufs,
Sillons herbus, nets ou bourbeux,
Sont pétrifiés dans leurs teintes.

Des chardons morts à blanche mèche,
Se contractent tout rabougris ;
La pierre, avec ses tons bleus gris,
Semble en acier sur l’herbe rêche.
(…)

La rivière à l’état solide
Représente, affleurant ses bords,
Un terrain vitreux qui fait corps
Avec le sol âpre et rigide.
(…)

(La Nature, pp. 181, 182 et 184)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Le froid de Maurice Rollinat.

 

Les paysages

Dans le poème « Le Vent », c’est la fin de l’automne et un autre paysage apparaît. Rollinat change de rythme, alterne les octosyllabes avec tous les quatre vers, un vers de quatre pieds, qui claque comme un couperet :

LE VENT

(…)

Mais avec le temps automnal,

Les hauteurs, la plaine, le val,

Sont pris d’un frisson végétal

A l’improviste ;

On se retourne en maint endroit

Sur un coup subit qu’on reçoit…

C’est le vent aigre, presque froid

Et déjà triste.

(…)

(La Nature, p. 4 et 5)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Le vent de Maurice Rollinat.

Dans « Paysage Triste », Rollinat nous montre un univers qui s’efface pour laisser place à la neige ; les couleurs grisâtres et brumeuses, « brouillées » sont celles que Monet a voulu rendre dans ses tableaux :

PAYSAGE TRISTE

Un ciel blanc qui sur un val gris
Va pleurer des larmes de neige ;
Malgré le mont qui le protège
Un étang complètement pris ;

Aux trois autres horizons sombres
Un boisé vague, – une vapeur
Toute blême dans la stupeur,
Une espèce de forêts d’ombres.

Ici, tout droits, sveltes et hauts,
Des bouleaux qui font les délices
Du regard avec leurs troncs lisses
Paraissant blanchis à la chaux.

Là, d’une fatidique approche,
Mettant de l’horreur autour d’eux
Des petits arbrisseaux hideux,
Noirs, poussés à même la roche.

C’est tout ! mais quelle impression
Ce peu de végétation,
Cette glace aux teintes brouillées

Vous causent dans ce coin désert
Où rien qu’un genêt – spectre vert –
Surgit des fougères rouillées.

(La Nature, pp. 306 et 307)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Paysage triste de Maurice Rollinat.

Certains Creusois disent que les automnes se prolongent, donnant une arrière saison agréable, tandis que les hivers semblent s’éterniser. Le printemps est souvent tardif certainement à cause de la proximité du Massif Central. Rollinat attend impatiemment le renouveau, un « Message de Printemps ». Il est à l’écoute du moindre bruissement ou chant qui pourrait confirmer son espoir alors il s’extasie de voir revivre et s’accoupler deux batraciens :

MESSAGE DU PRINTEMPS

Bien que l’hiver soit accompli,
Le printemps reste enseveli :
Dans une atmosphère voilée
Languissent maigres et tremblants
Les arbres nus sous les cieux blancs,
Lorsque, soudain par la vallée...

Un cri vitreux et délicat,
Un cri, soupir d’harmonica,
Ce soir, très sûrement m’informe
Que les ondes et les terrains
En ont assez d’être chagrins
Et qu’il faut que le froid s’endorme.

La bruine a couché le vent :
Le même cri sort plus souvent
De l’herbe humide en somnolence ;
Un autre s’y mêle ou le suit,
Et ces gouttelettes de bruit
S’éparpillent dans le silence.

Béni soit le nombreux sanglot
Du limon, de l’herbe et de l’eau !
A ce signal plein de mystère
La sève commence à monter
Et tout se met à fermenter
Dans les entrailles de la terre.

L’astre mourant sur des forêts
Devant moi colore un marais :
A travers les joncs purpurins
J’y vois rougeoyer une forme.
Tout juste ! une crapaude énorme
Son petit mâle sur ses reins.

Longtemps ma curiosité
Scrute en leur immobilité
Ces deux bêtes qui n’en font qu’une,

Et je pars, laissant à fleur d’eau
La femelle et son cher fardeau
Gémir d’amour, au clair de lune.

(La Nature, pp. 231 à 233)

 Peinture à la cire de Catherinne Réault-Crosnier, illustrant le poème Message du printemps de Maurice Rollinat.

 

Vers l’infiniment petit

À travers les descriptions précises d’insectes, Rollinat a une démarche de passage de l’infiniment grand du paysage vers l’infiniment petit. Le détail peut avoir alors la place principale, les insectes dans « Les Libellules » (La Nature, p. 219), « L’Insecte Aquatique » (id., p. 263), « Journée d’une Cigale » (id., p. 267), « Les Ephémères » (id., p. 338), d’autres animaux dans « Les Chats-Huants » (id., p. 73), « L’Escargot » (id., p. 336). Je ne pense pas que cette démarche existe chez Monet.

 

Le ciel

Après l’immensité dans la nature, côtoyons celle du ciel à perte de vue, qui contraste avec les blocs de rochers qui bouchent l’horizon. Le ciel a une place de choix dans l’œuvre de Rollinat car il est un paysage à lui tout seul. Il rend encore plus la réalité de l’immensité dans laquelle nous vivons.

Le crépuscule est une période qui attire Rollinat et qu’il aime observer. Dans « Magie du Soir », la fascination domine, alors que dans « Au Crépuscule », nous trouvons une des caractéristiques essentielles de Rollinat, son attrait pour le fantastique et le morbide.

MAGIE DU SOIR

Par les effets de sa peinture
Qu’il tire du ciel et des airs,
Le Soir, surtout dans les déserts,
Est le sorcier de la Nature.

Son vague rend l’œil circonspect
Et l’esprit subit l’influence
De son mystérieux silence
Et de son murmure suspect.

Ses trames grises qu’il machine
Avec tant de solennité
Déguisent la réalité
Et montrent ce qu’on imagine.

Partout l’étrange Magicien
Pratique ses métamorphoses,
Pour grandir les petites choses
Nul autre charme que le sien !

Hier, dans une immensité verte,
J’admirais une flaque d’eau.
Par degrés il l’eût recouverte
D’un vaporeux petit rideau,

Puis, sa brise, mais si peu forte !...
Vint y mettre une feuille morte.
Alors, songeant au gouffre amer,
Dans la flaque je vis la Mer...
Où, tout seul, un canot sans voiles
Flottait au lever des étoiles.

(La Nature, pp. 250 et 251)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Magie du soir de Maurice Rollinat.

 

AU CRÉPUSCULE

Le soir, couleur cendre et corbeau,
Verse au ravin qui s’extasie
Sa solennelle poésie
Et son fantastique si beau.

Soudain, sur l’eau morte et moisie
S’allume, comme un grand flambeau
Qui se lève sur un tombeau,
La lune énorme et cramoisie.

Et, tandis que dans l’air sanglant,
Tout sort de l’ombre : moulin blanc,
Pont jauni, verte chènevière,

On voit entre les nénuphars
Moitié rouges, moitié blafards,
Flotter l’âme de la rivière.

(La Nature, pp. 167 et 168)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Au crépuscule de Maurice Rollinat.

 

Les rocs, le ravin

Nous pouvons opposer la transparence presque invisible du ciel aux blocs de pierres dures, l’impalpable aérien au « malaise opprimant », au « noir et bronzé » du roc. Ce rocher, ne ressemble-t-il pas à celui que Monet nous montre dans ces tableaux creusois ?

LE GRAND ROCHER

Que la couleur du temps le fourbisse ou le plombe,
– Toujours hideux – il met un malaise opprimant
Dans ce coin renfermé d’ombre et d’isolement
Où le sol s’aplatit, se vallonne et se bombe.

Car, ambigu pour l’œil, surtout quand la nuit tombe,
Cet énorme rocher prend démesurément
Un aspect de lion dans l’accroupissement,
Ou de femme à genoux priant sur une tombe.

Marbreux, noir et bronzé, rouillé comme du fer,
Cuit du soleil, blanchi des pleurs froids de l’hiver
Tel il dure, aussi vieux que le vent qu’il défie.

Et j’admire l’horreur de ce monstre éternel.
Trop mort dans la nature et trop voisin du ciel,
Pour voir ramper en bas les larves de la vie.

(La Nature, pp. 201 et 202)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Le grand rocher de Maurice Rollinat.

 

L’eau

L’eau prend toute la place dans « Pluie dans un ravin ». Tout s’efface pour devenir un dégoulinage incessant qui noie le monde. Monet a exprimé dans ses lettres, son désespoir devant cette pluie qui ne voulait pas cesser, et Rollinat à travers ses poèmes :

PLUIE DANS UN RAVIN

Au ravin du lierre et du houx
La Pluie, à fils drus, se dévide :
Tout le ciel pleure dans les trous.

Compacte, égale, sans courroux,
Monotone, rayant le vide,
Au ravin du lierre et du houx

Elle tombe. – Sable et cailloux
Pourront boire à leur soif avide,
Tout le ciel pleure dans les trous.

Des joncs, hauts comme des bambous,
Suintent sur leur étang morbide
Au ravin du lierre et du houx.

Les feuillages deviennent mous,
Le sol gras, le ruisseau rapide,
Tout le ciel pleure dans les trous.
(…)

(La Nature, pp. 236 et 237)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Pluie dans un ravin de Maurice Rollinat.

Pour Rollinat, l’eau peut être celle de la source, celle du ciel ou celle de l’écume qui fuit à l’image de notre vie. Elle passe, s’accroche au paysage immobile, nous entraîne dans le gouffre, la mort ou le rêve. Rollinat a alors des accents baudelairiens et nous transmet son spleen. Une note de couleur le rapproche de Monet mais pour le poète, tout vacille entre le gris et le jaune.

L’ÉCUME DE L’EAU

Il a beau fuir, le flot qui fume,
Toujours neuf de jaillissements,
Quelque chose en reste aux dormants
Dans les miettes de son écume.

Triste mousse qui luit, s’embrume,
Stagne ou vacille à tous moments,
Et, de gris en jaunissements,
Fond, s’évapore et se consume.

Et cependant, rien que cela
Fleurit l’horreur du gouffre plat...
C’est pourquoi l’eau roulant sans trêve

Laisse un peu d’elle à l’eau qui dort,
A l’eau morte comme la mort
Ou songeuse comme le rêve.

(La Nature, pp. 199 et 200)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème L’écume de l’eau de Maurice Rollinat.

 

Le vent

Saisir l’invisible, le fugace, le fuyant, Monet et Rollinat ont cherché à le faire. Rollinat exprime bien son ressenti dans un poème de onze pages « Le Vent » dont nous citerons des extraits. Il nous montre la puissance du vent, sa force, sa vitesse qui nous entraîne dans un tourbillon. À côté de la tempête, Rollinat rejoint aussi l’infiniment petit, le grain de sable, le ciron.

LE VENT

Élément fantôme, ondoyant,

Impalpable, invisible, ayant

La soudaineté, le fuyant,

Toutes les forces,

Tous les volumes, tous les poids,

Tous les touchers, toutes les voix,

Toutes les fougues, à la fois

Droites et torses...

Le vent ! Protée aérien,

Surveillant, quand il ne dit rien,

Sa métamorphose qu’il tient

Constamment prête !

Le vent ! frôleur du liseron,

Du grain de sable, du ciron,

Et, tout à coup, le bûcheron

De la tempête !

(…)

(La Nature, pp. 1 et 2)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Le vent de Maurice Rollinat.

Le vent est le mouvement permanent, le changement incessant ; il peut aussi annoncer l’hiver : « C’est le vent aigre, presque froid / Et déjà triste. » (id., p. 5).

Le vent peut animer les feuilles de mouvement. Avec Rollinat, elles s’envolent dans la tempête jusqu’à nous donner le vertige. Le poète essaie de fixer cette mouvance avec des mots, de traduire ses impressions, la danse des feuilles dans le vent, leur vieillissement, leur souffrance devant leur détérioration, leurs craquements. N’est-ce pas aussi l’expression du passage du temps dans la vie humaine ?

Les feuilles cessant de stagner

Commencent à dodeliner,

On voit très au loin moutonner

Toute leur masse ;

Un trouble parcourt le gazon,

La girouette, le buisson

Gesticulent à leur façon,

Et l’eau grimace.

Quand la tempête se produit,

Le vent hurle. C’est toujours lui

Qui la devance, la conduit

Et la présage ;

Et son mauvais surgissement

Fait sentir plus spectralement

Le livide assombrissement

Du paysage.

(…)

Il met le feuillage en haillons,

Sabre les blés sur les sillons,

Prend l’herbe dans ses tourbillons,

La tord, la hache ;

Il livre même des combats

Aux vieux arbres de haut en bas,

Et quand il ne les pourfend pas,

Il les arrache !...

Et, toujours, par tout l’univers,

Par les continents et les mers,

Les champs, les blés, les déserts,

Passe et repasse.

Tour à tour tendre et furieux

Ce grand souffle mystérieux :

La respiration des cieux

Ou de l’espace !

(id., pp. 5, 6 et 10)

 

Les feuilles

Elles unissent Monet et Rollinat qui tous deux, sont sensibles à leur variation au fil des saisons, permettant de donner une autre image du passage du temps et de la fugacité de chaque instant. Concrètement, « le feuillage en haillons » dans le poème « Le Vent » peut nous rappeler la démarche de Monet qui a fait effeuiller un arbre pour avoir le temps de terminer son tableau dans un cadre identique. Il a voulu fixer un moment précis. Certains ont même dit qu’il avait fait venir son coiffeur sur place, pour lui couper les cheveux, pour ne pas perdre de temps mais ce deuxième fait n’est qu’une anecdote humoristique sans fondement.

Rollinat ajoute souvent des feuilles d’arbres dans ces paysages comme dans son poème de douze pages « Les Feuilles Mortes » qui allie le temps qui détruit la feuille à la captation de l’instant présent. Dans cette vision poétique sombre à la Rollinat, nous retrouvons les teintes que Monet a aussi essayé de capter dans ses tableaux lors de son séjour à Fresselines.

LES FEUILLES MORTES

Avec les progrès de l’automne
La campagne se rembrunit
Et, par endroits, saigne et jaunit
Dans son verdoiement monotone.

La méditation du ciel
Prend les paysages. – Les choses
Ont des silhouettes moroses
D’un surgissement solennel.

Et, lugubrement, se prolonge,
Frémissant ou stupéfié,
L’immense feuillage noyé
Dans une atmosphère de songe.

Un murmure bas se produit
A travers cette somnolence ;
Comme une plainte du silence,
Comme un gémissement du bruit.

A la longue, toute la masse
Des grands horizons chevelus
Change et languit de plus en plus
Sous la brume qui se ramasse.

Puis, rafales, froid, ciel en pleurs !
Encore se métamorphosent,
S’altèrent et se décomposent
Ces fouillis d’ombre et de couleurs.

On dirait qu’avant la froidure
La terre étale ses adieux :
Si tristes chantent pour les yeux
Ces tons mineurs de la verdure,

Ces doux pastels qui se défont,
Ces aquarelles presque éteintes,
Ces coloris vagues, ces teintes
D’un fané toujours plus profond !
(…)

(La Nature, pp. 36 à 38)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Les feuilles mortes de Maurice Rollinat.

 

Les couleurs

Rollinat a toujours mis une palette de couleurs pour présenter son univers champêtre par petites touches de poésie. « bruns roux violets » (La Nature, p. 145), « noir si sombre » (id., p. 146), contrastent avec « Les ors, les irisés, les moires / Des écailles » de poissons (id., p. 151). Piquetés de couleurs, notes sombres, éclats d’or et de bleu sont parsemés dans ses poèmes.

Le changement des couleurs de la nature, autre exemple de la fuite des jours, a retenu l’attention du peintre comme du poète. Rollinat décrit très bien cette atmosphère en demi-teintes dans :

LA COULEUR DU TEMPS

Ainsi qu’il vernit les feuillages,
L’azur illumine l’esprit
Qui reste clair ou s’assombrit
A la volonté des nuages.

L’arbre au froid parait en souci
Comme à la chaleur il se pâme :
L’homme, végétation d’âme,
A besoin de soleil aussi.
(…)

L’idée indécise qui vague,
La neige la fixe en regret ;
L’orage ourdit l’effroi secret
D’une chose horrible, très vague.
(…)

Tour à tour, l’âme influencée
Se calme ou remâche son fiel,
Et toujours la couleur du ciel
Fait la couleur de la Pensée.

(La Nature, pp. 172, 174 et 176)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème La couleur du temps de Maurice Rollinat.

Parfois Rollinat emploie des couleurs gaies comme dans « Le Champ de Blé » tel un tableau à la Monet. Mais à l’or des blés, le poète associe des notes sombres, des tons « cuivreux » et « violet » qui reflètent sa tendance au spleen.

(…)
Bluets, coquelicots, tiges entremêlées,
Ici, là, montaient haut presque jusqu’aux épis ;
Ailleurs, sous des chardons violets assoupis,
Le froment rabattait ses têtes barbelées.

Et muet et léger comme un zéphir d’été
Sur un étang cuivreux engourdi dans sa vase,
L’insecte nonchalant voltigeait en extase
Sur cette nappe d’or dans l’immobilité.
(…)

(La Nature, p. 16)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Le champ de blé de Maurice Rollinat.

 

Conclusion

La poésie de Rollinat à Fresselines a bien des points de comparaison avec les tableaux de Monet réalisés en Creuse. Chacun a sa ligne de route mais leurs chemins se sont croisés entre ciel et ravin.

Même si Monet ne revint pas à Fresselines, leur amitié dura et ils s’écrivirent. Voici le début d’une lettre de Monet du 17 janvier 1891 :

« Mon cher Rollinat,

Combien il y a de temps que je veux vous écrire, j’espérais toujours pouvoir vous annoncer ma venue avec l’ami Geffroy, mais vous savez qu’il est difficile de mettre ses projets à exécution (…). » Mais Monet qui ne désespère pas de revenir un jour à Fresselines, se rappelle les bons moments passés : « Nous parlons souvent de vous entre amis, (…) nous nous plaisons à nous remémorer notre séjour à Fresselines (…). » (Bulletin des Amis de Maurice Rollinat, n° 2 p. 20)

Une véritable amitié était donc née entre eux, depuis le séjour de Monet à Fresselines. Monet et Rollinat étaient deux êtres passionnés par leur art, attirés par la transparence de l’air et la dureté des rochers, chercheurs de lumière et de sombre, d’observation fine, d’amour de la nature, de couleurs. Monet représentait en série le paysage avec des variations là où Rollinat ne se lassait pas de décrire dans ses poèmes, les endroits qu’il connaissait, les mêmes et toujours changeants au fil du temps et des saisons. Tous deux voulaient saisir l’instant dans sa fugacité pour le rendre à l’éternité. Ils ne pouvaient qu’être amis dans la passion de leur création.

 

Janvier 2012

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Bibliographie

Livre de Maurice Rollinat utilisé :

Rollinat Maurice, La Nature, poésies, G. Charpentier et E. Fasquelle, Paris, 1892, 350 pages

 

Autres documents :

Miannay Régis, Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique, imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, 596 pages

Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 2, 1956, 31 pages

Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 24, 1985, 40 pages

 

NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.