(Conférence lue à quatre voix avec des poèmes mis en valeur à la guitare par Michel Caçao, le 14 mai 2023, à 15 h 00, à l’Espace Monet-Rollinat de Fresselines.)
Cette année correspond au cent-quarantième anniversaire de l’arrivée de Maurice Rollinat à Fresselines en septembre 1883, et au cent-vingtième anniversaire de son décès en octobre 1903. Durant les vingt années de sa vie à Fresselines, il a écrit quatre livres de poésie et un livre de prose, et des inédits qui ont permis de publier trois livres posthumes.
Maurice Rollinat est né le 29 décembre 1846 à Châteauroux. Son père François Rollinat, avocat, est un grand ami de George Sand. Maurice fait ses études à Châteauroux et va chaque été, pour les vacances, dans le domaine familial de Bel-Air, sur la commune de Ceaulmont.
C’est là que son père lui fait découvrir la nature ce qui va influencer sa poésie durant toute sa vie. Albert Decourteix rapporte ces propos de Maurice Rollinat : « J’ai pour la mémoire de mon père, s’écriait-il, un culte profond. Aucun souvenir ne m’est plus cher que le sien. Il a été mon maître le plus sûr et le meilleur. Je me rappelle les longues promenades que j’ai faites avec lui et pendant lesquelles il me donnait des leçons d’histoire et de philosophie. (…) Les vers que je publie sont l’œuvre de la réflexion et de la méditation. Le caractère observateur que j’ai, je le tiens de mon père. C’est lui qui m’a appris à aimer et à comprendre ce qui est beau et ce qui est grand… C’est de lui que je tiens l’esprit méthodique et réfléchi que je possède aujourd’hui ! »
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Jeune, Maurice Rollinat a rencontré George Sand à Châteauroux, à Nohant et à Gargilesse. Elle l’a beaucoup influencé, elle peut être qualifiée de « marraine littéraire ». Elle lui a donné de nombreux conseils par rapport à ses poèmes, par exemple : « Tu as du talent, cela est certain, mon cher enfant. A présent il faut ouvrir les yeux tout grands et voir le beau, le joli, le médiocre, comme tu vois le laid, le triste et le bizarre. Il faut tout voir et tout sentir, (…). » (lettre du 21 janvier 1873). On pourrait aussi citer sa lettre du 18 avril 1874 que Maurice Rollinat a utilisée comme préface à son ouvrage Le Livre de la Nature (1893). |
Après sa période parisienne de 1871 à 1883, qui lui a permis d’être connu et reconnu, il recherche le calme et sur les conseils d’Alphonse Ponroy, il choisit de vivre d’abord à Puyguillon, puis à partir de mars 1884 à La Pouge, sur la commune de Fresselines. Il trouve dans la campagne creusoise, son inspiration principalement axée sur l’observation de la nature et des habitants. De nombreux poèmes montrent des scènes locales.
Nous avons choisi pour décrire la vie à Fresselines, des poèmes extraits de ses livres La Nature et Paysages et Paysans. Maurice Rollinat avait toujours sur lui un petit carnet sur lequel il notait ses impressions, des morceaux de poèmes… Albert Chantrier le décrit à la pêche aux poissons, mais aussi aux vers : « Et nos parties de pêche, les lignes de fond, qu’il plantait çà et là le long de la rive, avec un soin et une recherche sans égal. Puis en attendant, il arpentait le terrain, scandant des alexandrins par de grands gestes, façon de travailler qu’il affectionnait tout particulièrement et qui faisait dire aux habitants : « V’la M’ssieu Maurice qui plaide (sic). » (Albert Chantrier, « Souvenirs de Fresselines », Revue du Berry du 15 mars 1904, pages 73 à 85). L’expression « qui plaide » ne renvoie pas à la profession de son père, mais en patois local signifie « qui parle tout seul ».
Dans son livre La Nature, Maurice Rollinat décrit aussi bien les vipères que « La grosse Anguille », « La Bête à Bon Dieu » ou « La Jument aveugle ». Durant ses longues marches campagnardes il a pu approcher avec respect et sans arrière pensée, la vie de la nature et des animaux aimés ou mal aimés des humains. Il ne porte aucune marque de jugement sur eux.
Par exemple, la grosse anguille ne manque pas de charme et d’originalité sous la plume du poète car il la présente, très dynamique et rusée. Il transforme ses mouvements en schémas mathématiques en utilisant par exemple, le S ou le Z ainsi que le chiffre 8 pour mieux traduire ses contorsions. Ainsi nous l’imaginons mieux se cachant, s’enfonçant dans la vase pour disparaître au regard humain. En final, il lui donne un surnom inattendu mais tout à fait adapté à la situation !
LA GROSSE ANGUILLE La grosse anguille est dans sa phase Vers le soir, se désembourbant, La grosse anguille. L’air fraîchit, la lune se gaze ; La grosse anguille ! (La Nature, pages 71 et 72) |
Dans un registre différent, Maurice Rollinat se rapproche de l’infiniment petit en décrivant les insectes. Il leur donne le premier rôle en lien avec la nature qui l’entoure, par exemple avec la coccinelle :
LA BÊTE A BON DIEU La bête à bon Dieu tout en haut C’est une vipère courtaude La bête à bon Dieu. Malgré son venimeux défaut La bête à bon Dieu. (La Nature, pp. 105 et 106) |
« Chez Rollinat, la vision a l’exactitude du fait. Le détail transparait derrière l’ensemble. Pas une bête qui se soit montrée à lui telle qu’elle est, et toute. Il sait tout ce que fait dans sa journée le plus petit animal de la création. » écrit Clovis Hugues (La Petite République Française du 21 juillet 1892, page 1, « Chronique indépendante – Maurice Rollinat »).
Nous trouvons dans ses poèmes, de nombreuses descriptions de reptiles ; voici maintenant deux orvets qui symbolisent l’amour avec un grand « A » :
LES DEUX ORVETS Un soir de mai, j’errais par des pays boisés, Et qui semblaient entre-croisés. Se piquant à mi-corps de leur petite gueule, Que déjà l’ombre éclairait seule. Tableau de volupté ! mais d’un mystérieux, N’en ont surpris à l’improviste ! Ce couple de serpents, à cette heure : c’était Du grand amour sauvage et triste ! (La Nature, pp. 91 et 92) |
Dans une lettre à Frantz Jourdain, datée de septembre 1885, Maurice Rollinat décrit l’environnement dans lequel il vit : « Mon ermitage est situé dans un paysage de rêve : par devant, serpente une petite route rocailleuse et blafarde enfouie dans de buissonneuses pénombres, à la façon des chemins creux. Ses bords étroits en fouillis d’herbes folles sont le pâturage des moutons pauvres, et c’est peu souvent que les branlantes carrioles y viennent profiler leur silhouette. Mais derrière la maison s’étend la grande campagne verte et rocheuse avec tout le fantastique du mystère et de la solitude. Je suis à deux pas du ravin de la Creuse et l’âme de la rivière emplit toute ma chambre. » (lettre de Maurice Rollinat à Frantz Jourdain, datée de septembre 1885, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 257 à 260).
Cette situation lui permet par exemple d’observer les moutons :
LES MOUTONS Grimpeurs, vifs malgré l’embonpoint ; Toison d’un blanc sale, ou bien rousse, Crottes en grains de chapelet Cri tendre exprimant tout, la peine, A grands traits, voici présentés Chacun broute ou plutôt broutoche, Un bruit ? vite se dépêchant, Ou bien encore, ils vont se mettre L’été, l’hiver, dans le bonheur (La Nature, pages 126 à 136) |
« Quand Rollinat parle des animaux, il fait montre à leur égard d’une pitié attendrissante » constate Henri Schwabacher (La Presse du 16 janvier 1893, page 2, « Causerie littéraire ; Maurice Rollinat – La Nature »). Dans le poème qui suit, c’est l’amour maternel qui domine malgré le handicap :
LA JUMENT AVEUGLE Avec l’oreille et les naseaux Elle devait s’inquiéter Un hennissement sorti d’elle, Parfois même en son désir tendre Lui lécher l’épaule et la tête, (La Nature, pages 159 et 160) |
Les bruits de la campagne révèlent la présence d’animaux ou d’oiseaux ; si certains chants peuvent troubler, cela lui importe peu. Dans ce registre des impressions inattendues, nous pouvons aussi citer les chats-huants dont le chant fait frissonner ceux qui l’entendent dans la nuit sans le voir.
LES CHATS-HUANTS Au fond des campagnes sévères : Mais c’est une plainte peureuse, Leur concert de sanglots malins Pour crier le mauvais augure, Si bien qu’en ce lugubre lieu, A cette heure, sous ce ciel bas, (La Nature, pages 73 et 74) |
« Mais où nul poète contemporain ne saurait, sinon égaler, du moins dépasser Maurice Rollinat, c’est dans l’étude, l’amour, l’admiration, la compréhension de la nature. Les arbres et les forêts, les rocs et les montagnes, les ruisseaux et les torrents n’ont aucun secret pour lui, pas plus que les brins d’herbe ou les brindilles de la mousse. » écrit Charles Buet (Revue politique et littéraire – Revue bleue, n° 14 du 6 octobre 1888, article « Les artistes mystérieux – M. Maurice Rollinat », pages 443 à 448).
Dans le poème « La Source », Maurice Rollinat pénètre dans des lieux peu fréquentés où la nature est inhospitalière ; tout oscille entre silence et vengeance comme quand le poète parle des griffures de « l’énorme ronce agressive ». Mais en même temps, l’eau est source de vie et permet d’étancher la soif du passant :
LA SOURCE En son recoin mystérieux D’une façon triste, aussi douce, Sans doute, à brins menus et courts, La pente obscure qui la guide Si grêle au pied du roc songeur Et l’énorme ronce agressive Par un de ces lourds soirs d’été Je vis près de l’humble fontaine Immobile tel qu’un objet Il contemplait la forme ronde Puis, au creux de sa maigre main, Et mon souvenir déjà sombre (La Nature, pages 101 à 104) |
« M. Rollinat est bien, en effet, le poète de la nature, de la nature des champs et des forêts dont il sait rendre le charme et la vie en vers éloquents et pittoresques. Nul mieux que lui ne l’aime et il n’est pas une de ces pièces qui ne soit un tableau, qui ne rappelle un souvenir de soleil radieux, de pesantes chaleurs, de ciel orageux, de miroitement des eaux ou de frissons dans les feuillages. » peut-on lire dans la présentation du livre La Nature parue dans Le Figaro (édition du 6 juillet 1892, page 6, « Revue bibliographique – Poésie »).
En été, les champs de blé prennent des couleurs gaies tel un tableau de peintre. À l’or des blés, le poète associe des notes sombres, des tons « cuivreux » et « violet » qui reflètent sa tendance au spleen.
LE CHAMP DE BLÉ Bordé d’arbres très vieux où d’une patte
alerte Au milieu d’un désert, dans un cadre chagrin Ressortant sur ce louche et vaste marécage, Il était si perdu, si loin d’une maison ! Bluets, coquelicots, tiges entremêlées, Et muet et léger comme un zéphir d’été |
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Mais déjà, par endroits, trouble, mal épandue, Un chaud morne et brumeux ! d’air ? pas
même un soupçon, Peu à peu le soleil trouant la nue à peine Tous les oiseaux criards maintenant avaient
fui ; Et le soir vint : le vent toujours sans remuage, (La Nature, pages 15 à 18) |
Puis vient l’automne, les couleurs changent et le paysage se métamorphose avec l’apparition des feuilles mortes. Voici le début de ce très long poème :
LES FEUILLES MORTES Avec les progrès de l’automne La méditation du ciel Et, lugubrement, se prolonge, Un murmure bas se produit A la longue, toute la masse |
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Puis, rafales, froid, ciel en pleurs ! On dirait qu’avant la froidure Ces doux pastels qui se défont, Lorsque la brume se déchire, Des rouges-vin, des rouges-sang, Avant peu, l’oiseau qui les hante (La Nature, pages 36 à 47) |
Dans son livre, Paysages et Paysans, Maurice Rollinat décrit la vie de la campagne de manière précise et dynamique comme dans le poème qui suit où les enfants heureux en pleine action durant l’hiver, ont le premier rôle et s’amusent beaucoup à patiner sur la glace, tomber, se relever, seule mouvance sur l’étang gelé. Maurice Rollinat traduit avec talent ces images fugaces d’enfants en mouvement et d’autres statiques, immobiles, figés sur la glace. Voici le début de ce long poème :
LES GLISSOIRES Il fait un froid noir et tout gèle : C’est pourquoi, vite, après la classe, En tas, casquettes sans visière, Et, de-ci, de-là, tout heureuse, Légères, folles, bien ingambes, Rapidement, mainte glissoire On les voit gris et bleus les mioches Et, plus d’un faisant la mimique Quelques très petiots se hasardent, Ils sont charmants, piteux et drôles, Les autres, au long des saulaies, (Paysages et Paysans, pages 40 à 44) |
Maurice Rollinat participait activement à la vie locale, par exemple tous les dimanches et les jours de fête, il jouait de l’harmonium et chantait lors des messes et des cérémonies religieuses. Cela se savait et attirait beaucoup de monde comme le raconte Claude Monet dans une lettre à Alice Hoschedé : « Du reste hier, Rollinat a répété à l’église et j’y suis allé. C’était superbe et la joie du curé était curieuse, il disait que nulle part il n’y avait de messes chantées comme cela. (…) Chaque fois qu’il chante c’est un évènement dans le pays et des bourgeois arrivent des environs. Aussi l’auberge est bouleversée aujourd’hui. » (lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé datée du dimanche 7 avril 1889, publié dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 56 – Année 2017, page 63).
Maurice Rollinat observe aussi la vie à l’extérieur de l’église et se fait le témoin des comportements des hommes et des femmes après la messe :
APRÈS LA MESSE On venait de sortir de l’église ; ici, là, Deux vieux – large chapeau, veste courte, air
propret, Quand l’un fit d’un ton assuré : L’autre dit : « Quoi d’étonnant ! (Paysages et Paysans, page 95) |
Il y a aussi ceux qui ne vont pas à la messe comme le père Pierre qui préfère les joies de la nature :
LE PÈRE PIERRE Fantastiques d’aspect sous leur noire capote, « Tiens ! v’là l’pèr’ Pierr’ !
fait l’une, un malin, celui-là ! L’homme les joint bientôt. En chœur elles s’écrient : « Il faut croire, à vous voir marcher Q’v’allez pas à la messe ! » et puis, dame ! elles rient… « Moi ? si fait ! leur répond
simplement le vieux Pierre, J’vas à la mess’ de la rivière (Paysages et Paysans, pages 153 et 154) |
Maurice Rollinat s’imprègne de la vie des habitants afin de mieux les décrire, comme il le raconte dans une lettre à Jules Barbey d’Aurevilly : « Je connais deux ou trois braconniers, espèces de songeurs en blouse, qui ont un langage grogné, mimé, très furtif et coupé de longs silences. Leur gesticulation ressemble à des mouvements d’arbre, leurs yeux luisent comme ceux des loups, et leur son de voix tient assez de ce vague murmure qui sort des objets inanimés. Avec eux, j’excursionne, je chasse, je pêche au filet, et la nuit, qui vient sitôt maintenant, nous a surpris plus d’une fois sur des berges scabreuses ou dans des vallées inquiétantes. Chemin faisant, ils m’instruisent de leurs observations vulpesques et satanisent le paysage par les diableries qu’ils me content au bruit claquant, lourd et régulier de leurs grands pas saboteux. » (lettre de Maurice Rollinat à Jules Barbey d’Aurevilly, datée du 9 décembre 1883, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 246 à 250).
Voici pour commencer la description du braconnier qui brave les interdictions mais reste heureux et joyeux malgré les risques. Maurice Rollinat n’hésite pas à lui donner la parole et nous constatons qu’il a de l’humour :
LE BRACONNIER Contre sa jambe, à plat, collant sa canardière, Lorsqu’en face du bois surgit, brusque, un gendarme D’un nagement de loutre il file entre deux eaux, « Eh ben ! vous avez vu que je n’plong’
pas qu’un peu. (Paysages et Paysans, page 279) |
Dans « Le pêcheur d’écrevisses », Maurice Rollinat nous régale d’un portrait pris sur le vif avec beaucoup de précision et d’humour, tout en gardant la spontanéité de cet homme. Vers la fin du poème, le pêcheur se fond peu à peu dans le paysage et dans le mystère puis dans la mort.
LE PÊCHEUR D’ÉCREVISSES Nez plat, grosse bouche en fer d’âne, Glabre, sec et la peau ridée ; Boitant, mais de telle manière Les bras tombant à la rotule Ce gars pêchait des écrevisses Ce maigre infirme, à jeun, comme ivre, S’il avait une ample capture, Exhalant des senteurs de fosses, Je lui donnais un coup à boire, Alors, sa pauvre face exsangue, |
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« Oui ! mais à présent, l’Diab’ me
rompe ! Qui q’ça fait q’j’aye un’ jamb’ trop
basse ? Et puis, voulez-vous que j’vous dise ? Ame inculte, mais nuancée, Il les comprenait suivant l’heure A présent, il dort sous les saules. Et, tous mes regrets sur sa tombe (Paysages et paysans, pages 233 à 240) |
Avec Maurice Rollinat, les gens d’autrefois revivent à travers ses descriptions minutieuses, animées et prises sur le vif. Dans « Le vieux pêcheur », le poète termine avec une touche de poésie et de romantisme :
LE VIEUX PÊCHEUR Au fil de l’eau coulant sans bruit, Son extase mal contenue L’astre pur, à frissons follets, J’entendis l’homme chuchoter : (Paysages et Paysans, page 293) |
« Rollinat aime la campagne ; il y vit ; il fréquente les paysans, il cause avec eux, il les confesse et pénètre leur âme à la fois matoise et naïve. Aussi, comme ses bonshommes sont vivants ! comme on les voit bouger, à peine déformés par un peu d’outrance et de littérature ! comme dans ces vers pleins d’élisions, d’une langue simple et ferme, leur parler se retrouve purifié tout juste du peu de patois qui s’y est perpétué et nous le rendrait inintelligible ! » peut-on lire dans la présentation de Paysages et Paysans parue dans le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire (édition du 7 mai 1899, page 1, article « Au jour le jour – Paysages et paysans » signé « E. »).
Voici maintenant un vieux pâtre qui nous décrit les difficultés de sa vie comparée à celle des gens de Paris :
LE VIEUX PÂTRE « C’est par mon métier, dit le vieux pâtre
aux traits rudes, Vos chants bourdonn’ comm’ ceux des gross’
mouch’ dans l’air doux, L’vent d’orag’ vous agit’, vous bouscul’
comm’ les choses, Ces chos’ qui dur’ toujours ou qui meur’ ben
anciennes, Nuancés, brum’, pluie et vent, la plein’
lumière, l’ombre, J’rêv’ le rêv’ de tout ça, j’suis en pierr’
comm’ la roche, Que j’crains pas tant l’soleil, et que j’suis
pas si blême, L’éternité s’ennuie aussi ben q’moi qui
passe, (Paysages et Paysans, pages 34 et 35) |
C’est avec un humour malicieux que Maurice Rollinat décrit la charrette à bœufs comparée aux autres véhicules rencontrés dans la campagne :
LA CHARRETTE A BŒUFS Ces rout’ à tas d’ cailloux où des beaux ch’vaux
d’calèches Pour moi, c’est des ch’mins d’vill’,
censément comm’ des rues Sur ces rubans d’terrain des berg’, des p’tit’
montagnes, Dans l’sérieux d’nos vallons comparez donc l’passage Parlez-moi d’ma charrette entr’ ses buissons d’verdure, Viv’ la voiture à bœufs qu’une aiguillad’
conduit, Et s’en va comm’ l’eau calme et les bons nuag’
s’en vont ! (Paysages et Paysans, pages 19 et 20) |
Judith Cladel a bien connu Maurice Rollinat qui venait voir ses parents lorsqu’elle était enfant ; elle a bien saisi la manière dont le poète décrit la vie locale : « A force d’étudier et d’écouter les gens de la terre, il eut la tentation, non plus de les dépeindre par ses moyens propres, mais par les leurs : il les met en scène, il les fait parler et parler en vers. Immense difficulté ! Laisser au langage local sa saveur de terroir, ses tournures alléchantes, ses brutalités et ses malices ; les insérer toutes vives en des poèmes, sans que l’art y perde et se rabaisse, soit à des négligences, soit à des complaisances de patois d’opérette, sans, non plus, qu’il bride le naturel et trouble en sa pureté la grande source du sentiment populaire, plus d’un heureux écrivain y vint échouer. Rollinat y parvint. » (Judith Cladel, « Maurice Rollinat », Portraits d’Hier, n° 31 du 15 juin 1910).
Des métiers, maintenant disparus, étaient pénibles mais ceux qui les pratiquaient trouvaient toujours des solutions face aux difficultés, comme le scieur de long :
LE SCIEUR DE LONG Voûté haut sur la grande chèvre « T’es trop vif ! Dans not’ dur
métier, Comprends-moi donc ! membr’, scie, échines, Je l’sais par moi-même, et j’l’assure… Vois, moi, qui suis vieux scieur de long, Ton œil toujou’rlevé voudrait A tout coup, tu crach’ dans tes mains, Scier du sapin t’fait batt’ les flancs, Tu s’rais bâti pour le métier, C’est ma patienc’ de volonté. T’ell’ que l’autre ! à ça près c’pendant, (Paysages et Paysans, pages 243 à 245) |
Quant au forgeron, il doit travailler à côté d’un brasier qui le cuit :
LE FORGERON Dans sa forge aux murs bas d’où le jour va s’enfuir Il regarde fourcher, rougeoyer et bleuir Croisant ses maigres bras poilus, Et le brasier dont il reluit, (Paysages et Paysans, page 224) |
Dans la vie à la campagne, il y a aussi de petites scènes sympathiques :
EN BATTANT LE BEURRE Dans sa grande jatte de grès, Ses doigts et sa batte à loisir Enfin, déjà compacts, les grumeaux s’agglomèrent (Paysages et Paysans, pages 175 et 176) |
Nous avons peu parlé des animaux de la ferme ; pourtant certains ont un rôle très utile comme cette bonne chienne :
LA BONNE CHIENNE Les deux petits jouaient au fond du grand
pacage ; Sourdement fait gronder l’écho. Du grand troupeau… si bien que, derrière les
bêtes, Tous les trois, à pas d’escargot, (Paysages et Paysans, page 109) |
Avant de terminer, il nous faut absolument évoquer Pistolet, le chien préféré de Maurice Rollinat :
MON CHIEN PISTOLET Sa gravité comique et son froid badinage Même en ses jours de fugue et de libertinage De face ou de profil – assis comme debout, Souple et fort – jappant sec et plutôt taciturne, Au moindre craquement de porte et de volet (La Nature, pages 246 et 247) |
Cette promenade à la fin du dix-neuvième siècle à Fresselines, nous a permis de comprendre comment Maurice Rollinat, considérant la campagne comme son cabinet de travail, observait la nature et la vie locale. Chaque animal, insecte ou oiseau, peut devenir le sujet d’un poème. Chaque rencontre peut être enrichissante et aboutir à des descriptions réalistes. De nombreuses scènes peuvent être comparées à des peintures en poésie. Merci Maurice Rollinat de nous apporter tous ces témoignages d’un passé maintenant révolu.
Pour conclure, laissons la parole à Gustave Téry, qui lors d’une excursion a rencontré Maurice Rollinat : « Il me dit et me chanta tout à tour des vers fins et doux, qui disaient et chantaient la douceur et la finesse du ciel natal ; ses strophes légères me contaient la vie des fleurs, des herbes et des sources ; elles suivaient le vol des hirondelles, des papillons et des libellules ; miséricordieuses, elles réhabilitaient les pauvres bêtes méconnues, les crapauds, les chauves-souris, les chouettes, les araignées… Et je n’aurais pu dire si les bonnes odeurs de campagne, que je respirais avec délices, me venaient de ses vers ou de la fenêtre ouverte. A cet instant, j’en suis très sûr, c’était une infinie bonté qui rayonnait dans ses yeux clairs, couleur de ciel… Oui, je crois bien qu’ils étaient bleus. » (« En Passant – Maurice Rollinat », L’Action quotidienne du 6 novembre 1903, page 3).
Le 25 mars 2023.
Catherine Réault-Crosnier et Régis Crosnier.
NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.
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