LA GRÂCE DANS L’ŒUVRE DE MAURICE ROLLINAT
(Conférence de Catherine Réault-Crosnier lue à trois voix avec des poèmes mis en musique par Michel Caçao, à la médiathèque de Châteauroux le 23 mars 2024, dans le cadre du Printemps des Poètes.)
La grâce a mille-et-uns visages comme il y a mille-et-une nuits ou mille-et-un jour.
Elle peut correspondre à la beauté, à un charme particulier de quelqu’un ou de quelque chose, à une faveur ou un don surnaturel (dictionnaire Larousse).
Elle est aussi accordée à quelqu’un pour lui être agréable. Elle est alors synonyme de : avantage, gentillesse, gracieuseté, honneur… Nous rendons grâce alors pour remercier.
Être en état de grâce pour jouir de sa considération ou d’une faveur ou à l’opposé être en mauvaise grâce, être de mauvaise volonté. Elle est aussi présente dans de très nombreuses expressions imagées : « le coup de grâce » quand on achève un condamné ou « crier grâce » pour demander la clémence et éviter la mort. L’exclamation Grâce ! correspond à un cri par lequel on demande d’être épargné.
Donnons maintenant des exemples de la grâce dans les poèmes de Maurice Rollinat au fil de ses livres.
Son recueil Dans les brandes, poèmes et rondels, présente multiples facettes sur la nature. En effet, Maurice Rollinat se ressource là, dans la campagne berrichonne après avoir vécu à Paris. Remarquons qu’il reconnait avoir des idées mortuaires, certainement liées en partie à la remise en cause de son talent par ses détracteurs mais elles sont chassées par la beauté de la vie qui l’entoure et l’apaise. Admirons la finesse de description qu’il utilise pour mettre à l’honneur les multiples aspects de l’humble nature qui est de toute beauté.
Par exemple, j’ai choisi de nombreux passages d’un long poème car ils sont représentatifs de son style champêtre. Maurice Rollinat garde alors l’art de ne jamais nous lasser et sème la grâce au fil de ces vers. Il rend aussi hommage à son père, François Rollinat, député de l’Indre à l’Assemblée constituante en 1848 et grand ami de George Sand. Il était déjà venu là bien avant lui, s’y ressourcer de son travail et lui avait transmis son ressenti d’apaisement dans la nature.
A TRAVERS CHAMPS Hors de Paris, mon cœur s’élance. Barde assoiffé de solitude Et là, mes vers auront des notes Parfumés d’odeurs bocagères, M’y voici : la campagne est blonde, Là, fuyant code et procédure, Je revois l’humble silhouette |
|
Plus de fâcheux, plus d’hypocrites ! Enfin ! je nargue l’attirance Je marche enfin le long des haies, Le lézard, corps insaisissable Sur les coteaux et sur les pentes, Debout, la bergère chantonne Et je m’en reviens à la brune (Dans les Brandes, pages 10 à 16) |
Son livre Les Névroses est paru en 1883. Dans son poème « La Rivière dormante » il nous conduit vers l’état de grâce, près de la fluidité de l’eau, de l’harmonie de ses habitants cachés : oiseaux, hiboux, écrevisses, poissons, lézards… N’oublions pas que c’est une grâce de voir l’à peine perceptible, les images vacillantes comme celle du reflet des papillons.
LA RIVIÈRE DORMANTE. A Jean-Charles Cazin. Au plus creux du ravin où l’ombre et le soleil Plus d’un oiseau, dardant l’éclair de son
plumage, Descendu des sentiers tout sablés de mica, La lumière est partout si bien distribuée Sa mousse qui ressemble aux grands varechs des mers Ni courant limoneux, ni coup de vent profane : Pourtant cette liquide et vitreuse torpeur |
|
Du fond de ce grand puits qui la tient sous sa garde, Des galets mordorés et d’un aspect changeant Leurs nageoires qui sont rouges et dentelées Comme dans les ruisseaux clairs et torrentueux L’âme du paysage à toute heure voltige Et, sans qu’elle ait besoin des plissements furtifs Et quand tombe la nuit spectrale et chuchoteuse, (Les Névroses, pages 137 à 139) |
La grâce peut aussi correspondre à la légèreté, au mouvement harmonieux, d’un animal attentif à tout ce qui vit et bouge autour de lui.
LE PETIT LIÈVRE A Léon Bloy. Brusque, avec un frisson La chanson Tremblant au moindre accroc, N’est pas trop L’animal anxieux Comme un vieux N’entend-il pas quelqu’un ? Au parfum Dans le matin pâlot, Près de l’eau Terrains mous, terrains durs, Les vieux murs L’aube suspend ses pleurs Et les fleurs L’if qui se rabougrit, Tout sourit Et dans le champ vermeil Au soleil (Les Névroses, pages 143 à 146) |
Beaucoup d’autres animaux peuvent transmettre un état de grâce comme les tout petits êtres vivants qui passent souvent inaperçus. Maurice Rollinat n’hésite pas à témoigner de leur importance.
LE ROSSIGNOL A Louis Ratisbonne. Quand le soleil rit dans les coins, D’inquiétudes ; Avec Mai, le mois enchanteur Des solitudes. Il habite les endroits frais, Et des prairies ; Sur les bords d’un lac ombragé, De rêveries. Le doux ignorant des hivers L’écran des feuilles ; C’est là que tu passes tes jours, Tu te recueilles. Tandis que l’horizon blêmit, La libellule ; Tandis qu’avec des vols ronfleurs, Dans sa cellule ; Lui, le bohème du printemps, Vieilles églises Ayant du lierre à plus d’un mur, Ses vocalises. Quand il pousse dans sa langueur Toute son âme ! Sa voix pleurant de chers hymens Des cris de femme ! Alors elle rend tout pensifs Aux bons visages De la vache et de la jument, Des paysages. (Les Névroses, pages 147 à 149) |
Maurice Rollinat nous transmet aussi le message d’insectes pas toujours bien acceptés. Sous sa plume, nous admirons malgré tout ces mal-jugés qui dévastent tout quand ils sont en bandes. Maurice Rollinat a l’art de décrire avec talent ces bêtes malvenues pour beaucoup de gens. Nous admirons son art de la précision ; il arrive à leur donner une certaine grâce, en quelque sorte, à les réhabiliter et à les mettre en valeur.
LA SAUTERELLE A Georges Landry. Sa tête a l’air d’être en bois peint, Grise, elle a les ailes doublées Elle saute sans nul effort La toute petite grenouille Elle habite loin des marais, Nids de taupes et fourmilières, Quand le soleil a des rayons Cheminant, sautant, l’aile ouverte, Son chant aigre est délicieux Cauchemar de l’agriculteur, (Les Névroses, pages 152 à 155) |
De la même manière, Maurice Rollinat montre la grâce du grillon bien à sa place dans la nature à l’approche de la nuit.
LA TONNELLE A André Lemoyne. À l’heure où le grillon racle sa ritournelle, Là, mon rêve enivré d’une paix solennelle Aux quatre coins du clos, le moindre vent rôdeur Et de loin, le soleil qui meurt dans les cieux
blancs, (Les Névroses, page 158) |
Le poète peut aussi nous faire remarquer une fleur minuscule, considérée comme banale pour beaucoup de gens, par sa petite taille dépassant à peine du sol. Maurice Rollinat la présente avec beaucoup de délicatesse.
LE LISERON A Alfred Prunaire. Le liseron est un calice Le champignon rugueux et lisse Or, quand les champs sont au supplice, (Les Névroses, page 164) |
Continuons ce chemin de poésie sur le thème de la grâce.
Dans son livre La Nature (1892), de nombreux poèmes sont centrés sur la vie de manière positive par exemple à travers l’observation de la végétation, des animaux, des insectes… Voici un poème où nous nous mettons à la place d’un insecte.
LE PETIT TÉMOIN Sans beaucoup sortir de ses trous, Ses ciels sont les morceaux d’azur Un ruisseau lui fait l’Océan, Se réduit pour ses petits yeux : (La Nature, pages 56 et 57) |
Dans son livre Les Apparitions (1896), une ambiance souvent sombre mais toujours magique domine. Un état de grâce peut alors surgir d’un souffle.
LA SOIRÉE VERTE Le soir tombait avec une lenteur magique, Le seul glissottement des sources de la rive Tous, brumeusement clairs, trembleusement inertes, La douceur descendait de la nue en extase La nuit s’approchait, molle et chaude, Le ciel s’était lamé d’un glacis d’émeraude Que la lune allait argenter. Et voici qu’à l’heure où tout se recueille L’onde, elle aussi, pour m’enchanter, Avait pris la couleur du ciel et de la feuille. (Les Apparitions, pages 150 et 151) |
Dans Le Livre de la Nature, choix de poésies pour les enfants (1893), Maurice Rollinat décrit la grâce par exemple celle de la maternité chez les animaux à travers une mère qui montre son affection profonde à son tout petit.
LE POULAIN Tout seul dans ces prés frais et creux comme des
caves, La nuit s’approche, – ainsi que d’informes
épaves Le poulain scrute un coin du morne horizon clos : Et, vite, il a rejoint, comme la lune a lui, (Le Livre de la Nature, page 48) |
Dans son livre Paysages et Paysans (1899), Maurice Rollinat peut nous présenter la grâce offerte par un animal qui côtoie l’humain et assure la protection des enfants en même temps que celle du troupeau.
LA BONNE CHIENNE Les deux petits jouaient au fond du grand
pacage ; Sourdement fait gronder l’écho. Du grand troupeau… si bien que, derrière les
bêtes, Tous les trois, à pas d’escargot, (Paysages et Paysans, page 109) |
Maurice Rollinat peut aussi créer une atmosphère emplie de grâce, en humanisant la nature, même au milieu de la nuit.
LA FORÊT MAGIQUE La forêt songe, bleue et pâle, Là, c’est un cerf blessé qui râle… Ailleurs, une laie et son mâle (Paysages et Paysans, page 46) |
Poète dans l’âme, Maurice Rollinat reconnait la beauté à la fois simple et magnifique, à portée de nos yeux et près de laquelle nous pouvons passer sans la voir.
JOURNÉE DE PRINTEMPS Ici, le rocher, l’arbre et l’eau Sur le murmure qui se ouate A la fois légère et touffue Je m’attarde, et le soir achève (Paysages et Paysans, page 45) |
En conclusion, Maurice Rollinat a toujours aimé marcher dans la nature par tous les temps, en toute saison. Comme lui, restons attentifs à la beauté offerte et reconnaissons le mystère de la grâce dans sa poésie vue de multiples manières.
Janvier / mars 2024.
Catherine Réault-Crosnier.
NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.
|