FRONTIÈRES

 

 

(Conférence de Catherine Réault-Crosnier lue à cinq voix avec des poèmes mis en musique par Michel Caçao, à la médiathèque de Châteauroux le 11 mars 2023, dans le cadre du Printemps des Poètes.)

 

En effet, il y a mille et une manières de séparer les gens, de construire des barrières qui empêcherons certains d’avancer et d’autres de conquérir des territoires. La liberté des uns commence là où se termine celle des autres. Alors dépassons les frontières pour réfléchir, échanger, partager sans imposer, créer des espaces de paix tous ensemble.

Maurice Rollinat est né le 29 décembre 1846 à Châteauroux et mort le 26 octobre 1903 à Ivry-sur-Seine. Son talent a été reconnu à Paris dans la deuxième partie du XIXème siècle. Ce créateur nous propose sa poésie aux multiples facettes sans jamais nous lasser, de l’immensité au presque invisible. Il aborde de très nombreux thèmes dont la nature, le fantastique, le morbide, le rêve, de l’immensément grand au minuscule presque invisible.

Suivons maintenant son chemin de création littéraire en montrant que nous avons tous des frontières incontournables qui permettent de situer chaque créateur par les thèmes qu’il aborde, son style d’écriture, sa force à transmettre sa pensée.

 

Son premier recueil Dans les Brandes de 270 pages, paru en 1877 n’a pas eu la réussite escomptée. Il l’a donc fait rééditer en 1883 après le succès de son deuxième livre, Les Névroses que nous présenterons plus loin. Mais déjà avec Dans les Brandes, Maurice Rollinat capte notre attention de mille et une manières. Nous pourrions dire qu’il efface les frontières pour donner la première place aux animaux souvent présents.

Les titres sont déjà à eux seuls représentatifs de ses centres d’intérêt comme par exemple dans les neuf strophes en octosyllabes du « Champ de chardons ». Nous comprenons que le poète aimait la nature qu’il décrivait de manière très vivante. Le piquant du chardon reste en quelque sorte, une frontière pour le protéger des gourmands. Voici le début et la fin de ce poème animalier très animé où nous côtoyons les humains avec Jeanne, et aussi l’âne qui a la première place. En final, Rollinat capte notre attention de manière inattendue en lien avec le progrès !

LE CHAMP DE CHARDONS

Le champ fourmille de chardons :
Quel paradis pour le vieil âne !
Adieu bât, sangles et bridons !
Le champ fourmille de chardons.
La brise mêle ses fredons
A ceux de la petite Jeanne !
Le champ fourmille de chardons :
Quel paradis pour le vieil âne !

En chantant au bord du fossé
La petite Jeanne tricote.
Elle songe à son fiancé
En chantant au bord du fossé ;
Son petit sabot retroussé
Dépasse le bout de sa cotte.
En chantant au bord du fossé
La petite Jeanne tricote.

Les brebis vaguent en broutant
Et s’éparpillent sur les pentes
Que longe un tortueux étang.
Les brebis vaguent en broutant.
Le bon vieil âne est si content
Qu’il retrouve des dents coupantes.
Les brebis vaguent en broutant
Et s’éparpillent sur les pentes.
(…)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Champ de chardons de Maurice Rollinat.

 Le soleil dort dans les cieux gris
Au monotone tintamarre
Des grenouilles et des cris-cris.
Le soleil dort dans les cieux gris.
Les petits saules rabougris
Écoutent coasser la mare ;
Le soleil dort dans les cieux gris
Au monotone tintamarre.

Au loin, sur le chemin de fer,
Un train passe, gueule enflammée :
On dirait les chars de l’enfer
Au loin, sur le chemin de fer :
La locomotive, dans l’air,
Tord son panache de fumée !
Au loin, sur le chemin de fer
Un train passe, gueule enflammée !

(Dans les Brandes, pages 57 à 61)

 Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Champ de chardons de Maurice Rollinat.

Plus rarement dans ce livre, nous trouvons aussi la facette sombre du poète qui a l’art de nous donner le frisson ! Par exemple, il faut se méfier des dangers et ne pas franchir certaines limites…

LA GUEULE

O fatale rencontre ! au fond d’un chemin creux
Se chauffait au soleil, sur le talus ocreux,
Un reptile aussi long qu’un manche de quenouille.
Mais le saut effaré d’une pauvre grenouille
Montrait que le serpent ne dormait qu’à moitié !
Et je laissai, l’horreur étranglant ma pitié,
Sa gueule se distendre et, toute grande ouverte,
Se fermer lentement sur la victime verte.
Puis le sommeil reprit le hideux animal.
La grenouille, c’est moi ! Le serpent, c’est le mal !

(Dans les Brandes, page 105)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Gueule de Maurice Rollinat.

Maurice Rollinat est attiré par l’étrange qui l’épouvante mais il apprécie aussi d’échapper aux pièges.

LA DÉLIVRANCE

Plus d’obsessions vipérines !
Plus de chuchotements pervers !
L’azur des grands cieux découverts
Sourit à mes humeurs chagrines.

De grosses perles purpurines
Scintillent dans les rameaux verts.
Plus d’obsessions vipérines !
Plus de chuchotements pervers !

Le zéphyr, doux à mes narines,
Souffle des parfums dans les airs
Et baise les étangs déserts,
Transparents comme des vitrines.
Plus d’obsessions vipérines !

(Dans les Brandes, pages 127 et 128)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Délivrance de Maurice Rollinat.

 

Maurice Rollinat a été plus connu après la parution de son recueil Les Névroses qui a contribué largement à son succès en particulier à Paris.

Dès le début de ce livre (paru en 1883), dans le chapitre « Les âmes », Maurice Rollinat nous entraîne dans un autre monde par exemple dans un poème qu’il dédie à son ami Raoul Lafagette. Nous sommes emportés ailleurs, dans une nuit étrange où se mêlent des sentiments divers. Quelles barrières devons-nous franchir ? Ricanements, mensonges, regrets se côtoient mais sommes-nous encore sur terre quand la nuit vole « un sourire à la lune » ?

LES BIENFAITS DE LA NUIT

A Raoul Lafagette.

Quand le chagrin, perfide et lâche remorqueur,
Me jette en ricanant son harpon qui s’allonge,
La Nuit m’ouvre ses bras pieux où je me plonge
Et mêle sa rosée aux larmes de mon cœur.

A son appel sorcier, l’espoir, lutin moqueur,
Agite autour de moi ses ailes de mensonge,
Et dans l’immensité de l’espace et du songe
Mes regrets vaporeux s’éparpillent en chœur.

Si j’évoque un son mort qui tourne et se balance,
Elle sait me chanter la valse du silence
Avec ses mille voix qui ne font pas de bruit ;

Et lorsque promenant ma tristesse moins brune,
Je souris par hasard et malgré moi, – la Nuit
Vole, pour me répondre, un sourire à la lune.

(Les Névroses, page 17)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Les Bienfaits de la nuit de Maurice Rollinat.

Dans la seconde partie de ce livre « Les luxures », il décrit ses pulsions charnelles qui dominent sans lui laisser le temps de décider. Sa pensée est annihilée, ensorcelée, désorientée. Le poème qui suit, nous montre que nous ne sommes pas toujours maitres de la situation et que nos sens peuvent nous conduire ailleurs.

LES DRAPEAUX

A Joseph Uzanne.

Les chevelures des amantes
Sont de luxurieux drapeaux
Toujours flottants, toujours dispos
Pour célébrer les chairs pâmantes.

Pas de résilles endormantes !
Ni diadèmes, ni chapeaux !
es chevelures des amantes
Sont de luxurieux drapeaux.

Et quand les nudités fumantes
Se confondent, souffles et peaux,
La Volupté tord sans repos
Et convulse dans ses tourmentes
Les chevelures des amantes.

(Les Névroses, page 82)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Les Drapeaux de Maurice Rollinat.

Dans la partie intitulée « Les refuges », ce poète efface les dangers et nous présente un univers très différent. Là, Maurice Rollinat nous montre la beauté des paysages en lien avec la nature, les bruits de la nuit, les animaux qui se déplacent. La lune prend la première place en final, nous souriant près des spectres et chuchotements. N’oublions jamais la proximité du poète avec la nature qui l’a tant aidé à se ressourcer.

LA RIVIÈRE DORMANTE.

A Jean-Charles Cazin.

Au plus creux du ravin où l’ombre et le soleil
Alternent leurs baisers sur la roche et sur l’arbre,
La rivière immobile et nette comme un marbre
S’enivre de stupeur, de rêve et de sommeil.

Plus d’un oiseau, dardant l’éclair de son plumage,
La brûle dans son vol, ami des nénuphars ;
Et le monde muet des papillons blafards
Y vient mirer sa frêle et vacillante image.

Descendu des sentiers tout sablés de mica,
Le lézard inquiet cherche la paix qu’il goûte
Sur ses rocs fendillés d’où filtrent goutte à goutte
Des filets d’eau qui font un bruit d’harmonica.

La lumière est partout si bien distribuée
Qu’on distingue aisément les plus petits objets ;
Des mouches de saphir, d’émeraude et de jais
Au milieu d’un rayon vibrent dans la buée.

Sa mousse qui ressemble aux grands varechs des mers
Éponge tendrement les larmes de ses saules,
Et ses longs coudriers, souples comme des gaules,
Se penchent pour la voir avec les buis amers.

Ni courant limoneux, ni coup de vent profane :
Rien n’altère son calme et sa limpidité ;
Elle dort, exhalant sa tiède humidité,
Comme un grand velours vert qui serait diaphane.

Pourtant cette liquide et vitreuse torpeur
Qui n’a pas un frisson de remous ni de vague,
Murmure un son lointain, triste, infiniment vague,
Qui flotte et se dissipe ainsi qu’une vapeur.

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Rivière dormante de Maurice Rollinat.

Du fond de ce grand puits qui la tient sous sa garde,
Avec ses blocs de pierre et ses fouillis de joncs,
Elle écoute chanter les hiboux des donjons
Et réfléchit l’azur étroit qui la regarde.

Des galets mordorés et d’un aspect changeant
Font à la sommeilleuse un lit de mosaïque
Où, dans un va-et-vient béat et mécanique.
Glissent des poissons bleus lamés d’or et d’argent.

Leurs nageoires qui sont rouges et dentelées
Dodelinent avec leur queue en éventail :
Si transparente est l’eau, qu’on peut voir en détail
Tout ce fourmillement d’ombres bariolées.

Comme dans les ruisseaux clairs et torrentueux
Qui battent les vieux ponts aux arches mal construites,
L’écrevisse boiteuse y chemine, et les truites
Aiment l’escarpement de ses bords tortueux.

L’âme du paysage à toute heure voltige
Sur ce lac engourdi par un sommeil fatal,
Dallé de cailloux plats et dont le fin cristal
A les miroitements du songe et du vertige.

Et, sans qu’elle ait besoin des plissements furtifs
Que les doigts du zéphyr forment sur les eaux mates,
Pour prix de leur ombrage et de leurs aromates
La rivière sourit aux végétaux plaintifs ;

Et quand tombe la nuit spectrale et chuchoteuse,
Elle sourit encore aux parois du ravin :
Car la lune, au milieu d’un silence divin,
Y baigne les reflets de sa lueur laiteuse.

(Les Névroses, pages 137 à 139)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Rivière dormante de Maurice Rollinat.

Dans le chapitre « Les Spectres », dès le premier poème, Maurice Rollinat partage avec nous, sa vision des revenants. Le frisson reste omniprésent au long de ces trois pages sans jamais devenir lassant, prouvant combien Maurice Rollinat possède l’art de capter notre attention et d’hypnotiser son public par son talent. En voici quelques extraits.

LA PEUR

A Jules Barbey d’Aurevilly.

Aussitôt que le ciel se voile
Et que le soir, brun tisserand,
Se met à machiner sa toile
Dans le mystère qui reprend,

Je soumets l’homme à mon caprice,
Et, reine de l’ubiquité,
Je le convulse et le hérisse
Par mon invisibilité.

Si le sommeil clot sa paupière,
J’ordonne au cauchemar malsain
D’aller s’accroupir sur son sein
Comme un crapaud sur une pierre.
(…)

Avec les zigzags de l’éclair
J’écris sur le manoir qui tombe
Les horoscopes de la Tombe,
Du Purgatoire et de l’Enfer ;

Je chevauche le catafalque ;
Dans les cimetières mouvants
Je rends au nombre des vivants
Tous ceux que la mort en défalque ;

Et par les carrefours chagrins,
Dans les brandes et les tourbières,
Je fais marcher de longues bières
Comme un troupeau de pèlerins ;

Mais, le jour, je suis engourdie :
Je me repose et je m’endors
Entre ma sœur la Maladie
Et mon compère le Remords.

(Les Névroses, pages 249 à 254)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Peur de Maurice Rollinat.

Après le chapitre « Les Ténèbres », un poème est présenté à part, en final. Il montre combien Maurice Rollinat a été tiraillé toute sa vie entre le bien et le mal.

DE PROFUNDIS !

Mon Dieu ! dans ses rages infimes,
Dans ses tourments, dans ses repos,
Dans ses peurs, dans ses pantomimes,
L’âme vous hèle à tout propos
Du plus profond de ses abîmes !

Quand la souffrance avec ses limes
Corrode mon cœur et mes os,
Malgré moi, je crie à vos cimes :

Mon Dieu !

Aux coupables traînant leurs crimes,
Aux résignés pleurant leurs maux,
Arrivent toujours ces deux mots,
Soupir parlé des deuils intimes,
Vieux refrain des vieilles victimes :

Mon Dieu !

(Les Névroses, page 391)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème De profondis de Maurice Rollinat.

 

Quand Maurice Rollinat décide de quitter Paris, écœuré des remises en cause de son talent, il se réfugie à Fresselines, en Creuse. Les premières années correspondent à la période la plus sombre de sa vie. Son livre L’Abîme paru en 1886, reste un témoin de la dureté de ce vécu, visible dès le premier poème de seize quatrains en alexandrins, qui commence ainsi :

LE FACIES HUMAIN

Notre âme, ce cloaque ignoré de la sonde,
Transparaît louchement dans le visage humain ;
– Tel un étang sinistre au long d’un vieux chemin
Dissimule sa boue au miroir de son onde.

Si la face de l’homme et de l’eau taciturne
Réfléchit quelquefois des lueurs du dedans,
C’est toujours à travers des lointains très prudents,
Comme un falot perdu dans le brouillard nocturne.

Pour l’esprit souterrain, c’est une carapace
Que ce marbre animé, larmoyant et rieur
Où le souffle enragé du rêve intérieur
Ne se trahit pas plus qu’un soupir dans l’espace.

Peut-être y lirait-on la douleur et la honte,
La colère et l’orgueil, la peur et le regret ;
Mais la tentation lui garde son secret,
Et la perversité rarement s’y raconte.
(…)

(L’Abîme, pages 1 à 5)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Facies humain de Maurice Rollinat.

 

En 1892, Maurice Rollinat a fait paraître son livre La Nature de 345 pages. Il comprend des poèmes très variés. Les titres à eux seuls sont déjà significatifs de la diversité des thèmes abordés : « Le Vent », « La Charrue », « Les Feuilles mortes », « Le petit Témoin », « Le Brochet », « La Mouche », « La Jument aveugle », « La Couleur du Temps », « Journée d’une Cigale », « L’Escargot » et tant d’autres !

Par exemple, Maurice Rollinat peut mettre à l’honneur un animal habituellement considéré comme néfaste ; il le décrit de manière très vivante et très détaillée, avec minutie, sans porter de jugement sur ce reptile.

ÉTUDES DE VIPÈRES

Aux premiers rayons chauds sur les premiers feuillages !
Quand, rebariolés de leurs verts tatouages,
Les horizons déjà luisent dans la vapeur,
La vipère tressaille au fond de sa torpeur :
Puis, en se ranimant, par degrés, elle acère
Sa queue et son museau, – se gonfle, se desserre,
Comme pour soulever de ses mouvements froids
La pierre qui la tient si plate sous son poids.
Son désenroulement que la crainte retarde
S’opère enfin. – Sa tête avec lenteur se darde
Par la fissure où filtre un rayon de soleil ;
La chaleur du dehors achève son réveil,
Et la bête choisit un coin tiède et s’y love
Pour cuver son venin que le printemps rénove.

Ayant replié sa queue et son chef
Elle ébauche ainsi la forme d’un f,
En plein marais vide où sèche la bourbe,
D’un noir si luisant qu’elle est en relief
Sur le charbonneux amas de la tourbe.
Soudain, des deux bouts, elle se décourbe,
Surprend ce mulot, siffle, et, sans grief,
Le pompe à longs traits encor, derechef,
Et ferme sur lui sa gueule de fourbe.

Tout enroulée autour d’un chardon qu’elle étrangle,
Ne montrant que le bout de sa tête en triangle,
Elle reste muette et des heures au pied
De l’arbre où ses regards montent pour épier,
Elle a senti là-haut, dans ce treillis vert sombre,
Comme un sautillement ailé de petite ombre
Avec un cri devant sortir d’un petit bec :
Par instants, elle tire à demi, d’un coup sec,
Sa languette fourchue ainsi qu’une flammette,
Sibilant de façon à ce qu’elle n’émette
Aucun son trop strident qui la dénoncerait,
Prête à magnétiser : lorsque l’oiseau parait !
A peine vu qu’il est déjà sous l’affreux charme,
Le sifflement pointu répond au cri d’alarme,
Et la vipère impose à l’oiseau plein d’effroi
La fascination fixe de ses yeux froids.

(La Nature, pages 25 à 27)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Etudes de Vipères de Maurice Rollinat.

 

Le Livre de la Nature : Choix de poésies pour les enfants est paru en 1893, avec au début, une lettre-préface de George Sand qu’elle a écrite en 1874 à Maurice Rollinat, pour le conseiller dans ses choix de thèmes. Ces poèmes pour les enfants ont été appris dans toutes les écoles de France durant toute la première partie du XXème siècle et certains maîtres continuent de les maintenir au programme. Prenons un bain de fraicheur et de beauté par exemple près de l’eau à peine perceptible et pourtant bien présente.

LA FONTAINE

A Georges Charpentier.

La fontaine du val profond
Luit au bas des vieilles tourelles
Dont les toitures se défont
Et dont les girouettes grêles
Vont et viennent, viennent et vont.

Jamais la mousse de savon
N’a troublé ses plissements frêles :
Elle est limpide jusqu’au fond,

La fontaine.

Sur ses bords les saules me font
Des éventails et des ombrelles ;
Et là, parmi les sauterelles,
J’arrête mon pas vagabond
Pour lire Virgile et le bon

La Fontaine.

(Le Livre de la Nature, page 40)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Fontaine de Maurice Rollinat.

Maurice Rollinat aime aussi décrire de beaux insectes même à côté d’un serpent :

LA BÊTE A BON DIEU

La bête à bon Dieu tout en haut
D’une fougère d’émeraude
Ravit mes yeux… quand aussitôt,
D’en bas une lueur noiraude
Surgit, froide comme un couteau.

C’est une vipère courtaude
Rêvassant par le sentier chaud
Comme le fait sur l’herbe chaude,

La bête à bon Dieu.

Malgré son venimeux défaut
Et sa démarche qui taraude,
Qui sait ? Ce pauvre serpent rôde
Bête à bon Diable ou peu s’en faut :
Pour la mère Nature il vaut

La bête à bon Dieu.

(Le Livre de la Nature, page 25)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La bete a bon Dieu de Maurice Rollinat.

 

Dans Les Apparitions, paru en 1896, Maurice Rollinat aborde des thèmes très différents dont « Les choses », « La fée », « Le spectre », « Les poisons », « Les deux revenants », « Effet de soleil couchant », « Le naufrage », « La goutte d’eau », « Le précipice » et vers la fin « La bonté », « L’atome », « La nature et l’art ». Maurice Rollinat manie souvent l’art de l’inattendu et du frisson, accentué par l’alternance d’alexandrins et d’octosyllabes, comme dans ce poème :

LE FAIRE-PART

Très longtemps dans la vie et bien souvent très tard

Notre impression est la même
Toutes les fois qu’un faire-part

Brusque nous dit la mort de quelqu’un que l’on aime.

C’est d’abord du regret qui tient l’âme oppressée.

Ensuite, on songe avec effroi :
« C’est lui !… ce pourrait être moi !… »

A chaque nouveau deuil revient cette pensée.

Puis, votre frisson s’use à trembler le destin ;
Calme, vous voyez fuir à leur terme certain

Les jours du prochain et les vôtres ;

Enfin, vous devenez l’indifférent du sort,
Le désintéressé de votre propre mort,

A force d’enterrer les autres.

(Les Apparitions, pages 258 et 259)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Faire-part de Maurice Rollinat.

 

Dans son livre, Paysages et Paysans, qu’il a fait publier en 1899, nous côtoyons un poète qui a retrouvé un équilibre de vie. Le temps est passé. Il partage avec ses amis, ses lecteurs, son ressenti, ses impressions. Il a dépassé les frontières du jugement de certains pour se ressourcer dans la campagne et choisir la paix au contact de la nature comme au début de son premier poème :

RÉPONSE D’UN SAGE

Un jour qu’avec sollicitude
Des habitants d’une cité
L’avaient longuement exhorté
A sortir de sa solitude :

« Qu’irais-je donc faire à la ville ?
Dit le songeur au teint vermeil,
Regardant mourir le soleil,
D’un air onctueux et tranquille.

Ici, de l’hiver à l’automne,
Dans la paix des yeux, du cerveau,
J’éprouve toujours de nouveau
La surprise du monotone.

Mes pensers qu’inspirent, composent,
Les doux bruits, les molles couleurs,
Sont des papillons sur des fleurs,
Voltigeant plus qu’ils ne se posent.
(…)

(Paysages et Paysans, pages 3 à 5)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Réponse d'un Sage de Maurice Rollinat.

Nous retrouvons la même impression de sérénité au contact de la nature dans le dernier poème de ce livre « Les Clairvoyants » dont voici les deux derniers quatrains :

Au r’bours de c’que l’Évangil’ prêche
Et qu’est p’têt’ un peu trop parfait,
L’homm’ de campagn’ rend c’qu’on lui fait,
En gard’ toujou’ la mémoir’ fraîche.

Avec tous ceux-là qui nous aiment
On est ouverts et r’connaissants.
Comm’ pour les terr’, chez l’paysan,
On récolt’ toujou’ c’que l’on sème ! »

(Paysages et Paysans, page 326)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Les Clairvoyants de Maurice Rollinat.

 

En conclusion, à travers les livres de poésie de Maurice Rollinat, nous avons suivi son chemin de création. Nous avons côtoyé les frontières de la vie de manière très différente par exemple dans « Le Champ de chardons » où sous la plume du poète, celui-ci semble se protéger en piquant même si cette protection ne suffit pas à le sauver quand l’âne s’en régale, quitte à se faire piquer le nez. Ailleurs, dans « Les Bienfaits de la nuit », ricanements, mensonges, regrets se côtoient mais sommes-nous encore sur terre quand la nuit vole « un sourire à la lune » près de « La rivière dormante » ? Nous côtoyons aussi « La Peur », « Le Facies humain », « La Fontaine ». Partout domine la force créatrice jamais tarie. Elle dépasse toutes les frontières pour venir vers nous tous, nous faire réfléchir à l’inattendu, la mort, le travail, la terre. Partout règne le dynamisme de la puissance créatrice de Maurice Rollinat, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, de la révolte à la sérénité de l’acceptation de la vie aux mille et une facettes. Alors à nous de dépasser les frontières pour aller à l’essentiel.

 

Mars 2023

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.