Maurice Rollinat, couleur femme

 

 

(Texte lu à plusieurs voix avec des poèmes mis en musique par Michel Caçao, à la bibliothèque municipale de Tours le 13 février 2010, et à la médiathèque de Châteauroux le 27 février 2010, dans le cadre du Printemps des Poètes.)

 

De nombreuses femmes ont influencé Maurice Rollinat. Il a toujours côtoyé des femmes que ce soit une femme sévère comme sa mère, émancipée et littéraire comme George Sand, femme de chair comme pendant sa période parisienne, refuge comme avec son épouse au début de son mariage, source de querelle comme lorsqu’il s’en séparera, admiratrice de son talent comme Sarah Bernhardt, fidèle et discrète comme Cécile Pouettre, en symbiose avec la nature comme toutes les femmes simples qu’il a chantées dans ses poèmes champêtres, en couleurs comme pour être mieux vue de l’artiste.

 

1ère partie : RAPPORT DE MAURICE ROLLINAT AVEC LES FEMMES

 

Maurice Rollinat et sa mère

Autant Maurice Rollinat était proche de son père François Rollinat qu’il admirait, autant il se sentait en opposition avec sa mère Isaure Didion née le 9 mars 1820 à La Châtre. Sa mère a souvent été jugée sévèrement. Pour l’excuser, il faut comprendre qu’elle eut une enfance très stricte. Elle dut obéir à son père, lieutenant commandant la gendarmerie royale de l’arrondissement de la Châtre (avant 1828) puis de l’arrondissement de Châteauroux ; elle vécut dans un milieu religieux austère et n’eut pas le droit à une expression personnelle. Adulte, elle redouta de voir ses enfants dévier, perdre le sens des réalités et déprimer car elle craignait qu’ils ne tiennent de sa belle-famille qui avait cette tendance. Son fils aîné, Émile, confirma ses craintes puisqu’il se suicida à l’âge adulte. Maurice Rollinat a beaucoup écrit à sa mère durant toute sa vie avec des « Ma chère Maman » mais ses lettres sont souvent dénuées d’affection et se limitent à décrire sa vie, ses besoins d’argent, ses migraines, son spleen et à minimiser les soucis de sa mère ou même à les nier. Nous ne trouvons pas trace d’affection envers elle dans ses poèmes. En effet, le seul poème qu’il lui dédie, s’intitule « Le goût des larmes » (Dans les brandes, p. 47). Il pleure alors ses chers disparus et plus particulièrement son père (mort en 1867) et frère aîné Émile (mort en 1876). Il trouve alors un point commun avec sa mère par la douleur partagée d’êtres chers décédés.

Malgré son opposition à sa mère, il eut toujours besoin d’elle, concrètement, pécuniairement. Elle lui versa une pension pendant toute sa vie. Rollinat a même essayé de convaincre sa mère de doubler la rente de 1 200 francs qu’elle lui versait et, au cas où il se marierait, de lui donner la propriété familiale de Bel Air. Sa mère refusa mais après son mariage elle lui versa une rente annuelle viagère de 2 000 francs. Ce n’était pas autant que Rollinat le souhaitait mais sa mère avait ses raisons, lui les siennes. Il voulait aussi la convaincre qu’il était un grand poète. Il est difficile de dissocier son affection pour sa mère de son intérêt financier.

 

Maurice Rollinat et George Sand

George Sand - Portrait à l’encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

George Sand

Par contre Maurice Rollinat dédie son premier livre de poèmes, Dans les Brandes, publié en 1877, à George Sand (1804 – 1876). Il écrit : « À la mémoire de George Sand, je dédie ces paysages du Berry. » George Sand était alors décédée quelques mois auparavant, le 8 juin 1876 mais Maurice Rollinat entretint son souvenir ; il maintint d’ailleurs cette dédicace dans la réédition de son livre en 1883.

L’œuvre de George Sand se caractérise par sa fécondité, par sa recherche d’un idéalisme sentimental et humanitaire qui l’orienta vers le socialisme comme dans Lélia, Le Compagnon du tour de France, La mare au diable, La petite Fadette... Elle voulut vivre en femme émancipée pour son temps. De part son mariage, elle devint la baronne Dudevant puis elle eut de nombreux amants dont Musset et Chopin. Sa maison à Nohant fut le lieu de grandes réceptions où elle reçut de nombreux amis dont Frédéric Chopin, Franz List, Eugène Delacroix. Nous fêtons d’ailleurs cette année le bicentenaire de la naissance de Chopin qui a composé à Nohant, l’intégrale de ses œuvres pour piano seul. L’œuvre de George Sand est imprégnée de la beauté de la nature et des petites gens.

George Sand est avant tout une romancière mais elle a écrit quelques poèmes simples, caractéristiques de son style proche de la nature, comme celui-ci dédiée à sa petite-fille :

À AURORE

La nature est tout ce qu’on voit,
Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.
Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,
Tout ce que l’on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit,
Elle est bonne à celui qui l’aime,
Elle est juste quand on y croit
Et qu’on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit,
Embrasse la terre, elle t’aime.
La vérité c’est ce qu’on croit
Et la nature c’est toi-même.

C’est par son père François Rollinat, que Maurice connut George Sand. En effet, son père était ami avec celle-ci, un ami sincère et désintéressé qui emmena son fils Maurice avec lui, lors de ses rencontres avec George Sand.

George Sand n’est pas sa marraine puisque sur l’acte de baptême figure le nom de sa vraie marraine, sa tante Emma Didion. Cependant Maurice Rollinat a laissé courir ce bruit et on peut encore trouver cette erreur, par exemple dans les commentaires de certains musées, dans des livres ou dans des articles de journaux. On peut considérer que George Sand a été pour Rollinat, une marraine littéraire et il se sentait proche d’elle. George Sand l’encouragea à chanter la nature et lui a écrit en 1870 : « J’ai lu vos vers enfin ! (…) il me semble que vous avez du talent et que vous en aurez plus encore. (…) » (Régis Miannay, Maurice Rollinat, Poète et musicien du fantastique, p. 97). George Sand lui conseille d’être plus rigoureux et ne se prononce pas sur ses poèmes pessimistes. Mais elle continue de lui prodiguer des conseils par exemple en lui disant d’écrire des poèmes sur la nature. Maurice Rollinat l’a écoutée et on retrouve la veine sandienne dans un certain nombre de ses poèmes, même s’il garde sa propre originalité. C’est encore George Sand qui l’a aidé à trouver du travail car elle voulait qu’il puisse être indépendant financièrement tout en écrivant. En 1870, George Sand avait fait des démarches pour le faire entrer dans l’Administration à Paris mais très vite son caractère bohême l’empêcha de travailler. Maurice Rollinat entretint le contact avec George Sand même après la mort de son père en 1867. Dans une lettre du 4 avril 1871, il lui écrit : « Le souvenir de votre puissante amitié pour mon père, me donne pleine confiance dans votre appui. » (id., p. 68). C’est à George Sand qu’il confie sa vie, ses espoirs, son désir d’être poète (id., p. 67).

 

Maurice Rollinat et son attrait pour la chair des femmes

Maurice Rollinat, jeune homme à Châteauroux, était déjà séduit par le corps féminin. Il ne vivra qu’un peu plus de dix ans à Paris (id., p. XV) mais il appréciera alors la vie bohême et celle de luxure et de plaisir.

De ces périodes, on peut retenir son attirance pour les femmes de mauvaise vie et pour les vierges. Maurice Rollinat participa au club des Hydropathes qui exista de 1878 à 1880, eut une large audience puis cessa. Il eut aussi un rôle actif au cabaret du Chat Noir qui prit le relais.

 

Maurice Rollinat à la recherche d’un idéal avec sa femme

Maurice Rollinat et Marie Sérullaz - Portraits à l’encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

Maurice Rollinat et Marie Sérullaz

Il est difficile de savoir jusqu’à quel point Maurice Rollinat souhaitait prendre une épouse. Lui, si bohême, n’est-ce pas sur l’insistance de sa famille, qu’il fit ce choix ? (id., p. 24) Il se marie le 18 janvier 1878, à l’âge de trente-deux ans. Sa femme, Marie Sérullaz en avait vingt-trois. Marie avait reçu l’éducation d’une jeune fille de la bourgeoisie : elle était très pieuse, instruite et savait dessiner, peindre, jouer du piano.

Au début de leur mariage, c’est le temps du refuge, de la découverte, de l’entente ; Rollinat crée des acrostiches à sa femme pour lui dire son amour. On peut par exemple citer « L’ange gardien » :

L’ANGE GARDIEN

Archange féminin dont le bel œil, sans trêve,
Miroite en s’embrumant comme un soleil navré,
Apaise le chagrin de mon cœur enfiévré,
Reine de la douceur, du silence et du rêve.

Inspire-moi l’effort qui fait qu’on se relève,
Enseigne le courage à mon corps éploré,
Sauve-moi de l’ennui qui me rend effaré,
Et fourbis mon espoir rouillé comme un vieux glaive.

Rallume à ta gaîté mon pauvre rire éteint ;
Use en moi le vieil homme, et puis, soir et matin,
Laisse-moi t’adorer comme il convient aux anges !

Laisse-moi t’adorer loin du monde moqueur,
Au bercement plaintif de tes regards étranges,
Zéphyrs bleus charriant les parfums de ton cœur !

Les Névroses, p. 21

Vient ensuite le temps des querelles et de l’incompréhension réciproque exacerbée par le besoin d’indépendance, le temps de la vie nomade de Rollinat, de vie parisienne tapageuse et nocturne difficilement compatible avec une vie de jeune marié, le temps de sa mésentente avec ses beaux-parents qui rêvaient d’un gendre plus sage, « rangé » et obéissant.

Il n’est donc pas étonnant qu’un an après son mariage, ils envisagent déjà une séparation. Même s’ils se quittent, Maurice reste attaché à Marie. Il lui a écrit dès leur séparation, il regrette, s’accuse, s’excuse, demande pardon mais il recommence ses errances dès qu’ils refont vie commune, aussi ils se séparent définitivement en 1879. Maurice continuera d’aimer sa femme toute sa vie. Quelques semaines avant de mourir, dans une lettre qu’il confie à sa mère pour la transmettre à son épouse, il parle de « passer tranquillement ensemble des jours qu’il nous reste à vivre. » (id., p. 249). Il écrit : « Je pense à Marie Sérullaz, restée ma femme malgré tout, (…) ».

 

Maurice Rollinat, Marie Krysinska et Sarah Bernhardt au Chat Noir

Marie Krysinska - Portrait à l’encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

Marie Krysinska

En décembre 1881, Rodolphe Salis ouvre le cabaret du Chat Noir. Rollinat commence à être connu puisque Barbey d’Aurevilly le salue comme l’un des grands poètes contemporains à l’égal de Baudelaire et d’Edgar Poe (Lyon-Revue, n° 17 de novembre 1881, pages 629 à 635). Maurice Rollinat apprécia Marie Krysinska (1864 – 1908), polonaise, poète et musicienne ; elle était la seule femme à se produire aux Hydropathes puis une figure importante du Chat Noir. Comme Maurice Rollinat, elle composait des accompagnements pour les textes de Baudelaire mais aussi Verlaine, Charles Cros et des mélodies de chansons. Elle était très en avance sur son temps et prétendit être l’initiatrice du vers libre, en concurrence avec Gustave Kahn (Miannay, id., p. 300). Sa poésie est singulière et ne manque pas de personnalité (Les poètes du Chat Noir, p. 494) comme dans son poème « Midi » :

MIDI

Le firmament luit comme un cimeterre
Et les routes sont pâles comme des mortes.

Les Vents –allègres paladins –
Sont partis devers
          Les mers ;
Montés sur les éthéréens chevaux
Au fier galop de leurs sonnants sabots
Ils sont partis devers
          Les mers.

Une paix maléfique plane comme un oiseau
Faisant rêver de mort le plaintif olivier
Et de forfaits le figuier tenace
Dont le fruit mûr se déchire et saigne.

Les sources – comme elles sont loin !
Et les Naïades –
          Où sont-elles ?

Mais voici – joie des yeux –
Près de la roche courroucée
Le petit âne gris
          Mangeur de chardons.

Rythmes pittoresques, pp. 18 et 19

Cette poésie emplie de fantasmes étonnants comme « Et les routes sont pâles comme des mortes », « éthéréens chevaux » rappelle le côté fantastique et morbide d’Edgar Poe et de Maurice Rollinat, côté qui contraste avec la nature bien présente comme avec le firmament, les mers, le figuier et pour finir la si belle image du « petit âne gris mangeur de chardons ». La poésie de Marie Krysinska se caractérise par les voyages même dans le rêve, l’élégance, les ruptures de rythmes. La présence de la nature rappelle l’ambiance de mystères à la Edgar Poe et le côté campagne celle de Maurice Rollinat mais dans une atmosphère personnelle qui tient du surréalisme, dans un paysage presque irréel. Proche de Maurice Rollinat, elle participait aux mêmes soirées que lui. Fin 1882, Maurice Rollinat fréquentait le salon de Marie Krysinska qui demeurait au troisième étage de la rue Monge à Paris (id., p. 300) ; certains leur prêtent une vie amoureuse mais rien n’est sûr.

 

Sarah Bernhardt - Portrait à l’encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

Sarah Bernhardt

Sarah Bernhardt, tragédienne française de renommée mondiale, reconnut le talent de Maurice Rollinat lors de la soirée du 5 novembre 1882 relatée par Albert Wolff dans son article « Courrier de Paris » paru dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, (page 1) ; elle le fit connaitre au Chat Noir. Femme de caractère, elle lui assura le succès. Réclamé dans les salons, il a ses admirateurs mais aussi ses détracteurs. Le temps de la gloire a ses effets pervers dont la jalousie, la remise en cause, la satire. Maurice Rollinat ne put pas les supporter et prépara son départ car il se sentit trahi. En 1883, il ne se produit déjà plus en public puis part à Fresselines, ne revenant que pour régler quelques problèmes matériels (id., p 422). Il a quitté son appartement parisien, rue Oudinot, le 8 août 1883 (id., p 424).

 

Maurice Rollinat et Yvette Guilbert, la meilleure interprète de ses chansons

Yvette Guilbert - Portrait à l’encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

Yvette Guilbert

Yvette Guilbert (1868 – 1944) était une charmante chanteuse et avait un grand talent de comédienne. À l’occasion de la sortie du livre La Nature de Maurice Rollinat, ses amis organisèrent, une soirée musicale et poétique à la Bodinière à Paris, le 21 février 1892. Des artistes de qualité étaient venus mettre en valeur des poésies de Maurice Rollinat chantées ou dites avec accompagnement. (Émile Vinchon, Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, p 176). Seuls Boudouresque et Yvette Guilbert furent à la hauteur des interprétations. Maurice Rollinat se réjouit de voir cette comédienne mettre à son répertoire, certaines de ses compositions ce qui était un exercice périlleux et délicat. Yvette Guilbert avait compris qu’il lui fallait trois octaves, à partir du grave pour exprimer les textes de Rollinat. Elle nous explique son travail : « de l’octave grave au « la » de celui qui suit, je chantais en poitrine et, dès le « si », ma voix fut placée « de tête ». Je parvins aussi à surmonter la grande, l’horrible difficulté que présentent les chansons du poète Rollinat écrites ainsi par lui musicalement et chantées par lui seulement, et il me fut permis d’en interpréter deux ou trois. » (Bulletin Rollinat n° 33, p. 24).

Pour elle, « chaque chanson était un tout dont elle créait et suggérait les éléments. Son allure, sa mimique, créait le décor et l’atmosphère…(…) ». (Bulletin Rollinat, n°2, p 23)

En 1901, Yvette Guilbert, grande admiratrice de Rollinat, lui écrivit pour essayer de le convaincre de partir en tournée avec elle, en Allemagne ; elle dit d’ailleurs dans cette lettre : « Je sais quel triomphe vous auriez. » (Bulletin Rollinat, n° 2, p. 24)

Rollinat la considéra comme sa meilleure interprète (Émile Vinchon, id., p 178). Yvette Guilbert a chanté jusqu’à la veille de sa mort car mettre en valeur des chansons sur scène, était toute sa vie.

 

Maurice Rollinat et Cécile Pouettre, le temps de la fuite vers une reconstruction et un autre équilibre dans la solitude de la campagne

Cécile Pouettre - Portrait à l’encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

Cécile Pouettre

Une fois qu’il a fui Paris, comme il le dit d’une manière prémonitoire dans son poème « Fuyons Paris » (Dans les Brandes, p. 3), il reprendra goût à la vie dans un village isolé, à Fresselines, tout d’abord au Puy Guillon puis dans une petite maison à la sortie du bourg, dans le calme de la campagne creusoise, avec sa compagne, une comédienne à Paris, Cécile Pouettre qui vivra ainsi vingt ans avec lui. Cette femme discrète à ses côtés, était connue à Paris, sous le nom de Cécile de Gournay. Il ne la citera jamais dans ses poèmes, peut-être pour ne pas avoir d’histoires avec sa belle-famille, peut-être par discrétion sur sa vie privée, peut-être au cas où il reviendrait avec sa femme. Il est difficile de le savoir. Ce qui est sûr, c’est qu’elle reçut les amis venus de Paris et aida le poète à garder un certain équilibre de vie, loin du stress de la vie parisienne.

Après cette partie décrivant le rôle des femmes dans la vie de ce poète, laissons-nous guider sur son chemin de poésie. J’ai choisi de présenter les différentes facettes de la poésie de Maurice Rollinat en relation avec la femme. Tout d’abord le côté instinct et volupté puis le côté champêtre de la femme, en lien avec les couleurs. Maurice Rollinat aimait à ajouter des couleurs dans ses poèmes, un peu à la manière d’un peintre en petites touches éparpillées par ci, par là, pour donner plus de vie à la nature, aux sentiments et aussi à la femme.

 

 

2ème partie : RAPPORT DE MAURICE ROLLINAT AVEC LES FEMMES EN POÉSIE ET EN COULEURS

 

« La femme, côté sensualité, instinct, volupté, virginité »

Ce côté charnel est développé surtout dans son livre Les Névroses et correspond en particulier à l’époque de sa vie parisienne. Ces poèmes l’ont fait connaître et allient fantastique, frisson, morbide et attrait de la chair.

La femme-chair en est le point central. Les titres des poèmes sont évocateurs : « Les Seins », « La Chair », « Jalousie féline ». La « femme-volupté », est l’autre facette de son attirance sexuelle comme dans le chapitre « Les Luxures » des Névroses, puis les poèmes mortuaires, par exemple dans le chapitre « Les Spectres » avec « L’Amante macabre » ou « Mademoiselle Squelette ».

Son poème « La Chair » est représentatif de son côté sensuel :

LA CHAIR

La chair de femme sèche ou grasse
Est le fruit de la volupté
Tour à tour vert, mûr et gâté
Que le désir cueille ou ramasse.

Mystérieuse dans sa grâce,
Exquise dans son âcreté,
La chair de femme sèche ou grasse
Est le fruit de la volupté.

Pas un seul homme ne s’en lasse.
Chacun avec avidité
Y mordrait pour l’éternité.
Et pourtant, c’est un feu qui passe,
La chair de femme sèche ou grasse !

Les Névroses, p. 80

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème La Chair de Maurice Rollinat.

Aussi bien dans ses poèmes charnels que dans ses poèmes champêtres, Maurice Rollinat a donné des couleurs aux femmes comme dans « Les Visions roses » :

LES VISIONS ROSES

Corolles et boutons de roses,
La fraise et la mousse des bois
Mettent le désir aux abois
Au fond des cœurs les plus moroses !

Qui rappelle certaines choses
Aux bons vieux galants d’autrefois ?
Corolles et boutons de roses,
La fraise et la mousse des bois.

– Je revois tes chairs toutes roses,
Les dards aigus de tes seins froids,
Et puis tes lèvres ! quand je vois
Dans leurs si langoureuses poses
Corolles et boutons de roses ! –

Les Névroses, p. 83

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Les Visions roses de Maurice Rollinat.

Pour le côté instinct et volupté, ce sont toutes les sensations liées à l’expression de la jouissance qui sont ici exprimées avec finesse :

LÈVRES PÂMÉES

Les lèvres des femmes pâmées
Ont des sourires qui font peur
Dans la convulsive torpeur
Qui les tient à demi fermées.

Quand leurs plaintes inanimées
S’exhalent comme une vapeur,
Les lèvres des femmes pâmées
Ont des sourires qui font peur.

Le désir qui les a humées
Recule devant leur stupeur,
Et le mystère enveloppeur
Clôt dans ses gazes parfumées
Les lèvres des femmes pâmées.

Les Névroses, p. 71

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Lèvres pâmées de Maurice Rollinat.

Dans le poème suivant « La Marchande d’Écrevisses », Maurice Rollinat sait très bien planter le décor d’une femme aguichante, spontanée dans sa vie de tous les jours, sans porter de marque de jugement sur elle, mais simplement pour savourer le plaisir charnel.

LA MARCHANDE D’ÉCREVISSES

Aux portes des cafés où s’attablent les vices,
Elle va tous les soirs offrant des écrevisses
Sur un petit clayon tapissé de persil.
Elle a l’œil en amande orné d’un grand sourcil
Et des cheveux frisés blonds comme de la paille.
Or, ses lèvres en fleur qu’un sourire entre-bâille,
Tentent les carabins qui fument sur les bancs,
Et comme elle a des seins droits, et que, peu tombants,
Ses jupons laissent voir sa jambe ronde et saine,
Chacun d’eux lui chuchote un compliment obscène.

Les Névroses, p. 76

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème La Marchande d’Écrevisses de Maurice Rollinat.

Le côté humour noir, fantastique, épouvante de la volupté, attire le poète et le rapproche d’Edgar Poe, bien que Rollinat reste toujours dans le présent là où Edgar Poe recherche un univers imaginaire. Le poème « L’Amante macabre » en est un exemple typique avec un cadre sauvage et envoûtant, « vents farouches », « tocsin », « gémissements »… tels ceux d’Émilie Brontë dans « Les Hauts de Hurlevent » :

L’AMANTE MACABRE

À Charles Buet.

Elle était toute nue assise au clavecin ;
Et tandis qu’au dehors hurlaient les vents farouches
Et que Minuit sonnait comme un vague tocsin,
Ses doigts cadavéreux voltigeaient sur les touches.

Une pâle veilleuse éclairait tristement
La chambre où se passait cette scène tragique,
Et parfois j’entendais un sourd gémissement
Se mêler aux accords de l’instrument magique.

Oh ! magique en effet ! Car il semblait parler
Avec les mille voix d’une immense harmonie,
Si large qu’on eût dit qu’elle devait couler
D’une mer musicale et pleine de génie.

Ma spectrale adorée, atteinte par la mort,
Jouait donc devant moi, livide et violette,
Et ses cheveux si longs, plus noirs que le remord,
Retombaient mollement sur son vivant squelette.

Osseuse nudité chaste dans sa maigreur !
Beauté de poitrinaire aussi triste qu’ardente !
Elle voulait se jeter, cet ange de l’Horreur,
Un suprême sanglot dans un suprême andante.

(…)

Et quand son cœur sentit son dernier battement,
Elle vint se coucher dans les planches funèbres ;
Et la veilleuse alors s’éteignit brusquement,
Et je restai plongé dans de lourdes ténèbres.

Puis, envertiginé jusqu’à devenir fou,
Croyant voir des Satans qui gambadaient en cercle,
J’entendis un bruit mat suivi d’un hoquet mou :
Elle avait rendu l’âme en mettant son couvercle !

Et depuis, chaque nuit, – ô cruel cauchemar ! –
Quand je grince d’horreur, plus désolé qu’Électre,
Dans l’ombre, je revois la morte au nez camard,
Qui m’envoie un baiser avec sa main de spectre.

Les Névroses, pp. 255, 256 et 258

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème L’Amante macabre de Maurice Rollinat.

Dans le poème « Mademoiselle Squelette », le rythme sautillant est entraînant avec deux leitmotiv qui se répètent en parallèle, rendant très vivant le tableau de ce squelette, avec un humour indéniable. Comme souvent, Maurice Rollinat fait parler les gens, ce qui donne une animation surprenante :

MADEMOISELLE SQUELETTE

À Paul Bilhaud

Mademoiselle Squelette !
Je la surnommais ainsi :
Elle était si maigrelette !

Elle était de la Villette,
Je la connus à Bercy,
Mademoiselle Squelette.

Très ample était sa toilette,
Pour que son corps fût grossi :
Elle était si maigrelette !

(…)

Les Névroses, pp. 259 à 261

Dans « La jarretière », Maurice Rollinat sait nous faire frissonner en même temps qu’il sait garder une note sensuelle pendant tout le déroulement du poème en entretenant le suspense jusqu’au bout :

LA JARRETIÈRE

Cette vipère de buisson
D’une grosseur surnaturelle
Jarretiérait la pastourelle
Qui dormait, un jour de moisson.

Au froid de ce vivant glaçon,
Elle ouvrit l’œil et vit sur elle
Cette vipère de buisson
D’une grosseur surnaturelle.

Comment oublier la façon
Dont la mignonne enfant si frêle,
Pâle, du bout de mon ombrelle,
Désenroula sans un frisson
Cette vipère de buisson !

Dans les Brandes, pp. 224 et 225

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème La jarretière de Maurice Rollinat.

Maurice Rollinat a été attiré, fasciné par la virginité des femmes, peut-être pour son côté secret et révélation et peut-être pour les sensations qu’elle lui donne, comme dans les poèmes « Vierge damnée », ou « Les Vierges » :

LES VIERGES

À Paul Eudel

Le cœur des vierges de vingt ans
Est inquiet comme la feuille,
Et tout leur corps aspire et cueille
Les confidences du Printemps.

Le jour, aux parfums excitants
Du lilas et du chèvrefeuille,
Le cœur des vierges de vingt ans
Est inquiet comme la feuille.

Le soir, sur le bord des étangs,
Chacune rôde et se recueille,
Et leur secret que l’ombre accueille
Fait sourire ou pleurer longtemps
Le cœur des vierges de vingt ans.

Les Névroses, p. 25

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Les Vierges de Maurice Rollinat.

Il peut traiter le thème de la virginité de plusieurs manières, avec délicatesse comme dans ce poème précédent ou avec impudeur comme dans « Vierge damnée » (Les Névroses, p. 90). Maurice Rollinat par son attirance ensorcelante de la chair, rejoint nombre de ses contemporains tel Rodin.

De nombreux poèmes de Maurice Rollinat parlent des parties du corps, les seins, les lèvres, les bras, les jambes, les yeux, un peu à la manière des blasons du corps au Moyen-âge. Le thème des yeux est fréquent. Le regard, n’est-il pas le premier moyen de communiquer, de faire confiance, de voir en l’autre ? Les yeux parlent aussi de couleurs, chemin vers les rêves. Les yeux sont au carrefour de la sensualité, des non-dits et de la confiance :

LES YEUX

Les diverses teintes des yeux
Évoquent les lointains, les ondes,
La pierre, les forêts profondes,
Les grèves, le gouffre et les cieux ;

Paupières à peine décloses,
Ils remontrent, fondus en eux,
Tous les coloris lumineux,
Tous les miroitements des choses.

Certains dans le rire et les pleurs
Apparaissent comme des fleurs,
Comme des étoiles de songe.

Ah ! si l’on pouvait confiant
N’avoir jamais en les voyant
Peur d’un sarcasme ou d’un mensonge !

Fin d’Œuvre, pp. 81 et 82

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Les Yeux de Maurice Rollinat.

 

« La femme, côté champêtre »

En opposition au côté spectaculaire et sensuel, Maurice Rollinat a écrit de très beaux poèmes alliant la femme à la nature. Il ne faut pas oublier derrière les poèmes très connus, ceux souvent oubliés de la femme de la vie paysanne comme « La petite gardeuse d’oies » (Dans les Brandes, p. 129), « La tricoteuse » (Dans les Brandes, p. 169), « La laveuse » (Dans les Brandes, p. 121), « Les Fileuses » (La Nature, p. 265) et ceux-ci sont nombreux. Personnellement je trouve très attachante cette facette de la personnalité de Maurice Rollinat qui met à l’honneur des femmes simples. Ce n’est pas un hasard s’il a dédié son livre Dans les Brandes à la mémoire de George Sand. Oui, les femmes en communion avec la nature, peuvent être un baume pour son cœur. 

LES GARDEUSES DE BOUCS

          Près d’un champ de folles avoines
          Où, plus rouges que des pivoines,
Ondulent au zéphyr de grands coquelicots,
Elles gardent leurs boucs barbus comme des moines,
          Et noirs comme des moricauds.

          L’une tricote et l’autre file.
          Là-bas, le rocher se profile
Noirâtre et gigantesque entre les vieux donjons,
Et la mare vitreuse où nage l’hydrophile
          Reluit dans un cadre de joncs.

          Plus loin dort, sous le ciel d’automne,
          Un paysage monotone :
Damier sempiternel aux cases de vert cru,
Que parfois un long train fuligineux qui tonne
          Traverse, aussitôt disparu.

          Les boucs ne songent pas aux chèvres,
          Car ils broutent comme des lièvres
Le serpolet des rocs et le thym des fossés ;
Seuls, deux petits chevreaux sautent mutins et mièvres
          Par les cheminets crevassés.

          Les fillettes sont un peu rousses,
          Mais quelles charmantes frimousses,
Et comme la croix d’or sied bien à leurs cous blancs !
Elles ont l’air étrange, et leurs prunelles douces
          Décochent des regards troublants.

          Pendant que chacune babille,
          Un grand chien jaune dont l’œil brille,
L’oreille familière à leur joli patois,
Les caresse, va, vient, s’assied, court et frétille,
          Aussi bonhomme que matois.

          Et les deux petites gardeuses
          S’en vont, lentes et bavardeuses,
Enjambant un ruisseau, débouchant un pertuis,
Et rôdent sans songer aux vipères hideuses
          Entre les ronces et les buis.

          Or l’odeur des boucs est si forte
          Que je m’éloigne ! mais j’emporte
L’agreste souvenir des filles aux yeux verts ;
Et, ce soir, quand j’aurai barricadé ma porte,
          Je les chanterai dans mes vers.

Dans les Brandes, pp. 35 à 38

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Les gardeuses de boucs de Maurice Rollinat.

Exceptionnellement, l’humour domine dans une scène de la vie de tous les jours :

LA CUISINIÈRE

Au bruit sempiternel du canon de sureau
Qu’un petit garçon bourre et rebourre sans trêve,
La bonne au coin du feu s’assoupit dans un rêve
Entre le chien blanchâtre et le matou noiraud.

Et la voilà qui dort, un pied sur le barreau
D’une chaise en bois blanc dont la paille se crève,
Au bruit sempiternel du canon de sureau
Qu’un petit garçon bourre et rebourre sans trêve.

Mais la bonne ouvre l’œil, car le vieux hobereau
La secoue à deux bras : « – Qu’est-ce ? dit Geneviève.
– Ce que c’est ! ventrebleu ! que le diable t’enlève ! »
Hélas ! elle a laissé tout brûler un perdreau,
Au bruit sempiternel du canon de sureau.

Dans les Brandes, pp. 163 et 164

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème La cuisinière de Maurice Rollinat.

Maurice Rollinat a souvent abordé le thème de la folie, comme dans le poème : « La Folle » où la folie entre en harmonie avec la nature, au rythme des saisons, avec la musique qui garde toute sa place ici, comme dans le cœur de Rollinat.

LA FOLLE

En automne, au printemps, quand le soleil assoiffe
La terre, même aussi lorsque le froid vous mord,
On voit la Folle errer, pâle comme la Mort,
Sous ses longs cheveux noirs qui sortent de sa coiffe.

Plus belle du désordre égaré de ses charmes
Elle va dans sa libre inoffensivité,
Atteinte pour jamais de cette insanité
Que le regret d’Amour engendre avec des larmes.
(…)

La Nature, pp. 281 à 284

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème La Folle de Maurice Rollinat.

Plus loin, une vieille femme à peine esquissée à la fin d’un poème se fond dans une nature humanisée qui « languit » dans les couleurs grises de l’hiver. Seule émerge la grande cape, « capote noire » que Maurice Rollinat attiré par le fantastique, transforme en fantôme. La femme est ici en union avec le paysage et la mélancolie du poète.

PAYSAGE GRIS

Déjà cette prairie en commençant l’hiver
Étendait son tapis d’herbe courte et fripée,
Elle languit encor, de plus en plus râpée,
D’un gris toujours plus pâle et moins mêlé de vert.

Et pourtant, il y vient, poussant leur douce plainte,
Dressant l’oreille au vent qu’ils semblent écouter,
Quelques pauvres moutons qui tâchent de brouter
Ce regain des frimas dont leur laine a la teinte.

Mais le vivre est mauvais, le temps long, le ciel froid ;
À la file ils s’en vont, l’œil fixe et le cou droit,
Côtoyer la rivière épaisse qui clapote,

S’arrêtant, quand ils sont rappelés, tout à coup,
Par la vieille, là-bas, contre un arbre, debout,
Comme un fantôme noir dans sa grande capote.

Paysages et Paysans, p. 39

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème Paysage gris de Maurice Rollinat.

Le gris symbolise ici la nature comme morte en hiver et l’union de la vieille femme avec le paysage dépouillé, recroquevillé sur lui-même.

La femme dans toute la simplicité de sa vie de tous les jours est prise sur le vif dans des tableaux qui nous font penser à des peintres intimistes ou champêtres, paysagistes ou romantiques comme Veermer, Turner ou Constable. Dans son labeur habituel, la femme peut être là, pétillante de jeunesse, battant le beurre ; Rollinat la décrit et l’amoureux qui a sa place à côté du beurre, est esquissé avec humour.

EN BATTANT LE BEURRE

Dans sa grande jatte de grès,
L’Angélique, la belle veuve,
Avec sa crème toute neuve
Fabrique un peu de beurre frais.

Ses doigts et sa batte à loisir
Fouettent, pressent, foulent, tripotent,
Tournent, roulent, piquent, tapotent
La crème lente à s’épaissir.

Enfin, déjà compacts, les grumeaux s’agglomèrent
Et prennent par degrés leur coloris d’or blond :
Elle aura bientôt fait son pain ovale et rond.
Mais, dévorant des yeux la tentante commère,
En face d’elle, assis à cheval sur sa chaise,
Coude et pieds aux barreaux, voilà que le grand Blaise,
Son soupirant câlin, lui parle à mots si doux,
Que, toute tressaillante à ce regard de faune,
Elle aspire la voix du beau meunier blanc-roux,
Tandis que dans son pot, moins serré des genoux,
S’endort las et distrait son petit bâton jaune.

Paysages et Paysans, pp. 175 et 176

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème En battant le beurre de Maurice Rollinat.

Après la jeunesse, la vieillesse : le thème de la femme âgée a aussi retenu l’attention de Maurice Rollinat, peut-être par sa proximité d’épouvante à l’approche de la mort et par son angoisse du vieillissement. On y retrouve la minutie de description, l’union avec la nature, la vie des bêtes (chiens, chats, grillons) qui fait ressortir la fixité de la vieille femme en fin de vie. Je pense aussi à Rodin qui voulait également décrire la femme dans tous ses états dont la vieillesse (ex : La Belle Heaulmière).

LA VIEILLE

La lumière s’est inclinée
De plus en plus vers son trépas :
Par la campagne, pas à pas,
Voici la nuit acheminée.
L’humble vieille parcheminée
Est assise après son repas
Près du feu qui ne chôme pas
Devant la plaque charbonnée.
Dans une posture gênée
Le chien dort ; deux tout jeunes chats
Font des sauts et des entrechats
Sur leur mère pelotonnée.
Et la vieille émerillonnée,
En voyant bruler ses éclats
De bon bois sec…, chantonne bas
Une complainte surannée.
Or, soudain, les filles, les gars,
Toute l’agreste maisonnée
Avec le chien, à grands sabbats,
S’en va prendre ailleurs ses ébats.
La gent féline est retournée
Dans le grenier chasser les rats.
La bonne femme embéguinée
Rumine, ayant croisé les bras :
Sous le plancher fumeux et gras
De cette salle consternée
Elle pousse de longs hélas
D’être si seule abandonnée !
Mais, avec la triste journée
De vent de bise et de verglas
Qui meurt au tintement d’un glas,
Craque la voix désenfournée
Des grillons qui, fantômes plats,
Surgissant dans la cheminée
Viennent distraire ses yeux las
Et sa vieille âme renfrognée.

La Nature, pp. 323 à 325

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier, illustrant le poème La Vieille de Maurice Rollinat.

Sur le registre champêtre, de nombreux poèmes sont consacrés à la femme, comme certains extraits :
- de La Nature : « L’Attardée » (pp. 97 et 98), « La Bergère » (pp. 153 à 158) ;
- de Fin d’œuvre, « La Femme » (pp. 63 et 64, avec l’image du sang, celui de la vierge, celui de la vie, des règles à l’enfantement avec toujours une sensation d’attirance pour le mystère, l’inconnu) ;
- de Dans les Brandes, « La petite couturière » (pp. 22 à 28, avec la finesse de description, les vieux airs chantés, le thème des revenants), « La laveuse » (pp. 121 à 126, du calme à la femme hideuse approchant la mort), « La petite gardeuse d’oies » (pp. 129 et 130), « L’amazone » (pp. 153 et 154), « La belle porchère » (pp. 167 et 168), « La tricoteuse » (pp. 169 et 170), « Les châtaignes » (pp. 179 et 180, avec encore l’obsession du sang), « Les demoiselles » (pp. 198 et 199).

 

En conclusion, la femme est vue par Maurice Rollinat sous des aspects très variés ; la facette de la femme-volupté, objet de convoitise et de plaisir est très remarquée car ce fut la période du Chat Noir avec des poèmes sensuels à érotiques. Ce sont des poèmes à sensations qui ont fait beaucoup parler d’eux et ont fait de l’ombre à de nombreux autres poèmes qui pour ma part, me semblent plus proches de la femme dans la discrétion de sa vie quotidienne en communion avec la nature, comme par exemple dans son livre Paysages et Paysans. Il ne faut pas oublier que la femme a aussi été repos pour son être torturé comme dans les acrostiches à sa femme Marie Sérullaz, lorsqu’elle était pour lui un baume et un refuge ; puis après sa vie parisienne stressante, Cécile Pouettre fut celle qui veilla sur le poète dans la discrétion pendant vingt ans. Il n’est donc pas étonnant que Maurice Rollinat ait consacré de nombreux poèmes à la femme et nous pouvons être sûrs qu’elle était importante pour lui, dans tous ses états, de la femme s’éveillant à la volupté à celle vieillissant, de la femme dans la luxure à celle du fantastique, de la femme approchant la folie à celle côtoyant la mort, de la femme refuge à celle de la douceur discrète, de la femme parisienne à celle de la simplicité champêtre, et dans tous ces visages, la femme couleur nature.

 

Février 2010

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Bibliographie

 

Livres de Maurice Rollinat utilisés :

Rollinat Maurice, Les Névroses, G. Charpentier, Paris, 1883, 399 pages

Rollinat Maurice, Dans les Brandes, poèmes et rondels, G. Charpentier, Paris, 1883, 281 pages

Rollinat Maurice, Dans les Brandes. Préface de Georges Lubin, Texte établi avec présentation et notes par Régis Miannay, Lettres Modernes Minard, Paris, 232 pages, 1971

Rollinat Maurice, La Nature, poésies, G. Charpentier et E. Fasquelle, Paris, 1892, 350 pages

Rollinat Maurice, Paysages et Paysans, poésies, Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, 1899, 332 pages

Rollinat Maurice, Fin d’Œuvre, Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, 1919, 341 pages

 

Autres documents :

Barbey d’Aurevilly Jules, « Rollinat – Un poète à l’horizon ! », Lyon-Revue, n° 17 de novembre 1881, pages 629 à 635

Krysinska Marie, Rythmes pittoresques, Alphonse Lemerre éditeur, Paris, 1890, 124 pages

Miannay Régis, Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique, imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, 596 pages

Velter André (présentation et choix), Les Poètes du Chat Noir, éditions Poésie/Gallimard, Paris, 1996, 505 pages

Vinchon Émile, Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, Librairie Jouve, Paris, 1921, 248 pages

Wolff Albert, « Courrier de Paris », Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, page 1

Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 2, 1956, 31 pages

Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 33, 1995, 56 pages

 

NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.