« MAURICE ROLLINAT, ENFANCES »

 

(Texte lu à plusieurs voix avec des poèmes mis en musique par Michel Caçao, à la médiathèque de Châteauroux le 10 mars 2012, dans le cadre du Printemps des Poètes.)

 

Maurice Rollinat est proche du thème du Printemps des Poètes en 2012, « Enfances », de plusieurs manières, par sa biographie, par son regard sur l’enfance à travers ses écrits et enfin par les poèmes qu’il a spécialement réunis dans un recueil pour les enfants.

 

Sa biographie :

Maurice Rollinat est né le 29 décembre 1846 à 9 heures du matin (Régis Miannay, Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique, p. 51). Son père François Rollinat avait quarante ans (né le 13 juin 1806), sa mère Isaure Rollinat née Didion vingt-quatre ans (née le 9 mars 1820). Il est le deuxième et dernier enfant, son frère Émile étant son aîné de trois ans (né le 24 décembre 1843) (id., p 35).

Il a habité très peu de temps, au premier étage d’une maison, rue de Déols à Châteauroux, aujourd’hui le n° 7 de l’avenue Marcel Lemoine. La propriétaire était mademoiselle Augustine Despaignols, amie intime de sa mère et Maurice l’appellera « sa bonne tante Augustine » (id., p. 52). Ce logement étant un peu exigu, ils déménagent en 1847 au 5, rue des Notaires, actuellement le n° 9 (id., p. 52). Sur le mur de cette maison, une plaque en rappelle le souvenir.

Maurice est baptisé le 20 janvier 1847 en l’église Saint-André de Châteauroux. Sur le faire-part de baptême, sont inscrits les noms de ses parrain et marraine, un oncle et une tante, Auguste-Barthélémy Poterlet et Julie-Angèle-Emma Didion. George Sand n’est donc pas sa marraine contrairement au bruit qui a couru. Nous pouvons malgré tout, la considérer comme sa marraine littéraire au vu des conseils poétiques et de l’aide concrète qu’elle lui a prodiguée dans sa vie. Certains considèrent que François Rollinat étant un ami proche de George Sand, elle lui aurait suggéré d’appeler son deuxième fils Maurice (id., p 52), prénom qui lui était cher, lui rappelant son bisaïeul Maurice de Saxe, son père Maurice Dupin et prénom qu’elle avait choisi pour son fils mais ceci reste une hypothèse. Par contre il est sûr que Maurice Rollinat a rencontré George Sand dans son enfance car son père allait régulièrement la voir et emmenait son fils Maurice.

Dans un agenda, George Sand note le souvenir, d’une visite de François Rollinat et de son fils Maurice âgé de onze ans, à Gargilesse, le 19 octobre 1858. Elle désigne l’enfant comme « le Moricot à Roll ». Ils se promènent, ramassent des champignons. Maurice et son père repartent le soir, à dos de jument vers Bel-Air. (id., p. 59)

Le véritable paradis de son enfance est Bel-Air, vaste demeure campagnarde que son père avait acquise en 1850, à Buret, sur le territoire de la commune de Ceaulmont, non loin d’Argenton-sur-Creuse. (id., p. 55) Maurice Rollinat séjourne là, avec son père et conserve le souvenir de promenades heureuses dans la campagne. Ils rejoignent aussi par un petit chemin, les bords de la Creuse pour aller à la pêche.

Dès son enfance, Maurice Rollinat a le goût de la poésie (id., p. 60) et nous avons des poèmes écrits d’une manière appliquée, à l’encre violette sur des cahiers d’écolier. La première esquisse de poème que nous connaissons de lui, est datée du 19 septembre 1856, donc à l’âge de neuf ans et demi. Elle est écrite sur un petit bout de papier de 6 sur 8 cm ; elle est constituée de deux quatrains. Bien sûr, il est difficile de savoir si Maurice Rollinat a été guidé par un adulte ou si cet écrit est de lui, bien qu’une faute d’orthographe dans le deuxième quatrain (« rozée » pour « rosée ») et la simplicité de la composition (ex : deux rimes en conjugaison de verbe en « ais ») peuvent nous faire pencher pour une création personnelle :

« Comme une douce mélodie
Au fond du cœur quand j’écoutais,
Vouloir l’espérance chérie
C’était sa voix que j’entendais.

Souvenir, fleur de la pensée,
Doux parfum, prête à mes accents,
Ton charme et comme une rozée
Sur mon front, du ciel, oh descends. » (coll. particulière)

Dans sa famille, Maurice fut un petit enfant aimant son père et sa mère. Son amour filial ne fait plus de doutes après avoir lu quelques écrits de lui, de cette époque. Dans un de ses poèmes d’écolier, il écrit à sa mère :

« Dédié â ma mêre pour sa fête

Mêre, je prends ma lyre, et je mêle ma voix

aux suaves accords qui coulent sous mes doigts

comme une eau pure et cristalline ;

(…)

Votre fête ! voilà ce qui me rend joyeux !...

(…)

soyez heureuse noble femme !...

Si je puis recevoir le fameux parchemin

que tout écolier brule d’avoir en main,

je viendrai l’offrir â ma mère !...

Et nous verrons Emile arriver â son tour

Déposer â vos pieds son cœur et son amour,

sa tendresse vive et sincère. » (collection particulière)

Il rédige un poème de la même écriture, en l’honneur de son père, pour sa fête, de connivence avec sa mère. « Dédié à mon père pour sa fête, de concert avec maman ». C’est un poème plus construit de six strophes de six vers, alternant dans chaque strophe, deux vers de douze syllabes, un vers de huit, deux de douze, un de huit. Voici la fin :

« Pêre soyez béni ! que le ciel vous protège !

que jamais le malheur, sombre, ne vous assiège !...

puissiez vous être heureux toujours !...

La-bâs dans sa caserne, Emile, mon bon frêre,

murmure en ce moment une même prière…

Il vous souhaite de longs jours ! » (collection particulière)

Nous retrouvons dans ses lettres de jeunesse, d’autres poèmes dont « Ballade de la petite Rose et du petit Bluet » qui sera publiée dans Les Névroses, avec très peu de différences (pp. 178 et 179).

À l’école, Maurice Rollinat aime la fantaisie, les exercices physiques et montre une sensualité précoce. (Régis Miannay, op. cit., p. 59) Il commence ses études dans un établissement religieux, l’école Saint-Pierre, aujourd’hui école Léon XIII. Il aime rire ; la musique l’attire déjà. Son talent est remarqué. Il accompagne les chants à l’harmonium et chante de gaies ritournelles à la mode, parfois profanes et pas toujours dans les goûts de ses supérieurs et de certaines bonnes âmes. Suite à des plaintes, il est démis de ses fonctions d’organiste. (id., p 59) À partir de la quatrième, il va au Lycée impérial. Il est un élève moyen remarqué en latin et en récitation classique.

Il est donc indéniable que Maurice Rollinat dans son enfance a déjà en germe, ses principaux traits de caractère qui seront les bases de son talent d’artiste : l’amour de la poésie et de la musique, le goût pour le théâtre, la mise en scène, le rêve, la fantaisie, une sensualité précoce, une imagination ardente (id., p. 53). De plus, la pêche, les promenades dans la campagne, plaisirs simples de son enfance, seront pour lui, des ressources inépuisables qui lui serviront de refuges dans sa vie tourmentée.

Avec le temps, nous savons qu’il s’éloignera de sa mère et deviendra plus proche de son père mais les liens affectifs avec sa famille perdurent comme en témoigne une lettre chaleureuse de trois pages de sa tante et marraine, Emma Didion, du 3 juin 1861, quand il avait quinze ans. Elle commence par : « Mon cher Petit Maurice (…) », se termine par « Encore un bon baiser ! Ta tante qui t’aime bien ! Emma ». Réciproquement, même lorsqu’il sera à Paris, Maurice Rollinat commencera toujours ses lettres par « Ma chère maman » et les terminera par un petit mot affectueux personnalisé pour elle et régulièrement pour ses tantes.

Dès 1864, son père confie que Maurice est poète mais qu’il a beaucoup d’efforts à faire tant il a l’esprit vagabond, capricieux, fantasque, déjà blasé (…). (Régis Miannay, op. cit., p. 60) Même lorsqu’il quitte l’enfance, il continue d’écrire des poèmes comme par exemple à dix-sept ans, en classe de rhétorique, au lycée impérial. (id., p 82)

En 1865, à dix-neuf ans, il est bachelier ès lettres (id., p. 60) et s’intéresse à Virgile, La Fontaine, Horace, Lamartine, Musset, Byron, Goethe (id., p. 61) et tant d’autres qu’il aime lire et citera dans ses lettres et poèmes comme dans « La Fontaine ».

LA FONTAINE

A Georges Charpentier.

La fontaine du val profond

Luit au bas des vieilles tourelles

Dont les toitures se défont

Et dont les girouettes grêles

Vont et viennent, viennent et vont.

Jamais la mousse de savon

N’a troublé ses plissements frêles :

Elle est limpide jusqu’au fond,

La fontaine.

Sur ses bords les saules me font

Des éventails et des ombrelles ;

Et là, parmi les sauterelles,

J’arrête mon pas vagabond

Pour lire Virgile et le bon

La Fontaine.

(Les Névroses, p. 159) (Le Livre de la Nature, p. 40)

 

Sa vision de l’enfance dans ses écrits :

Maurice Rollinat a écrit très peu de poèmes sur le thème de l’enfance mais ils sont caractéristiques de son œuvre et étonnants. Il ne parle pas de bonheur ni de tendresse entre une mère et un enfant. Il décrit des enfants malheureux par la pauvreté, le froid, l’isolement, d’autres qui jouent le rôle de parents avant l’âge ou qui effraient les gens par leur aspect misérable. Dans Paysages et paysans, nous pouvons citer « La Petite Sœur » (pp. 13 à 18), « Frère et Sœur » (p. 57), « Croissez et multipliez » (p. 77 à 79), « Le Miracle » (pp. 96 à 102), « L’Enfant embourbé » (p. 270).

Nous découvrons « La Petite Sœur », frêle enfant qui porte son petit frère trop lourd pour elle. Elle essaie de le distraire, l’embrasse, le chatouille, le berce, lui parle pour le consoler comme une petite mère attentive. C’est un vrai tableau de maternité avant l’âge. Le poète nous les présente en symbiose avec la nature et les animaux, l’automne, le ciel, les marais, les roseaux, la truie près de ses douze petits, un lézard, une chienne :

LA PETITE SŒUR

 En gardant ses douze cochons
Ainsi que leur mère qui grogne,
Et du groin laboure, cogne,
Derrière ses fils folichons,

La sœurette, bonne d’enfant,
Porte à deux bras son petit frère
Qu’elle s’ingénie à distraire,
Tendre, avec un soin émouvant.

C’est l’automne : le ciel reluit.
Au long des marais de la brande
Elle va, pas beaucoup plus grande,
Ni guère plus grosse que lui.

Ne s’arrêtant pas de baiser
La petite tête chenue,
Sa bouche grimace, menue,
Rit à l’enfant pour l’amuser.

Elle lui montre le bouleau ;
Et lui dit : « Tiens ! la belle glace ! »
Et le tenant bien, le déplace
Pour le pencher un peu sur l’eau.

Et puis, par elle sont épiés
Tous les désirs de ses menottes ;
Elle chatouille ses quenottes,
Elle palpe ses petits pieds.

Sa chevelure jaune blé
Gazant son œil bleu qui l’étoile,
Contre le soleil fait un voile,
Au baby frais et potelé.

Ils sont là, parmi les roseaux,
Dans la Nature verte et rousse,
Au même titre que la mousse,
Les insectes et les oiseaux :

Aussi poétiques à l’œil,
Vénérables à la pensée !
Double âme autant qu’eux dispensée
De l’ennui, du mal et du deuil !

Par instants, un petit cochon,
Sous son poil dur et blanc qui brille,
Tout rosâtre, la queue en vrille,
Vient vers eux d’un air drôlichon.

Il s’en approche, curieux,
Les lorgne comme deux merveilles,
Et repart, ses longues oreilles
Tapotant sur ses petits yeux.

Et puis, c’est un lézard glissant,
Ou leur chienne désaccroupie,
Eternuant, tout ébaubie,
Pendant son grattage plaisant.

Alors la sœur dit au petiot
Dont l’œil suivait un vol de mouche :
« Regarde-la donc qui se mouche
« Et qui s’épuce – la Margot ! »

Au souffle du vent caresseur
Chacun fait son bruit monotone ;
Ce qu’elle dit – ce qu’il chantonne :
Même vague et même douceur !

Entre des vols de papillons
Leur murmure plein d’indolence
S’harmonise dans le silence
Avec la chanson des grillons.

Mais le marmot que le besoin
Gouverne encore à son caprice
Crie et réclame sa nourrice
En agitant son petit poing.

Ses pleurs sont à peine séchés
Qu’il en reperle sur sa joue...
La sœurette lutine et joue
Avec ces chagrins si légers.

À mesure qu’il geint plus fort,
Que davantage il se désole,
Sa patience le console
Avec plus de sourire encor.

Le tourment de l’enfant navré
A grossi les larmes qu’il verse…
Elle le berce – elle le berce,
Le pauvre tout petit sevré !

Elle l’appelle « son Jésus ! »
Le berce encore et lui reparle,
Tant qu’elle endort le petit Charle,
Mais l’âge reprend le dessus.

Elle est fatiguée, elle a faim.
Elle va comme une machine,
Renversant un peu son échine
Sous ce poids trop lourd à la fin.

L’enfant recommence à crier :
Sa sœur met sa force dernière
A le porter – taille en arrière
Que toujours plus on voit plier.

C’est temps qu’il ne dise plus rien !
Sur sa capote elle le pose,
Et pendant qu’il sommeille, rose,
Elle mange auprès, va, revient,

D’un pied mutin, vif et danseur.
Et quand le petiot se réveille,
Il retrouve toujours pareille
La Maternité de sa sœur.

(Paysages et paysans, pp. 13 à 18)

Dans « Frère et Sœur », les enfants marchent dans le soir et ont peur de l’orage puis ils vont s’endormir en plein air sous un arbre et Maurice Rollinat fait ressortir leur petitesse dans l’immense univers : « Sommeillant la main dans la main, / Si petits sous les si grands arbres ! »

FRÈRE ET SŒUR

Frère et sœur, les petiots, se tenant par la main,

Vont au rythme pressé de leurs bras qu’ils balancent ;

Des hauteurs et des fonds de grands souffles s’élancent,

Devant eux le soir lourd assombrit le chemin.

Survient l’orage ! avec tout l’espace qui gronde,

Avec le rouge éclair qui les drape de sang,

Les barbouille de flamme en les éblouissant ;

Enfin, la nuit les perd dans la forêt profonde.

Ils ont peur des loups ! mais, bientôt,

Ils s’endorment. Et, de là-haut,

La lune qui verdit ses nuages de marbre

Admire en les gazant ces deux êtres humains

Sommeillant la main dans la main,

Si petits sous les si grands arbres !

(Paysages et paysans, p. 57)

Dans « Le Miracle », pas de mère attentive à son enfant, Rollinat décrit la misère, la femme accroupie, le nourrisson presque sans souffle, la mauvaise paillasse, plus de pain, plus de lait, le givre, la solitude, l’attente de la mort comme une délivrance.

Dans « L’Orphelin » (La Nature, pp. 225 à 227), c’est encore la mort qui a le premier rôle à côté du père qui n’est plus là et de l’enfant qui va sur la tombe « sans comprendre ». Nous pouvons penser que la mort de son père le hante encore alors qu’il ne trouve pas la compensation escomptée auprès de sa mère très stricte. La tendresse maternelle, il la décrit chez les animaux avec des poèmes de toute beauté comme « La Biche » ou « Le petit renardeau » dont nous parlerons plus loin.

Dans « L’Enfant embourbé » (Paysages et paysans, p. 270), Maurice Rollinat présente le cadre du tableau puis l’enfant paniquant, hurlant d’effroi car ses pieds s’enfoncent peu à peu « Dans la grande plaine de vase ». Pourquoi Rollinat choisit-il de décrire l’enfant misérable, s’envasant ? Est-ce par besoin de morbide, de fantastique ou parce qu’il se retrouve dans l’enfant malheureux ? Je pense que nous ne pouvons pas donner de réponse absolue à cette question. Il ressent souvent angoisse, mal d’être et c’est certainement pour lui une manière de s’en décharger.

Dans « Les deux petits frères », c’est une scène de retour d’école dans la simplicité de la vie quotidienne qui intéresse Rollinat.

LES DEUX PETITS FRÈRES

Ils s’en reviennent de l’école,
Un livre dans leur petit sac.
– Au loin, on entend le ressac
De la Creuse qui dégringole.

L’aîné rapporte une bricole,
De la chandelle et du tabac.
Ils s’en reviennent de l’école,
Un livre dans leur petit sac.

Mais la nuit vient ; dans sa rigole
La grenouille fait son coac,
Et tous les deux, ayant le trac
Et tirant leur pied qui se colle,
Ils s’en reviennent de l’école.

(Dans les Brandes, pp. 232 et 233) (Le Livre de la Nature, p. 16)

Dans « Les Petits Endormis » (La Nature, pp. 80 et 81), Maurice Rollinat décrit deux êtres en paix, « Le petit pauvre et le petit lézard ». La nature prend peu à peu sa place à côté de ces deux êtres immobiles et il faut attendre la chute finale pour comprendre ce que peu à peu l’on devine, ils ont été touchés tous les deux par la mort au passage de l’orage. Au lieu d’un drame, nous avons l’impression de vivre une scène paisible comme si la mort était un soulagement pour ces « mignonnets frileux ».

Dans « Enfants bizarres » (En Errant, pp. 101 à 106), contrairement aux apparences premières, les enfants mettent en scène la mort comme au théâtre. Rollinat a l’art de présenter cette description, les enfants très sérieux dans leur rôle. Il sait nous faire attendre pour nous révéler peu à peu le vrai but de leur jeu.

Dans Ruminations, livre en prose qui récapitule l’ensemble de ses pensées à la fin de sa vie, Maurice Rollinat nous donne des aspects philosophiques concernant sa manière de voir le côté fragile de l’enfance :

« Un tout petit enfant pauvre, tenant dans sa fragile menotte une tremblottante violette, n’est-ce pas vraiment deux fleurettes sœurs, appareillées en grâce mélancolique, pour vous parfumer en même temps de leur si humble innocence ? » (Ruminations, pp 28 et 29)

Dans un deuxième extrait, il nous explique pourquoi il croit en l’enfant intelligent : « La preuve que les enfants ont des idées qui s’enchaînent et auxquelles ils savent donner une forme précise, c’est que, vous ayant posé à brûle-pourpoint de subtiles questions qui vous embarrassent – et ils s’en rendent compte ! – ils se font un malin plaisir de les pousser plus avant pour vous embarrasser davantage. » (id., p. 186)

Dans « Les petits Fauteuils » (Les Névroses, p 220 à 222), nous avons une description de deux bébés jumeaux ce qui est très rare dans l’œuvre de Rollinat. Ils sont décrits en union avec la nature mais ont un aspect banal à côté de la nature mise à l’honneur avec le minet, les fleurs, lézard, liseron, zéphyr, poule, crépuscule, tableau champêtre par petites touches.

LES PETITS FAUTEUILS

A Albert Delpit

Assis le long du mur dans leurs petits fauteuils,
Les deux babys chaussés de bottinettes bleues,
Regardent moutonner des bois de plusieurs lieues
Où l’automne a déjà tendu ses demi-deuils.

Auprès du minet grave et doux comme un apôtre,
Côte à côte ils sont là, les jumeaux ébaubis,
Tous deux si ressemblants de visage et d’habits
Que leur mère s’y trompe et les prend l’un pour l’autre.

Aussi, sur le chemin, la bergère en sabots
S’arrête pour mieux voir leurs ivresses gentilles
Qu’un barrage exigu, fixé par deux chevilles,
Emprisonne si peu dans ces fauteuils nabots.

Avec l’humidité de la fleur qu’on arrose,
Leur bouche de vingt mois montre ses dents de lait,
Ou se ferme en traçant sur leur minois follet
Un accent circonflexe adorablement rose.

Leurs cheveux frisottés où la lumière dort
Ont la suavité vaporeuse des nimbes,
Et, sur leurs fronts bénis par les anges des limbes,
S’emmêlent, tortillés en menus crochets d’or.

Parfois, en tapotant de leurs frêles menottes
La planchette à rebords où dorment leurs pantins,
Ils poussent des cris vifs, triomphants et mutins,
Avec l’inconscience exquise des linottes.

Tout ravis quand leurs yeux rencontrent par hasard
La mouche qui bourdonne et qui fait la navette,
On les voit se pâmer, rire, et sur leur bavette
Saliver de bonheur à l’aspect d’un lézard.

En inclinant vers eux ses clochettes jaspées,
Le liseron grimpeur du vieux mur sans enduit
Forme un cadre odorant qui bouge et qui bruit
Autour de ces lutins en robes de poupées.

Et tandis que venu des horizons chagrins,
Le zéphyr lèche à nu leurs coudes à fossettes,
L’un s’amuse à pincer ses petites chaussettes,
Et l’autre, son collier d’ivoire aux larges grains.

La poule, sans jeter un gloussement d’alarme,
Regarde ses poussins se risquer autour d’eux,
Et le chien accroupi les surveille tous deux
D’un œil mélancolique où tremblote une larme.

La campagne qui meurt parait vouloir mêler
Son râle d’agonie à leurs frais babillages ;
Maint oiselet pour eux retarde ses voyages,
Et dans un gazouillis semble les appeler.

Le feuillage muet qui perd ses découpures,
En les voyant, se croit à la saison des nids ;
Et la flore des bois et des étangs jaunis
Souffle son dernier baume à leurs narines pures.

Mais voilà que chacun, penchant son joli cou,
Ferme à demi ses yeux dont la paupière tremble ;
Une même langueur les fait bâiller ensemble
Et tous deux à la fois s’endorment tout à coup :

Cependant qu’au-dessus de la terre anxieuse
Le soleil se dérobe au fond des cieux plombés
Et que le crépuscule, embrumant les bébés,
Verse à leur doux sommeil sa paix silencieuse.

(Les Névroses, pp. 220 à 222)

Dans le poème « La petite Souris », l’animal a la première place, alliant fraîcheur de la description et vivacité de l’action tandis que le bébé « rose et chenu » n’est pas attirant ; il « bave ». De toute évidence, à cette époque, Maurice Rollinat n’a pas la fibre paternelle.

LA PETITE SOURIS

La petite souris blanchette
Glisse d’un pas bref et menu
Autour du bébé presque nu
Qui gigote sur sa couchette.

Et tandis que sur sa manchette
L’enfant bave, rose et chenu,
La petite souris blanchette
Glisse d’un pas bref et menu.

Crac ! la voilà sur la planchette
A deux doigts du frêle ingénu !
Mais le chat noir est survenu :
Elle rentre dans sa cachette,
La petite souris blanchette.

(Les Névroses, p. 169) (Le Livre de la Nature, p. 9)

 

Les poèmes que Maurice Rollinat a écrits pour les enfants

Maurice Rollinat en vieillissant, ressent-il alors un peu de nostalgie à ne pas avoir eu d’enfants ? En tout cas, il décide de rassembler des poèmes de ses différents livres, principalement autour de la nature et des animaux, pour les enfants et de les réunir dans un recueil, Le Livre de la Nature, paru en 1893. Ce livre sera publié ensuite plusieurs fois, par exemple en partie dans Choix de poésies du livre de la nature. Cet ensemble servira de base dans les écoles et les poèmes de Rollinat seront appris par les écoliers pendant toute la première partie du XXème siècle. De nombreuses personnes connaissent encore par cœur certains poèmes dont « La Biche », « Ballade du vieux Baudet », « Le petit Renardeau » et tant d’autres.

Pour préfacer son livre, il a choisi une lettre de George Sand qui l’a conseillé sur son chemin de poésie en particulier auprès des enfants :

« Eh bien, mon enfant, voici ce que je ferais si j’étais poète : excepté les Fables de La Fontaine, il n’y a pas de pièces de vers pour les enfants. Il est très bon, dès qu’ils savent parler, d’exercer leur mémoire, d’assurer leur prononciation, de les habituer aux idées et aux paroles qui ne sont pas de leur vocabulaire familier, de leur apprendre que la poésie existe et que c’est une expression au-dessus de l’expression habituelle. (…) les enfants sont frappés de ce que leur apprend en rythme et en rime, beaucoup plus que de ce qu’on leur dit en prose.

« Un recueil de vers pour les enfants de six à douze ans, en ayant soin d’entremêler sans confondre les degrés. – Je m’explique. Tous les enfants de six ans ne liraient pas les pièces destinés aux enfants de douze ans, et vice-versa ; (…) De cette façon chaque degré de l’intelligence trouverait son compte, et le livre serait une nourriture pour les années du développement.

« Je dis qu’un tel livre aurait un succès populaire s’il était réussi. C’est très difficile, plus difficile que tout ce qu’on peut se proposer en littérature. (…) Et pourtant l’enfant aime le grand et le beau, pourvu qu’on les lui donne sous la forme nette et sans ficelle aucune. Il s’intéresse à tout, et ne demande qu’à voir sous la forme poétique les objets de son incessant amusement.

« Le poète n’a qu’à montrer. Il est l’Orphée qui remue les pierres ; il lui suffit de chanter, et tout chante dans l’âme de l’enfant. Tu n’es pas si loin de l’enfance. Souviens-toi ce que tu remarquais, ce que tu devinais, ce que ton père te faisait voir, et comme une expression bien choisie par lui, te faisait entrer dans un monde nouveau.

« Depuis l’insecte jusqu’à l’éléphant, depuis le myosotis jusqu’au cèdre, le poète a le domaine de l’infini, et chaque jour il initie ; (…)

« Essaye, et si tu réussis, tu auras fait une grande chose ; cela ne doit pas être bâclé vite, mais mûri et gesté sérieusement.

« Sur ce, fais ce que tu voudras de mon conseil, je le crois bon, voilà pourquoi je te l’offre, en t’embrassant.

George Sand.

Nohant, 1872. »

(Le Livre de la Nature, pp. 5 à 7)

Maurice Rollinat décrit les animaux dans l’intimité de leur cadre de vie. Ils sont naturels, spontanés, animés de mouvement et de sentiments dont la tendresse. Nous en choisirons quelques exemples. Pour le côté maternel, les poèmes « la Biche », « Le Minet », « Le Poulain », « Le petit renardeau » sont significatifs car ils reflètent tendresse et émotion, force du lien et échange entre une mère et son enfant. Le moment de la tétée, les premières séparations sont des moments intenses reflétant la réciprocité de l’amour entre le petit et sa mère.

LA BICHE

La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.

Pour raconter son infortune
A la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.

Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux !
Et le cou tendu vers les cieux,
Folle d’amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.

(Les Névroses, p. 219) (Le Livre de la Nature, p. 30)

 

LE MINET

Il tète avec avidité
Et se cogne au sein qu’il enlace ;
Puis, lorsque sa nourrice est lasse,
Il dort sur son ventre ouaté.

Pour le minet doux et futé
C’est un lit que rien ne remplace !
Il tète avec avidité
Et se cogne au sein qu’il enlace.

Quand il s’est bien lissé, gratté,
Pris la queue et vu dans la glace,
Après ses tournements sur place
Et ses petits sauts de côté,
Il tète avec avidité.

(Les Névroses, p. 168) (Le Livre de la Nature, p. 13)

 

LE POULAIN

Tout seul dans ces prés frais et creux comme des caves,
Le poulain a si soif de sa mère jument
Que dans l’effort brutal et fou de son tourment
Il a rompu l’anneau de ses lourdes entraves.

La nuit s’approche, – ainsi que d’informes épaves
Glissant au fil de l’eau silencieusement,
Des nuages laineux rampent au firmament
Et les arbres déjà prennent des airs plus graves.

Le poulain scrute un coin du morne horizon clos :
Mufle et crinière au vent, immobile, il écoute.
Soudain, il a bondi vers un bruit de grelots,

Et, vite, il a rejoint, comme la lune a lui,
Sa mère qui non moins inquiète de lui
Halte court, et le fait téter là sur la route.

(La Nature, pp. 310 et 311) (Le Livre de la Nature, p. 48)

 

LE PETIT RENARDEAU

Au bord de l’étang, le petit renardeau
Suit à pas de loup sa mère la renarde,
Qui s’en va guettant, sournoise et goguenarde,
Le canard sauvage ou bien la poule d’eau.

– Des nuages bruns couvrent d’un noir bandeau
Le soleil sanglant que l’âpre nuit poignarde.
Au bord de l’étang, le petit renardeau
Suit à pas de loup sa mère la renarde.

Sur un bois flottant qui lui sert de radeau,
Soudain la rôdeuse en tremblant se hasarde ;
Et moi, curieux et ravi, je regarde,
Caché par les joncs comme par un rideau,
Au bord de l’étang le petit renardeau.

(Dans les Brandes, p. 212) (Le Livre de la Nature, p. 17)

Dans Les Névroses, dans le chapitre « Les refuges », de nombreux poèmes sont adaptés aux enfants dont « Les Fils de la Vierge » (Les Névroses, p. 151), « Ballade de la reine des Fourmis et du roi des Cigales » (id., pp. 156 et 157), « Le Liseron » (id., p. 164).

Décrire simplement la beauté dans sa simplicité, peut être une pure merveille comme l’eau de la source, sous la plume du poète comme dans « Le Martin-Pêcheur » ou « Le Liseron » :

 

LE MARTIN-PÊCHEUR

A Henri Oulevay.

Le miroitement des eaux vives
Attire le Martin-Pêcheur
Qui fend la brume et la blancheur
Mieux que les merles et les grives.

Entre les grands saules des rives,
Au bord du ruisseau rabâcheur,
Le miroitement des eaux vives
Attire le Martin-Pêcheur,

Et sous les ramures plaintives,
Dans le soleil, dans la fraîcheur,
Il file, ce joli chercheur,
Rasant de ses lueurs furtives
Le miroitement des eaux vives.

(Les Névroses, p. 206) (Le Livre de la Nature, p. 39)

 

LE LISERON

A Alfred Prunaire.

Le liseron est un calice
Qui se balance à fleur de sol.
L’éphémère y suspend son vol
Et la coccinelle s’y glisse.

Le champignon rugueux et lisse
Parfois lui sert de parasol ;
Le liseron est un calice
Qui se balance à fleur de sol.

Or, quand les champs sont au supplice,
Brûlés par un ciel espagnol,
Il tend toujours son petit bol
Afin que l’averse l’emplisse :
Le liseron est un calice.

(Les Névroses, p. 164) (Le Livre de la Nature, p. 379)

Maurice Rollinat a l’art du rythme entraînant, sautillant comme dans « L’écureuil » ou « Ballade du vieux Baudet » qui était apprise dans les écoles et plaisait beaucoup avec son refrain « Il se mettait à braire et redressait l’oreille » (une personne vient de m’en parler récemment).

BALLADE DU VIEUX BAUDET

A Madame Jenny Vialon.

En automne, à cette heure où le soir triomphant
Inonde à flots muets la campagne amaigrie,
Rien ne m’amusait plus, lorsque j’étais enfant,
Que d’aller chercher l’âne au fond d’une prairie
Et de le ramener jusqu’à son écurie.
En vain le vieux baudet sentait ses dents jaunir,
Ses sabots s’écailler, sa peau se racornir :
A ma vue il songeait aux galops de la veille,
Et parmi les chardons commençant à brunir
Il se mettait à braire et redressait l’oreille.

Alors je l’enfourchais et ma blouse en bouffant
Claquait comme un drapeau dans la bise en furie
Qui, par les chemins creux, tantôt m’ébouriffant,
Tantôt me suffoquant sous la nue assombrie,
Déchaînait contre moi toute sa soufflerie.
Quel train ! Parfois ayant grand’ peine à me tenir,
J’aurais voulu descendre ou pouvoir aplanir
Ses reins coupants et d’une âpreté sans pareille ;
Mais lui, fier d’un jarret qui semblait rajeunir,
Il se mettait à braire et redressait l’oreille.

Nous allions ventre à terre, et l’églantier griffant,
Les ajoncs, les genêts, la hutte rabougrie,
Les mètres de cailloux, le chêne qui se fend,
La ruine, le roc, la barrière pourrie
Passaient et s’enfuyaient comme une songerie.
Et puis nous approchions : plus qu’un trot à fournir !
Dans l’ombre où tout venait se confondre et s’unir,
L’âne flairait l’étable avec son mur à treille,
Et sachant que sa course allait bientôt finir,
Il se mettait à braire et redressait l’oreille.

ENVOI.

Du fond de ma tristesse entends-moi te bénir,
O mon passé ! – Je t’aime, et tout mon souvenir
Revoit le vieux baudet dans la brume vermeille,
Tel qu’autrefois, lorsqu’en me regardant venir
Il se mettait à braire et redressait l’oreille.

(Les Névroses, pp. 175 et 176) (Le Livre de la Nature, pp. 62 et 63)

 

L’ÉCUREUIL

Le petit écureuil fait de la gymnastique
Sur un vieux chêne morne où foisonnent les guis.
Les rayons du soleil, maintenant alanguis,
Ont laissé le ravin dans un jour fantastique.

Le paysage est plein de stupeur extatique ;
Tout s’ébauche indistinct comme dans un croquis.
Le petit écureuil fait de la gymnastique
Sur un vieux chêne morne où foisonnent les guis.

Tout à l’heure, la nuit, la grande narcotique,
Posera son pied noir sur le soleil conquis ;
Mais, d’ici là, tout seul, avec un charme exquis,
Acrobate furtif de la branche élastique,
Le petit écureuil fait de la gymnastique.

(Dans les brandes, pp. 155 et 156) (Le Livre de la Nature, p. 14)

Dans « Les dindons », nous côtoyons Maurice Rollinat humoriste comme avec « béats comme des rentiers » et nous avons l’impression de retrouver ces volatiles dans la spontanéité de leurs mimiques comiques dans leurs vies de chaque jour, de même dans « L’écrevisse ».

LES DINDONS

Ils vont la queue en éventail,
A la file, par les sentiers,
Glougloutinant des jours entiers :
Aux champs, c’est le menu bétail.

Doux pèlerins, sans attirail,
Et béats comme des rentiers,
Ils vont la queue en éventail,
A la file, par les sentiers.

Parfois pour caravansérail
Ils ont de grands jardins fruitiers,
Et là, prenant des airs altiers,
Sans redouter l’épouvantail,
Ils vont la queue en éventail.

(Dans les Brandes, pp. 141 et 142) (Le Livre de la Nature, p. 29)

 

L’ÉCREVISSE

Elle voyage à sa façon
Autour d’un petit rocher maigre ;
Son ruisseau, chuchoteur allègre,
Est caché par un grand buisson.

Tandis qu’un merle polisson
Raille un pivert à la voix aigre,
Elle voyage à sa façon
Autour d’un petit rocher maigre.

Et, lente comme un limaçon,
Noire comme la peau d’un nègre,
Narguant le poivre et le vinaigre,
Et le rouge de la cuisson,
Elle voyage à sa façon.

(Dans les brandes, pp. 147 et 148) (Le Livre de la Nature, p. 15)

Rollinat aime vraiment les animaux. D’ailleurs comment pourrait-il les décrire avec tant d’art sans les aimer ? « Mon Chien Pistolet » est certainement le meilleur exemple mais aussi plus simplement « La chèvre » :

LA CHÈVRE

Ma bonne chèvre limousine,
Gentille bête à l’œil humain,
J’aime à te voir sur mon chemin,
Loin de la gare et de l’usine.

Toi que la barbe encapucine.
Tu gambades comme un gamin,
Ma bonne chèvre limousine,
Gentille bête à l’œil humain.

Je vais à la ferme voisine,
Mais je te jure que demain
Tu viendras croquer dans ma main
Du sucre et du sel de cuisine,
Ma bonne chèvre limousine.

(Dans les brandes, pp. 202 et 203) (Le Livre de la Nature, p. 18)

Maurice Rollinat laisse aussi une très grande place à la nature à l’état pur en communion avec l’eau comme dans « Les Fils de la Vierge », « La Mousse », « La Fontaine ».

LES FILS DE LA VIERGE

A Louis Brechemin.

Bons petits cheveux si légers,
Jolis petits fils de la Vierge,
Vivent l’air pur qui vous héberge
Et la route où vous voyagez !

Suspendez-vous dans les vergers,
Flottez sur l’onde et sur la berge,
Bons petits cheveux si légers,
Jolis petits fils de la Vierge !

Les chevrettes et les bergers,
Le peuplier droit comme un cierge,
Le vieux château, la vieille auberge,
Tout sourit quand vous voltigez,
Bons petits cheveux si légers !

(Les Névroses, p. 151) (Le Livre de la Nature, p. 12)

 

LA MOUSSE

A Hippolyte Charlemagne.

La mousse aime le caillou dur,

La tour que la foudre électrise,

Le tronc noueux comme un fémur

Et le roc qui se gargarise

Au torrent du ravin obscur.

Elle est noire sur le vieux mur,

Aux rameaux du chêne elle est grise,

Et verte au bord du ruisseau pur,

La mousse.

Le matin, au temps du blé mûr,

Ce joli végétal qui frise

Souffle un parfum terreux qui grise ;

Il boit les larmes de l’azur,

Et le papillon vibre sur

La mousse.

(Les Névroses, p. 182)

 

Nous ne pouvons pas rester indifférents devant ces descriptions fines et minutieuses qui témoignent de l’amour de Rollinat pour la nature. À l’écoute du battement de la vie, il nous révèle une autre facette de sa création, toute de sensibilité et de délicatesse. Maurice Rollinat a indéniablement des liens poétiques avec de nombreux types d’« Enfances », la sienne, celle qu’il projette, venue des profondeurs de sa conscience et de son passé, celle qu’il transmet à tout âge de la vie, à travers la beauté de ses descriptions prises sur le vif. Restons réceptifs à cet hymne champêtre et paisible, facette de Rollinat que nous avons tendance à occulter mais qui est pourtant l’une des caractéristiques de son œuvre.

 

Décembre 2011 et janvier 2012

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Livres de Maurice Rollinat utilisés :

Rollinat Maurice, Les Névroses, G. Charpentier, Paris, 1883, 399 pages

Rollinat Maurice, Dans les Brandes, poèmes et rondels, G. Charpentier, Paris, 1883, 281 pages

Rollinat Maurice, La Nature, poésies, G. Charpentier et E. Fasquelle, Paris, 1892, 350 pages

Rollinat Maurice, Le Livre de la Nature, choix de poésies pour les enfants, Librairie Ch. Delagrave, Paris, 1893, 135 pages

Rollinat Maurice, Paysages et Paysans, poésies, Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, 1899, 332 pages

Rollinat Maurice, En errant, proses d’un solitaire, Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, 1903, 325 pages

Rollinat Maurice, Choix de poésie du « Livre de la Nature », conçu et réalisé par Mary C. Mc Donnell, 1982, 88 pages

 

Autres documents :

Rollinat Maurice, Poèmes de jeunesse (collection particulière)

Didion Emma, Lettre à Maurice Rollinat en date du 3 juin 1861 (collection particulière)

 

Autres livres :

Miannay Régis, Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique, imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, 596 pages

 

 

NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.