(Cette conférence a été préparée pour la journée des Amis de Maurice Rollinat à la médiathèque de Châteauroux, le 20 mars 2021 - rencontre annulée du fait de la pandémie due au Covid-19.)
Le thème choisi pour le Printemps des poètes 2021 est le désir. Ce mot correspond à une multitude de sens et nous pouvons remarquer que beaucoup de gens choisissent ceux qui leur correspondent.
Selon Le Maxidico, le sens premier est la « perception de l’absence d’un objet, réel ou imaginaire, avec le sentiment que sa possession peut assurer le bonheur ou le plaisir ». Le second correspond à une « force qui anime quelqu’un et l’incline à réaliser ses aspirations ». Le troisième nous conduit à la « pulsion sexuelle qui pousse les humains à s’unir charnellement ».
Dans le Petit Larousse en couleurs, le désir est défini comme « action de désirer, sentiment de celui qui désire ; ce que l’on désire ». En psychanalyse, il s’agit d’une « force qui est le propre de l’ordre inconscient ».
Comment le désir se traduit-il chez Maurice Rollinat ?
Maurice Rollinat possède une volonté intense de se distinguer des autres par son talent littéraire et musical, d’envoûter son public, d’être connu et reconnu. Pour mieux comprendre la force de son désir, partons sur son chemin de création dans lequel seront inclus quelques repères biographiques.
À l’école, il a écrit des poèmes comme tout enfant. Nous pouvons déjà remarquer son talent en herbe et son sens de l’inventivité par exemple quand il s’écrie comme au théâtre : « Soyez heureuse noble femme ! » (Maurice Rollinat, Poèmes de jeunesse, page 14)
Dédié à ma mère pour sa fête Mère, je prends ma lyre, et je mêle ma voix comme une eau pure et cristalline ; Il semble que mon cœur se dilate aujourd’hui, plein d’une volupté divine. Votre fête ! voilà ce qui me rend
joyeux !... ce qui fait palpiter mon âme ; Mère, je vous souhaite un sort limpide et pur, Soyez heureuse noble femme !... Si je puis recevoir le fameux parchemin je viendrai l’offrir à ma mère !... Et nous verrons Emile arriver à son tour sa tendresse vive et sincère. |
Maurice Rollinat était aussi doué en musique puisqu’il a tenu avec brio, l’harmonium au lycée Léon XIII de Châteauroux jusqu’au jour où il a joué des airs populaires. Les élèves le savaient mais certaines mamans avaient reconnu les chansons.
Son père mort en 1867, souhaitait qu’il fasse ses études de droit à la faculté de Paris. Il s’y inscrit donc l’année suivante (1868) dans l’espoir aussi de se faire connaître en tant que poète car son désir de vivre de son art était déjà ancré en lui.
À cette époque, ses poèmes étaient très provocateurs (Régis Miannay, Maurice Rollinat, poète et musicien du fantastique, page 95). Vers 1870 – 1871, Maurice Rollinat dénonce « l’hypocrisie morale et politique ». (id.). Il exprime aussi sa soif ardente de « La Volupté » découvrant alors qu’il est lui aussi attiré par le mal :
LA VOLUPTÉ La matière humilie et se plaît à confondre Le chaste par la volupté, S’accommodant si bien à sa mysticité, Qu’il ne trouve rien à répondre. Les délires du cœur allant cogner aux cieux Leur rêve avide de pâture, Pour tout l’être à la fois sont moins délicieux Que les spasmes de la nature. Et, quoiqu’on fasse, quoiqu’on songe, Toujours on a cette surprise (Fin d’Œuvre, pages 67 et 68) |
Il tend vers l’érotisme (ex : « La fille de joie ») et l’horreur (ex : « L’Enterré vif ») comme un de ses auteurs préférés, Baudelaire. (Régis Miannay, op. cité, page 96) George Sand lui conseille plutôt de « se consacrer à une poésie civique et patriotique » car elle désapprouve sa tendance morbide (id., page 97). À cette période, il n’est pas prêt à recevoir ses conseils car l’intensité de son désir de devenir connu, le dévore, l’envahit d’un pessimisme profond comme dans « La promenade » écrite en mai 1871 dont voici le final :
A quoi me décider ? Ma pauvre âme qui souffre
Est un trop vaste gouffre
Pour jamais se combler.
Mourons ! Quittons un monde où le pauvre s’épouille
Morgue ! Attends ma dépouille
A ton hideux étal !
Mais non ! Je vis toujours, je vis quand même ! Lâche,
Frémis donc sans relâche
Sous ton remords fatal ».
(poème inédit, publié par Régis Miannay, op. cité, page 108)
Il échange des lettres avec des poètes connus dont Banville, Théophile Gautier et demande conseil à Barbey d’Aurevilly (Régis Miannay, op. cité, page 110). Il va dans les salons (telle celui de Nina de Villard), les brasseries, les cafés… Là, il rencontre des auteurs célèbres dont Charles Cros. (id., page 129)
En 1873, sur les conseils de George Sand, il écrit des poèmes sur la nature qui le feront aussi connaître. Ils resteront pour lui, un refuge. Il allie déjà avec talent l’art descriptif à une grande variété de composition même si des notes sombres ressurgissent encore comme dans sa « Ballade de l’arc-en-ciel » :
BALLADE DE L’ARC-EN-CIEL A François Captier La végétation, les marais et le sol Les champignons pointus gonflent leur parasol Tandis que dans l’air pur grisant comme l’alcool ENVOI. O toi, le cœur sur qui mon cœur s’est appuyé (Les Névroses, pages 128 et 129) |
Peu à peu, il côtoie les milieux parisiens. En 1878, il va aux Hydropathes. Ses poèmes paraissent dans les journaux dont le premier dans La Renaissance littéraire et artistique en 1873.
Il fréquente aussi les salons, les cabarets dont Le Chat Noir. Il a ses heures de gloire car son talent est reconnu mais aussi de grandes déceptions quand ses détracteurs remettent en cause son talent.
Dans sa soif de reconnaissance, il fait publier en 1877, à Paris, son premier livre, Dans les brandes qui ne sera pas vraiment connu, puis en 1883, après le succès de son deuxième livre, Les Névroses, l’éditeur Charpentier le publie à nouveau avec quelques changements. Là encore, il déploie son talent et son originalité à travers des scènes champêtres très vivantes, présentées de manière inhabituelle. Il lie étonnamment végétation, humains et animaux comme dès le début du poème « Les gardeuses de boucs » :
LES GARDEUSES DE BOUCS Près d’un champ de folles avoines Ondulent au zéphyr de grands coquelicots, Et noirs comme des moricauds. L’une tricote et l’autre file. Noirâtre et gigantesque entre les vieux donjons, Reluit dans un cadre de joncs. Plus loin dort, sous le ciel d’automne, Damier sempiternel aux cases de vert cru, Traverse, aussitôt disparu. (…) (Dans les brandes, pages 35 et 36) |
Revenons à son livre Les Névroses. Là encore, dans sa soif de créer pour se faire reconnaître, Maurice Rollinat nous emporte près de la beauté sauvage de la nature humanisée qu’il peut aussi doter de sentiments. Dans « La rivière dormante », il nous transmet les états d’âme de celle-ci, « chuchoteuse », côtoyant le mystique par exemple à travers l’expression « silence divin ». N’oublions pas que ce poète utilise alors avec art, les oxymores comme dans le final de ce poème à travers les mots « spectrale », « sourit », « ravin », « lune », « silence divin » dans le chapitre « Les refuges » de son livre Les Névroses. Il restera toute sa vie, un amoureux de la nature. Voici cet ensemble de quatorze quatrains liant beauté et tristesse.
LA RIVIÈRE DORMANTE. A Jean-Charles Cazin. Au plus creux du ravin où l’ombre et le soleil Plus d’un oiseau, dardant l’éclair de son
plumage, Descendu des sentiers tout sablés de mica, La lumière est partout si bien distribuée Sa mousse qui ressemble aux grands varechs des mers Ni courant limoneux, ni coup de vent profane : Pourtant cette liquide et vitreuse torpeur Du fond de ce grand puits qui la tient sous sa garde, Des galets mordorés et d’un aspect changeant Leurs nageoires qui sont rouges et dentelées Comme dans les ruisseaux clairs et torrentueux L’âme du paysage à toute heure voltige Et, sans qu’elle ait besoin des plissements furtifs Et quand tombe la nuit spectrale et chuchoteuse, (Les Névroses, pages 137 à 139) |
Maurice Rollinat a aussi été hypnotisé par le désir érotique de la chair, omniprésent dans le chapitre « Les Luxures » :
LA CHAIR La chair de femme sèche ou grasse Mystérieuse dans sa grâce, Pas un seul homme ne s’en lasse. (Les Névroses, page 80) |
Par ailleurs, dès sa jeunesse, Maurice Rollinat était captivé par le talent fantastique et morbide d’Edgar Poe. Il développe cette veine poétique dans le chapitre « Les spectres » de son livre Les Névroses. Les titres des poèmes à eux seuls suggèrent son attirance pour le sombre, le noir, « L’Amante macabre » (page 255), « Mademoiselle squelette » (page 259) ou encore :
LE SOMNAMBULE A Gustave Coquelin Le chapeau sur la tête et la canne à la main, Singulier promeneur, spectre et caricature, Soudain, à la lueur d’un éclair infernal, L’horreur emplit mon être et figea tout mon sang, (Les Névroses, page 268) |
N’oublions pas qu’il était aussi un compositeur et pianiste de talent. Quand en 1883, après ses heures de gloire, ses détracteurs l’assaillent ce qui est le lot de nombreux artistes de valeur, il ne peut l’accepter et fuit. Il se réfugie dans la campagne profonde à Fresselines dans la Creuse en septembre 1883. Trois ans après, il fait publier L’Abîme, expression intense de son mal d’être immense. Il crache alors sa rancœur contre ceux qui ne l’ont pas compris. Là encore, au plus profond du désespoir, il lui reste son désir d’écrire envers et contre tout.
L’AUBERGE A l’auberge de l’Égoïsme, D’abord il jette un froid secret. – « Encore un, grogne l’Intérêt, Quelques hélas au laconisme, (L’Abîme, pages 141 et 142) |
Il écrira toute sa vie des poèmes en alliance avec la musique. Ainsi, grâce à son désir de création, il continue son œuvre. Il trouve une certaine stabilité au contact de la nature et des petites gens qu’il décrit dans son livre La Nature (publié en 1892) :
LA VIEILLE La lumière s’est inclinée (La Nature, pages 323 à 325) |
Dans son livre Les Apparitions paru en 1896, Maurice Rollinat nous étonne, nous subjugue par la diversité de son élan créateur. Il nous fascine et ne nous lasse jamais. Il nous fait côtoyer spectres et vivants dont « Les sept veuves » (page 55), la nature avec « Effet de soleil couchant » (page 64), des objets devenant vivants comme « La montre » (page 72) et il garde toujours le désir de nous montrer nos travers par son art.
L’HOMME-FANTOME C’est le mort de l’indifférence : Il a délaissé l’espérance Il assimile gain, dépense, De tout son entour d’existence Son cœur pratique sa sentence : Qu’importe : voilà ce qu’il pense Son avenir ? du déjà rance ! Dans la suite ou l’incohérence Il estime la différence Inétonné des occurrences, L’universelle insouciance Machinal de la conscience, Démis, à force de souffrance, (Les Apparitions, pages 24 à 26) |
Dans Paysages et Paysans (1899), Maurice Rollinat vieillissant continue de mettre la nature à l’honneur comme dans « L’ile verte » (page 28) et aussi en lien avec ses habitants parlant en patois berrichon. Il leur donne la parole sans les enjoliver.
TROIS IVROGNES Au cabaret, un jour de grand marché forain, « R’bouteux, louv’tier, batteur d’étangs et de rivière, Menuisier, Avec tous ces états j’réussis qu’une affaire : M’ennuyer ! Arrangez ça ! d’un’ part, j’vois q’doutance et tromp’rie ; D’l’aut’ côté, J’trouv’ le mensong’ trop l’mêm’, l’existenc’ trop pourrie D’vérité. Oui ! j’cherche tant l’dessous de c’que j’touche, de c’que j’rêve Inqu’et d’tout, Que j’suis noir, idéal, mélancoliq’ sans trêve, Et partout. Donc, quand ça m’prend trop fort, j’sors du bois, j’quitt’ la berge, L’établi, Et, c’est plus fort que moi, ya pas ! j’rentre à l’auberge Boir’ l’oubli. C’est des fameus’ sorcièr’, allez ! les liqueurs fortes Cont’ les r’mords, Cont’ soi-mêm’, cont’ les autr’, cont’ la poursuit’ des mortes Et des morts ! Je m’change, à forc’ de t’ter le lait rouge des treilles, L’horizon ! Vive la vign’ pour brûler dans l’sang chaud des bouteilles La raison ! Étant saoul, j’os’ me fier à la femm’, c’t’infidèle Qui nous ment, R’garder la tombe avec mes yeux d’personn’ mortelle, Tranquill’ment. J’imagin’ que la vie éternellement dure, Et qu’enfin, La misèr’ d’ici-bas n’connaît plus la froidure Ni la faim. J’crois qu’i’ n’ya plus d’méchants, plus d’avar’, plus d’faussaires, Et j’suis sûr Q’l’épouse est innocent’, l’ami vrai, l’homm’ sincère, L’enfant pur. Terre et cieux qui, malgré tout c’que l’rêve en arrache, Rest’ discrets, M’découvr’ leurs vérités, m’crèv’ les yeux de c’qu’i’cachent De secrets. Allons, ris ma pensée ! Esprit chant’ ! sois en joie Cœur amer ! Que l’bon oubli d’moi-mêm’ mont’, me berce et me noie Comm’ la mer ! Plus d’bail avec l’ennui ! j’ai l’âm’ désabonnée Du malheur, Et, dépouillé d’mon sort, j’crache à la destinée Ma douleur. T’nez ! l’paradis perdu dans la boisson j’le r’trouve : Donc, adieu Mon corps d’homm’ ! C’est dans l’être un infini q’j’éprouve : Je suis Dieu ! » Deux vieux buveurs, alors, deux anciens des hameaux « C’citoyen-là ? j’sais pas,
pourtant, j’te fais l’pari I’caus’ savant comm’ les monsieurs, Qui n’ent’ pas dans nos comprenures. I’dit c’t’homm’ maigr’, chev’lu comme un christ de calvaire, Qu’à jeun i’ r’gard’ la vie en d’sous, Alors, dans c’moment-là qu’i’ s’rait l’maîtr’ de c’qu’i’ veut, Q’pour lui changer l’tout s’rait qu’un jeu, Pourquoi qu’à son idée i’ r’fait donc pas la
terre ? Moi ! j’vois pas tout ça dans mon verre. I’dit qu’à s’enivrer i’ s’quitte et qu’il
oublie Ma personn’ dans sa mêm’ façon, Et que l’ballant du corps est moins ferm’ d’équilibre, « J’suis d’ton avis. L’vin m’donn’
plus d’langue et plus d’entrain, (Paysages et Paysans, pages 29 à 33) |
De nombreux autres humains prennent place dans ce livre tel « L’enjôleur » (page 87). Partout et toujours, son talent reste vrai. Avec l’âge et la fatigue, son désir créateur n’a pas pris une ride. Maurice Rollinat reste très dynamique, nous captive, nous ensorcèle comme dans cet autre poème en patois berrichon où il manie aussi l’humour malicieux :
LA CHARRETTE A BŒUFS Ces rout’ à tas d’ cailloux où des beaux ch’vaux
d’calèches Pour moi, c’est des ch’mins d’vill’,
censément comm’ des rues Sur ces rubans d’terrain des berg’, des p’tit’
montagnes, Dans l’sérieux d’nos vallons comparez donc l’passage Parlez-moi d’ma charrette entr’ ses buissons d’verdure, Viv’ la voiture à bœufs qu’une aiguillad’
conduit, Et s’en va comm’ l’eau calme et les bons nuag’
s’en vont ! (Paysages et Paysans, pages 19 et 20) |
Maurice Rollinat a aussi écrit deux livres en prose dans lesquels nous retrouvons son désir très fort de continuer à transmettre son message.
Dans En errant, paru en 1903 une semaine après sa mort, le poète présente des histoires concrètes, emplies de philosophie. De la première « Pêcheurs de truites » aux deux dernières, « Ce que dit la Vie », « Ce que dit la Mort », il aborde des thèmes fondamentaux et nous fait réfléchir à la condition humaine. Sans gémir sur son sort, dans un désir de vérité, il constate la petitesse humaine et tout le mal que l’homme fait consciemment comme dans cet extrait de « Ce que dit la Vie » :
Mais combien, depuis son origine, la trop coupable intelligence humaine, – comme pour se prouver qu’elle était toujours plus libre, – n’a-t-elle pas dépravé le corps en se dépravant elle-même ! Au sein de l’univers, ayant découvert pour eux deux tant de réconfort et de charme, de combien de poisons trouvés en elle seule n’a-t-elle pas cessé de s’abreuver avec lui ! (…) Elle a faussé le vrai, compliqué le simple, embrouillé le limpide, elle a délaissé le connu pour le surprenant, le rassurant pour le redoutable, elle a changé le bon rêve tranquille pour des croyances qui dénaturent, qui troublent, pour des philosophies qui pervertissent ou qui navrent. Avide de tous les secrets, s’attaquant à tous les mystères, elle a prétendu deviner l’invisible et traduire l’inexplicable. Ayant perdu la notion du juste à force d’orgueil et d’égoïsme, elle a déchaîné la fureur des convoitises et la rapacité des intérêts : elle a installé la défiance et la haine, la trahison et la barbarie, elle a fait de la discorde une habitude et de la guerre une nécessité. Elle a métamorphosé l’ordre en avarice, l’amour en luxure, la douceur en hypocrisie ; elle a mis du calcul dans la vertu, de la malice dans l’innocence ; et, comme elle a corrompu l’homme, elle a vicié la bête et déshonoré les choses. (En errant, pages 302 et 303) |
Dans son livre en prose Ruminations paru en 1904, un an après sa mort, nous approchons de la force de ses pensées souvent philosophiques. Elles sont présentées sous forme d’ensembles courts, la plupart, d’un ou deux paragraphes.
À travers elles, Maurice Rollinat nous montre combien l’homme est petit dans l’univers de part sa taille par rapport à l’immensité et combien ses pulsions le conduisent à la corruption sans pouvoir se dominer.
Quel rêve pour le poète de s’élever indéfiniment dans les airs, comme l’aigle aux yeux de braise, emporté, bercé, suspendu fixement par son vol sublime, buvant, à pleins regards tranquilles, le flamboyant soleil ! Ah ! s’il pouvait donc cheminer dans le vide, s’y étendre, y ramer, y nager avec des ailes, dans la lumière et l’ombre, la tempête et le vent ! échanger de flottantes extases avec les nuages ; glisseusement, comme eux, errer par le ciel orageux ou léthargique, y devenir le capricieux frôleur des astres, aspirant toutes vierges les haleines du zénith, y dilater la respiration de son corps et surtout de son âme qui, déployant au sein des vastitudes sans bornes les prodigieux tourments de son inquiétude, les adoucirait, les apaiserait par là même ! avec ses plongements au toujours neuf illimité des profondeurs de l’air, trouverait un bain d’immensité au vagabondage de ses songes, finirait presque par illusionner sa postulation d’ubiquité qui n’est que son goût avide, son désir fou de l’infini ! Oh ! monter d’un seul essor jusqu’aux ombres bleues des plus hautes cimes, humer l’espace immaculé, les lointains immatériels, planer dans l’azur qui serait ainsi le cadre de sa solitude et le trône de sa pensée ! Mais non, hélas ! Il ne nous reste qu’à envier, qu’à jalouser les aigles dans la souveraine indépendance et la suprême fierté de leur vie aérienne et sauvage… Les aigles ! ces glorieux privilégiés de la nature, dans la création desquels elle a voulu se surpasser elle-même ! Tandis que l’homme, la piteuse larve qui rampe, est condamnée pour jamais à traîner son âme sur la pourriture de la terre ! (Ruminations, pages 80 à 82) |
N’oublions pas de présenter les livres de Rollinat parus plus tard après sa mort et de rendre hommage à son éditeur car toute l’œuvre de Maurice Rollinat a été publiée dans la Bibliothèque Charpentier.
Dans l’avertissement en tête du livre Les Bêtes paru en 1911, donc huit ans après la mort du poète, l’éditeur souligne la force du créateur à travers « ce goût et cette ivresse de nature déjà délicieusement formulés » (page V) dans le premier livre de Maurice Rollinat, Dans Les Brandes, et plus loin, « son don de patiente observation rustique et sociale » dans Paysages et Paysans (page VI). Son éditeur insiste sur « la collaboration de Gustave Geffroy » pour continuer de faire découvrir des poèmes de Rollinat, non publiés de son vivant. Maurice Rollinat avait un désir très fort de partager son amour des bêtes avec ses lecteurs à travers ses poèmes sur les animaux. De nombreux sont inclus dans Les Bêtes dont il souligne « les descriptions attentives, spirituelles, pathétiques que ce poète subtil et ce savant artiste pouvait faire d’après les insectes, papillons, sphinx, chenilles, guêpes, fourmis, cirons, et les animaux familiers qui vivaient aux alentours et au-dedans de sa maison (….) » (page VI).
Nous avons choisi deux poèmes représentatifs de l’ensemble de ce livre. N’oublions pas que Maurice Rollinat était l’ami des animaux dont les chiens et son préféré auquel il rend hommage comme à un humain :
MORT DE PISTOLET Mon fidèle partout, sûr en toute saison, Mon veilleur qui, pour moi, faisait guetter son
somme, Il repose à jamais là, mangé par la terre, L’appel de mon regret met toujours à mes trousses, (Les Bêtes, pages 113 et 114) |
Sensible à la détresse de très nombreuses bêtes, Maurice Rollinat les met souvent à l’honneur et montre combien ils peuvent s’aimer et s’entraider. Ce poème en témoigne :
LES DEUX COMPAGNONS Cet énorme cheval et ce tout petit âne, A force de tirer côte à côte, en souffrant, Aussi, lorsqu’en leur pré d’herbe courte et
mauvaise, Pleins de la belle humeur que l’un à l’autre
insuffle, (Les Bêtes, pages 129 et 130) |
Après sa mort, Maurice Rollinat a continué d’être connu. En 1919, Gustave Geffroy a entretenu son souvenir et a fait éditer un livre de 341 pages, Fin d’œuvre à la Bibliothèque-Charpentier. Il a réalisé la préface de quarante-deux pages, montrant leurs liens d’amitié, décrivant sa vie au fil du temps, en commençant par le grand-père, lui-même artiste, montrant que son petit-fils, Maurice Rollinat, possédait lui aussi l’art déclamatoire et envoûtait son public par son talent et son expressivité. Gustave Geoffroy présente aussi l’évolution des talents de Maurice Rollinat au fil des années comme dans son livre Paysages et Paysans. Là, il insiste sur « cette observation des gens de la campagne, agrandie, approfondie, présentée par des analyses exactes, en dialogues véridiques. » (Fin d’œuvre, page 28). Il n’oublie pas de citer ses deux livres en prose et leur intérêt ni l’attirance de Rollinat pour la poésie d’Edgar Poe. Nous côtoyons aussi Maurice Rollinat paisible à Fresselines « servant à la fois ses convives, ses chiens, ses chats et le petit cheval qui passait la tête par la fenêtre » (id., page 40).
La seconde partie de Fin d’œuvre est consacrée à ses poésies peu connues et souvent inédites, séparées en deux ensembles, « Les Songes » comprenant ses dernières poésies puis « Poésies anciennes », ses premières.
Dans « Les Songes » contenant quarante-et-un poèmes, nous constatons combien il continuait à réfléchir aux comportements humains et à en tirer des sentences sur notre manière de vivre :
LES MAUVAIS CONSEILLEURS Les trois enfants de la nuit noire : Ils s’alarment d’un chien jappeur Et le plus sceptique, après boire (Fin d’Œuvre, pages 101 et 102) |
Dans le deuxième ensemble, celui de ses « Poésies anciennes », son sens de l’observation très sombre reste constant de mille manières, par exemple dans « Les charmes de l’horreur », au style proche de Baudelaire (page 153). Nous côtoyons aussi des scènes de la vie quotidienne, de la première « Le Ramasseur de bout de cigares », écrite en 1871 (page 137) à la dernière très sombre, « Sonnet en réponse », reflet de sa période parisienne (page 175).
La troisième partie de Fin d’œuvre est consacrée aux « Interprétations de poèmes d’Edgar Poe » par Maurice Rollinat, se terminant par « Un rêve » (page 213) et commençant par « Le Corbeau » qu’il est le seul à avoir osé présenter en vers classiques. Voici le final de ce poème de neuf pages :
Et sur le buste austère et pâle de Pallas, Ne montera plus, jamais plus ! (Fin d’œuvre, page 188) |
Dans la quatrième partie de Fin d’œuvre, « Pages diverses », sont rassemblés trois petits ensembles en prose, « Le Convoi », « Les "Accalmies" de Raoul Lafagette » et « Poisson à la broche » (pages 219 à 227).
Dans la cinquième et dernière partie « Correspondance » de plus de cent pages, nous trouvons de nombreuses lettres adressées à des gens très différents, de celles à sa mère, à des auteurs connus, à des amis. Elles témoignent de la diversité de ses contacts.
En final, nous trouvons le Catalogue complet de l’œuvre musicale de Maurice Rollinat répertorié alors (pages 329 à 335). Cette liste n’est pas exhaustive. Vous pouvez consulter la liste actualisée par Régis Crosnier sur notre site Internet.
En conclusion, au fil des livres de Maurice Rollinat, nous admirons son talent, nous nous imprégnons de sa philosophie de vie liant l’homme à la nature au sens concret et figuré dans une recherche constante de vérité. Maurice Rollinat s’est toujours laissé guider par son désir de création, liant imaginaire et pensées fortes. Son œuvre n’a pas pris une ride au XXIème siècle et de nombreuses personnes la mettent en valeur.
Novembre 2020 / mars 2021.
Catherine RÉAULT-CROSNIER
NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.
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