« MAURICE ROLLINAT ET LE DÉSIR »

 

(Cette conférence a été préparée pour la journée des Amis de Maurice Rollinat à la médiathèque de Châteauroux, le 20 mars 2021 - rencontre annulée du fait de la pandémie due au Covid-19.)

 

 

Le thème choisi pour le Printemps des poètes 2021 est le désir. Ce mot correspond à une multitude de sens et nous pouvons remarquer que beaucoup de gens choisissent ceux qui leur correspondent.

Selon Le Maxidico, le sens premier est la « perception de l’absence d’un objet, réel ou imaginaire, avec le sentiment que sa possession peut assurer le bonheur ou le plaisir ». Le second correspond à une « force qui anime quelqu’un et l’incline à réaliser ses aspirations ». Le troisième nous conduit à la « pulsion sexuelle qui pousse les humains à s’unir charnellement ».

Dans le Petit Larousse en couleurs, le désir est défini comme « action de désirer, sentiment de celui qui désire ; ce que l’on désire ». En psychanalyse, il s’agit d’une « force qui est le propre de l’ordre inconscient ».

Comment le désir se traduit-il chez Maurice Rollinat ?

Maurice Rollinat possède une volonté intense de se distinguer des autres par son talent littéraire et musical, d’envoûter son public, d’être connu et reconnu. Pour mieux comprendre la force de son désir, partons sur son chemin de création dans lequel seront inclus quelques repères biographiques.

À l’école, il a écrit des poèmes comme tout enfant. Nous pouvons déjà remarquer son talent en herbe et son sens de l’inventivité par exemple quand il s’écrie comme au théâtre : « Soyez heureuse noble femme ! » (Maurice Rollinat, Poèmes de jeunesse, page 14)

Dédié à ma mère pour sa fête

Mère, je prends ma lyre, et je mêle ma voix
aux suaves accords qui coulent sous mes doigts

comme une eau pure et cristalline ;

Il semble que mon cœur se dilate aujourd’hui,
Pour moi, ce jour est frais, charmant épanoui,

plein d’une volupté divine.

Votre fête ! voilà ce qui me rend joyeux !...
voila ce qui répand l’ivresse dans mes yeux ;

ce qui fait palpiter mon âme ;

Mère, je vous souhaite un sort limpide et pur,
Une longue existence, un horizon d’azur…

Soyez heureuse noble femme !...

Si je puis recevoir le fameux parchemin
que tout écolier brule d’avoir en main,

je viendrai l’offrir à ma mère !...

Et nous verrons Emile arriver à son tour
Déposer à vos pieds son cœur et son amour,

sa tendresse vive et sincère.

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Dédié à ma mère pour sa fête de Maurice Rollinat.

Maurice Rollinat était aussi doué en musique puisqu’il a tenu avec brio, l’harmonium au lycée Léon XIII de Châteauroux jusqu’au jour où il a joué des airs populaires. Les élèves le savaient mais certaines mamans avaient reconnu les chansons.

Son père mort en 1867, souhaitait qu’il fasse ses études de droit à la faculté de Paris. Il s’y inscrit donc l’année suivante (1868) dans l’espoir aussi de se faire connaître en tant que poète car son désir de vivre de son art était déjà ancré en lui.

À cette époque, ses poèmes étaient très provocateurs (Régis Miannay, Maurice Rollinat, poète et musicien du fantastique, page 95). Vers 1870 – 1871, Maurice Rollinat dénonce « l’hypocrisie morale et politique ». (id.). Il exprime aussi sa soif ardente de « La Volupté » découvrant alors qu’il est lui aussi attiré par le mal :

LA VOLUPTÉ

La matière humilie et se plaît à confondre

Le chaste par la volupté,

S’accommodant si bien à sa mysticité,

Qu’il ne trouve rien à répondre.

Les délires du cœur allant cogner aux cieux

Leur rêve avide de pâture,

Pour tout l’être à la fois sont moins délicieux

Que les spasmes de la nature.

Et, quoiqu’on fasse, quoiqu’on songe,
Dans la routine du mensonge
Ou l’obsession du trépas,

Toujours on a cette surprise
Que le seul bonheur d’ici-bas
Nous vient de la chair qu’on méprise.

(Fin d’Œuvre, pages 67 et 68)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Volupté de Maurice Rollinat.

Il tend vers l’érotisme (ex : « La fille de joie ») et l’horreur (ex : « L’Enterré vif ») comme un de ses auteurs préférés, Baudelaire. (Régis Miannay, op. cité, page 96) George Sand lui conseille plutôt de « se consacrer à une poésie civique et patriotique » car elle désapprouve sa tendance morbide (id., page 97). À cette période, il n’est pas prêt à recevoir ses conseils car l’intensité de son désir de devenir connu, le dévore, l’envahit d’un pessimisme profond comme dans « La promenade » écrite en mai 1871 dont voici le final :

A quoi me décider ? Ma pauvre âme qui souffre

Est un trop vaste gouffre
Pour jamais se combler.

Mourons ! Quittons un monde où le pauvre s’épouille

Morgue ! Attends ma dépouille
A ton hideux étal !

Mais non ! Je vis toujours, je vis quand même ! Lâche,

Frémis donc sans relâche
Sous ton remords fatal ».

(poème inédit, publié par Régis Miannay, op. cité, page 108)

Il échange des lettres avec des poètes connus dont Banville, Théophile Gautier et demande conseil à Barbey d’Aurevilly (Régis Miannay, op. cité, page 110). Il va dans les salons (telle celui de Nina de Villard), les brasseries, les cafés… Là, il rencontre des auteurs célèbres dont Charles Cros. (id., page 129)

En 1873, sur les conseils de George Sand, il écrit des poèmes sur la nature qui le feront aussi connaître. Ils resteront pour lui, un refuge. Il allie déjà avec talent l’art descriptif à une grande variété de composition même si des notes sombres ressurgissent encore comme dans sa « Ballade de l’arc-en-ciel » :

BALLADE DE L’ARC-EN-CIEL

A François Captier

La végétation, les marais et le sol
Ont fini d’éponger les larmes de la pluie ;
L’insecte reparaît, l’oiseau reprend son vol
Vers l’arbre échevelé que le zéphyr essuie ;
Et l’horizon lointain perd sa couleur de suie.
Lors, voici qu’enjambant tout le coteau rouillé,
Irisant l’étang morne et le roc ennuyé,
S’arrondit au milieu d’un clair obscur étrange
Le grand fer à cheval du firmament mouillé,
Bleu, rouge, indigo, vert, violet, jaune, orange.

Les champignons pointus gonflent leur parasol
Qui semble regretter l’averse évanouie ;
Le grillon chante en ut et la rainette en sol ;
Et mêlant à leur voix sa stupeur inouïe,
Le soir laisse rêver la terre épanouie.
Puis, sous l’arche de pont du ciel émerveillé
Un troupeau de brouillards passe tout effrayé ;
Le donjon se recule et de vapeur se frange,
Et le soleil vaincu meurt lentement noyé,
Bleu, rouge, indigo, vert, violet, jaune, orange.

Tandis que dans l’air pur grisant comme l’alcool
Montent l’acre fraîcheur de la mare bleuie
Et les hennissements des poulains sans licol,
Le suprême sanglot de la lumière enfuie
Va s’exhaler au fond de la nue éblouie,
Et sur l’eau que le saule a l’air de supplier,
Du cerisier sanglant à l’ocreux peuplier,
Dans une paix mystique et que rien ne dérange,
On voit s’effacer l’arc impossible à plier
Bleu, rouge, indigo, vert, violet, jaune, orange.

ENVOI.

O toi, le cœur sur qui mon cœur s’est appuyé
Dans l’orage du sort qui m’a terrifié,
Quand tu m’es apparue en rêve comme un ange,
Devant mes yeux chagrins l’arc-en-ciel a brillé,
Bleu, rouge, indigo, vert, violet, jaune, orange.

(Les Névroses, pages 128 et 129)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Ballade de l'Arc-en-ciel de Maurice Rollinat.

Peu à peu, il côtoie les milieux parisiens. En 1878, il va aux Hydropathes. Ses poèmes paraissent dans les journaux dont le premier dans La Renaissance littéraire et artistique en 1873.

Il fréquente aussi les salons, les cabarets dont Le Chat Noir. Il a ses heures de gloire car son talent est reconnu mais aussi de grandes déceptions quand ses détracteurs remettent en cause son talent.

Dans sa soif de reconnaissance, il fait publier en 1877, à Paris, son premier livre, Dans les brandes qui ne sera pas vraiment connu, puis en 1883, après le succès de son deuxième livre, Les Névroses, l’éditeur Charpentier le publie à nouveau avec quelques changements. Là encore, il déploie son talent et son originalité à travers des scènes champêtres très vivantes, présentées de manière inhabituelle. Il lie étonnamment végétation, humains et animaux comme dès le début du poème « Les gardeuses de boucs » :

LES GARDEUSES DE BOUCS

Près d’un champ de folles avoines
Où, plus rouges que des pivoines,

Ondulent au zéphyr de grands coquelicots,
Elles gardent leurs boucs barbus comme des moines,

Et noirs comme des moricauds.

L’une tricote et l’autre file.
Là-bas, le rocher se profile

Noirâtre et gigantesque entre les vieux donjons,
Et la mare vitreuse où nage l’hydrophile

Reluit dans un cadre de joncs.

Plus loin dort, sous le ciel d’automne,
Un paysage monotone :

Damier sempiternel aux cases de vert cru,
Que parfois un long train fuligineux qui tonne

Traverse, aussitôt disparu. (…)

(Dans les brandes, pages 35 et 36)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Les Gardeuses de boucs de Maurice Rollinat.

Revenons à son livre Les Névroses. Là encore, dans sa soif de créer pour se faire reconnaître, Maurice Rollinat nous emporte près de la beauté sauvage de la nature humanisée qu’il peut aussi doter de sentiments. Dans « La rivière dormante », il nous transmet les états d’âme de celle-ci, « chuchoteuse », côtoyant le mystique par exemple à travers l’expression « silence divin ». N’oublions pas que ce poète utilise alors avec art, les oxymores comme dans le final de ce poème à travers les mots « spectrale », « sourit », « ravin », « lune », « silence divin » dans le chapitre « Les refuges » de son livre Les Névroses. Il restera toute sa vie, un amoureux de la nature. Voici cet ensemble de quatorze quatrains liant beauté et tristesse.

LA RIVIÈRE DORMANTE.

A Jean-Charles Cazin.

Au plus creux du ravin où l’ombre et le soleil
Alternent leurs baisers sur la roche et sur l’arbre,
La rivière immobile et nette comme un marbre
S’enivre de stupeur, de rêve et de sommeil.

Plus d’un oiseau, dardant l’éclair de son plumage,
La brûle dans son vol, ami des nénuphars ;
Et le monde muet des papillons blafards
Y vient mirer sa frêle et vacillante image.

Descendu des sentiers tout sablés de mica,
Le lézard inquiet cherche la paix qu’il goûte
Sur ses rocs fendillés d’où filtrent goutte à goutte
Des filets d’eau qui font un bruit d’harmonica.

La lumière est partout si bien distribuée
Qu’on distingue aisément les plus petits objets ;
Des mouches de saphir, d’émeraude et de jais
Au milieu d’un rayon vibrent dans la buée.

Sa mousse qui ressemble aux grands varechs des mers
Éponge tendrement les larmes de ses saules,
Et ses longs coudriers, souples comme des gaules,
Se penchent pour la voir avec les buis amers.

Ni courant limoneux, ni coup de vent profane :
Rien n’altère son calme et sa limpidité ;
Elle dort, exhalant sa tiède humidité,
Comme un grand velours vert qui serait diaphane.

Pourtant cette liquide et vitreuse torpeur
Qui n’a pas un frisson de remous ni de vague,
Murmure un son lointain, triste, infiniment vague,
Qui flotte et se dissipe ainsi qu’une vapeur.

Du fond de ce grand puits qui la tient sous sa garde,
Avec ses blocs de pierre et ses fouillis de joncs,
Elle écoute chanter les hiboux des donjons
Et réfléchit l’azur étroit qui la regarde.

Des galets mordorés et d’un aspect changeant
Font à la sommeilleuse un lit de mosaïque
Où, dans un va-et-vient béat et mécanique.
Glissent des poissons bleus lamés d’or et d’argent.

Leurs nageoires qui sont rouges et dentelées
Dodelinent avec leur queue en éventail :
Si transparente est l’eau, qu’on peut voir en détail
Tout ce fourmillement d’ombres bariolées.

Comme dans les ruisseaux clairs et torrentueux
Qui battent les vieux ponts aux arches mal construites,
L’écrevisse boiteuse y chemine, et les truites
Aiment l’escarpement de ses bords tortueux.

L’âme du paysage à toute heure voltige
Sur ce lac engourdi par un sommeil fatal,
Dallé de cailloux plats et dont le fin cristal
A les miroitements du songe et du vertige.

Et, sans qu’elle ait besoin des plissements furtifs
Que les doigts du zéphyr forment sur les eaux mates,
Pour prix de leur ombrage et de leurs aromates
La rivière sourit aux végétaux plaintifs ;

Et quand tombe la nuit spectrale et chuchoteuse,
Elle sourit encore aux parois du ravin :
Car la lune, au milieu d’un silence divin,
Y baigne les reflets de sa lueur laiteuse.

(Les Névroses, pages 137 à 139)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Riviere dormante de Maurice Rollinat.

Maurice Rollinat a aussi été hypnotisé par le désir érotique de la chair, omniprésent dans le chapitre « Les Luxures » :

LA CHAIR

La chair de femme sèche ou grasse
Est le fruit de la volupté
Tour à tour vert, mûr et gâté
Que le désir cueille ou ramasse.

Mystérieuse dans sa grâce,
Exquise dans son âcreté,
La chair de femme sèche ou grasse
Est le fruit de la volupté.

Pas un seul homme ne s’en lasse.
Chacun avec avidité
Y mordrait pour l’éternité.
Et pourtant, c’est un feu qui passe,
La chair de femme sèche ou grasse !

(Les Névroses, page 80)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Chair de Maurice Rollinat.

Par ailleurs, dès sa jeunesse, Maurice Rollinat était captivé par le talent fantastique et morbide d’Edgar Poe. Il développe cette veine poétique dans le chapitre « Les spectres » de son livre Les Névroses. Les titres des poèmes à eux seuls suggèrent son attirance pour le sombre, le noir, « L’Amante macabre » (page 255), « Mademoiselle squelette » (page 259) ou encore :

LE SOMNAMBULE

A Gustave Coquelin

Le chapeau sur la tête et la canne à la main,
Serrant dans un frac noir sa rigide ossature,
Il allait et venait au bord de la toiture,
D’un air automatique et d’un pas surhumain.

Singulier promeneur, spectre et caricature,
Sans cesse, il refaisait son terrible chemin.
Sur le ciel orageux, couleur de parchemin,
Il dessinait sa haute et funèbre stature.

Soudain, à la lueur d’un éclair infernal,
Comme il frisait le vide en rasant le chenal
Avec le pied danseur et vif d’un funambule,

L’horreur emplit mon être et figea tout mon sang,
Car un grand chat d’ébène hydrophobe et grinçant
Venait de réveiller le monsieur Somnambule.

(Les Névroses, page 268)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Somnanbule de Maurice Rollinat.

N’oublions pas qu’il était aussi un compositeur et pianiste de talent. Quand en 1883, après ses heures de gloire, ses détracteurs l’assaillent ce qui est le lot de nombreux artistes de valeur, il ne peut l’accepter et fuit. Il se réfugie dans la campagne profonde à Fresselines dans la Creuse en septembre 1883. Trois ans après, il fait publier L’Abîme, expression intense de son mal d’être immense. Il crache alors sa rancœur contre ceux qui ne l’ont pas compris. Là encore, au plus profond du désespoir, il lui reste son désir d’écrire envers et contre tout.

L’AUBERGE

A l’auberge de l’Égoïsme,
Certains soirs le Deuil apparaît
Drapé de noir et tout maigret
Dans son humble fantômatisme.

D’abord il jette un froid secret.
Mais au bout d’un vague mutisme,
Chacun reprend son air distrait,
Reboit, retrinque à l’optimisme.

– « Encore un, grogne l’Intérêt,
Qui se trompe de cabaret ! »
– « Au moins, ricane le Cynisme,
Quand on vient chez nous, on devrait
Rengainer le Croquemortisme ! »
– « Bah ! j’aurai soin de ce pauvret
Sussurre le Jésuitisme »
Bref, on relègue l’indiscret
Dans le coin du parasitisme.

Quelques hélas au laconisme,
Mouillés d’un petit pleur suret,
C’est la ration de regret
Dont on repaît son famélisme
A l’auberge de l’Égoïsme.

(L’Abîme, pages 141 et 142)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème L'Auberge de Maurice Rollinat.

Il écrira toute sa vie des poèmes en alliance avec la musique. Ainsi, grâce à son désir de création, il continue son œuvre. Il trouve une certaine stabilité au contact de la nature et des petites gens qu’il décrit dans son livre La Nature (publié en 1892) :

LA VIEILLE

La lumière s’est inclinée
De plus en plus vers son trépas :
Par la campagne, pas à pas,
Voici la nuit acheminée.
L’humble vieille parcheminée
Est assise après son repas
Près du feu qui ne chôme pas
Devant la plaque charbonnée.
Dans une posture gênée
Le chien dort ; deux tout jeunes chats
Font des sauts et des entrechats
Sur leur mère pelotonnée.
Et la vieille émerillonnée,
En voyant bruler ses éclats
De bon bois sec…, chantonne bas
Une complainte surannée.
Or, soudain, les filles, les gars,
Toute l’agreste maisonnée
Avec le chien, à grands sabbats,
S’en va prendre ailleurs ses ébats.
La gent féline est retournée
Dans le grenier chasser les rats.
La bonne femme embéguinée
Rumine, ayant croisé les bras :
Sous le plancher fumeux et gras
De cette salle consternée
Elle pousse de longs hélas
D’être si seule abandonnée !
Mais, avec la triste journée
De vent de bise et de verglas
Qui meurt au tintement d’un glas,
Craque la voix désenfournée
Des grillons qui, fantômes plats,
Surgissant dans la cheminée
Viennent distraire ses yeux las
Et sa vieille âme renfrognée.

(La Nature, pages 323 à 325)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Vieille de Maurice Rollinat.

Dans son livre Les Apparitions paru en 1896, Maurice Rollinat nous étonne, nous subjugue par la diversité de son élan créateur. Il nous fascine et ne nous lasse jamais. Il nous fait côtoyer spectres et vivants dont « Les sept veuves » (page 55), la nature avec « Effet de soleil couchant » (page 64), des objets devenant vivants comme « La montre » (page 72) et il garde toujours le désir de nous montrer nos travers par son art.

L’HOMME-FANTOME

C’est le mort de l’indifférence :
Il a beau parler, se mouvoir,
Il ne vit plus qu’en apparence.

Il a délaissé l’espérance
Et supprimé le désespoir.
C’est le mort de l’indifférence.

Il assimile gain, dépense,
Confond donner et recevoir.
Il ne vit plus qu’en apparence.

De tout son entour d’existence
Echo sourd, aveugle miroir,
C’est le mort de l’indifférence.

Son cœur pratique sa sentence :
« Pourquoi faire, dire, falloir ? »
Il ne vit plus qu’en apparence.

Qu’importe : voilà ce qu’il pense
De tout ce qu’il peut concevoir.
C’est le mort de l’indifférence.

Son avenir ? du déjà rance !
Il appareille blanc et noir.
Il ne vit plus qu’en apparence.

Dans la suite ou l’incohérence
Il voit les mots s’équivaloir.
C’est le mort de l’indifférence.

Il estime la différence
Nulle entre ignorer et savoir.
Il ne vit plus qu’en apparence.

Inétonné des occurrences,
Il semble avoir dû les prévoir.
C’est le mort de l’indifférence.

L’universelle insouciance
Formant son rêve et son vouloir,
Il ne vit plus qu’en apparence.

Machinal de la conscience,
Du besoin comme du devoir,
C’est le mort de l’indifférence.

Démis, à force de souffrance,
De sentir et de s’émouvoir,
C’est le mort de l’indifférence :
Il ne vit plus qu’en apparence.

(Les Apparitions, pages 24 à 26)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème L'Homme-fantome de Maurice Rollinat.

Dans Paysages et Paysans (1899), Maurice Rollinat vieillissant continue de mettre la nature à l’honneur comme dans « L’ile verte » (page 28) et aussi en lien avec ses habitants parlant en patois berrichon. Il leur donne la parole sans les enjoliver.

TROIS IVROGNES

Au cabaret, un jour de grand marché forain,
Un bel ivrogne, pâle, aux longs cheveux d’artiste,
Dans le délire ardent de son esprit chagrin,
Ainsi parla, debout, d’une voix âpre et triste :

« R’bouteux, louv’tier, batteur d’étangs et de rivière,

Menuisier,

Avec tous ces états j’réussis qu’une affaire :

M’ennuyer !

Arrangez ça ! d’un’ part, j’vois q’doutance et tromp’rie ;

D’l’aut’ côté,

J’trouv’ le mensong’ trop l’mêm’, l’existenc’ trop pourrie

D’vérité.

Oui ! j’cherche tant l’dessous de c’que j’touche, de c’que j’rêve

Inqu’et d’tout,

Que j’suis noir, idéal, mélancoliq’ sans trêve,

Et partout.

Donc, quand ça m’prend trop fort, j’sors du bois, j’quitt’ la berge,

L’établi,

Et, c’est plus fort que moi, ya pas ! j’rentre à l’auberge

Boir’ l’oubli.

C’est des fameus’ sorcièr’, allez ! les liqueurs fortes

Cont’ les r’mords,

Cont’ soi-mêm’, cont’ les autr’, cont’ la poursuit’ des mortes

Et des morts !

Je m’change, à forc’ de t’ter le lait rouge des treilles,

L’horizon !

Vive la vign’ pour brûler dans l’sang chaud des bouteilles

La raison !

Étant saoul, j’os’ me fier à la femm’, c’t’infidèle

Qui nous ment,

R’garder la tombe avec mes yeux d’personn’ mortelle,

Tranquill’ment.

J’imagin’ que la vie éternellement dure,

Et qu’enfin,

La misèr’ d’ici-bas n’connaît plus la froidure

Ni la faim.

J’crois qu’i’ n’ya plus d’méchants, plus d’avar’, plus d’faussaires,

Et j’suis sûr

Q’l’épouse est innocent’, l’ami vrai, l’homm’ sincère,

L’enfant pur.

Terre et cieux qui, malgré tout c’que l’rêve en arrache,

Rest’ discrets,

M’découvr’ leurs vérités, m’crèv’ les yeux de c’qu’i’cachent

De secrets.

Allons, ris ma pensée ! Esprit chant’ ! sois en joie

Cœur amer !

Que l’bon oubli d’moi-mêm’ mont’, me berce et me noie

Comm’ la mer !

Plus d’bail avec l’ennui ! j’ai l’âm’ désabonnée

Du malheur,

Et, dépouillé d’mon sort, j’crache à la destinée

Ma douleur.

T’nez ! l’paradis perdu dans la boisson j’le r’trouve :

Donc, adieu

Mon corps d’homm’ ! C’est dans l’être un infini q’j’éprouve :

Je suis Dieu ! »

Deux vieux buveurs, alors, deux anciens des hameaux
Sourient, et, goguenards, ils échangent ces mots :

« C’citoyen-là ? j’sais pas, pourtant, j’te fais l’pari
Q’c’est queq’ faux campagnard, queq’ échappé d’Paris.

I’caus’ savant comm’ les monsieurs,
Ça dépend ! p’têt’ ben encor mieux ;
Mais, tout ça c’est chimèr’, tournures,

Qui n’ent’ pas dans nos comprenures.

I’dit c’t’homm’ maigr’, chev’lu comme un christ de calvaire,

Qu’à jeun i’ r’gard’ la vie en d’sous,
Mais qu’i’ sait les s’crets des mystères
Et d’vient l’bon Dieu quand il est saoul…

Alors, dans c’moment-là qu’i’ s’rait l’maîtr’ de c’qu’i’ veut,

Q’pour lui changer l’tout s’rait qu’un jeu,

Pourquoi qu’à son idée i’ r’fait donc pas la terre ?
M’sembl’ qu’i’ déclare aussi q’venant d’boire un bon coup
I’croit qu’ya plus d’cornards, plus d’canaill’, plus d’misère,

Moi ! j’vois pas tout ça dans mon verre.

I’dit qu’à s’enivrer i’ s’quitte et qu’il oublie
C’qu’il était : c’est qu’i’ boit jusqu’à s’mettre en folie.
Moi, j’sais ben qu’à chaqu’fois je r’trouv’ dans la boisson

Ma personn’ dans sa mêm’ façon,
Sauf que les jamb’ sont pas si libres

Et que l’ballant du corps est moins ferm’ d’équilibre,
Tandis qu’à lui, son mal qu’i’ croit si bien perdu
Va s’r’installer plus creux, un’ fois l’calme r’venu,
Dans sa vieille env’lopp’ d’âm’ toujou sa même hôtesse.
C’est ses lend’mains d’boisson qui lui font tant d’tristesse. »

« J’suis d’ton avis. L’vin m’donn’ plus d’langue et plus d’entrain,
Sur ma route i’ m’fait dérailler un brin,
Avec ma vieill’, des fois, rend ma bigead’ plus tendre…
Mais dam’ ! quand ya d’l’abus, quoi que c’t’homm’ puiss’ prétendre,
La machine à gaieté d’vient machine à chagrin.
Le vin, c’est comm’ la f’melle : i’ n’faut pas trop en prendre ! »

(Paysages et Paysans, pages 29 à 33)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Trois Ivrognes de Maurice Rollinat.

De nombreux autres humains prennent place dans ce livre tel « L’enjôleur » (page 87). Partout et toujours, son talent reste vrai. Avec l’âge et la fatigue, son désir créateur n’a pas pris une ride. Maurice Rollinat reste très dynamique, nous captive, nous ensorcèle comme dans cet autre poème en patois berrichon où il manie aussi l’humour malicieux :

LA CHARRETTE A BŒUFS

Ces rout’ à tas d’ cailloux où des beaux ch’vaux d’calèches
S’rencontr’ avec des ân’, des perch’rons, des mulets,
Où pass’ carriol’, patach’, tap’culs, cabriolets
Att’lés d’bidets pansus quand c’est pas d’ross’ ben sèches,

Pour moi, c’est des ch’mins d’vill’, censément comm’ des rues
Qui s’allong’raient sans fin et n’auraient pas d’pavés,
Et tout c’qui roul’ dessus, crasseux comm’ bien lavé,
De bruit, d’forme et d’couleur, m’blesse l’oreille et la vue.

Sur ces rubans d’terrain des berg’, des p’tit’ montagnes,
M’né par des maquignons, des laquais, des monsieurs,
Tout ça s’démèn’, court, trott’, craq’ du r’sort et d’l’essieu,
Mais tout ça : rout’, voitur’, ch’vaux, gens, c’est pas campagne !

Dans l’sérieux d’nos vallons comparez donc l’passage
D’ceux ch’vaux vêtus d’harnais qu’un ch’ti fouet cingl’ d’affronts
Avec nos bœufs tout nus qui n’ont que l’joug au front ?
Eux et moi que j’les mène on s’mêle au paysage !

Parlez-moi d’ma charrette entr’ ses buissons d’verdure,
Montée – i’ semblerait – sur deux meul’ de moulin,
Couleur de terre et d’arbre, et dont l’gros moyeu s’plaint
Si douc’ment q’ça m’en berc’, comme un chant d’la nature !

Viv’ la voiture à bœufs qu’une aiguillad’ conduit,
Dont l’herb’, l’ornièr’, la boue étouff’, envas’ le bruit,
Qui prend l’roulis câlin d’ses deux lent’ bêt’ camuses,

Et s’en va comm’ l’eau calme et les bons nuag’ s’en vont !
C’est l’vrai char de nos plain’, d’nos marais, et d’nos fonds,
Tout comm’ leur seul’ musique est cell’ des cornemuses.

(Paysages et Paysans, pages 19 et 20)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Charrette à boeufs de Maurice Rollinat.

Maurice Rollinat a aussi écrit deux livres en prose dans lesquels nous retrouvons son désir très fort de continuer à transmettre son message.

Dans En errant, paru en 1903 une semaine après sa mort, le poète présente des histoires concrètes, emplies de philosophie. De la première « Pêcheurs de truites » aux deux dernières, « Ce que dit la Vie », « Ce que dit la Mort », il aborde des thèmes fondamentaux et nous fait réfléchir à la condition humaine. Sans gémir sur son sort, dans un désir de vérité, il constate la petitesse humaine et tout le mal que l’homme fait consciemment comme dans cet extrait de « Ce que dit la Vie » :

Mais combien, depuis son origine, la trop coupable intelligence humaine, – comme pour se prouver qu’elle était toujours plus libre, – n’a-t-elle pas dépravé le corps en se dépravant elle-même ! Au sein de l’univers, ayant découvert pour eux deux tant de réconfort et de charme, de combien de poisons trouvés en elle seule n’a-t-elle pas cessé de s’abreuver avec lui ! (…)

Elle a faussé le vrai, compliqué le simple, embrouillé le limpide, elle a délaissé le connu pour le surprenant, le rassurant pour le redoutable, elle a changé le bon rêve tranquille pour des croyances qui dénaturent, qui troublent, pour des philosophies qui pervertissent ou qui navrent. Avide de tous les secrets, s’attaquant à tous les mystères, elle a prétendu deviner l’invisible et traduire l’inexplicable. Ayant perdu la notion du juste à force d’orgueil et d’égoïsme, elle a déchaîné la fureur des convoitises et la rapacité des intérêts : elle a installé la défiance et la haine, la trahison et la barbarie, elle a fait de la discorde une habitude et de la guerre une nécessité. Elle a métamorphosé l’ordre en avarice, l’amour en luxure, la douceur en hypocrisie ; elle a mis du calcul dans la vertu, de la malice dans l’innocence ; et, comme elle a corrompu l’homme, elle a vicié la bête et déshonoré les choses.

(En errant, pages 302 et 303)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant un extrait de Ce que dit la Vie de Maurice Rollinat.

Dans son livre en prose Ruminations paru en 1904, un an après sa mort, nous approchons de la force de ses pensées souvent philosophiques. Elles sont présentées sous forme d’ensembles courts, la plupart, d’un ou deux paragraphes.

À travers elles, Maurice Rollinat nous montre combien l’homme est petit dans l’univers de part sa taille par rapport à l’immensité et combien ses pulsions le conduisent à la corruption sans pouvoir se dominer.

Quel rêve pour le poète de s’élever indéfiniment dans les airs, comme l’aigle aux yeux de braise, emporté, bercé, suspendu fixement par son vol sublime, buvant, à pleins regards tranquilles, le flamboyant soleil !

Ah ! s’il pouvait donc cheminer dans le vide, s’y étendre, y ramer, y nager avec des ailes, dans la lumière et l’ombre, la tempête et le vent ! échanger de flottantes extases avec les nuages ; glisseusement, comme eux, errer par le ciel orageux ou léthargique, y devenir le capricieux frôleur des astres, aspirant toutes vierges les haleines du zénith, y dilater la respiration de son corps et surtout de son âme qui, déployant au sein des vastitudes sans bornes les prodigieux tourments de son inquiétude, les adoucirait, les apaiserait par là même ! avec ses plongements au toujours neuf illimité des profondeurs de l’air, trouverait un bain d’immensité au vagabondage de ses songes, finirait presque par illusionner sa postulation d’ubiquité qui n’est que son goût avide, son désir fou de l’infini !

Oh ! monter d’un seul essor jusqu’aux ombres bleues des plus hautes cimes, humer l’espace immaculé, les lointains immatériels, planer dans l’azur qui serait ainsi le cadre de sa solitude et le trône de sa pensée !

Mais non, hélas ! Il ne nous reste qu’à envier, qu’à jalouser les aigles dans la souveraine indépendance et la suprême fierté de leur vie aérienne et sauvage… Les aigles ! ces glorieux privilégiés de la nature, dans la création desquels elle a voulu se surpasser elle-même ! Tandis que l’homme, la piteuse larve qui rampe, est condamnée pour jamais à traîner son âme sur la pourriture de la terre !

(Ruminations, pages 80 à 82)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant un extrait du livre Ruminations de Maurice Rollinat.

N’oublions pas de présenter les livres de Rollinat parus plus tard après sa mort et de rendre hommage à son éditeur car toute l’œuvre de Maurice Rollinat a été publiée dans la Bibliothèque Charpentier.

Dans l’avertissement en tête du livre Les Bêtes paru en 1911, donc huit ans après la mort du poète, l’éditeur souligne la force du créateur à travers « ce goût et cette ivresse de nature déjà délicieusement formulés » (page V) dans le premier livre de Maurice Rollinat, Dans Les Brandes, et plus loin, « son don de patiente observation rustique et sociale » dans Paysages et Paysans (page VI). Son éditeur insiste sur « la collaboration de Gustave Geffroy » pour continuer de faire découvrir des poèmes de Rollinat, non publiés de son vivant. Maurice Rollinat avait un désir très fort de partager son amour des bêtes avec ses lecteurs à travers ses poèmes sur les animaux. De nombreux sont inclus dans Les Bêtes dont il souligne « les descriptions attentives, spirituelles, pathétiques que ce poète subtil et ce savant artiste pouvait faire d’après les insectes, papillons, sphinx, chenilles, guêpes, fourmis, cirons, et les animaux familiers qui vivaient aux alentours et au-dedans de sa maison (….) » (page VI).

Nous avons choisi deux poèmes représentatifs de l’ensemble de ce livre. N’oublions pas que Maurice Rollinat était l’ami des animaux dont les chiens et son préféré auquel il rend hommage comme à un humain :

MORT DE PISTOLET

Mon fidèle partout, sûr en toute saison,
Par qui je ruminais des chimères meilleures,
Ma vraie âme damnée, humble à toutes les heures,
Mon ami des chemins comme de la maison.

Mon veilleur qui, pour moi, faisait guetter son somme,
Qui, par sa tendre humeur, engourdissait mon mal,
M’offrant sans cesse, au lieu du renfermé de l’homme,
Dans ses bons yeux parlants, son âme d’animal.

Il repose à jamais là, mangé par la terre,
Mais je l’ai tant aimé, d’un cœur si solitaire,
Que tout son cher aspect, tel qu’il fut, me revient.

L’appel de mon regret met toujours à mes trousses,
Retrottinant, câlin sous ses couleurs bruns-rousses,
Le fantôme béni de mon pauvre vieux chien.

(Les Bêtes, pages 113 et 114)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Mort de Pistolet de Maurice Rollinat.

Sensible à la détresse de très nombreuses bêtes, Maurice Rollinat les met souvent à l’honneur et montre combien ils peuvent s’aimer et s’entraider. Ce poème en témoigne :

LES DEUX COMPAGNONS

Cet énorme cheval et ce tout petit âne,
Frères en coups de fouet, en jeûnes, en labeur,
Ont pris les mêmes airs d’angoisse et de stupeur,
Pensent le même effroi dans la nuit de leur crâne.

A force de tirer côte à côte, en souffrant,
Ils ont suppléé presque au manque de langage
Par des mouvements d’yeux, d’oreilles, et je gage
Qu’entre eux braire et hennir est un parler courant.

Aussi, lorsqu’en leur pré d’herbe courte et mauvaise,
De la sorte, ils ont pu converser bien à l’aise,
Alors c’est du délire après l’épanchement.

Pleins de la belle humeur que l’un à l’autre insuffle,
Ils se roulent en chœur, et simultanément
Se relèvent tous deux pour s’embrasser le mufle.

(Les Bêtes, pages 129 et 130)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Les deux Compagnons de Maurice Rollinat.

Après sa mort, Maurice Rollinat a continué d’être connu. En 1919, Gustave Geffroy a entretenu son souvenir et a fait éditer un livre de 341 pages, Fin d’œuvre à la Bibliothèque-Charpentier. Il a réalisé la préface de quarante-deux pages, montrant leurs liens d’amitié, décrivant sa vie au fil du temps, en commençant par le grand-père, lui-même artiste, montrant que son petit-fils, Maurice Rollinat, possédait lui aussi l’art déclamatoire et envoûtait son public par son talent et son expressivité. Gustave Geoffroy présente aussi l’évolution des talents de Maurice Rollinat au fil des années comme dans son livre Paysages et Paysans. Là, il insiste sur « cette observation des gens de la campagne, agrandie, approfondie, présentée par des analyses exactes, en dialogues véridiques. » (Fin d’œuvre, page 28). Il n’oublie pas de citer ses deux livres en prose et leur intérêt ni l’attirance de Rollinat pour la poésie d’Edgar Poe. Nous côtoyons aussi Maurice Rollinat paisible à Fresselines « servant à la fois ses convives, ses chiens, ses chats et le petit cheval qui passait la tête par la fenêtre » (id., page 40).

La seconde partie de Fin d’œuvre est consacrée à ses poésies peu connues et souvent inédites, séparées en deux ensembles, « Les Songes » comprenant ses dernières poésies puis « Poésies anciennes », ses premières.

Dans « Les Songes » contenant quarante-et-un poèmes, nous constatons combien il continuait à réfléchir aux comportements humains et à en tirer des sentences sur notre manière de vivre :

LES MAUVAIS CONSEILLEURS

Les trois enfants de la nuit noire :
Le Regret, le Songe et la Peur,
Pratiquent la vaine stupeur
Et l’inquiétude illusoire.

Ils s’alarment d’un chien jappeur
Et du craquement d’une armoire,
Les trois enfants de la nuit noire,
Le Regret, le Songe et la Peur.

Et le plus sceptique, après boire
Rentré chez lui, morne soupeur,
Dans le silence enveloppeur,
Quelquefois n’est pas loin de croire
Les trois enfants de la nuit noire.

(Fin d’Œuvre, pages 101 et 102)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Les mauvais Conseilleurs de Maurice Rollinat.

Dans le deuxième ensemble, celui de ses « Poésies anciennes », son sens de l’observation très sombre reste constant de mille manières, par exemple dans « Les charmes de l’horreur », au style proche de Baudelaire (page 153). Nous côtoyons aussi des scènes de la vie quotidienne, de la première « Le Ramasseur de bout de cigares », écrite en 1871 (page 137) à la dernière très sombre, « Sonnet en réponse », reflet de sa période parisienne (page 175).

La troisième partie de Fin d’œuvre est consacrée aux « Interprétations de poèmes d’Edgar Poe » par Maurice Rollinat, se terminant par « Un rêve » (page 213) et commençant par « Le Corbeau » qu’il est le seul à avoir osé présenter en vers classiques. Voici le final de ce poème de neuf pages :

Et sur le buste austère et pâle de Pallas,
L’immuable corbeau reste installé sans trêve ;
Au-dessus de ma porte il est toujours, hélas !
Et ses yeux sont en tout ceux d’un démon qui rêve ;
Et l’éclair de la lampe, en ricochant sur lui,
Projette sa grande ombre au parquet chaque nuit ;
Et ma pauvre âme, hors du cercle de cette ombre
Qui gît en vacillant – là – sur le plancher sombre,

Ne montera plus, jamais plus !

(Fin d’œuvre, page 188)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Corbeau - Interpretation de la poésie d'Edgar Poe - de Maurice Rollinat.

Dans la quatrième partie de Fin d’œuvre, « Pages diverses », sont rassemblés trois petits ensembles en prose, « Le Convoi », « Les "Accalmies" de Raoul Lafagette » et « Poisson à la broche » (pages 219 à 227).

Dans la cinquième et dernière partie « Correspondance » de plus de cent pages, nous trouvons de nombreuses lettres adressées à des gens très différents, de celles à sa mère, à des auteurs connus, à des amis. Elles témoignent de la diversité de ses contacts.

En final, nous trouvons le Catalogue complet de l’œuvre musicale de Maurice Rollinat répertorié alors (pages 329 à 335). Cette liste n’est pas exhaustive. Vous pouvez consulter la liste actualisée par Régis Crosnier sur notre site Internet.

 

En conclusion, au fil des livres de Maurice Rollinat, nous admirons son talent, nous nous imprégnons de sa philosophie de vie liant l’homme à la nature au sens concret et figuré dans une recherche constante de vérité. Maurice Rollinat s’est toujours laissé guider par son désir de création, liant imaginaire et pensées fortes. Son œuvre n’a pas pris une ride au XXIème siècle et de nombreuses personnes la mettent en valeur.

 

Novembre 2020 / mars 2021.

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.