(Conférence lue à trois voix avec des poèmes mis en valeur à la guitare par Michel Caçao, le samedi 16 novembre 2024 à Argenton-sur-Creuse, dans le cadre de la soirée de poésie des journées annuelles de l’association des Amis de Maurice Rollinat.)
Maurice Rollinat est né le 29 décembre 1846 à Châteauroux. Ses parents, François et Isaure Rollinat, acquièrent en avril 1850, le domaine de Bel-Air sur la commune de Ceaulmont. Là, François Rollinat aimait venir s’y ressourcer et oublier son travail :
(…) (« À travers champs », Dans les Brandes, page 11) |
Ce fut un véritable paradis pour Maurice Rollinat enfant. Son père, lors des promenades, lui apprend à observer la nature. De très nombreux poèmes de jeunesse, ses pièces « naturistes » et « descriptives de la Creuse » parues dans ses livres Dans les Brandes et Les Névroses, sont inspirés par la campagne berrichonne environnante. Il en gardera un souvenir toute sa vie.
La personne qui a le plus influencé le poète dans sa jeunesse fut son père François Rollinat. Albert Decourteix rapporte ces propos de Maurice Rollinat : « J’ai pour la mémoire de mon père, s’écriait-il, un culte profond. Aucun souvenir ne m’est plus cher que le sien. Il a été mon maître le plus sûr et le meilleur. Je me rappelle les longues promenades que j’ai faites avec lui et pendant lesquelles il me donnait des leçons d’histoire et de philosophie. (…) Les vers que je publie sont l’œuvre de la réflexion et de la méditation. Le caractère observateur que j’ai, je le tiens de mon père. C’est lui qui m’a appris à aimer et à comprendre ce qui est beau et ce qui est grand… C’est de lui que je tiens l’esprit méthodique et réfléchi que je possède aujourd’hui ! » (« Maurice Rollinat, son père et G. Sand », Revue du Berry de Janvier-Février 1904, pages 60 à 65).
Les oiseaux l’intéressent et il décrit le coucou. Ce poème écrit à seize ans, a une ossature très particulière : il est construit sur un rythme alterné de trois alexandrins puis d’un vers plus court de six pieds, rendant le poème sautillant de vie et de gaieté. Dans « Le Coucou », Maurice Rollinat garde sa fraîcheur d’enfant proche de la nature. Il s’enthousiasme comme en témoignent ses nombreux points d’exclamation. Bien sûr, une certaine naïveté enfantine persiste « beau messager », « aimable printemps », « oiseaux enchanteurs » mais le poème reflète un certain charme fourmillant d’idées sur le retour du printemps. Notons une simple note triste en final, « un triste chant d’adieu » lorsque le coucou s’en va mais celle-ci est contrebalancée par une légère empreinte religieuse, typique de ses poèmes d’enfant et d’adolescent. Dans le dernier vers, Rollinat parle de l’ « oiseau du bon Dieu ! »
Le Coucou. Salut bel étranger de nos riants bocages ! Passer quelques instants ! Quel temps ! la pâquerette orne l’herbe
fleurie Et pleine de doux sons… Ô charmant visiteur, avec toi, je salue Des oiseaux enchanteurs ! L’Enfant qui dans les prés cueille la violette, Il imite ton chant. Le printemps c’est l’époque ou tout fleurit sur
terre ; Ou gémit le Coucou. De combien de beautés cette époque est
parée ! Bel oiseau du bon Dieu ! Septembre 1863. (Poèmes de jeunesse proposés par Catherine Réault-Crosnier et Régis Crosnier, pages 53 et 55) (Le « grelet » est une appellation locale du grillon. Ce terme a aussi été utilisé par George Sand.) |
La Creuse est toute proche ; Maurice Rollinat adolescent aime y aller à la pêche comme il le dit dans le poème de jeunesse qui suit. Il a été inspiré par les environs de Bel-Air comme l’indiquent les mots « mon enfance », « écolier en vacances ». Il est composé de douze quatrains comprenant chacun trois alexandrins puis un octosyllabe. Le poète obtient ainsi un rythme qui met en valeur le dernier vers de chaque strophe et donne une cadence. Dans ce poème, nous partons avec lui, en promenade, « aux rives de la Creuse ». Son amour de la nature, « près des grenouilles timides, (…) des chèvres mutines » et son attirance pour la pêche se révèlent peu à peu. Il énumère de manière savoureuse, la rivière « où folâtrent la carpe, et le gougeon lutin » et nous fait partager sa joie de prendre « une ample friture ». Il ne se lasse pas de voir les « clairs ruisseaux, (…) les grottes limpides (…), les grands bœufs, (…) l’onde cristalline, (…) » Avec ces vers ciselés avec soin, Maurice Rollinat partage avec nous, sa joie calme, tout au plaisir d’une promenade et d’une partie de pêche.
La pêche. La pêche me procure une volupté douce : mon claveau caché sous le ver. Dans le pays charmant, où se plût mon enfance, Sur les cailloux blancs du chemin. Ce frais chemin conduit aux rives de la Creuse Va chercher son frêle butin. L’oiseau chante gaiement tout le long de ma
route ; Parfument l’air d’un pur encens. Aux bords des clairs ruisseaux des grenouilles
timides, sitôt qu’on leur donne l’éveil. |
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Parfois un paysan conduisant sa charrette Tord dans ses bras son linge blanc. Quel plaisir, quand au loin, du haut de la colline, Roulant sur le sable argenté !… Je descends les coteaux dominant la rivière fredonnant parmi ses brebis. Sur le flanc des rochers, sont des chèvres mutines De son monotone aboîement. J’arrive au bord de l’eau : je me cherche
une place veuille bien mordre tout exprès. aussi, ma patience a toujours bonne aubaine : Frétille au bout du hameçon ! Et quand j’ai pris de quoi faire une ample friture, et la lune brille au ciel noir ! avril. (sans précision d’année) (Poèmes de jeunesse…, pages 27 et 29) |
La campagne environnante est une source d’inspiration pour le poète. Tout près se trouve le château de « La Prune-au-Pot », construit au 13e siècle et presque en ruine. Nous pouvons imaginer celui-ci en écoutant certains poèmes lorsque Maurice Rollinat parle de donjon(s), sans le nommer, par exemple dans « Les Corbeaux ». Ce texte écrit plus tardivement, comporte des aspects plus sombres que dans ses poèmes de jeunesse avec des termes comme « deuil » ou « charogne ». La forme du rondel avec la répétition du vers « Les corbeaux volent en croassant » donne une atmosphère lugubre, presque inquiétante surtout lorsque ce vers est associé aux expressions « Tout autour du vieux donjon qui penche » et « Ils se sont abattus plus de cent ».
LES CORBEAUX Les corbeaux volent en croassant Un deuil inexprimable descend Et tandis que j’erre en frémissant (Dans les Brandes, pages 236 et 237) |
Dans ce pays de brandes, la lune peut elle aussi avoir des aspects inquiétants, surtout si l’on pense aux mythes et légendes du Berry et Maurice Rollinat utilise des mots forts pour traduire sa pensée. Dans le poème « La Lune », il la décrit dotée de mystères et de sentiments. Elle « a de lointains regards », elle « flotte sur les vieux donjons / Pleins de chouettes » avant de devenir en final « reine de l’obscurité ». Le poète l’humanise, elle a de « lumineux frissons », « Son rayon blême et vaporeux / Tremblote », « Elle promène son falot » ou encore « Elle se mire dans les puits / Et dans les flaques ». Nous découvrons aussi que « ses rayons ensorceleurs (…) ont l’air de femmes en pleurs » et qu’elle est « Onduleuse comme un serpent ». Mais en conclusion, elle permet à Maurice Rollinat de faire « fleurir l’étrangeté / Dans [s]es poèmes ! ».
LA LUNE La lune a de lointains regards Leurs girouettes ; Mais sa lueur fait des plongeons Pleins de chouettes ! Elle fait miroiter les socs Infranchissables ; Et ses chatoiements délicats Parmi les sables ! Avec ses lumineux frissons Et les clairières ! Son rayon blême et vaporeux Des fondrières. |
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Elle promène son falot Des vents funèbres ; Elle éclaire aussi les taillis Dans les ténèbres. Elle argente sur les talus Si fantastiques, Qu’à ses rayons ensorceleurs, Leurs fronts mystiques. En doux reflets elle se fond De vertes plaques ; Sur la côte elle donne aux buis Et dans les flaques ! |
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Et, comme sur les vieux manoirs, Où dort la caille, Elle s’éparpille ou s’épand, Dans la rocaille ! Oh ! quand, tout baigné de sueur, Mon âme brune ; Si donc, la nuit, comme un hibou, O bonne Lune ! Car, l’été, sur l’herbe, tu rends Des vieux bohèmes ; Et c’est encore ta clarté, Dans mes poèmes ! (Dans les Brandes, pages 17 à 21) |
Lors de sa période parisienne, il aime venir se reposer à Bel-Air. Par exemple, dans le long poème « Fuyons Paris », il décrit avec force ses désirs. En voici le début et la fin :
FUYONS PARIS O ma fragile compagne, Loin, bien loin des foules humaines, Aux champs, nous calmerons nos fièvres, Viens donc, ô chère créature ! |
Il rêve de devenir propriétaire de Bel-Air : « Maman que Mr Dubois a conseillée en ma faveur, me donnerait Bel Air en dot. Je m’y installerais avec ma femme qui serait forcément une fille de propriétaire, dotée elle aussi d’une ou plusieurs fermes. Je ferais donc de l’agriculture, et je promènerais l’œil du maître des étables aux greniers ; avouez que ce serait une autre vie que celle du bureaucrate ! » écrit-il à son ami Raoul Lafagette, le 16 septembre 1876 (collection particulière). Mais cette envie ne deviendra jamais une réalité.
Lorsqu’il est en vacances à Bel-Air, il aime les plaisirs sains comme il le dit à Raoul Lafagette, dans une lettre datée du 14 septembre 1877 (collection particulière) : « La pêche, dont je raffole, est ma principale occupation. J’ai des soupirs de remords à chaque poisson que j’enlève, mais je me dis qu’ils mangeaient le ver, lequel mangeait le sol, et me voilà absous de vouloir dévorer ces infortunés gougeons, tant il est vrai que l’homme se sert de tous les prétextes pour justifier à ses propres yeux son abominable barbarie. »
La pêche est aussi source d’inspiration pour le poète. Dans le rondel qui suit, nous admirons son art de la description ; il est observateur de son liège qui « fait plus d’un plongeon », mais aussi de son environnement avec derrière lui, un « vieux donjon » et devant « un horizon sans fin ».
LE PÊCHEUR A LA LIGNE Mon liège fait plus d’un plongeon Et je tiens ma perche de jonc, Derrière moi, le vieux donjon ; (Dans les Brandes, pages 194 et 195) |
Maurice Rollinat pêcheur est souvent évoqué, mais rarement Maurice Rollinat chasseur. À l’automne 1877, c’est apparemment une nouvelle passion comme il le raconte à Raoul Lafagette : « Pour le moment, je suis seul à la campagne, mangeant, buvant, dormant, et chassant comme feu Nemrod. J’ai pris un permis, et malgré mon amour des bêtes, je me suis mis à les occire sans relâche ! Le si bon Toussenel n’était-il pas un grand chasseur ! – Je ne suis pas encore de première force, mais j’ai le coup d’œil juste, et je tire généralement bien. Ah ! quelle distraction mon cher ami ! et quel exercice pour les bras et les jambes ! une fois en chaise, je m’oublie pour ne penser qu’aux perdrix lièvres et cailles dont mon cher pays foisonne. » (lettre non datée, mais vu son contenu, nous pouvons penser qu’elle a été expédiée en octobre ou novembre 1877, collection particulière).
Il a ainsi pu observer d’autres chasseurs comme ce curé en soutane :
LE CHASSEUR EN SOUTANE Il tire aussi bien qu’il pérore, Ce n’est pas en vain qu’il explore Mais son tricorne qu’il décore (Dans les Brandes, pages 177 et 178) |
Le 19 janvier 1878, Maurice Rollinat épouse Marie Sérullaz. Dès l’été suivant, il lui fait découvrir la campagne berrichonne : « Ma femme m’accompagne le plus souvent dans mes excursions, comme aussi je rôde en solitaire sans jamais me fatiguer. Mon œil regarde asinement les longues files de noyers antiques et stupéfiés ! – quelle morte langueur, ou quelles fatidiques gesticulations dans ces paysages bizarres, tour à tour pierreux et sylvestres, ou d’une si multicolore uniformité ! » écrit-il à Raoul Lafagette (lettre expédiée d’Argenton-sur-Creuse le 26 août 1878, collection particulière).
Ces paysages, il aime à les décrire comme dans « La Promenade champêtre ». Son écriture est principalement liée à l’observation de la nature durant ses marches dans la campagne ou près d’une rivière. Nous y trouvons une multitude de détails pris sur le vif, minutieusement et artistiquement décrits. Les personnes qui travaillent, la faune, la flore, tout y a sa place et après la promenade, il y a toujours un lieu pour se reposer.
LA PROMENADE CHAMPÊTRE Mai, le plus amoureux des mois, Et tous deux nous nous enfonçons Mélancolique et cher pays, – Traversons la cour du fermier : |
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Tiens ! voici venir chevauchant, Angélique, au bord du lavoir, Que nous font les terrains vaseux Là-bas, Margot jacasse avec Du fond des chemins oubliés Et la hutte en chaume terreux, (Dans les Brandes, pages 70 à 75) |
Voici un autre exemple de son art descriptif avec cet extrait du poème « Le Pacage » :
(…) En automne surtout, à l’heure déjà froide, J’aimais à me trouver dans ce grand pré, tout
seul, Alors au fatidique hou-hou-hou des chouettes, (Dans les Brandes, page 88) |
Les bords de la Creuse sont proches ; il peut s’y rendre par un petit chemin. Le site du « Pont noir » était certainement le lieu où il allait le plus souvent, mais c’est un endroit dangereux avec des trous d’eau. En août 1882, Léon Bloy, en vacances chez Maurice Rollinat à Bel-Air, a failli s’y noyer ; c’est Edmond Haraucourt qui l’a sorti de l’eau : « En me retournant, j’aperçus deux mains agitées hors de l’eau : Léon Bloy, qui ne savait pas nager, venait de tomber dans un trou. J’eus le temps d’arriver à lui, en glissant sous l’eau, et de l’empoigner par les chevilles, car je redoutais ces poignes affolées qui n’auraient pas manqué de se cramponner à moi et de me paralyser. Quand j’eus ramené en lieu sûr ce colosse velu d’où pendaient des stalactites de mucosités et des mèches de cheveux noirs, je n’en pus tirer d’abord que des éructations mêlées au monosyllabe qu’un général français rendit célèbre à Waterloo. » raconte Edmond Haraucourt (La Dépêche, Toulouse, du 16 décembre 1934, page 1).
Dans son poème « Le Touriste », on peut supposer que Maurice Rollinat se décrit lui-même et la forme du rondel permet de répéter le vers « Le plein midi darde ses flèches », montrant qu’on est en plein été. Et là, même s’il fait très chaud, le poète a « deux jambes toujours fraîches ».
LE TOURISTE Le plein midi darde ses flèches Ici, promenades et pêches. Cher pays, comme tu m’allèches (Dans les Brandes, pages 181 et 182) |
Bel-Air, paradis de l’enfance de Maurice Rollinat, lieu rêvé, attendu pour les vacances lorsqu’il travaillait à Paris, voire idéalisé, a été une source principale d’inspiration pour les poèmes écrits dans la première partie de sa vie, avant que la région de Fresselines lui inspire à nouveau, de magnifiques textes sur la nature et la vie à la campagne.
26 septembre 2024
Catherine RÉAULT-CROSNIER et Régis CROSNIER.
NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.
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