MAURICE ROLLINAT À BEL-AIR

 

 

(Conférence lue à trois voix avec des poèmes mis en valeur à la guitare par Michel Caçao, le samedi 16 novembre 2024 à Argenton-sur-Creuse, dans le cadre de la soirée de poésie des journées annuelles de l’association des Amis de Maurice Rollinat.)

 

 

Maurice Rollinat est né le 29 décembre 1846 à Châteauroux. Ses parents, François et Isaure Rollinat, acquièrent en avril 1850, le domaine de Bel-Air sur la commune de Ceaulmont. Là, François Rollinat aimait venir s’y ressourcer et oublier son travail :

(…)
Là, fuyant code et procédure,
Mon pauvre père, chaque été,
Venait prendre un bain de verdure,
De poésie et de santé.
(…)

(« À travers champs », Dans les Brandes, page 11)

La propriété de Bel-Air, peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier.

Ce fut un véritable paradis pour Maurice Rollinat enfant. Son père, lors des promenades, lui apprend à observer la nature. De très nombreux poèmes de jeunesse, ses pièces « naturistes » et « descriptives de la Creuse » parues dans ses livres Dans les Brandes et Les Névroses, sont inspirés par la campagne berrichonne environnante. Il en gardera un souvenir toute sa vie.

La personne qui a le plus influencé le poète dans sa jeunesse fut son père François Rollinat. Albert Decourteix rapporte ces propos de Maurice Rollinat : « J’ai pour la mémoire de mon père, s’écriait-il, un culte profond. Aucun souvenir ne m’est plus cher que le sien. Il a été mon maître le plus sûr et le meilleur. Je me rappelle les longues promenades que j’ai faites avec lui et pendant lesquelles il me donnait des leçons d’histoire et de philosophie. (…) Les vers que je publie sont l’œuvre de la réflexion et de la méditation. Le caractère observateur que j’ai, je le tiens de mon père. C’est lui qui m’a appris à aimer et à comprendre ce qui est beau et ce qui est grand… C’est de lui que je tiens l’esprit méthodique et réfléchi que je possède aujourd’hui ! » (« Maurice Rollinat, son père et G. Sand », Revue du Berry de Janvier-Février 1904, pages 60 à 65).

Les oiseaux l’intéressent et il décrit le coucou. Ce poème écrit à seize ans, a une ossature très particulière : il est construit sur un rythme alterné de trois alexandrins puis d’un vers plus court de six pieds, rendant le poème sautillant de vie et de gaieté. Dans « Le Coucou », Maurice Rollinat garde sa fraîcheur d’enfant proche de la nature. Il s’enthousiasme comme en témoignent ses nombreux points d’exclamation. Bien sûr, une certaine naïveté enfantine persiste « beau messager », « aimable printemps », « oiseaux enchanteurs » mais le poème reflète un certain charme fourmillant d’idées sur le retour du printemps. Notons une simple note triste en final, « un triste chant d’adieu » lorsque le coucou s’en va mais celle-ci est contrebalancée par une légère empreinte religieuse, typique de ses poèmes d’enfant et d’adolescent. Dans le dernier vers, Rollinat parle de l’ « oiseau du bon Dieu ! »

Le Coucou.

Salut bel étranger de nos riants bocages !
Salut beau messager de l’aimable printemps !…
Fidèle, tous les ans, tu viens dans nos parages,

Passer quelques instants !

Quel temps ! la pâquerette orne l’herbe fleurie
Le mai, le long des près, embaume les buissons,
Et l’on entend ta voix pleine de rêverie,

Et pleine de doux sons…

Ô charmant visiteur, avec toi, je salue
La plus belle saison des arbres et des fleurs,
Avec toi, je contemple et j’entends dans la nue

Des oiseaux enchanteurs !

L’Enfant qui dans les prés cueille la violette,
S’arrête pour t’entendre, ou bien, tout en marchant,
Tout en foulant, joyeux, un vert tapis d’herbette,

Il imite ton chant.

Le printemps c’est l’époque ou tout fleurit sur terre ;
L’époque ou le grelet sort de son humble trou,
Ou, le rossignol chante avec amour, mystère

Ou gémit le Coucou.

De combien de beautés cette époque est parée !
Mais quoi ?… ta voix module un triste chant d’adieu ?
Hélas oui… tu t’enfuis vers une autre contrée

Bel oiseau du bon Dieu !

Septembre 1863.

(Poèmes de jeunesse proposés par Catherine Réault-Crosnier et Régis Crosnier, pages 53 et 55)

(Le « grelet » est une appellation locale du grillon. Ce terme a aussi été utilisé par George Sand.)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Coucou de Maurice Rollinat.

La Creuse est toute proche ; Maurice Rollinat adolescent aime y aller à la pêche comme il le dit dans le poème de jeunesse qui suit. Il a été inspiré par les environs de Bel-Air comme l’indiquent les mots « mon enfance », « écolier en vacances ». Il est composé de douze quatrains comprenant chacun trois alexandrins puis un octosyllabe. Le poète obtient ainsi un rythme qui met en valeur le dernier vers de chaque strophe et donne une cadence. Dans ce poème, nous partons avec lui, en promenade, « aux rives de la Creuse ». Son amour de la nature, « près des grenouilles timides, (…) des chèvres mutines » et son attirance pour la pêche se révèlent peu à peu. Il énumère de manière savoureuse, la rivière « où folâtrent la carpe, et le gougeon lutin » et nous fait partager sa joie de prendre « une ample friture ». Il ne se lasse pas de voir les « clairs ruisseaux, (…) les grottes limpides (…), les grands bœufs, (…) l’onde cristalline, (…) » Avec ces vers ciselés avec soin, Maurice Rollinat partage avec nous, sa joie calme, tout au plaisir d’une promenade et d’une partie de pêche.

La pêche.

La pêche me procure une volupté douce :
à l’abri du soleil, sous un peuplier vert,
J’aime à jeter dans l’onde, étendu sur la mousse,

mon claveau caché sous le ver.

Dans le pays charmant, où se plût mon enfance,
La gibecière au dos, et la ligne à la main,
Je vais marcher enfin, écolier en vacances,

Sur les cailloux blancs du chemin.

Ce frais chemin conduit aux rives de la Creuse
où folâtrent la carpe, et le gougeon lutin ;
c’est à cette rivière, où ma ligne trompeuse

Va chercher son frêle butin.

L’oiseau chante gaiement tout le long de ma route ;
Et charme les échos de ses joyeux accents ;
Les fleurs, où la rosée a déposé sa goutte

Parfument l’air d’un pur encens.

Aux bords des clairs ruisseaux des grenouilles timides,
sur le gazon fleuri se chauffent au soleil ;
et rentrent d’un seul bond dans les grottes limpides

sitôt qu’on leur donne l’éveil.

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Pêche de Maurice Rollinat.

Parfois un paysan conduisant sa charrette
Passe avec ses grands bœufs qui marchent lentement,
Parfois, près d’un lavoir, une blonde fillette

Tord dans ses bras son linge blanc.

Quel plaisir, quand au loin, du haut de la colline,
Je vois le vaste pont superbement jeté,
et que j’entends le bruit de l’onde cristalline,

Roulant sur le sable argenté !…

Je descends les coteaux dominant la rivière
Par de petits sentiers serpentant dans les bois ;
oujours en descendant, je vois quelque bergère

fredonnant parmi ses brebis.

Sur le flanc des rochers, sont des chèvres mutines
qui broutent des brins d’herbe apportés par le vent.
Le chien fait retentir ses échos des collines

De son monotone aboîement.

J’arrive au bord de l’eau : je me cherche une place
ou règnent la fraicheur, le silence, et la paix,
et j’attends humblement, que le poisson vorace

veuille bien mordre tout exprès.

aussi, ma patience a toujours bonne aubaine :
je retire souvent un beau petit poisson,
qui, pris, sans le savoir par ma ligne inhumaine,

Frétille au bout du hameçon !

Et quand j’ai pris de quoi faire une ample friture,
Je regagne à pas lents, mon logis, vers le soir…
La brise à mon oreille apporte un doux murmure…

et la lune brille au ciel noir !

avril. (sans précision d’année)

(Poèmes de jeunesse…, pages 27 et 29)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Pêche de Maurice Rollinat.

La campagne environnante est une source d’inspiration pour le poète. Tout près se trouve le château de « La Prune-au-Pot », construit au 13e siècle et presque en ruine. Nous pouvons imaginer celui-ci en écoutant certains poèmes lorsque Maurice Rollinat parle de donjon(s), sans le nommer, par exemple dans « Les Corbeaux ». Ce texte écrit plus tardivement, comporte des aspects plus sombres que dans ses poèmes de jeunesse avec des termes comme « deuil » ou « charogne ». La forme du rondel avec la répétition du vers « Les corbeaux volent en croassant » donne une atmosphère lugubre, presque inquiétante surtout lorsque ce vers est associé aux expressions « Tout autour du vieux donjon qui penche » et « Ils se sont abattus plus de cent ».

LES CORBEAUX

Les corbeaux volent en croassant
Tout autour du vieux donjon qui penche ;
Sur le chaume plat comme une planche
Ils se sont abattus plus de cent.

Un deuil inexprimable descend
Des arbres qui n’ont plus une branche.
Les corbeaux volent en croassant
Tout autour du vieux donjon qui penche.

Et tandis que j’erre en frémissant
Dans le brouillard où mon spleen s’épanche,
Tout noirs sur la neige toute blanche,
Avides de charogne et de sang,
Les corbeaux volent en croassant.

(Dans les Brandes, pages 236 et 237)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Les Corbeaux de Maurice Rollinat.

Dans ce pays de brandes, la lune peut elle aussi avoir des aspects inquiétants, surtout si l’on pense aux mythes et légendes du Berry et Maurice Rollinat utilise des mots forts pour traduire sa pensée. Dans le poème « La Lune », il la décrit dotée de mystères et de sentiments. Elle « a de lointains regards », elle « flotte sur les vieux donjons / Pleins de chouettes » avant de devenir en final « reine de l’obscurité ». Le poète l’humanise, elle a de « lumineux frissons », « Son rayon blême et vaporeux / Tremblote », « Elle promène son falot » ou encore « Elle se mire dans les puits / Et dans les flaques ». Nous découvrons aussi que « ses rayons ensorceleurs (…) ont l’air de femmes en pleurs » et qu’elle est « Onduleuse comme un serpent ». Mais en conclusion, elle permet à Maurice Rollinat de faire « fleurir l’étrangeté / Dans [s]es poèmes ! ».

LA LUNE

La lune a de lointains regards
Pour les maisons et les hangars
Qui tordent sous les vents hagards

Leurs girouettes ;

Mais sa lueur fait des plongeons
Dans les marais peuplés d’ajoncs
Et flotte sur les vieux donjons

Pleins de chouettes !

Elle fait miroiter les socs
Dans les champs, et nacre les rocs
Qui hérissent les monts, par blocs

Infranchissables ;

Et ses chatoiements délicats
Près des gaves aux sourds fracas
Font luire de petits micas

Parmi les sables !

Avec ses lumineux frissons
Elle a de si douces façons
De se pencher sur les buissons

Et les clairières !

Son rayon blême et vaporeux
Tremblote au fond des chemins creux
Et rôde sur les flancs ocreux

Des fondrières.

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Lune de Maurice Rollinat.

Elle promène son falot
Sur la forêt et sur le flot
Que pétrit parfois le galop

Des vents funèbres ;

Elle éclaire aussi les taillis
Où, cachés sous les verts fouillis,
Les ruisseaux font des gazouillis

Dans les ténèbres.

Elle argente sur les talus
Les vieux troncs d’arbres vermoulus
Et rend les saules chevelus

Si fantastiques,

Qu’à ses rayons ensorceleurs,
Ils ont l’air de femmes en pleurs
Qui penchent au vent des douleurs

Leurs fronts mystiques.

En doux reflets elle se fond
Parmi les nénuphars qui font
Sur l’étang sinistre et profond

De vertes plaques ;

Sur la côte elle donne aux buis
Des baisers d’émeraude, et puis
Elle se mire dans les puits

Et dans les flaques !

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Lune de Maurice Rollinat.

Et, comme sur les vieux manoirs,
Les ravins et les entonnoirs,
Comme sur les champs de blés noirs

Où dort la caille,

Elle s’éparpille ou s’épand,
Onduleuse comme un serpent,
Sur le sentier qui va grimpant

Dans la rocaille !

Oh ! quand, tout baigné de sueur,
Je fuis le cauchemar tueur,
Tu blanchis avec ta lueur

Mon âme brune ;

Si donc, la nuit, comme un hibou,
Je vais rôdant je ne sais où,
C’est que je t’aime comme un fou ;

O bonne Lune !

Car, l’été, sur l’herbe, tu rends
Les amoureux plus soupirants,
Et tu guides les pas errants

Des vieux bohèmes ;

Et c’est encore ta clarté,
O reine de l’obscurité,
Qui fait fleurir l’étrangeté

Dans mes poèmes !

(Dans les Brandes, pages 17 à 21)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Lune de Maurice Rollinat.

Lors de sa période parisienne, il aime venir se reposer à Bel-Air. Par exemple, dans le long poème « Fuyons Paris », il décrit avec force ses désirs. En voici le début et la fin :

FUYONS PARIS

O ma fragile compagne,
Puisque nous souffrons à Paris,
Envolons-nous dans la campagne
Au milieu des gazons fleuris.

Loin, bien loin des foules humaines,
Où grouillent tant de cœurs bourbeux,
Allons passer quelques semaines
Chez les peupliers et les bœufs.
(…)

Aux champs, nous calmerons nos fièvres,
Et mes vers émus, que tu bois,
Jailliront à flots de mes lèvres,
Dans la pénombre des grands bois.

Viens donc, ô chère créature !
Paris ne vaut pas un adieu !
Partons vite et, dans la nature,
Grisons-nous d’herbe et de ciel bleu !

(Dans les Brandes, pages 3 à 9)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Fuyons Paris de Maurice Rollinat.

Il rêve de devenir propriétaire de Bel-Air : « Maman que Mr Dubois a conseillée en ma faveur, me donnerait Bel Air en dot. Je m’y installerais avec ma femme qui serait forcément une fille de propriétaire, dotée elle aussi d’une ou plusieurs fermes. Je ferais donc de l’agriculture, et je promènerais l’œil du maître des étables aux greniers ; avouez que ce serait une autre vie que celle du bureaucrate ! » écrit-il à son ami Raoul Lafagette, le 16 septembre 1876 (collection particulière). Mais cette envie ne deviendra jamais une réalité.

Lorsqu’il est en vacances à Bel-Air, il aime les plaisirs sains comme il le dit à Raoul Lafagette, dans une lettre datée du 14 septembre 1877 (collection particulière) : « La pêche, dont je raffole, est ma principale occupation. J’ai des soupirs de remords à chaque poisson que j’enlève, mais je me dis qu’ils mangeaient le ver, lequel mangeait le sol, et me voilà absous de vouloir dévorer ces infortunés gougeons, tant il est vrai que l’homme se sert de tous les prétextes pour justifier à ses propres yeux son abominable barbarie. »

La pêche est aussi source d’inspiration pour le poète. Dans le rondel qui suit, nous admirons son art de la description ; il est observateur de son liège qui « fait plus d’un plongeon », mais aussi de son environnement avec derrière lui, un « vieux donjon » et devant « un horizon sans fin ».

LE PÊCHEUR A LA LIGNE

Mon liège fait plus d’un plongeon
Dans l’onde au lit de sable fin.
Ça mord à tout coup ; mais enfin
Je n’ai pas pris un seul goujon.

Et je tiens ma perche de jonc,
Patient comme un séraphin.
Mon liège fait plus d’un plongeon
Dans l’onde au lit de sable fin.

Derrière moi, le vieux donjon ;
Devant, un horizon sans fin.
Un brochet dort comme un dauphin
A fleur d’eau, près d’un sauvageon.
Mon liège fait plus d’un plongeon.

(Dans les Brandes, pages 194 et 195)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Pêcheur à la ligne de Maurice Rollinat.

Maurice Rollinat pêcheur est souvent évoqué, mais rarement Maurice Rollinat chasseur. À l’automne 1877, c’est apparemment une nouvelle passion comme il le raconte à Raoul Lafagette : « Pour le moment, je suis seul à la campagne, mangeant, buvant, dormant, et chassant comme feu Nemrod. J’ai pris un permis, et malgré mon amour des bêtes, je me suis mis à les occire sans relâche ! Le si bon Toussenel n’était-il pas un grand chasseur ! – Je ne suis pas encore de première force, mais j’ai le coup d’œil juste, et je tire généralement bien. Ah ! quelle distraction mon cher ami ! et quel exercice pour les bras et les jambes ! une fois en chaise, je m’oublie pour ne penser qu’aux perdrix lièvres et cailles dont mon cher pays foisonne. » (lettre non datée, mais vu son contenu, nous pouvons penser qu’elle a été expédiée en octobre ou novembre 1877, collection particulière).

Il a ainsi pu observer d’autres chasseurs comme ce curé en soutane :

LE CHASSEUR EN SOUTANE

Il tire aussi bien qu’il pérore,
Le grand curé sec et rustaud.
– Pour s’en aller chasser plus tôt,
Il dit sa messe dès l’aurore.

Ce n’est pas en vain qu’il explore
Le bois, la brande et le plateau !
Il tire aussi bien qu’il pérore,
Le grand curé sec et rustaud.

Mais son tricorne qu’il décore
D’une plume de cailleteau
Se profile au flanc du coteau.
Un coup part !… C’est un lièvre encore.
Il tire aussi bien qu’il pérore.

(Dans les Brandes, pages 177 et 178)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Chasseur en soutane de Maurice Rollinat.

Le 19 janvier 1878, Maurice Rollinat épouse Marie Sérullaz. Dès l’été suivant, il lui fait découvrir la campagne berrichonne : « Ma femme m’accompagne le plus souvent dans mes excursions, comme aussi je rôde en solitaire sans jamais me fatiguer. Mon œil regarde asinement les longues files de noyers antiques et stupéfiés ! – quelle morte langueur, ou quelles fatidiques gesticulations dans ces paysages bizarres, tour à tour pierreux et sylvestres, ou d’une si multicolore uniformité ! » écrit-il à Raoul Lafagette (lettre expédiée d’Argenton-sur-Creuse le 26 août 1878, collection particulière).

Ces paysages, il aime à les décrire comme dans « La Promenade champêtre ». Son écriture est principalement liée à l’observation de la nature durant ses marches dans la campagne ou près d’une rivière. Nous y trouvons une multitude de détails pris sur le vif, minutieusement et artistiquement décrits. Les personnes qui travaillent, la faune, la flore, tout y a sa place et après la promenade, il y a toujours un lieu pour se reposer.

LA PROMENADE CHAMPÊTRE

Mai, le plus amoureux des mois,
Fleurit et parfume les haies.
Allons-nous-en dans les chênaies,
Égarons-nous au fond des bois !
Cherchons la source et les clairières,
Dormons à l’ombre du bouleau ;
Un bon soleil ami de l’eau
Sourit aux flaques des carrières.

Et tous deux nous nous enfonçons
Dans la campagne ! et, champs, prairies,
Brandes, mares et métairies
Tout ça rêve entre les buissons.
Intrigués par notre costume,
Les bœufs, avec un œil dormant
Nous considèrent gravement
En léchant leur mufle qui fume.

Mélancolique et cher pays,
A nous tes petites auberges,
Ta Gargilesse humble et tes berges
Si pleines d’ombre et de fouillis !
Nous deux nous sommes les touristes
Familiers de tes casse-cou,
Et nous adorons le coucou
Qui pleure dans tes bois si tristes.

– Traversons la cour du fermier :
Au fond, le chien dort sous un frêne,
Lentement un crapaud se traîne
Horrible et doux sur le fumier.
Ici, la cane barboteuse
Glousse devant un soupirail ;
Là, des bergers frottent leur ail
Sur une croûte raboteuse.

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Promenade champêtre de Maurice Rollinat.

Tiens ! voici venir chevauchant,
Assis sur des sacs de farine,
Le grand Pierre à qui Mathurine
Songe plus d’une fois au champ.
Insoucieux, il se balance,
Jetant sa voix claire à l’écho,
Déhanché sur son bourriquot,
Et tout rempli de nonchalance.

Angélique, au bord du lavoir,
A genoux dans l’herbe et la mousse,
Tape et tord le linge qui mousse.
C’est tout un plaisir de la voir !
Il sonne en vain le battoir jaune,
Les grenouilles n’en ont pas peur.
Dans une sereine torpeur,
Elles songent au pied d’un aune.

Que nous font les terrains vaseux
Puisque chantent les pastourelles,
Et qu’on peut voir dans les nids frêles
Le mystère des petits œufs ?
La pente est rude, mais la roche
Où le pied se pose au hasard
S’émeraude avec le lézard,
Et voici que la Creuse est proche !

Là-bas, Margot jacasse avec
Autant de feu qu’une dévote,
Elle court, sautille et pivote,
Hochant la queue, ouvrant le bec.
Impossible d’être plus drôle !
Elle danse, et va s’amusant
D’un beau petit caillou luisant,
Et d’un brin d’herbe qui la frôle.

Du fond des chemins oubliés
Où notre semelle s’attache,
Nous voyons la vieille patache
Qui roule entre les peupliers.
Quand les coups de fouets aiguillonnent
Les pauvres chevaux courbatus,
Sur les colliers hauts et pointus,
Comme les grelots carillonnent !

Et la hutte en chaume terreux,
Abri des petites bergères,
Est au milieu de ses fougères
Hospitalière aux amoureux.
Dans un mystère délectable,
Las de courir et de causer,
Nous venons nous y reposer,
Sur la paille qui sent l’étable.

(Dans les Brandes, pages 70 à 75)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème La Promenade champêtre de Maurice Rollinat.

Voici un autre exemple de son art descriptif avec cet extrait du poème « Le Pacage » :

(…)
Loin de la cour de ferme où gambadaient les veaux,
Loin du petit hangar où séchaient des bourrées,
J’arpentais à grands pas les terres labourées,
Les vignes et les bois, seul, par monts et par vaux.

En automne surtout, à l’heure déjà froide,
Où l’horizon décroît sous le ciel assombri,
Alors qu’en voletant l’oiseau cherche un abri,
Et que les bœufs s’en vont l’œil fixe et le cou roide ;

J’aimais à me trouver dans ce grand pré, tout seul,
Fauve et mystérieux comme un loup dans son antre,
Et je marchais, ayant de l’herbe jusqu’au ventre,
Cependant que la nuit déroulait son linceul.

Alors au fatidique hou-hou-hou des chouettes,
Aux coax révélant d’invisibles marais,
La croissante pénombre où je m’aventurais
Fourmillait vaguement d’horribles silhouettes.
(…)

(Dans les Brandes, page 88)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Pacage de Maurice Rollinat.

Les bords de la Creuse sont proches ; il peut s’y rendre par un petit chemin. Le site du « Pont noir » était certainement le lieu où il allait le plus souvent, mais c’est un endroit dangereux avec des trous d’eau. En août 1882, Léon Bloy, en vacances chez Maurice Rollinat à Bel-Air, a failli s’y noyer ; c’est Edmond Haraucourt qui l’a sorti de l’eau : « En me retournant, j’aperçus deux mains agitées hors de l’eau : Léon Bloy, qui ne savait pas nager, venait de tomber dans un trou. J’eus le temps d’arriver à lui, en glissant sous l’eau, et de l’empoigner par les chevilles, car je redoutais ces poignes affolées qui n’auraient pas manqué de se cramponner à moi et de me paralyser. Quand j’eus ramené en lieu sûr ce colosse velu d’où pendaient des stalactites de mucosités et des mèches de cheveux noirs, je n’en pus tirer d’abord que des éructations mêlées au monosyllabe qu’un général français rendit célèbre à Waterloo. » raconte Edmond Haraucourt (La Dépêche, Toulouse, du 16 décembre 1934, page 1).

Dans son poème « Le Touriste », on peut supposer que Maurice Rollinat se décrit lui-même et la forme du rondel permet de répéter le vers « Le plein midi darde ses flèches », montrant qu’on est en plein été. Et là, même s’il fait très chaud, le poète a « deux jambes toujours fraîches ».

LE TOURISTE

Le plein midi darde ses flèches
Dans l’air chaud comme une fournaise.
Je chemine tout à mon aise,
Loin des fiacres et des calèches.

Ici, promenades et pêches.
J’aime ça, ne vous en déplaise ;
Le plein midi darde ses flèches
Dans l’air chaud comme une fournaise.

Cher pays, comme tu m’allèches
Par tes rocs et ta terre glaise !
Je n’ai pas de jument anglaise,
Mais j’ai deux jambes toujours fraîches.
Le plein midi darde ses flèches.

(Dans les Brandes, pages 181 et 182)

Peinture à la cire de Catherine Réault-Crosnier illustrant le poème Le Touriste de Maurice Rollinat.

 

Bel-Air, paradis de l’enfance de Maurice Rollinat, lieu rêvé, attendu pour les vacances lorsqu’il travaillait à Paris, voire idéalisé, a été une source principale d’inspiration pour les poèmes écrits dans la première partie de sa vie, avant que la région de Fresselines lui inspire à nouveau, de magnifiques textes sur la nature et la vie à la campagne.

 

26 septembre 2024

Catherine RÉAULT-CROSNIER et Régis CROSNIER.

 

 

NB : Pour avoir plus d’informations sur Maurice Rollinat et l’Association des Amis de Maurice Rollinat, vous pouvez consulter le site Internet qui leur est consacré.