POÈTE À DÉCOUVRIR

 

RAMUZ : UN GRAND POÈTE DE SUISSE ROMANDE

(1878 - 1947)

 

 

J’ai découvert Charles-Ferdinand RAMUZ par hasard, en parlant de poésie avec des amis suisses et j’ai lu en premier les poèmes de cet auteur, poèmes remplis de douceur, de sensibilité et d’amour de la nature associés à une profondeur de sentiments qui m’a touché l’âme.

RAMUZ est plus connu pour ses romans. Je ne l’ai su que plus tard lorsque j’ai lu ses œuvres avec passion. J’ai alors eu l’impression de mieux les comprendre parce que j’étais rentrée dans le monde de cet écrivain par la poésie.

Cet auteur m’a enthousiasmée par l’imprégnation poétique de tous ses écrits c’est pourquoi j’ai voulu vous faire partager ici mes impressions face à sa vie et son oeuvre.

 

SA VIE :

RAMUZ est né dans une famille bourgeoise, à Lausanne, en 1878. C’est le troisième des cinq enfants de cette famille et il porte le prénom de son frère né juste avant lui et décédé en bas âge. Il sera timide et rêveur ; ses parents auront toujours la crainte de le perdre et il vivra dans ce climat d’inquiétude latente.

Dès sa vie de collégien, il pressent sa vocation puisqu’il écrit dans son journal intime :

"Je serai écrivain".

Il poursuit ses études à Paris en 1902-1903 et fait une thèse sur un grand poète français du XIX°, Maurice de Guérin. Il écrit son premier livre "Le petit village" entre 1900 et 1903 ; ce sont des poèmes qui parlent de son village "tout blotti parmi les collines .

Les critiques sont rebutés par la conception de ses vers, leur découpage insolite mais il veut rester lui-même et ne pas céder au goût du public :

"Il faut aller avec soi-même contre tous : oublier le monde pour le bien seul, qui est le beau, qui est l’image du meilleur de soi".

En 1904, il publie les petits poèmes en prose dans lesquels il essaie de faire passer son message d’amour de la terre, des paysans, de la nature -plus particulièrement la montagne, les eaux, les arbres-.

En 1905, il publie "Aline", son premier roman : il décrit la figure d’une petite paysanne abandonnée par son ami, meurtrière à demi-inconsciente de son enfant et qui cherche refuge dans la mort. Lorsqu’ensuite, il va quitter Paris, il cherchera à retrouver la nature de son enfance et à continuer d’écrire.

Ses romans suivants seront tous d’une même veine. Il parle de créatures désarmées et victimes de leur passion. En 1908, il écrit "Le village dans la montagne", chant grandiose à la gloire de la montagne puis en 1909, "Jean-Luc persécuté", en 1911, "Aimé Pache", histoire d’un peintre vaudois, en 1913, "La vie de Samuel Belet".

Il se marie en 1913 avec Cécile Cellier, peintre et a un enfant.

En 1915, il se lie d’amitié avec Igor Stravinsky et de cet échange profond, naît "L’histoire du soldat" qui est une allégorie de la vie, des limites du bonheur à ne pas franchir.

Ses romans évoluent. Il abandonne le roman explicatif centré sur la destinée d’un individu vers la perception d’un monde immense à découvrir. Ses écrits se succèdent de 1915 à 1926 avec par exemple, "Présence de la Mort", qui est le spectacle de la terre entière tendant vers le cosmique, "Salutation paysanne" (1921), "La paix du ciel", "La punition par le feu", ...

À la présence de la montagne, s’ajoute une dimension nouvelle, plus vaste, universelle. Par exemple avec "La grande peur dans la montagne", il associe la vie d’une communauté à une catastrophe naturelle, une avalanche pour faire le lien entre les morts et les vivants, dans une recherche d’éternité. Ramuz devient visionnaire.

Il obtient un contrat d’exclusivité chez Gallimard. Tous ses livres vont alors y être édités : "Derborence" (1934), "Le garçon savoyard" (1936), "Si le soleil ne revenait pas" (1937), ...

Certains de ses romans vont être adaptés au cinéma ; par exemple, le film "Rapt" provient de son roman "La séparation des races".

Ses œuvres complètes sont publiées en vingt volumes en 1940-1941 par son éditeur. La fin de sa vie est assombrie par la guerre et la maladie. En 1940, il écrit "Salut à la France en guerre" ; il rejette ici le fascisme et le communisme. Il condamne l’esprit bourgeois et les forces de l’argent tout en restant à l’écart, dans sa solitude avec la poésie et la beauté. C’est d’ailleurs cette solitude qui est le thème d’ "Adam et Ève".

Le seul antidote de la fin de sa vie est "Monsieur Paul", un petit-fils très aimé, né en 1940. Ramuz mourra le 23 mai 1947, dans un état d’esprit morose en partie lié à l’empreinte de la guerre et de sa maladie.

 

SA POÉSIE :

Les poèmes de Charles-Ferdinand Ramuz sont toujours très profonds, même quand il parle de choses simples, comme les paysans ou la beauté de la montagne qui s’éveille au printemps. Son premier recueil "Le petit village" est un éloge à la nature de son pays natal, par exemple dans son premier poème "Le pays" :

"C’est un petit pays qui se cache parmi
ses bois et ses collines ;
il est paisible, il va sa vie
sans se presser sous ses noyers, (...)"

"on s’égare aux sentiers qui vont nulle part
et d’où le lac paraît, la montagne, les neiges
et le miroitement des vagues, (...)".

Ce poète écrit une langue qu’il veut débarrasser de toute trace d’académisme, une langue poétique de plein air :

"Son ciel est dans les yeux de ses femmes,
la voix des fontaines dans leur voix ...".

Nous sommes presque dans un conte de fées tellement se dégage une paix intense, celle de la nature et cette paix s’étend sur l’univers du poète. Ce besoin d’infini est contrebalancé par une recherche de simplicité à travers la vie paysanne : il aime à renouer avec les gens de la campagne comme par exemple dans les poèmes "Les filles", "Les lessiveuses", "Le taupier".

Dans le poème "La rue", il nous décrit

"Deux vieilles qui causent à l’angle d’un mur,
elles font des gestes avec leurs mains sèches
à mitaines noires,
un petit chat blanc frotte en ronronnant
son beau poil luisant à leurs jupes rêches (...)".

Ce sont de nombreux tableaux champêtres pris sur le vif et je ne peux pas m’empêcher de les associer aux tableaux de Constable, ce peintre anglais qui a si bien su décrire les gens simples dans leur vie quotidienne.

Ramuz sait aussi décrire l’insouciance de la jeunesse par exemple dans "Dimanche soir". Jeunesse et vieillesse s’opposent ou se complètent et le poète enchaîne avec la vieillesse lourde à porter quand le corps est las dans "Sur la route" où il parle avec beaucoup d’émotion

"d’un vieux qui passe, toussant,
crachant, boitant (...)".

Parfois la mort oublie le vieux qui reste là avec ses souvenirs. Dans "La vieille", il nous confie :

"Elle était déjà bien vieille
quand les vieux d’à présent étaient petits,
elle est d’un autre temps, elle est restée, et puis
elle s’est oubliée ...".

Rester ou mourir, rien n’est facile comme Ramuz nous le dit dans "L’enterrement" :

"Les vieux (...)
ça doit s’attendre à s’en aller,
mais c’est dur quand même, et c’est dur pour eux
et puis pour la femme."

Ne restons pas enfermé dans cette attente mortuaire. Ramuz repart ensuite, après cette réflexion vers le printemps et l’éveil de la nature, comme dans "Chanson" :

"Vivre, c’est un peu
comme quand on danse :
on a plaisir à commencer-
un piston, une clarinette-
on a plaisir à s’arrêter-
le trombone est essoufflé-
on a regret d’avoir fini,
la tête tourne et il fait nuit."

L’amour est fugace et léger mais fragile comme dans "Jean-Daniel" qui a dix-huit épisodes et dont la philosophie reflète bien celle de ses romans, avec une note d’éternité :

"Et pourtant je suis heureux quand même.
Je l’accuse à tort parce que je l’aime (...)
et le bonheur me revient
comme quand la lune sort
de derrière un gros nuage."

Après ce recueil "Le petit village", Ramuz éditera un an plus tard, en 1904, "Les petits poèmes en prose", chant à la gloire de la nature :

"Repose et ne nourris plus d’autres desseins que de dormir au bord de la rivière pendant que le lac s’évapore".

Le reste de sa vie, Ramuz ne publiera plus de poèmes ; il n’écrira que des romans, mais des romans toujours imprégnés de poésie. Ramuz ne se lassera jamais de décrire la beauté immense de la nature, les gens simples, l’amour même jusqu’à la folie, la vieillesse, la fuite du temps. Seule la nature paraît immuable. Mais Ramuz regrette que l’homme soit aveugle devant ce qu’il faut voir :

"Les hommes n’ont pas été capables de retenir la beauté".

 

Pour conclure, il faut remarquer que Ramuz est un poète surprenant, poète du fond de l’âme, de la pureté des sentiments ou de leur violence, de la naïveté, de la simplicité autant que de l’immensité. Il n’a jamais cherché à copier un style existant ; il a voulu être lui-même quitte à se retrouver dans la solitude. Un peu comme le petit prince de Saint-Exupéry, il a suivi son étoile, vers la pureté des hautes cimes, dans une apothéose du spectacle de la nature, seul maître incontesté devant la petitesse de l’humain face à l’univers.

Cette force passionnée qui se dégage de son œuvre, Ramuz la retiendra jusqu’à sa fin :

"Qu’il n’y ait plus rien du tout,
afin que quelque chose soit."

 

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

Février 1998

 

Bibliographie :

- Georges DUPLAIN - "C. F. RAMUZ, une biographie" - Éditions Vingt-quatre heures, LAUSANNE, 1991.

- C. F. RAMUZ "ŒUVRES COMPLÈTES (tomes I à V)"- Éditions Rencontre, LAUSANNE.

- Émission télévisée "Un siècle d’écrivains" sur FR3, le mercredi 15 octobre 1997 à 23 h 15, sur Charles-Ferdinand RAMUZ.

- Collectif sous la direction de Roger FRANCILLON - "HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE EN SUISSE ROMANDE" - Éditions Payot, LAUSANNE, 1997.

 

(Ce texte faisait partie d’un ensemble qui a obtenu la Médaille de bronze de l’Académie Internationale de Lutèce, en 2000 ; il a également été primé en 2001 par l’association "Arts et lettres de France", section Essai.)

 

NB : Outre le présent article, vous pouvez lire sur ce site deux poèmes de Charles-Ferdinand RAMUZ ayant participé aux "Murs de poésie de TOURS" : "sans titre" en 2000 et "sans titre" en 2001.