DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LE SONGE DE MONOMOTAPA

 

de J.-B. PONTALIS

 

aux Éditions Gallimard, 2009, 166 pages

 

J.-B. Pontalis fait partie des auteurs qui ne passent pas inaperçus. Son livre Le songe de Monomotapa en est une preuve. En effet, cela pouvait paraître une gageure que de vouloir écrire un livre entier sur l’amitié en ce début de XXIème siècle où les sentiments font vieux jeu, s’érodent, où la société de consommation prend le pas sur les vraies rencontres, où les jeux vidéos remplacent le contact avec l’humain, où les écrans fascinent et nous déconnectent des sentiments. Les contacts sont déshumanisés et dans la foule, on marche comme des automates, pantins mécaniques assemblés pour une déambulation où chaque pion avance sans but, sans pensée propre. Alors l’amitié, est-elle encore à la mode ?

J.-B. Pontalis dépasse ce questionnement et nous parle en ami de l’amitié sur le ton de la confidence et comme une chose indispensable. Pour lui, l’amitié vaut la peine qu’on s’y intéresse et encore plus maintenant. Elle est de tout temps : « Au cours d’une vie les amitiés changent. Les amis sont-ils pour autant interchangeables ? » (p. 17)

Ce livre n’est pas un roman à la mode ni un livre de science-fiction ou d’amour. C’est « un éloge de l’amitié » (p. 16). Le titre déjà nous surprend, « Le songe de Monomotapa ». Monomotapa n’est-ce pas l’impossible ? « (…) c’est que l’ami véritable dont parle La Fontaine n’existe pas, que Monomotapa n’est qu’un songe ? Non, je me refuse à croire cela. (…) Je ne renonce pas à l’amitié, fût-elle imaginaire, improbable. » (p. 16)

Mais qui n’a jamais tenté l’impossible ? « Dissolution d’une amitié. Nos rêves aussi, ces fictions nocturnes, se dissolvent au réveil, alors que nous souhaiterions les retenir. (…) Préfigurent-ils notre destin de corps mortels voués à se dissoudre en poussière ? » (p. 88)

Oui, l’amitié est fragile comme nos corps et nos pensées mais si malgré tout, cela valait la peine d’essayer ?

Dans ce livre, l’amitié après les grands auteurs classiques dont Montaigne, est déclinée sur le mode moderne, pour nous, terriens du XXIème siècle. L’amitié vit de pressenti et devient l’indispensable quête sans laquelle la vie perd son sel. Depuis Saint-Exupéry, personne n’avait essayé de retenter l’expérience de parler ainsi de l’amitié. Mais l’amitié est incontournable. Elle nous donne des ailes et de l’espoir même si elle peut être déçue, bafouée, trompée : « L’ami est différent et semblable. » (p. 18)

Et pourquoi refuser l’amitié, même si l’on n’est pas sûre qu’elle dure ? Est-on sûr de nous et ne tolère-t-on pas nos faiblesses ? « Qui a eu la chance de rencontrer l’ami qui ne déçoit jamais et qu’on a jamais déçu ? » (p. 22)

Saint-Exupéry lui aussi, qui aimait tant l’amitié, avait bien du mal à vivre en pratique. Il se sentait un peu « ours » et pourtant l’ami lui était indispensable, presque aussi vital que l’eau dans le désert. Tout était plus facile quand il était seul dans son avion mais quand l’accident arrivait à l’un d’entre eux, alors l’amitié prenait tout son sens. J.-B. Pontalis ressent la même impression : « Alors, je me dis que l’amitié est plus forte que la mort, qu’elle survit à la séparation, à l’absence, (…) » (p. 36)

On ne garde pas un ami pour soi sinon ce n’est pas un ami : « La présence de l’ami est discrète, elle n’est jamais intrusive, possessive. » (p. 37)

Refuse-t-on la main qui se tend, un sourire ? L’amitié nous porte secours, c’est d’ailleurs le titre d’un chapitre « Le secours » : « À tout âge, il arrive que des liens d’amitié se tissent. » (p. 99)

L’amitié ne nous apporte-t-elle pas une bouffée d’air pur dans notre quotidien ? « Un moyen de nous soustraire à la violence anonyme du monde dit extérieur et aux tourments du monde dit interne. » (p. 115)

N’est-elle pas une nourriture pour l’âme, une force pour la route ? « L’ami venu de loin se rapproche de moi, il m’aide à vivre et à mourir et peut-être (…) va-t-il demeurer là, à mes côtés, jusqu’à la fin. » (p. 123)

L’ami qui écoute, est un baume pour le cœur : « Lieu commun : le véritable ami est celui à qui l’on peut tout dire. » (p. 124)

Oui, J.-B. Pontalis a réussi à faire passer son message sur l’amitié dans le monde d’aujourd’hui. Non, l’amitié n’est pas de trop, non l’amitié n’est pas superflue même si c’est un exercice de haute voltige : « Il est l’autre, il est aussi, bien plus qu’un ami privilégié, l’ami exclusif, l’élu, il est l’irremplaçable. » (p. 146)

 

07 septembre 2009

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Mis en ligne avec l'aimable autorisation de M. Pontalis en date du 2 octobre 2009.