DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LA TAPISSERIE DU TEMPS PRÉSENT

de XAVIER ORVILLE

 

aux Éditions Bernard GRASSET, PARIS, 1979, 145 pages

Portrait de Xavier ORVILLE par Catherine RÉAULT-CROSNIER, d'après photographie

Portrait de Xavier ORVILLE, par Catherine RÉAULT-CROSNIER, d’après photographie.

 

Xavier ORVILLE décrit dans "La tapisserie du temps présent", un "pays des eaux entre les îles" où règne un Président tout puissant ; face à lui, l’auteur suscite l’image vengeresse du Nageur. Impressionnée par la force d’écriture de cet homme, j’ai voulu analyser ce livre. Mais avant voici quelques traits de sa vie :

Né à la Martinique en 1932, Xavier ORVILLE vient de nous quitter à l’âge de 69 ans des suites d’un cancer (le 19 août 2001). Ce romancier contemporain a été conseiller culturel de deux présidents sénégalais, Léopold Sédar SENGHOR et Abdou DIOUF. Il a écrit de nombreux livres, romans, nouvelles, pièces de théâtre, articles. Agrégé de l’Université, il enseignait l’espagnol au lycée polyvalent du Mirail de Toulouse. Son premier livre "Délice et le Fromager" sorti en 1977 chez Grasset, a obtenu le prix des Caraïbes en 1977, puis lui ont fait suite de nombreux livres à succès dont "La Tapisserie du Temps Présent", "L’Homme aux sept noms et des poussières", "Le Marchand de larmes", "Laissez brûler Laventurcia". Lorsqu’il se sait condamné, il se met très vite à écrire "Cœur à vie" en 1993 qui a obtenu le prix Frantz-Fanon, "La voie des cerfs-volants", puis "Moi, Trésilien Théodore Augustin" dans lequel il imagine un coup d’état militaire en Martinique pour dénoncer les dictateurs de l’histoire des Caraïbes, avec une ironie grinçante. Il venait de terminer un dernier roman "Le corps absent de Prosper Ventura" lorsqu’il est décédé.

Revenons au livre. Xavier ORVILLE tisse avec les mots, la trame d’un paysage dans lequel la ville grouille et "la lune regarde avec des cils d’eau triste" (p. 14). Romantisme et absence dominent car "les chemins ne mènent nulle part" (p. 14).

Des images puissantes alternent avec la boue de la corruption dont la corruption politique :

"Pendant que les policiers s’affairent autour du cadavre, le Soleil Président regarde. (…) Dans sa méchanceté immobile." (p. 32)

Une odeur résiduelle d’esclavage flotte à côté d’un despotisme intolérable. Xavier ORVILLE nous met en garde contre les dictateurs :

"À tous les citoyens (…) salut et paix ! Nous, Président à vie de ce pays par la grâce de Dieu (…)" (p. 109)

Sur la tapisserie du temps présent, le soleil fait une "tache rouge" et la lune est blafarde. Un rêve immense se lève pour faire face au réel cauchemardesque. La passion fait fureur par moment, mais cet écrivain nous intrigue par son art de mêler et d’emmêler ou de tisser des fils d’espérance sur une trame de révolte :

"Les hommes (…) pèsent le silence aux plis de la nuit. (…) Les rives en sont peuplés de cris" (p. 81).

Cette bombe de mots a une force spectaculaire. Elle veut bouleverser les mentalités, le monde présent. Cette voix est aussi celle d’un poète tant les images sont parfois belles même de révolte :

"La ville, pliée sur elle-même, mâchonne son cœur amer" (p. 51).

Vu la force du message, il n’est pas étonnant que Xavier ORVILLE soit devenu présence du faible, voix des esclaves qui veulent casser leurs chaînes et surmonter le Soleil Président qui :

"rit, puis démonte ses paupières, qu’il dépose dans le baquet de la nuit"(p. 51).

car il préfère rester aveugle, insensible mais Xavier ORVILLE sait nous prévenir à mots couverts contre ce danger, avec la délicatesse de son écriture qui frappe encore plus l’imagination grâce à ses trouvailles littéraires.

Visionnaire, il décrit "… d’où s’échappaient des chevaux éblouis. Ils galopaient vers cet appel violent, leur crinière des chevaux hérissée de flammes" (p. 12 et 13) comme la liberté qui se brûle au galop de la vie. Les troncs d’arbres portent des "serpents séculaires" (p. 13) car le mal est enraciné partout. Xavier ORVILLE veut entretenir la mémoire de la souffrance bien que celle-ci soit "lasse, couverte d’ecchymoses, endeuillée" (p. 15).

Poète, Xavier ORVILLE nous parle d’ "yeux de marée basse, battus de fatigue" (p. 15). Les contrastes s’entrechoquent avec la modernité, la société de consommation dans laquelle nous vivons et il nous décrit "un balcon vide soutenant une enseigne de Coca Cola" (p. 17). Oui, la multitude des biens matériels est bien le néant, "Désespérément rien" (p. 17).

Xavier ORVILLE crée des associations de mots illogiques au premier abord et pourtant… Il nous dit que "Les vitrines allongent des regards parapluies" (p. 18). Oui, les vitrines sont les miroirs des yeux des passants et des objets. Le reflet nous permet de connaître un peu ces êtres sous la pluie. Alors "Le ciel s’essuie les yeux" (p. 18). Xavier ORVILLE nous convie à la fête des images inhabituelles pour nous éclairer de sa lumière avec "des cils de libellules" (p. 93), il "nage la mer aux yeux verts pour que vivent les soleils éteints,… les coquilles vides naguère, nacrées de tendresse" (p. 92 et 93).

L’originalité de ces associations de mots nous entraîne dans l’univers magique de l’écrivain, hors des souillures et de la corruption. Xavier ORVILLE a une âme poète et malgré la dureté des temps présents, il sait encore rêver à un "temps amande" (p. 81) ; il a le regret du passé, d’avant le massacre, "là où fleurissaient jadis la lumière et les marchandes de bonbons vanille" (p. 81). Il nous emporte dans la réminiscence des parfums de l’enfance, un peu à la manière de Marcel PROUST. Mais il garde intact l’espérance et il voit sa bien aimée à l’ombre de la nostalgie du temps passé, avec son "air d’écureuil roux" (p. 91) et son corps réfléchit "ce lit d’étoiles que ton corps réfléchit" (p. 91). Là, nous trouvons "le chemin qui s’ouvre dans ce sillage fait d’écume et de fleurs mouvantes" (p. 127) car "il n’y a pas de corde suffisante pour étrangler le verbe aimer" (p. 93) et "le nageur suspend des étoiles aux filaments des méduses" (p. 128). Sillage de rêve, espoir d’étoles, voici la tapisserie de l’espérance aux mots brodés au fil d’or. La mer est omniprésente, à la fois mère, miroir et rêve : "le nageur apaise la mer avec la paume de sa main" (p. 139). Et la femme est là, "un papillon dans le dos" (p. 139).

Images de fin du monde, d’union de l’homme et de la femme dans l’amour signant "la fin de cette Tapisserie" (p. 139). Xavier ORVILLE veut "éveiller vos yeux à la réalité profonde" (p. 139 et 140) et je crois qu’il y réussit, réveillant en nous notre âme poète enseveli pour trouver "la sève frémissante de la vie" (p. 140).

Étonnant auteur que Xavier ORVILLE, pleinement contemporain avec ses cris de révolte, ses images neuves, sa force d’espérance et son âme poète ! Il nous crie la victoire du Nageur contre le Président à vie ; il garde l’espoir que toutes les dictatures disparaissent et il a le courage de ses idées. Il faut s’imprégner de ses écrits avant de comprendre son message mais alors quel enrichissement pour chacun ! N’hésitons donc pas à découvrir cet auteur qui sort des sentiers battus et refuse de s’endormir dans la routine quotidienne ; partons avec lui sur le chemin de l’inattendu, de l’inespéré et nous ne regretterons pas notre voyage.

 

Novembre 2001

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

BIBLIOGRAPHIE :

La Nouvelle République du Centre Ouest du 22 août 2001, article Disparition de l’écrivain martiniquais Xavier ORVILLE.

ORVILLE Xavier, La tapisserie du temps présent, éditions Grasset, 1979

ORVILLE Xavier, La voie des cerfs volants, éditions Stock, 1994

Biographie de Xavier ORVILLE en date du 5 octobre 2001, sur le site Internet : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/orville.html

Annonce du décès de Xavier ORVILLE sur plusieurs sites Internet : www.outre-mer.gouv.fr/ , www.cesaire.org/ , www.hangover.fr/ , www.globalgallery.org/ .