DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

PRESQUE RIEN SUR PRESQUE TOUT

 

de Jean D’ORMESSON

de l’Académie française

 

Éditions Gallimard, 381 pages, 1996

 

Encre de chine de Catherine RÉAULT-CROSNIER, inspirée par le livre "Presque rien sur presque tout" de Jean d’Ormesson.

Encre de chine de Catherine RÉAULT-CROSNIER, inspirée par le livre
"Presque rien sur presque tout" de Jean D’ORMESSON (taille réelle : 80x120 cm).

 

Les paradoxes s’unissent alors pourquoi « presque rien » et « presque tout » ne seraient-ils pas presque équivalents ? La différence peut paraître gigantesque ou minime selon le point de vue dont nous nous situons, nous qui sommes des presque rien ou des presque tout…

 L’homme est grand lorsqu’il est en quête d’absolu ; il se tourne alors vers ses origines et son devenir d’un seul élan. Presque rien, c’est le début du monde à moins que ce ne soit presque tout sauf l’homme :

« Avant le tout, il n’y avait rien. Après le tout, qu’y aura-t-il ? » (page 9)

Du début à la fin du monde, la vie grouille mais que sera la fin ?

« Après le tout, qu’y aura-t-il ? » (page 9)

Chaque être humain se pose un jour, cette question et porte vers le néant ou l’éternité, cette interrogation qui peut se transformer en quête philosophique :

« Vous êtes un homme. Et vous pensez. » (page 9)

Avant comme après Descartes, la pensée a toujours été présente avec l’homme, en l’homme même à l’état de larve, comme en gestation. Et l’homme prend pleinement sa place parce que l’univers existe dans le tout :

« Nous sommes un très petit, un minuscule fragment du tout. Mais que serait le tout sans les hommes ? » (page 9)

La carcasse humaine cache notre fragilité mais la pensée invisible la rend immense par la beauté de son élévation. C’est la pensée de l’homme qui fait sa grandeur.

De l’homme terre à terre à l’aube de la genèse à l’être pensant, passionné, révolté, ému, il n’y a qu’un pas dans le temps, un pas dans l’univers.

Ce roman de Jean d’Ormesson veut relever la gageure d’être le grand « roman du tout » (page 10).

La permanence de l’être dans le temps vit dans l’infini de la création :

« Car l’être est ce qui est depuis toujours et pour toujours. Il y avait un être infini et éternel qui se confondait avec le néant, et par conséquent avec le tout. » (page 13)

Petitesse et grandeur de la condition humaine se révèlent dans l’immensité de la création dès les origines :

« Exister dans le temps, c’est s’interroger sur l’origine. » (page 18)

L’homme, il ne lui suffit pas de vivre, il veut savoir d’où il vient et où il va :

« Il y a quelque chose d’irréversible après la naissance du temps. » (page 20)

Notre vie s’égrène comme dans un sablier mais nous ne pouvons pas le retourner quand le temps de passage sur terre est terminé. Cependant l’homme agit comme s’il était éternel, sans penser à sa finitude, se projetant dans l’éternité :

« le tout est réel dans le temps parce qu’il était possible dans l’éternité. » (page 21)

L’amour soutient le monde. Sans lui, le tout serait rien ; avec lui, le tout est espérance à l’infini :

« Il fait tourner le Soleil et les autres étoiles. Il empêche le monde de mourir. Il soutient le tout et ne cesse jamais de l’engendrer. » (page 22)

L’amour est fou et il est l’essence même de l’être mais il est contrebalancé par la présence du mal :

« c’est la liberté de l’homme qui révèle le mal et le fait triompher. » (page 23)

Le mal est dans le temps contrairement à l’éternité qui abolit sa réalité :

« L’éternité est une absence de temps. » (pages 27 et 28)

Le temps passe, naît, meurt. Le temps est lié à l’espace, aux planètes qui tournent car :

« un désir d’autre chose et d’amour agite l’éternité. » (page 32)

C’est comme si l’éternité s’ennuyait et avait ressenti le besoin d’amour :

« Où est l’avenir ? Question absurde. Nulle part. » (page 47)

Personne ne peut prédire le futur mais le présent est aussi troublant :

« Il est permanence et évanouissement, continuité et renouvellement. » (page 51)

car :

« Le moment où je parle est déjà loin de moi. » (page 52)

Le présent n’est jamais présent car le temps qu’on en parle, il n’est plus et avant qu’on en parle, il n’est pas né :

« l’existence du tout et des hommes est d’abord métaphysique. » (page 54)

Le temps fascine l’homme mais on ne peut ni le saisir ni l’arrêter. Pour Jean d’Ormesson, il est « aussi étranger que l’éternité » (page 56) car « Le temps enveloppe le tout et se confond avec lui. » (page 57)

C’est l’union du temps et de l’espace, l’union avec notre Galaxie, les milliards d’étoiles, les autres galaxies, l’immensité insondable de l’univers.

Malgré sa petitesse, l’homme vit comme s’il était le centre de l’univers car il se sent unique en tant qu’être pensant :

« Mais chacun de nous et ce qu’il croit, chacun de nous et ce qu’il fait est le cœur brûlant du tout. » (page 65)

Dans le miroir de l’homme, il y a une grande lumière car :

« La lumière est l’ombre de Dieu. » (page 67)

L’homme sait que son corps disparaîtra ; il connaît sa condition humaine mais il sait aussi qu’il transmettra ses gènes à sa descendance et par cela, existera toujours un peu, de même qu’il existait déjà en gestation, avant sa naissance :

« Rien de plus vivant qu’un homme, mais son corps n’est que matière, et ses cendres en seront aussi. » (page 74)

Donc rien n’est plus vivant qu’un homme mais rien aussi de plus éphémère, un éphémère troublant car il se renouvelle dans le temps. L’homme vit en union avec sa famille et tous les hommes mais aussi avec la matière, avec ses pensées et ses créations.

L’homme respire et sans air, il ne pourrait vivre mais il respire sans y penser, sauf s’il analyse l’air scientifiquement et non, à chaque inspiration comme quelque chose de vital :

« L’air n’est pas, comme l’espace, comme la lumière, comme le feu, un instrument de l’infini, un outil du démiurge : c’est une poussière de rien du tout qui, à force de se glisser dans nos poumons, a su se rendre indispensable. » (page 84)

Qu’est-ce qui règne sur tout ? La loi mais l’homme veut aller plus loin que l’obéissance. Il veut savoir si ce qu’il pense, est la vérité. Il veut savoir s’il est le fruit du hasard ou si tout est déterminé. L’homme est-il à l’image de Dieu ? Jean d’Ormesson nous présente des phrases miroirs de la bible comme :

« Je suis l’être. Je suis. Je suis celui qui est. » (page 97)

Puis il considère l’homme comme un bijou précieux pour son créateur :

« Les hommes sont le joyau de l’être. » (page 97)

« L’homme est le roi de la Création. » (page 109)

L’homme est l’être pensant par excellence sur terre. Sa pensée est prodigieuse de richesse, d’idées, d’idéal :

« Ainsi, la pensée n’en finit pas d’avancer et de se contredire. Elle n’est jamais en repos. (…) la pensée est ouverte sur le tout, le tout s’offre à la pensée. » (page 147)

La grandeur de l’homme fait sa force et sa volonté de chercher à progresser malgré ses limites et ses efforts inutiles, malgré la victoire du mal qui contrebalance sa progression. Pour ne pas se prendre trop au sérieux, l’homme rit :

« L’ambiguïté du bien et du mal est cachée dans le rire comme elle est cachée dans les mots. Dans le silence et dans la parole, l’homme est capable de rire parce qu’il est capable de penser. » (page 158)

Le rire est l’étonnement, il laisse la place au doute, à l’esprit qui s’élargit alors il peut espérer :

« Il y a dans l’espérance comme un reflet de l’éternité. Un reflet ironique. (…) Si l’avenir n’était pas espérance, le monde serait un enfer. » (page 188)

L’espérance fait partie de la création. Dès que l’homme a pu penser, il a espéré et il a imaginé :

« L’imagination se situe quelque part entre la raison, le souvenir, la poésie et la passion. » (page 191)

L’homme se crée alors un autre monde en rêvant ; il a accès à la poésie, à l’inconnu, à l’irréel, à l’impensable, à la pensée nouvelle, à l’espoir. La foi n’est pas loin de lui alors car elle est à la lisière de la science et de la raison, dans le domaine du ressenti inexplicable mathématiquement. Jean d’Ormesson exprime sa foi dans le christianisme car Dieu y est fait homme et partage avec les faibles en premier. Il est le don total de l’amour :

« l’amour des hommes pour les hommes et la pitié pour leurs souffrances n’en finiront jamais de renaître de leurs cendres. » (page 205)

Par le Christ, la mort est dépassée et l’espoir, infini :

« L’amour est partout. L’amour est tout. » (page 218)

« le rêve de tout amour est de mourir pour ce qu’il aime. » (page 219)

Là l’homme rejoint Dieu. L’infini est proche du fini. « La nécessité est frappée de hasard. » (page 221)

Le monde est un paradoxe où tout est possible et relatif. Jean d’Ormesson ne cherche pas à nous convaincre mais il donne sa version pensée de la création, tout en sachant que :

« Chacun croit en un Dieu ou n’y croit pas. » (page 235)

Mais pour lui, sa foi le fait vivre intensément et il fait ici sa profession de foi. Pour lui, tout est lié dans la création :

« Ce lien est le tout même. (…) C’est lui qui fait courir comme un fil invisible entre les étoiles et la pensée, entre le big bang et l’histoire, entre le tout et chacun de nous. » (page 262)

En symbiose avec l’univers, l’homme fait partie du tout mais il réfléchit, il pense et voudrait connaître d’où il vient, pourquoi il vit, où il va :

« Nous avançons, vous et moi, les yeux bandés dans le noir. » (page 345)

« Voilà ce que je suis, un miracle. À des milliards et des milliards d’exemplaires. » (page 365)

Chaque homme est unique ; il n’y a pas deux copies identiques. L’homme reste un mystère de même que l’univers. L’homme veut savoir mais reste dans l’ignorance ou plutôt plus il comprend, moins il sait mais il s’acharne, assoiffé de pensée, de volonté. Il oscille perpétuellement entre la richesse de la découverte et l’immensité de l’inconnu révélé, entre le bien et le mal, entre le rien et le tout.

L’homme n’est presque rien ou presque tout ce qui est la même chose dans la complexité de l’univers, dans ce bouillonnement de création, dans le temps, dans l’espace, au-delà du connu et du prévisible.

L’homme, ce grain de sable pensant, cette poussière à peine palpable, vite envolée, l’homme, ce philosophe né qui cherche son chemin entre le bien et le mal, le tout et le rien, inlassablement.

 

Février 2004

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Mis en ligne avec l’aimable autorisation téléphonique de Monsieur Jean D’ORMESSON, en date du 9 mars 2004.