DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

GUIDE DES ÉGARÉS

de Jean d’Ormesson

 

Coédition Gallimard / Éditions Héloïse d’Ormesson, 2016, 120 pages.

 

Jean d’Ormesson, écrivain, philosophe, membre de l’Académie française depuis 1973, Grand-croix de la Légion d’honneur, Officier de l’ordre national du Mérite, a écrit un très grand nombre de livres, essais, biographies, romans, articles… pour le bonheur de tous, depuis L’amour est un plaisir en 1956 (Julliard).

Il a reçu un grand nombre de prix dont le grand prix du roman de l’Académie française pour La Gloire de l’Empire en 1971. Pour le 25e anniversaire de l’UNESCO, il a écrit Dans l’esprit des hommes en collaboration (PUF). Il a exercé de nombreuses responsabilités dans le monde littéraire dont directeur général du Figaro (1974 – 1977), Secrétaire général puis Président du Conseil international et des sciences humaines à l’UNESCO.

Dans son livre Guide des égarés, paru en 2016, il nous entraîne au fil de ses pensées sur les mystères du monde dans lequel nous vivons et dont nous sommes à la fois acteurs et simples passagers. De nombreux chapitres, souvent d’une à deux pages, se succèdent sur des thèmes forts, sentiments, ressenti, énigmatique, monde concret ou abstrait, fragilité de l’être. Il nous aide à réfléchir sur l’étonnement, la disparition, l’angoisse, le mystère, la matière, l’espace, l’eau, la lumière, le temps, le mal, la vie, la mort, le progrès, la justice et en final l’amour et Dieu.

Ce livre commence dans une atmosphère proche de Descartes : « Je suis là. J’existe. » (p. 11) mais Jean d’Ormesson part de suite ailleurs, partage avec nous sa « stupeur », l’évidence fragile. (p. 11). Du concret, suit « La disparition » (p. 12) car « tout se hâte de disparaître. (…) Tout passe. » (p. 12) Alors au fil du temps, tout devient rien ; les civilisations, les croyances, nos vies deviennent poussières. (p. 12)

En toute conscience, l’auteur ressent « un vide », reconnaît « une angoisse » devant l’absence de permanence. (p. 14)

Alors le titre qu’il a choisi, Guide des égarés, prend tout son sens, car nous ne connaissons pas le sens de notre passage sur terre (p. 15). Il s’interroge sur l’absurdité du monde, le bien, le mal, les souffrances, le bonheur, la beauté, l’amour. Tout va-t-il disparaître dans le néant ? (p. 16)

« (…) notre vie est un mystère. » (p. 17) Il nous entraîne du monde scientifique vers celui de la philosophie, près de l’air indispensable à la vie et du vide. « Dans le vide, il y a encore de l’espace, mais il n’y a plus de vie. » (p. 30)

Air, eau, lumière ont leur place ici, sont source de vie car sinon tout meurt. Jean d’Ormesson détaille la force de l’eau vitale : « l’eau est aussi plus étrange et plus paradoxale. Elle n’a ni forme ni couleurs, (…) Elle est la source et la condition de toute vie (…). » (p. 31)

L’auteur s’émerveille de la lumière, « le premier et le plus simple des bonheurs. Vivre, c’est découvrir la lumière du matin. » (p. 35) Jean d’Ormesson apprécie d’autant plus ces « délices passagères et durables » (p. 37) d’autant plus qu’elles nous seront « arrachées » comme déjà par « l’incarnation de la souffrance et du mal : le temps. » (p. 37)

Jean d’Ormesson consacre un chapitre plus long – cinq pages – à « La pensée (p. 43) car il reconnaît son rôle essentiel : « la pensée donne au monde son existence. » (p. 43) Il n’hésite pas à citer les éléments primordiaux, preuve de la certitude de notre existence, dont « l’imagination poétique, le goût des arts, la musique, le théâtre, la poésie, la prière (…) » (p. 45). Pour lui, matière et esprit sont liés alors « Comme le monde lui-même, la pensée est incarnation. » (p. 47)

Il réfléchit sur le bien et le mal. Il pense que l’empreinte du mal est peut-être dominante contrairement au bien « exception lumineuse dans un monde où règne le mal. » (p. 52) La vie oscille entre souffrances, cruautés et « le bonheur » (p. 58). Jean d’Ormesson comprend que « La vie est multiple et imprévisible » (p. 59), en bien et en mal alors nous pouvons toujours garder espoir dans le désespoir. L’auteur nous montre combien nous sommes attachés à la vie malgré notre condition périssable, et peut-être encore plus par ce fait. (p. 59).

Il comprend pourquoi toutes les formes de création nous attirent (p. 62). Elles nous permettent de nous ressourcer devant le mystère du monde car « Entrer dans ce monde est un mystère. En sortir est un mystère. » (p. 64) Tout dans nos vies est sans explication rationnelle, avant, après et pendant.

Dans le chapitre « La mort » (p. 66), Jean d’Ormesson remarque que nous ne savons rien sur la mort depuis la nuit des temps jusqu’à maintenant, depuis « des millions de siècles ». Il n’hésite pas à utiliser les mots « barrière infranchissable » (p. 66) pour montrer notre ignorance devant l’inconnu, passé, présent et avenir d’où encore la justesse de son choix du mot « égarés » pour les humains, terme essentiel présent dès le titre du livre (p. 67).

À côté de ces errances d’existentialisme, de ces égarements, il existe des moments agréables : « Le plaisir est un instant qui passe : il nous excite. Le bonheur est un état qui s’efforce de durer : il nous apaise. » (p. 73) et au-dessus de tout, il y a la joie de la « grâce » qui va au-delà de nous-mêmes. (p. 73)

Dans le chapitre « L’histoire » (p. 75), Jean d’Ormesson déroule le fil du temps de nos vies, des temps passés, des actes présents, du plaisir. Il sait que l’histoire est aussi construite vers l’avenir et liée à « la conscience ». Alors l’avenir devient « annonce », « attente », « promesse » (p. 76). Pour lui, l’histoire ne finit jamais (p. 77).

Avec « Le progrès » (p. 78), le monde est en marche, celui du changement qui apporte plus de la facilité, « une succession d’avancées foudroyantes » (p. 79) et ses zones d’ombre, ses « risques imprévus » (p. 79) mais pour Jean d’Ormesson, il est impensable de faire marche-arrière.

Jean d’Ormesson aborde aussi « La justice » (p. 81). Il nous montre l’inégalité entre tous selon notre place, notre fonction, notre statut, notre richesse matérielle, notre santé… Il affirme : « La nature est plus injuste encore que la fortune si imprévisible et si volage. » (p. 81) Il est alors évident que tout est lié au « pouvoir », à « l’argent », au « hasard », au « destin »… La justice devient utopie inaccessible car, l’auteur nous le souligne, « la justice est un rêve. » (p. 86)

Pouvons-nous espérer que la beauté sauve le monde ? Jean d’Ormesson n’en est pas sûr (p. 91) mais elle est énergie positive qui nous rend « supportable » les aléas de la vie, « la folie des hommes et de leur génie ». (p. 91)

L’auteur nous entraîne sur le chemin de « La vérité » (p. 92) à côté du bonheur offert par « L’air, l’eau, la lumière, le plaisir, le bonheur, la beauté », « dons gratuits », (p. 92) ressourcement pour tous.

Jean d’Ormesson l’a compris et l’affirme : « Il y a quelque chose de supérieur à la vérité (…) : c’est l’amour. » (p. 99) Alors il se réfère au christianisme qui met le règne de l’amour au-dessus de tout, jusqu’au don total de « l’amour de Dieu » (p. 107 et p. 108), « pour partager de bout en bout les souffrances des hommes et la mort. » (p. 114)

Jean d’Ormesson le sait, il n’y a aucune preuve mathématique à nos croyances mais Dieu « reste notre unique espérance. Et, en vérité, dans la beauté, dans la joie, dans la justice, dans l’amour ». Il l’affirme, il est « la seule réalité. » (p. 118)

 

7 mars 2017

Catherine RÉAULT-CROSNIER