DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LE FAIT DU PRINCE

 

d’Amélie NOTHOMB

 

aux Éditions Albin Michel, 2008, 170 pages

 

Si j’avais à qualifier les livres d’Amélie Nothomb, le mot « acide sulfurique » me vient à l’esprit tant ces livres sont décapants, dérangeants, s’opposant à notre manière habituelle de voir les choses et les êtres mais vous êtes sûrs de ne jamais vous ennuyer et de ne pas savoir jusqu’au bout du livre, où Amélie va nous emporter. Elle change notre manière de voir car elle va ouvrir le tiroir de notre inconscient et aussi celui de nos phantasmes et celui de nos pulsions cachées. Elle reconstruit le monde. Dans « Le fait du Prince », l’histoire commence avec la mort d’un homme d’une manière surprenante puis à l’usurpation d’identité du mort. De là à perdre son identité, il n’y a qu’un pas :

« Pourquoi moi ? Parce que j’avais le même âge, la même taille, la même couleur de cheveux, l’esprit assez tordu – et la vie assez ratée – pour avoir le projet d’échanger mon identité contre celle d’Olaf. » (pp. 114 et 115)

Amélie Nothomb nous surprend et nous parle de la part d’inconnu qui existe dans chaque être humain même le plus respectable :

« Vous n’êtes pas innocent. Quelqu’un est mort chez vous. » (p. 8)

Ainsi il n’y a plus de bons et de mauvais, mais des êtres qui vivent sans savoir souvent pourquoi ils réagissent comme ils le font. On ne contrôle sa manière d’être qu’en apparence. Ainsi est « Le fait du prince » où le prince ne sera jamais prince, où tout baigne dans l’irréel d’un présent incongru. Malgré tout, la vie continue et pétille comme le champagne qui coule à flots : à votre santé ! Pour une mer de bulles et de bouteilles à déboucher qui permet de revoir la vie autrement, et d’oublier le présent. D’ailleurs le présent est-il plus réel que la fiction ? :

« Ainsi, à n’importe quel moment de journée ou de la nuit, il y a du champagne à la température idéale. (…) La piscine devint encore plus féérique, laissant percevoir une surpopulation orangée de veuve-cliquot, l’éclat bleu pâle du dom-pérignon, les îlots violets du krug. » (pp. 59 et 60)

Mais est-on plus heureux dans une vie faste ? Le présent reste incongru et on ne sait plus si les morts sont morts ni si les vivants sont plus vivants que les morts :

« Y a-t-il un avantage à être mort ? » (p. 26)

Alors l’homme, Jérôme Angust, prend la peau d’un autre, juste pour changer d’identité, comparer deux vies :

« Je voulais vivre à grandes enjambées, m’exalter d’exister. Rien de tel que d’adopter l’identité d’un inconnu pour connaître l’ivresse du large. » (p. 33)

Bien sûr une histoire se déroule au fil des pages, à mi-chemin entre un roman policier et une histoire de science-fiction car on ne sait plus où est le vrai et ce qui est vrai, comme souvent dans la vie d’ailleurs :

« C’est un destin. On est choisi. » (p. 98)

Et puis le temps passe tout seul, sans rien faire :

« (…) le temps ne doit pas être employé. Il ne faut pas s’occuper, il faut se laisser libre. » (p. 133)

L’histoire se déroule entre un homme et une femme qui n’aurait pas dû se rencontrer :

« Pourquoi restez-vous ? » (p. 162)

Mais si chacun ment à l’autre, le vrai n’a plus d’existence :

« Les mensonges ont de curieux pouvoirs : celui qui les a inventés leur obéit. » (p. 163)

Et si l’argent coule à flots parce que c’était « Le fait du prince » mort, est-ce que la vie est plus facile ? Amélie Nothomb prend le large par rapport à l’argent et nous montre que celui qui en a beaucoup tout d’un coup, le dépense sans compter, comme si le filon n’allait jamais tarir. C’est le trait de l’épicurien qui dit « Profitons-en dès maintenant. » sans se soucier de l’avenir :

« Notre dette publique nous indifférait. C’était le fait du prince. » (p. 169)

Les paysages blancs de neige rappellent à l’écrivain sa page blanche :

« Pour moi, ce blanc était celui de la page vierge que j’avais conquise. » (p. 170)

Oui il nous reste, quelque soit l’épopée de nos vies, un domaine vierge à conquérir.

 

07 septembre 2009

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Mme Amélie Nothomb en date du 5 octobre 2009.