DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

COSMÉTIQUE DE L’ENNEMI

 

d’Amélie NOTHOMB

 

aux Éditions Albin Michel, 2001, 140 pages

 

Dans Cosmétique de l’ennemi d’Amélie Nothomb, tout commence par un crime et finit par un crime :

« Il fallait qu’il fût présentable afin de rencontrer sa victime dans les règles de l’art. » (p. 7), mais le crime se fait attendre au point que le lecteur se demande si ce n’est pas un leurre. Les mots s’enchaînent, irritants, provocateurs. Est-ce une certaine forme de crime que ce flot de paroles dont le vrai sens nous échappe ? Où nous emporte Amélie Nothomb ? Au pays du suspense, c’est sûr. Et le personnage central persévère à vouloir nous faire croire qu’il a tué :

« Ce n’est que le premier mort qui compte. C’est l’un des problèmes de la culpabilité en cas d’assassinat (…) » (p. 24)

Comme un leitmotiv, cet homme s’acharne à convaincre un autre qu’il est bien un meurtrier, un violeur et ce flot de paroles ne semble pas vouloir finir :

« Je vous disais que l’être humain est une citadelle et que les sens en sont les portes. L’ouïe est la moins bien gardée des entrées : d’où votre défaite. » (p. 40)

Alors il n’y a qu’une seule solution, attendre que l’autre s’arrête :

« Vous avez vu comment vous abordez les gens ? Vous en êtes incapable autrement que par la violence. La première fille que vous avez désirée, vous l’avez violée. » (p. 58)

Étrange manière pour nouer une relation que de dire à celui que l’on rencontre qu’on a violé sa femme. De plus, le tueur a besoin de se décharger de son secret et de convaincre par moult arguments, le mari devenu veuf qu’il est aussi l’assassin de sa femme.

« Et quel paradoxe : ce n’était pas le criminel qui était recherché, mais la victime. » (p. 63)

Comment prouver à un perturbé mental qui s’acharne à vous confier sa vie, que ce n’est pas une relation normale ?

« (…) connaître quelqu’un c’est vivre avec lui, parler avec lui, dormir avec lui, et non le détruire ? » (p. 83)

L’énigme reste entière. Et en plus, le tueur demande au mari de le tuer pour se venger, mettant celui-ci dans une position délicate. Amélie Nothomb a l’art et la manière d’entraîner le lecteur dans une situation ambiguë puisqu’il ne sait plus ce qui est vrai et ce qui va advenir. Va-t-il y avoir un meurtre de plus, sans preuve, simplement pour en finir ?

« Vous avez déjà détruit ma vie. Hors de question que je la finisse en prison par votre faute. » (p. 87)

La logique du veuf n’est pas celle du tueur :

« Vous tuer ne me rendrait pas ma femme. » (p. 88)

Alors le tueur se justifie, s’explique crûment :

« (…) j’ai détesté la tuer. Et j’en éprouve une culpabilité insupportable. » (p. 91)

Le tueur supplie qu’on le tue par pitié car il veut oublier :

« Le remords est une faute supplémentaire. » (p. 97)

Le tueur provoque, veut faire honte à l’autre de sa lâcheté. C’est le monde à l’envers :

« Mais vous ne pouvez pas laisser filer celui qui a détruit votre vie. » (p. 103)

Au beau milieu de ce suspense, Amélie Nothomb quitte l’histoire pour nous expliquer calmement ce qu’est la « Cosmétique de l’ennemi », titre de son livre :

« La cosmétique, (…) est la science de l’ordre universel, la morale suprême qui détermine le monde. » (p. 103)

Alors un autre monde se dévoile peu à peu, insoupçonnable :

« Mon pauvre Jérôme, tu as l’ennemi intérieur le plus encombrant du monde : moi. » (p. 112)

Et le tueur à son tour, fait la morale :

« Depuis dix ans, ton veuvage est ton unique vertu. » (p 117)

Le tueur parle en des termes qui semblent incongrus au lecteur. Le tueur soupçonne le mari d’avoir violé, tué. Est-ce une provocation pour le pousser à bout et qu’il tue à son tour ? Nous ne savons toujours pas où nous entraîne Amélie Nothomb.

« Je suis moi, donc je ne suis pas ce monsieur qui passe, surtout si le monsieur se trouve être le meurtrier de ma femme. » (p. 118)

Le mari n’y comprend plus rien. Il n’a pas assez d’être malheureux d’avoir perdu sa femme, il faut encore qu’un inconnu le fasse souffrir et lui rappelle ces moments cruels :

« Votre passion, c’est de poursuivre le malheureux pour le convaincre de sa culpabilité, comme s’il ne souffrait pas assez. » (p. 123)

Le tueur parle en langage codé :

« Je suis la partie de toi qui te détruit. » (p. 123)

Pour raisonner son adversaire, le veuf lui dit qu’il est impensable qu’il l’ait tuée car il aimait sa femme :

« Parce que tu l’aimais. Chacun tue ce qu’il aime. » (p. 127)

Alors le tueur demande au mari de risquer de le tuer, pour lui prouver qu’il dit vrai :

« Le risque, c’est la vie même. On ne peut risquer que sa vie. Et si on ne la risque pas, on ne vit pas. » (p. 136)

Le mari refuse encore de tuer et confie son mal d’être, devant ce gâchis provoqué par l’autre :

« C’est drôle, ce besoin qu’ont les gens d’accuser les autres d’avoir gâché leur existence. Alors qu’ils y parviennent si bien eux-mêmes, sans l’aide de quiconque ! » (p. 137)

Et le veuf va finir par craquer mais je laisserai à Amélie Nothomb, le soin de vous faire découvrir la vérité que le lecteur n’aurait jamais pu imaginer car Amélie Nothomb a l’art et la manière de nous emporter jusqu’au bout de l’histoire, pour savoir la vérité : « Il lâcha le corps et s’en alla. » (p. 139)

 

07 septembre 2009

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Mme Amélie Nothomb en date du 5 octobre 2009.