ESSAI sur l’article

 

« VARIATION SUR UNE VIERGE ET DEUX BOUFFONS »

 

de Martine LE COZ

 

paru dans Télérama hors série n° M 02096, mars 2015, pp. 68 à 83

Velázquez au Grand Palais

 

 

Martine Le Coz, prix Renaudot 2001, allie deux dons, celui de l’écriture et celui de la peinture. Il n’est donc pas étonnant qu’elle se soit engagée à traduire avec des mots ses impressions sur Velázquez pour Télérama après l’avoir fait pour Turner en 2010.

Martine Le Coz côtoie la recherche de Velázquez, « dans le vrai de sa vie » (p. 72). Elle saisit l’intériorité de sa peinture : « L’âme est disponible, le geste peut être de fraîche liberté. » (p. 72) Elle peut détailler une peinture telle « La vierge imposant la chasuble à saint Ildefonse » (1620). Elle comprend la démarche étonnante du peintre qui a su exprimer la renaissance de l’être en l’enfouissant sous une chasuble en forme d’entonnoir sombre, tel l’enfant dans l’utérus qui va naître à la lumière : « Velázquez saisit l’imprenable : le réel en instance dont l’autorité prend corps (…). » (p. 72) Martine le Coz ressent la force mystique de l’engagement et nous dévoile son sens fort, philosophico-spirituel. Elle l’inscrit dans une « dimension universelle, dans un contact matriciel avec la Nature » (p. 72). Le peintre lui aussi, avance à tâtons dans sa recherche, sachant que « tout est probable » (p. 74).

Martine Le Coz part en quête comme le peintre qui « apprend à concilier les contraires qui sont la trame du réel » (p. 74) pour garder l’harmonie. En effet, nous ne pouvons pas exclure du tableau, la dualité entre le jour et le nuit, le sombre et la lumière, le caché (saint Ildefonse) et le révélé (la Vierge).

Les tableaux savent parler au cœur. Ils sont réponse dans le silence de chacun, pour atteindre l’essentiel. La renaissance passe par le sang, celui de toute naissance et le rouge pourpre de la robe de Marie nous le rappelle à côté du fond terrestre presque noir. Nous passons de l’ombre à la clarté comme du passage de la mort à la vie. Ses oppositions se complètent, s’unissent pour mieux sublimer la lumière mais « on ne sait plus où sont Ciel et Terre. » (p. 76)

Dans « Portrait du bouffon Pablo de Valladolid », Velázquez a choisi aussi d’unir les contraires, en premier le contraire de la bienséance en préférant le fou au roi puis l’opposition des couleurs inversées c’est-à dire le noir pour le bouffon et le clair presque uniforme pour le fond, enfin la désorientation de l’esprit en ne marquant pas la limite entre le vertical et l’horizontal sinon par un mince filet d’ombre : « L’horizon n’existe plus, et le temps est fini. »(p. 80) Velázquez change l’échelle des valeurs : le faible devient le personnage principal ; la sobriété, la simplicité constituent l’essentiel. Martine Le Coz nous parle de « L’énigme du Bouffon » pour « une approche du réel ou du vrai » (p. 78) et retranscrit la compréhension du peintre, de « Cette présence noire, le négatif de l’être et l’image de sa mort attachée inexorablement à ses pas (…) » (p. 78), pour « une relation particulière au monde. » (p. 79)

En effet, où est le vrai ? Il est plus dans les impressions, dans le ressenti que dans le concret terre à terre.

N’oublions pas « le présent de la conscience » (p. 80). Martine Le Coz voit dans le bouffon le « symbole de l’homme condamné à déchanter » (p. 80).

Dans « Portrait du bouffon Juan Calabazas », Velázquez a-t-il voulu peindre « L’inévitable déchéance humaine ? » (p. 83). Le choix du peintre de présenter un bouffon assis très bas, ne correspond-elle pas à l’expression de « la désillusion symbolisée par l’infirme assis, image d’une humanité ratée » ? (p. 83). Le peintre veut en premier nous émouvoir, nous donner des pistes de réflexion. À chacun de les interpréter selon son identité.

Nos yeux s’arrêtent sur les mains du bouffon en position inhabituelle, doigts croisés, tordus, déséquilibrés. Martine Le Coz nous propose d’ouvrir les mains pour faire surgir « Du neuf », « Un monde vierge » (p. 83), de l’inattendu.

Le sourire du bouffon nous intrigue. C’est celui d’un être simple d’esprit. Le peintre l’a certainement choisi pour nous emporter à la recherche d’un ailleurs, « l’indéfini prometteur d’infini » (p. 83) et certainement aussi dans le monde de l’invisible parfois intraduisible mais essentiel, vital.

Martine Le Coz termine son essai par une ouverture philosophique contre l’enfermement de nos pensées dans une fixité routinière : « il faut parfois se méfier de ce que l’on comprend et s’en tenir à ce que l’on ressent. » (p. 83)

 

26 mars 2015

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

  Article mis en ligne avec l’aimable autorisation de Martine Le Coz (courriel en date du 28 mars 2015).