DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS
MA MÈRE, CETTE INCONNUE
de Philippe Labro
aux Éditions Gallimard, 2017, 181 pages.
Dans son livre, Ma mère, cette inconnue, Philippe Labro nous parle d’une absente, d’une inconnue. Il commence par la description d’un endroit, « sur les hauteurs de Nice » (p. 13) car ce lieu est imprégné de Netka, « une femme assise face à la mer » (p. 13). Il part à la recherche de son passé. Sa mère, « l’enfant-valise » (p. 14) a été ballottée de tout côté en Europe. Toujours demeurera le mystère de son passé, « la vie derrière soi » (p. 18). Elle ne souhaite pas se livrer. Pourquoi ? L’auteur, Philippe Labro comprend l’intensité de la douleur qui l’empêche de mettre des mots sur son vécu de jeunesse, son abandon.
Dès le début, les questions fusent sans réponse. Sa mère âgée reste dans un certain sens, inconnue car « prudente, discrète, réservée » (p. 23). L’auteur l’exprime à demi-mots : « Elle a déposé une grande vitre de verre opaque sur les images du passé. » (p. 34)
Netka était une « bâtarde » (p. 28), comme son frère, enfants cachés, reniés d’un comte polonais, l’un des « maîtres d’un système quasi féodal » (p. 29). Netka subira un deuxième abandon quand la personne payée pour la garder, ne recevra plus d’argent. Comment s’attacher à quelqu’un alors ? Avoir confiance ? Comme cette « terre envahie puis récupérée, puis reconquise, puis morcelée » (p. 38), cette fille l’a été aussi jusqu’à en perdre ses repères et sa confiance. Son frère est là avec elle. À deux, ils vont refaire surface en apparence, « c’est la vertu des enfants sans domicile fixe » (p. 42). Leur nouvelle logeuse, confrontée au non-paiement de leur pension, décide de les garder. Elle s’attache à eux et obtient la déchéance de leur vraie mère. Approchant de l’âge adulte, autant le garçon est posé, réfléchi, prêt à étudier, autant elle, Netka, est différente, charmeuse. Elle s’affirme, provoque. On la considère dangereuse. N’est-ce pas plutôt l’expression de son mal d’être ? Ses écrits le reflètent : « J’ai mal à l’âme (…). » (p. 54)
Sa vie est « un mille-feuille » (p. 61). Elle est séduisante, limpide, envoûtante, alors les hommes la regardent et un s’attache à elle, dans « un puissant désir de protection » (p. 82). Leurs différences d’âge, de passé, font leur complémentarité. « La lumière » (p. 88) revient dans le regard de Netka qui efface alors complètement tout passé pour ne vivre que de présent et d’avenir. Elle écrit : « Être heureux, c’est avoir dépassé l’inquiétude du bonheur. » (p. 96) Ils se marient. Son amour n’est que « l’oubli du manque d’amour paternel ou maternel. » (p. 110) Moins elle a été aimée, plus elle souhaite maintenant aimer, accueillir. Philippe Labro exprime ce besoin de réparation par le mot « résilience » (p. 111). Tout devient simple car les lieux perdent leur importance car seul est essentiel « l’amour qu’on y transporte » (p. 113). Si Netka se dévoue aux enfants ballotés, perdus durant la seconde guerre mondiale, l’auteur a bien compris qu’il s’agit d’un « sentiment d’identification : ce sont tous des abandonnés » (p. 115). Son mari a bien compris sa fragilité et sa force. Il la décrit comme une alliance d’acier dans « le petit oiseau » (p. 124) car elle effet, seule sa volonté lui a permis d’émerger du chaos.
Toujours l’instinct persiste en elle et la force de la pensée. Par exemple, sans prendre le temps de la réflexion, elle répond avec force : « Non, Jean, je ne veux pas » (p. 150) quand son mari lui dit que sa mère tout près implore une visite pour connaître ses petits-enfants. Le mari respecte sa volonté car il comprend la souffrance enfermée depuis son enfance et sa volonté de préserver son bonheur entier. Netka enfermera son passé dans une forteresse invincible tout en gardant un amour bienveillant, accueillant envers son mari, ses enfants, source de vie.
20 mars 2018
Catherine RÉAULT-CROSNIER
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