DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS
LA MORT, DERNIÈRE ÉTAPE DE LA CROISSANCE
d’Elisabeth KÜBLER-ROSS
aux Éditions du Rocher, 1985, 216 pages
Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre américaine très connue, s’est interrogée depuis sa jeunesse sur le sens de la vie et de la mort et a eu le courage et l’audace d’approcher les mourants dans un contact humain pour recueillir leurs pensées et ce qui est le plus important pour faire progresser notre manière de nous comporter vis-à-vis des mourants si souvent mis au rebut dans notre société. Elle a voulu qu’ils soient accompagnés dignement comme des êtres humains à part entière et apporter la paix et même une certaine connivence avec ceux qui les côtoient.
« Notre société voue un culte à la jeunesse et au progrès, et la mort y est un sujet évité, ignoré, passé sous silence. » (p. 9) Je dirai même que c’est un sujet tabou qu’il est bienséant de ne pas aborder sous peine d’être traité de détraqué ou d’obsessionnel alors que la mort fait partie intégrante de notre vie humaine et qu’il ne faut pas la rejeter. Car comme nous le dit Elisabeth Kübler-Ross, « La mort n’est ni un ennemi à vaincre, ni une prison à fuir. C’est une partie intégrante de la vie qui donne un sens à l’existence humaine. » (p. 9) « (…) nous sommes tous mourants », dans le sens où nous devons « affronter notre finitude ». (p. 20) Reconnaître ce que nous sommes, est un pas en avant dans notre manière de vivre.
« (…) tout ce qu’on est, ce qu’on a fait et été trouve son aboutissement dans la mort. » (p. 9) Ne nous leurrons pas d’illusoire. Nous ne sommes pas immortels dans notre corps terrestre actuel. Nous sommes de passage et ne devons pas oublier cette dimension de la vie pour vivre pleinement en profondeur. Nous pouvons faire nôtre, cette prière des alcooliques :
« Seigneur, donne-moi la sérénité, d’accepter
ce que
je ne peux pas changer,
le courage de changer ce que je peux,
et la sagesse de voir la différence. »
(p. 19)
En effet, nous ne pouvons pas toujours faire le bien que nous voulons, ni empêcher notre instinct d’agir avant que nous ayons réfléchi mais si nous reconnaissons notre faiblesse, nous pouvons mieux refaire surface et mieux gérer le quotidien.
Elisabeth Kübler-Ross cite Thomas Mann : « Sans la mort, il n’y aurait pas eu de poètes sur la terre. » Oui, il est vrai que dans l’art, la mort est sous-jacente à la vie et peut même l’emporter comme dans les tragédies, les romans policiers, l’art pictural et la poésie. Rappelons-nous Ronsard qui disait à sa belle :
« Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand le ciel et la terre honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.
Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que
roses. »
(L’Amour de Marie – Seconde partie sur la mort de Marie – III)
Et encore :
« Je serai sous la terre, et, fantôme sans
os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie, (…). »
(Sonnets pour Hélène – Le second livre des sonnets – IX)
« (…) la mort n’a pas à être une chose catastrophique et destructrice ; (…) » (p. 26) Elisabeth Kübler-Ross sait construire de l’amour là où nous mettrions facilement « du malaise, de la culpabilité » (p. 33), de l’oubli, de la crainte, de l’évitement. Car nous oublions par facilité et inconscience, qu’il suffit simplement d’être humains envers ceux qui approchent la mort, et que « c’est la qualité de la vie qui compte et non le nombre des années que nous vivons. » (Shirley Holzer Jeffrey cité par Elisabeth Kübler-Ross, p. 178)
Elisabeth Kübler-Ross qui a travaillé en milieu hospitalier sait combien « L’hôpital rend les patients dépendants des médecins et des infirmières, (…). » (p. 35) Il est difficile de rester serein quand tout un monde s’agite autour de nous, nous pique, nous emporte de salles d’attente en salles d’attentes, d’examens interminables en dépôt sur des brancards dans des couloirs neutres sans se soucier de notre fatigue, sans nous voir, sans nous informer et en évitant le dialogue par gêne, soi-disant par manque de temps, alors que le temps n’est plus compté pour réaliser des examens complémentaires. Elisabeth Kübler-Ross sait très bien nous montrer comment le médecin se sent coupable de ne pas pouvoir guérir et a tendance à se consacrer alors à d’autres patients à soigner. Cela évite d’être en face d’un malaise, de ne pas savoir quoi faire, ni quoi dire alors que tout est dans la simplicité de la rencontre aimante.
Elisabeth Kübler-Ross nous dit que « L’attitude de la médecine est de prolonger la vie, presque à n’importe quel coût. » (p. 70) « La médecine peut retarder la mort, mais c’est simplement pour prolonger l’agonie. » (Dr Robert Morison cité par Elisabeth Kübler-Ross, p. 72) Et c’est vrai qu’à force de vouloir se battre contre la maladie, on peut arriver à le faire à l’excès. Il ne faut jamais oublier que le plus important pour un mourant, ce n’est pas de le soigner à tout prix, mais de garder le contact avec lui, par un regard aimant, pour que la mort puisse se faire « dans la dignité » (p. 70), car il ne faut pas laisser « l’urgence illusoire de l’immédiat » nous « distraire de la vision de l’éternel… » (p. 217)
Le premier pas est d’admettre « nos peurs, nous toucher l’un l’autre. » (p. 53) L’amour, le respect de l’autre passent par le contact physique doux qui apaise. Si la mort est vécue en plénitude, cela peut être « la plus grande croissance en compréhension, en amour et en foi. » (p. 64) Il faut briser l’isolement du malade, « lui offrir de la chaleur humaine » (p. 65). Cela doit être « l’occasion de se faire entendre et comprendre et de faire le don de son amour. » (p. 65) Elisabeth Kübler-Ross nous le rappelle par ces paroles : « Les souffrances partagées créent la proximité. Le don de l’amour est le don le plus précieux (…). » (p. 185)
Si chacun pouvait rencontrer la mort comme un compagnon de la vie, « dans un esprit d’acceptation rationnel et serein, sans s’y attacher ni la fuir. » (p. 105) alors la mort serait dépassée car il ne faut pas sauver la vie humaine à tout prix : « Il ne faut pas craindre la mort plus que la naissance. » (p. 186) Ce qui est le plus à craindre, n’est pas la mort du corps mais celle de l’âme.
Elisabeth Kübler-Ross qui a côtoyé tant de patients en fin de vie, sait bien qu’il « est très difficile de maintenir son équilibre émotionnel quand on souffre trop. » (Raymond G. Carey cité par Elisabeth Kübler-Ross, pp. 108 et 109) d’où l’importance de soulager le malade en essayant de lui laisser sa conscience pour garder le contact, échanger avec lui et lui permettre d’atteindre la « paix intérieure et le contrôle de soi ». (p. 112)
Comme nous l’exprime dans ce livre Elisabeth Kübler-Ross, l’essentiel est à toutes les étapes de la vie et encore plus à l’approche de la mort, de garder un monde plus humain dans le respect de chaque personne et de ses convictions, pour que chacun quelque soit la durée de sa vie, puisse dire : « Cela en valait la peine, car j’ai vraiment vécu. » (p. 168)
1er juillet 2011
Catherine RÉAULT-CROSNIER
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