DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LES LITS EN DIAGONALE

 

d’Anne ICART

 

Robert Laffont, 2009, 156 pages

 

 

Née en 1968, rédactrice juridique, Anne Icart écrit là son premier livre.

C’est la découverte de la différence, d’un enfant pas comme les autres. La petite sœur essaie de comprendre le message de sa mère à propos de son grand frère : « Elle dit aussi que tu n’es pas comme les autres enfants, que tu es malade et que tu as besoin qu’on s’occupe davantage de toi. » (p. 27) Auparavant la sœur considérait son frère comme un héros, un compagnon de jeu et voilà que le monde bascule dans un réel inattendu. Qu’est-ce que la différence ? Qu’est-ce que le handicap ? Ne sommes-nous pas tous des différents, des handicapés d’une certaine manière ? L’amour, la confiance peuvent cacher un certain temps la différence jusqu’au jour où notre regard voit autrement : « Mon héros dont je n’ai pas remarqué les mots qui butent contre ses lèvres, dont je n’ai pas vu la démarche chaotique, les retards accumulés. » (pp. 28 et 29) Le monde bascule et le protecteur devient celui qu’il faut protéger. Même si les lits sont en diagonale, comme nous le dit le titre de cet essai, le principal est de rester en contact, de ne pas perdre pied. Si l’amour persiste, même si tout « n’est plus comme avant » (p. 30), il reste l’essentiel car chacun peut compter sur l’autre et nous avons tous à nous enrichir mutuellement.

Mais on ne peut pas empêcher le regard extérieur : « Voilà le fou. Voilà le fou. » (p. 44) Et les parents finissent par comprendre que plus rien ne sera comme avant et la sœur est fortement marquée par son frère sur qui pèse le regard de ceux de l’extérieur qui ne peuvent rester indifférents et qui souvent coupent les contacts pour ne pas côtoyer « le fou ». Avant « On riait pour rien » (p. 68). Maintenant cela est difficile. On parle à l’ours en peluche qui reçoit nos confidences et sert d’exutoire. (p. 68) Et il faut que la sœur accepte : « Que maman te protège plus que moi et que c’est normal. Que papa veut que je sois brillante et que c’est normal. » (p. 69) Les parents essaient de reporter sur la sœur normale ce que le frère ne peut donner. Mais qu’est-ce qui est normal ? Le fait d’être un lourd poids pour la sœur qui ne réussit pas autant qu’elle le devrait ? La faute à qui ? Elle nous confie : « Que je n’ai pas droit à l’erreur. Parce que je suis normale. » (p. 69). De quoi en vouloir à ses parents ou à en tomber folle. Mais il faut se battre pour toi, le différent car il faut te protéger contre les autres qui « ne comprennent pas pourquoi tu vas toujours vers eux la main tendue pour leur dire bonjour. » (p. 78) Qui est normal ou anormal dans ce monde d’indifférents sans amour ?

On dit que tu ne comprends pas mais n’est-ce pas plutôt que tu comprends différemment par exemple devant la mort, tu trouves cela normal : « Peut-être as-tu compris que mourir, ça arrivait à tout le monde. » (p. 85) N’est-ce pas souvent les bien-portants qui ne sont pas normaux et ont des réactions bizarres ? « Les inconnus qui te font du mal et qui s’enfuient. » (p. 146) Certains se permettent beaucoup de choses devant un être fragilisé sans avoir de remords car ils ne se sentent pas concernés personnellement.

Si la mère souffre, l’enfant aussi et la sœur doit grandir pour pardonner : « (…) pardonner à maman pour m’avoir obligée à descendre dans son gouffre. » (p. 103)

Il faut prendre du recul et comprendre que « (…) ce n’est pas ta faute si tes ailes se sont brisées. » (p. 151) Et puisque tu aimes si fort les autres, n’as-tu pas le droit à l’amour ? Sur le plan de l’amour, tu es plus que normal : « Tu es mon frère. Il n’y en a pas deux comme toi. Tu es unique. » (p. 151)

La différence est lourde mais si l’amour en sort vainqueur, il n’y a ni handicapés ni normaux. Il n’y a que le don de l’amour.

 

19 juin 2010

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Dans un courriel daté du 28 juillet, Anne Icart a écrit : « Je tenais à vous remercier sincèrement pour votre très gentille lettre et le très bel article que vous avez écrit sur les Lits en diagonale. J’en ai été sincèrement touchée. Il est bien évident que vous avez mon accord pour le publier sur votre site, et ailleurs ! J’espère qu’il donnera à vos internautes l’envie de se laisser entraîner dans cette histoire d’enfants pas tout à fait comme les autres... »