DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LE SIÈGE

de Jean Hautepierre

 

aux Éditions Publibook, 2007, 133 pages

 

 

Jean Hautepierre a obtenu le prix de poésie Maurice Rollinat en 2001 ; il a dirigé une revue francophone poétique et artistique, « La Lettre de Jean Hautepierre » et écrit de nombreuses œuvres poétiques, « Les Idoles », « Le Testament de la licorne », un roman « Le Meurtre de la tour de Cristal » qui constitue une partie spécifique du Siège.

« Le siège » est une étonnante épopée qu’il a écrit pendant presque vingt ans. Cette œuvre en vers d’une grande pureté de style, paraît immense dans sa quête d’absolu et d’espace, un peu à la manière de la Légende des siècles de Victor Hugo :

« Depuis de siècles nous veillons,

Sur nos bastions

De métal et de pierre,

Graves et hauts

Jusqu’à l’heure dernière,

Sur les remparts des temps immémoriaux. » (p. 96)

Jean Hautepierre ne se cite volontairement jamais. Les personnages ici vivent dans un univers insondable et sont représentés par leur caractéristique ; il y a entre autres, des guerriers, l’empereur, l’astrologue (p. 75), le joueur, le veilleur, le poète (p. 72 et 73), le maître des rivages (p. 64), la confidente (p. 50), la cohorte des hérauts (p. 96), le devin (p. 104), un écho (p. 50), tous sont en errance, en quête de la terre promise.

Il y a partout un soif d’absolu, un débordement :

« Tout est trop grand
Tout est trop grand.
 » (p. 102)

On ne sait plus ce qui fait partie de la vie ou du rêve, ce qui est de l’imagination du créateur ou de la réalité quotidienne. :

« Cité de rêves et de pierre »
Évanouie dans la poussière,
Dont s’avance le voile noir
Comme le silence et le soir…
 » (p. 37)

Chacun est assiégé et peut se retrouver dans cette ville emprisonnée, vivant sur elle-même, à travers le désespoir et la mort omniprésente. Malgré tout, la vie dans sa fragilité continue sinon le récit n’aurait plus lieu d’être. Cette lutte n’est-elle pas aussi en notre intériorité ?

« Et tout s’en va comme un songe se brouille,
Anéanti par un souffle de vent,
Comme un vieux tronc que l’automne dépouille
De la dernière ivresse des vivants.
 » (p. 37)

Dans l’avant-propos, Jean Hautepierre nous dit que « Le Siège est une œuvre en devenir ; » (p. 10). Oui, nous n’avons jamais fini d’être pris d’assaut et de nous battre. Seule la mort et encore, arrêtera le combat :

« Et qu’importe ! Quand bien ne reste nul espoir
Pour la cité trop vieille et lasse dans le soir,
Il faut lutter, toujours, contre ce qui nous ronge,
Contre la nuit, contre la mort, contre le songe,
Contre nous ! Contre les ultimes combats
Résonnent sans un cri, nous brisent en éclats ;
 » (p. 64)

Les titres des poèmes à eux seuls sont déjà chargés du poids de leur sens comme « Le colosse » (p. 19), « Le chant de la sacrifiée » (p. 26), « Le choc de Tarrès » (p. 52), « La mort d’Egmon Le Grand » (p. 59), « La dernière traversée » (p. 67), « Le présage dernier parut dans le ciel vain » (p. 75), « Les matins d’ivresse vaincue » (p. 103).

Les mots chantent comme un hymne de détresse :

« Gloire aux matins qui sonnent blêmes,
Quand ciel et terre sont si las,
Aux longs rivages des carêmes

Dans un miroir qui se brise en éclats ! » (p. 103)

L’homme n’est-il pas comme Icare qui rêve d’atteindre le soleil mais n’y arrive jamais ? Le monde n’est-il pas en perpétuelle apocalypse ?

« Des restes de statues, des spectres de visages,
Un colosse abattu, la colère des âges…
 » (p. 15)

Malgré tout, la poésie est omniprésente et la pureté de ces mots vibre dans des images fortes :

« J’ai vu des chars géants croulant sous les phalères,
Amants sans le savoir soudain trop solitaires,
Rouler en s’accouplant dans la poussière d’or…
 » (p. 16)

Ou encore :

« – Pour voler jusqu’à l’infini sans voile,
Vers l’éternité glacée des étoiles…
 » (p. 33)

La lumière peut être porteuse d’espoir :

« Je me souviens parfois d’une ville dorée, (…) » (p. 36)

La lumière peut être aussi feu dévorant qui éclaire les scènes :

« Sur des chars de feu » (p. 33)

La lumière vit en opposition avec l’ombre omniprésente à ses côtés :

« Le Siège est là. Tout vit dedans son ombre,
Comme écrasé dessous le firmament,
Comme égaré dans un vaste tourment,
Sous le soleil lointain – et les décombres.
 » (p. 100)

Parfois le siège se transforme en prose poétique, en descriptions lourdes du poids de l’angoisse :

« Et Furélien reste muet lui aussi, raidi, le regard fixe et droit sous la tiare, essayant de ne plus penser au siège qui se prolonge, essayant de ne pas trembler sous les fièvres qui le rongent, essayant de rester droit sur son cheval fourbu (…) car ainsi le Destin l’a voulu. » (p. 89)

Une page (p. 94) est en face à face avec sa traduction en anglais (p. 95), peut-être pour réfléchir sur l’être et le non-être à la manière de Shakespeare ?

« Et sur le sol vaincu des cuirasses d’airain
Soufflait le vent, toujours, le vent de la défaite,
Quand tous les dieux croulaient en détournant la tête,
Silencieux, comme dans le songe de la fin.
(…)
 » (p. 94)

« And on the vanquished ground, the armours of legend,
Blew the wind forever, the sad wind of the fall,
When the gods tumbled down, away from the last wall,
All silent, as they were in the dream of the end.
(…)
 » (p. 95)

Que restera-t-il à la fin du siège ? Restera-t-il encore un peu de la race humaine à force de nous détruire les uns les autres ?

« Mais tout se perd, et seul, et grand comme l’absence,
L’écho résonne encor et meurt dans le silence… 
» (p. 96)

La vie oscille entre présence et disparition, mouvement ou retour au néant :

« Et la vie revient, passe – et tout s’efface,
Tout s’écroule autour d’elles et tout meurt ; (…)
 » (p. 106)

Qu’attend le poète à travers ces visions de chaos ?

« J’attends la nuit sans fin, j’attends la mort. » (p. 112), nous dit indirectement le poète, à travers un des murs de Trézène – Trézène qui vit encore malgré la souffrance :

« – Ô terre de l’errance et des douleurs de mort ! » (p. 113)

Dans sa quête du souvenir, Jean Hautepierre a des accents baudelairiens proche de « L’invitation au voyage » lorsqu’il nous dit :

« Vous souvient-il, ma sœur, des anciens jours ? De pâles sourires perçaient quelquefois les éternelles solitudes quand vous veniez vers moi, mouvante et lointaine à l’horizon, à travers le ciel lourd. » (p. 124)

L’empire de Trézène comme le poète, agonise-t-il dans ce monde trop dur à vivre ? Seul l’écho répond pour finir :

« Moi, le chevalier
De l’immensité,
Je suis le dernier
Fils de vérité,
De dieux aussi durs
Que mille clartés,
Et sous mes cris purs
Tombent les cités.
 » (p. 132 et 133)

 

14 juin 2007

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

On peut se procurer « Le Siège » auprès des éditions Publibook, 14 rue des Volontaires, 75015 Paris, France, site Internet : www.publibook.com, tél. : 01 53 69 65 55