DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LA PRIÈRE DE L’ENFANT

de Martin Gray

 

Éditions Robert Laffont, 1994, 289 pages.

 

 

Dans son livre La prière de l’enfant, Martin Gray, romancier, essayiste de niveau international, a l’art d’utiliser les titres de chapitres comme déclics de sujets fondamentaux qu’il approfondit ensuite tels : « Dans les années barbares » (p. 7) pour souligner la cruauté, « Une femme couleur bleu ciel » (p. 35) pour exprimer la maternité et l’amour plus fort que la mort.

Martin Gray a l’art de transmettre la lumière même dans les moments les plus durs de sa vie. Ayant reçu un amour intense de ses parents juifs, durant ses premières années de vie, il a pressenti mystérieusement leur perte, « la fin de cette caressante lumière dans la chambre de mes parents, la disparition pour de longues années, peut-être pour toujours, du soleil. » (p. 10) mais toujours cet amour est resté ancré près de lui, plus fort que la mort.

Confronté à l’horreur de la guerre, il était terrorisé par la haine d’autres hommes. Cette réalité le « désespérait » (p. 12) Il a prié pour que cesse cette « violence » (p. 13) Il a ressenti une voix de l’intérieur qui lui a donné la force de continuer à vivre. Pourtant il a perdu toute sa famille. Mais il n’a jamais cessé de prier car, nous dit-il, « prier me donnait la détermination de ne pas céder. » (p. 14) Il a prié aussi pour être sauvé : « je priais pour qu’Il accomplisse Sa volonté en me donnant, à moi, la volonté d’être. » (p. 15)

Il est sorti toujours vivant des ruines les plus sinistres. De nombreuses fois, il aurait dû mourir mais il a réagi différemment des autres et a survécu. Par exemple, il avait été pris à Treblinka avec d’autres voués à la mort comme lui devant un mur d’exécution. Il le savait car il avait vu auparavant ses parents mourir ainsi. Maintenant c’était son tour. Les soldats les avaient fait aligner. Ils avaient leurs armes ; ils prenaient leur temps et fumaient une cigarette avant de tirer sur eux. Lui, il priait et il a vu parmi les gravats, « une sorte de bourrelet » dans le soupirail (p. 17). Il a réfléchi presque inconsciemment et sans attendre, il a bondi. Bien sûr, ils ont tiré puis ont lancé des grenades qui ont explosé mais il avait couru, « loin déjà, inaccessible, toujours vivant » (p. 18). Rien n’a été facile car il a dû marcher jusqu’à l’épuisement alors il priait pour continuer à lutter, puis il repartait car, nous dit-il, « une volonté de vivre renouvelée jaillissait en moi. » (p. 19)

Dans la prière, il se sent en union avec tous ceux qui « reconnaissent l’existence du mystère de Dieu et Sa présence en chacun de nous. » (p. 30)

Martin Gray a côtoyé beaucoup de misère et il s’étonne des rencontres étonnantes que la vie lui a permises de faire. Par exemple, il remarque dans une foule de femmes fuyant la barbarie, l’une à l’« expression grave et apaisée » (p. 39) malgré la fatigue et l’enfant blessé qu’elle portait. Il a agi sans réfléchir, comme hypnotisé par cette scène. Ils se sont parlés et il raconte comment il a pu sauver cet enfant, sans y avoir pensé auparavant et ces femmes ont alors repris leur route, soutenues par un nouvel élan, celui de l’espoir. « De ces femmes martyres, j’en avais vu mourir des milliers ». (p. 42) Et là, avec ce petit enfant qu’il tient dans les bras, le bien l’avait emporté sur le mal. Pourtant l’auteur reconnaît la permanence de la lutte entre le bien et le mal.

Il pose la question : « Qui sommes-nous (…) ? » (p. 47) Cette femme à la joie tranquille dans cet univers impitoyable, lui avait apporté un rayon de lumière ineffaçable comme à chaque fois que quelqu’un préfère « tendre la main » et « le salut de l’autre au nôtre. » (p. 47)

Martin Gray a semé dans son livre, des poèmes pour révéler nos blessures et aussi nos espoirs : « Enfant blessé / Au regard blanc/ Dans la peau noie / Je prie pour toi. / Enfant martyr / (…) / Enfant tué / (…) / Enfant vivant / (…) / Enfant (…). (p. 57)

Dans son chapitre « Comme dans une gerbe de lumière » (p. 85), l’auteur décrit sa démarche de vie, « d’abord Vivre debout » (p. 88) ; il nous enseigne que nous devons réagir, aider, soigner et garder courage, ne jamais céder au défaitisme, toujours vouloir nous relever. Il ressent « une présence si forte » (p. 92), celle de ses parents : « je suis sûr qu’elle est une autre forme de la vie (…) ». (p. 92)

Quelques soient les drames de notre vie, comme ce fut le cas de Martin Gray, après la guerre, après la mort de sa femme et de ses enfants dans un incendie, il nous engage à prier et à toujours vouloir nous reconstruire : « La vie est incroyable, improbable. Et pourtant, elle est. » (p. 107)

Martin Gray veut nous insuffler sa force quelle que soit notre souffrance, notre passé car « Au fond de l’homme, subsiste une part de Dieu, (…). (p. 146) Il veut que nous soyons chacun résolument, « homme de paix, de foi. » (p. 149) Il insiste sur le respect de la vie, car « toute vie humaine est sacrée » (p. 159). Il refuse la folie du profit à outrance, de l’argent à tout prix. Pour révéler la force ancrée en chaque être humain, en lien avec l’infini, il se sert d’un symbole : « Nos vies avaient la résistance de la pierre et nos pierres l’éternité de la vie ». (p. 204)

Il nous montre l’exagération folle de la mécanisation, de la « production massive d’une part et misère à l’autre bout ? » (p. 208) Il pressent que ce système conduit à la destruction de tout. Il nous faut tous retrouver le vrai sens de l’amour, bannir la haine, le fanatisme, la barbarie car seul « L’amour est le souffle de la vie. » (p. 217)

Martin Gray nous conseille de tendre vers le meilleur sans jamais nous lasser et faire confiance, de prier pour que celui qui est dans le malheur ou l’erreur, trouve une main pour le conduire et le retenir, pour qu’arrive le règne de « l’espérance » (p. 281).

Ses dernières prières sont un hymne à la paix, à la réconciliation, à l’Amour et au « Souffle de la vie » (p. 286).

 

Le 5 février 2018

Catherine RÉAULT-CROSNIER