DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

VERLAINE D’ARDOISE ET DE PLUIE

 

de Guy Goffette

 

aux Éditions Folio Gallimard, Paris, 1996, 158 pages

 

 

Guy Goffette, lecteur aux éditions Gallimard, a publié de nombreux livres de poésie dont « Verlaine d’ardoise et de pluie ». Quel titre poétique ! Il crée déjà à lui seul, l’ambiance de ce recueil.

La mémoire du poète fait ressurgir les souvenirs un peu à la manière de Marcel Proust. Ici l’ardoise, la pluie, les chemins sont des points de repère qui nous permettent d’avancer sur la route et de partir à l’aventure avec Verlaine.

Nous sommes tous en route vers un ailleurs et Guy Goffette a choisi de citer un vers de Verlaine, juste avant de débuter le premier chapitre intitulé « Un pays sur la route » :

« La route est bonne et la mort est au bout. » (p. 15)

Cette citation n’est pas anodine ; elle est la ligne directrice du cheminement du poète. Ici tout parle de grisaille, de mort. Verlaine a vécu avec l’empreinte indélébile de la mort à ses côtés. Guy Goffette sait très bien nous faire partager cette atmosphère par exemple dans le chapitre « Les bocals ». Verlaine est partagé entre la voix apaisante de sa mère à sa naissance et la voix des morts qui l’ont précédé, trois fœtus nés sans vie avant lui et qui le suivront toute son enfance puisque sa mère les avait conservés dans des bocaux posés sur une étagère ou rangés dans un placard. Sa mère qui l’a nourri, était hantée par la mort de ses trois autres enfants. Comment Verlaine ne pourrait-il pas lui aussi en être imprégné ? Guy Goffette nous fait partager le cri d’un enfant qui se sent perdu parmi tant de choses qu’il ne comprend pas ; c’est le cri du cœur du poète :

« Et qu’est-ce qu’une goutte de lait dans le sein d’une mère, si ce n’est pas déjà l’enfant qui appelle et qui crie ? » (p. 36)

« Il a perdu son prénom sur les routes comme Poucet ses cailloux de pain blanc. L’enfance lui a durci le cœur comme un poing et ses yeux sont de l’azur qui coupe, comme les vers qu’il a laissés. » (p. 50)

Oui, nous avons tous une mémoire, un chemin tracé qui se déroule et la vie ici bas a toujours une fin. D’avoir été trop choyé par sa mère, il a été étouffé. D’avoir vécu à côté des morts en bocaux, il a souffert et s’est senti responsable d’avoir pris la place dans le cœur de sa mère d’où l’émergence de son mal d’être :

« (…) Paul, l’enfant trop attendu et trop gâté, oubliera vite la cadence, et ses chemins à lui iront tout de travers à jamais. » (p. 67)

Verlaine, éternel vagabond, est toujours en partance comme Rimbaud. Il a soif d’un ailleurs meilleur et pour oublier le présent difficile, il le noie dans l’alcool et la poésie. Guy Goffette nous transmet cette impression avec des mots de la vie concrète dure à vivre, contrebalancés par ceux du rêve :

« Sa femme et ses trois enfants, Louise, Nicolas-Auguste, Julie, redoutent de le voir rentrer, chaque soir, rue de Burhaimont, sale et saoul, jurant et gesticulant comme un forcené. » (p. 61)

« C’est un pays rêvé quand on ne rêvait pas encore, et c’est le rêve d’un pays qui vous mène quand tout dort, quand on est soi-même endormi. » (p. 30)

Dans le chapitre « Une infusion de Verlaine », Verlaine boit les fruits de son enfance :

« Quoiqu’il fasse, Verlaine a l’Ardenne infuse. Elle coule dans ses veines comme du petit lait, pas blanchâtre, ni bleu de Marie, comme voulait sa mère, mais verte et sombre comme le schiste sous la pluie. » (p. 75)

Verlaine est l’éternel nomade, en marche, qui n’a jamais fini de vivre avec la mort à ses côtés, comme dans le chapitre « La mort de la vierge » mais il veut tout :

« Il veut tout. Tout voir, tout savoir, tout comprendre. » (p. 86)

Ce chapitre a été écrit par Guy Goffette en référence au tableau de Rembrandt, « La mort de la Vierge ». Rembrandt y place sa femme bien aimée, Saskia, et son combat contre la maladie tuberculeuse s’éternise, « le combat des ombres avec l’ange de lumière. » (p. 86). Alors Guy Goffette compare la tête de Saskia retombée avec celle de Verlaine qui a fini de combattre et meurt :

« une tête de vieil enfant, les yeux pleins de larmes, tel Rembrandt dans les bras retombés de Saskia. » (p. 87)

Verlaine sait que sa femme, Mathilde, souffre de la dégradation de son état et il voudrait garder la trace de son amour malade. Guy Goffette nous le dit avec beaucoup de douceur, dans l’intimité des mots :

« Bien entendu, le bouquet de fleurs dans la chambre a fané. Reste le pétale invisible sur la table, et qui brûle : Mathilde. » (p. 114)

« De schiste et de pluie » est le titre de l’avant-dernier chapitre. Oui, Verlaine est resté imprégné de son pays natal, même dans sa vie errante. Tout lui rappelle son pays et Guy Goffette nous décrit les Ardennes avec d’autres mots de poète :

« C’est une traînée de gris qui confond les prés et les toits, les rivières et les routes. C’est le ciel comme une mare, et tous ses reflets qui vont dansant. » (p. 128)

Tout se confond dans la brume. Tout devient flou en ce pays gris, propice à la nostalgie et au jaillissement du subconscient en une poésie noyée de brume. Guy Goffette remet les objets utilitaires à leur place, pour recréer la vie de tous les jours, tel que Verlaine l’a vécue dans la simplicité des choses :

« (…) le doux murmure des choses : c’est la bouilloire dans l’âtre, le feu qui frise et grésille ; c’est le froissement des étoffes, et c’est le vent sous les portes. » (p. 128)

Dans le dernier chapitre, « La Maison des couleuvres », tout s’enchevêtre comme la couleuvre s’enroule. On ne sait plus où est le début ni la fin. Guy Goffette nous dit que Verlaine « ne cessera de taquiner la frontière » (p. 141) « Mais c’est à l’intérieur du vers toujours que le passage de la ligne se fera, avec toutes les nuances, du rêve qu’on vit à la vie qu’on rêve. » (pp. 141 et 142)

Pour le poète dont la vie s’effrite peu à peu, il reste la poésie et le rêve. Alors les poèmes vont percer la grisaille pour rester comme un ciel « d’ardoise et de pluie ».

 

7 mars 2009

Catherine RÉAULT-CROSNIER