DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

MAGNUS

 

de Sylvie Germain

 

aux Éditions Albin Michel, Paris, 2005, 280 pages

 

 

« Magnus », quel étrange titre pour un livre, d’autant plus que « Magnus » est ici le nom d’un ours en peluche ! Oui, mais y a-t-il de meilleur confident qu’un ours en peluche,
quand on est un enfant et que l’on a du mal à comprendre ce qui se passe autour de vous,
quand on voit sa mère fuir sous les bombardements et devenir une torche vivante sans comprendre vraiment où est passée sa mère partie en fumée,
quand on est projeté dans les bras d’une inconnue, mère numéro 2 qui essaiera d’annihiler le passé ?

« Magnus est un ourson de taille moyenne, au pelage assez râpé, (…) » (p. 16)

Mais le passé revient toujours à la surface dans notre subconscient même.

Y a-t-il de meilleur confident que Magnus, quand ce deuxième père (mais y en avait-il un premier connu ?) vous voit à peine, semble dans son monde lointain, travaille dans un étrange hôpital où le typhus fait ravage mais chante si bien des airs d’opéra qui consolent l’ours et l’enfant ? Il faudra beaucoup de temps à l’enfant pour effacer la honte, la triste réalité, comprendre que ce « père » était médecin allemand dans un camp de la mort). « Et les jours passent, à la fois mornes et éprouvants, plombés par le manque, par l’attente et l’anxiété. » (p. 33)

L’enfant est psychiquement torturé ; a-t-il encore le droit d’aimer ces parents adoptifs ?

« Ses sentiments sont en broussaille, il ne sait pas ce qu’il aime, ce qu’il veut ; il ne sait pas comment aimer. (…) il reste le rejeton d’un bourreau doublé d’un lâche, et d’une criminelle par complicité, sottise et vanité. » (p. 74)

« Son impuissance à anéantir cette ascendance nauséeuse ou au moins à réclamer des comptes à ses parents qu’il a aimés avec une innocence qu’il juge à présent coupable, se traduit en violente inimitié à l’égard de lui-même. Ce ressentiment le noue de l’intérieur (…). » (p. 74)

Et cette deuxième mère délaissée par son mari recherché par la police et fuyant au Brésil, volatilisé, cette mère adoptive ne vit que dans l’attente des retrouvailles avec l’homme de sa vie, jusqu’au jour où elle apprend qu’il est mort. L’enfant doit-il pleurer ou en être soulagé et que va-t-il devenir ? Sa deuxième mère sentant la fin approcher, le confie à de la famille qu’il n’a jamais vue. Que dire à ces inconnus qui ne semblent pas enclin à l’aimer mais simplement à le tolérer vivant ? « La tante (…) ne manifeste aucun sentiment particulier à l’égard de ce jeune intrus rescapé du naufrage de l’Allemagne nazie (…) » (p. 54). « Le cœur plombé de questions et de non-dits » (p. 55), l’enfant souffre de ne pas comprendre pourquoi il n’est pas aimé. Heureusement Magnus est toujours là, même s’il a perdu ses yeux.

Alors Magnus reste l’ami intime de tous les jours, à qui toutes les questions sont posées et s’il ne sait pas que répondre, c’est peut-être qu’il n’y a rien à répondre, simplement à laisser la parole prendre sa place et dérouler le fil de la vie pour accepter les failles et reconstruire une vie. Et si l’amour s’en mêlait ? Oui mais les fantasmes ressurgissent, envahissants et le passé refuse de se taire cette fois.

« Il a alors l’impression que le temps se déchire, que le passé et le présent entrent en collision, s’encastrent l’un en l’autre, bouleversant l’ordre des évènements. » (p. 79) Des images l’envahissent comme celle d’un « Village ossuaire suintant de résonnances, d’appels et de plaintes, village-mirage au carrefour des vivants et des morts, du réel et du rêve. » (p. 86)

Alors qui gagnera ? Y a-t-il forcément un vainqueur ? La haine envers ce père adoptif hitlérien sera-t-elle plus forte que son amour ? Magnus rafistolé suit le parcours de cet enfant devenu homme et qui fait l’expérience de la difficulté de contrôler ses actes, ses pulsions, son inconscient. Alors faut-il accepter de ne pas tout comprendre, d’être faible et fragile, de pouvoir se tromper mais de toujours garder espoir pour reconstruire, se reconstruire même quand tout semble anéanti ? Il essaie de retrouver la paix en pensant au temps d’avant : « D’avant même sa naissance, peut-être, du temps où son corps se formait lentement dans la nuit liquide du corps de sa mère. » (p. 201)

Qui gagnera dans la lutte du bien et du mal, du passé plus présent que l’avenir ? « Une haine plus forte que son amour. » (p. 228)

Heureusement Magnus est là pour l’aider à refaire surface ; la parole dépasse les faits et l’amour reste et anéantit les frontières de la mort car « L’imaginaire est l’amant nocturne de la réalité. » (p. 260)

 

24 juin 2009

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Mme Sylvie Germain en date du 26 juin 2009.