DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

MISHA DEFONSECA

 

SURVIVRE AVEC LES LOUPS

De la Belgique à l’Ukraine, une enfant juive à travers l’Europe nazie, 1941-1944

Éditions Robert Laffont - 1997

 

Misha Defonseca nous raconte une étonnante histoire, celle de son enfance avec les loups en dehors de tout contact humain. L’intensité de ce partage est si forte que Misha va peu à peu s’éloigner de sa nature humaine pour devenir chaque jour, un peu plus loup. Il faudra que la meute se fractionne peu à peu pour qu’elle se retrouve sur la route des hommes.

Ce cheminement est si exceptionnel que j’ai voulu vous faire partager mon envoûtement pour cet instinct animal si fort de dépendance à sa race.

Si Misha Defonseca a pu s’attacher si fortement aux loups, c’est parce qu’elle a voué un amour exclusif à sa mère. De nationalité belge, de religion juive, elle va changer de vie lorsque les allemands envahissent son pays en mai 1940. Elle a huit ans et pressent déjà un danger invisible à travers les mots de sa mère :

"Mischke, si un jour quelqu’un d’autre que papa vient te chercher à l’école ... Une dame inconnue, si cette dame inconnue te dit : "Mischke, tu dois venir avec moi", il faudra obéir tout de suite. Tu as compris ? Tu le feras pour maman ? Jure-le à maman."

"Oui, maman".

Un jour, ce danger se concrétise et elle cherche l’amour parmi les humains qui l’ont recueillie mais elle se sent une intruse :

"Je suis humiliée, rejetée, ramenée à ma condition de pauvresse, de juive que l’on doit accepter d’avoir chez soi contre de l’argent, mais qui ne doit pas faire comme les autres ni se gaver de confiture."

On parle d’elle comme si elle n’existait pas pour elle-même :

"On la gardera, bien sûr. Si les alliés gagnent la guerre, on nous félicitera d’avoir sauvé une juive. Si les Allemands gagnent, on la dénoncera, pour se faire bien voir."

Sa soif d’amour maternel la conduit à s’enfuir dans l’espoir fou de retrouver la trace de ses parents :

"Où sont-ils ? Où est maman, est-ce que je vais la revoir ? Rien, pas un tout petit morceau d’espoir. Comme la confiture qu’elle a remise au pot, elle (la dame d’accueil) racle tout de mon être. (...) Maman, si tu savais ce qui m’arrive ... Où es-tu ?"

Elle se cache pour ne pas être reprise et va vers l’Est à travers l’Allemagne, la Pologne, l’Ukraine. Elle vole pour se nourrir et se vêtir. Elle fuit l’homme, c’est lui qu’elle craint le plus alors elle se sent peu à peu plus proche des bêtes.

Dans la forêt allemande, elle fait une étrange rencontre :

"Soudain, je sens une présence dans mon dos, et je me raidis. Il y a quelqu’un. On m’observe en silence, j’ai perçu un déplacement furtif. Je tourne la tête doucement, prête à m’enfuir de nouveau. Là, à quelques pas derrière moi, un animal superbe me regarde avec curiosité. Un grand chien au pelage gris, presque doré dans la lumière du vallon. Il est maigre, plus haut que moi. Un museau allongé, pointu, la gueule ouverte sur une respiration silencieuse, les oreilles dressées et deux yeux clairs, d’un jaune vif. (...) Je comprends que l’animal n’est pas un chien. C’est un loup."

Elle se souvient du comportement du chien de son enfance et s’en sert pour être acceptée par un couple de loups. Elle nous confie son bien-être loin de tout contact humain :

"Les hommes ont peur des loups, moi j’aime les loups et j’ai peur des hommes."

Ayant perdu sa mère, elle retrouve un être qui l’aime comme une seconde mère et la lèche. Elle a besoin de cette affection physique :

"Je veux que Beauté (la louve) me nourrisse. Autant par faim de viande que par besoin d’amour. Alors, au repas suivant, je rampe vers Beauté à quatre pattes en imitant de mon mieux les petits gémissements. Rassemblant tout mon courage, je pousse mon nez entre ses babines. Elle détourne la gueule, montre les crocs, mais ne semble pas offensée. J’essaie encore, cette fois en léchant et en mordillant son museau comme font les petits. Alors Beauté incline la tête vers le sol. Elle rend délicatement un petit tas de viande déchiquetée juste devant moi. Elle me nourrit ! (...) Elle lèche mon visage, pour y retirer le sang du gibier. J’ai retrouvé une mère."

Elle vivra parmi eux quelques mois, des moments heureux dans cette famille de loups. Elle obtiendra même la garde des petits, suprême marque de confiance :

"La femelle de garde, c’est moi. (...) J’existe dans la meute, je fais définitivement partie de leur famille. Rien n’est plus précieux pour les loups que leurs petits, et c’est moi qu’ils ont choisie. Moi, Mischke, je suis un vrai loup."

Elle pleurera sa louve comme sa mère lorsque celle-ci sera tuée par un chasseur et elle défendra son corps, l’enterrera, la pleurera, la veillera :

"Abrutie de chagrin, je m’allonge finalement au-dessus d’elle, ma louve. Pour dormir encore une fois contre elle. J’ai compris ce qui vient de m’arriver. On m’a pris ma mère une seconde fois. C’était ma mère louve, je me sentais protégée, en sécurité. (..) Je ne savais plus où aller."

Malgré leur bestialité apparente, Mischke ne sera jamais déroutée par leur manière de vivre et elle se sentira en symbiose avec eux au point d’oublier ses instincts humains pour être mieux loup et c’est eux qui lui redonneront le goût de la vie. Pour elle, son corps est une erreur. Elle nous confie :

"Je sens le loup. J’aime mon odeur de loup et je veux la garder."

"Les loups, la seule famille qui soit de ma race."

 

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

Décembre 1998