JEAN-LOUIS BONCŒUR ET L’EAU
Conférence de Catherine Réault-Crosnier,
dans le cadre de la journée des Amis de Jean-Louis Boncoeur à Châteauroux,
le samedi 21 mai 2011
Jean-Louis Boncœur
(1911 – 1997)
Né à La Châtre, membre de l’Académie berrichonne, Jean-Louis Boncœur, chroniqueur de l’insolite, est appelé « le berger conteur de la Vallée noire ». Il est l’un des écrivains célèbres du Berry. Il aime l’eau puisqu’il enparle avec précision et beauté. Trois de ces livres ont un rapport direct avec l’eau : Le Village aux sortilèges (1979), Le Diable aux champs (1981), Le Moulin de la Vieille Morte (1983) mais l’eau est présente dans l’ensemble de ses écrits, esquissée ou débordante. Nous la présenterons au fil de son œuvre de manière chronologique.
Dans Contes du Berry, Jean-Louis Boncœur, nous relate les histoires transmises de bouche à oreille par des générations de berrichons, souvent par les aïeules. Dans le conte pour enfants, Le Serpent d’Or qui se situe près de l’étang de la Charmaie en Berry, l’eau est pressentie à travers les animaux du bord de l’eau ou les outils utilisés pour la pêche : « L’épervier l’attendait, à longueur d’année, dans une cache près des rives, où les grenouilles coassantes taisaient brusquement leur concert à son approche… » (Jean-Louis Boncœur, Contes du Berry, p. 17) Dans le conte Quand chasse le maufait, l’eau est en symbiose avec les éléments déchaînés : « Car voilà que venant des confins de l’horizon, par delà les rives lointaines de l’étang mort, s’est levé à nouveau le vent. (…) Des canards effrayés ont, à grand bruit, pris leur vol dans les joncs, et l’eau a clapoté entre les tiges longtemps après leur fuite. » (id., p. 43) Dans La légende de la vielle, l’eau participe au drame du vielleux ayant fait un pacte avec le diable. La couleur de l’eau a aussi son importance ; ici, le noir, couleur du deuil, accentue l’anéantissement du mort : « L’eau noire se referma sur son corps et nul ne retrouva jamais la trace du malheureux musicien, ni de son instrument où logeait le démon… » (id., p. 133) Dans le conte Le glas des trépassés, l’eau est angoissante, sombre, fantastique, en union avec la nature, « la lune difforme », les « nuées en guenilles », les « têteaux brandis tels des poings noueux » (id., p. 143). Tout est imprégné de la mort et du diable : « Des reflets rapides comme des vipères de souffre serpentaient sur l’eau noire de la mare. » (id., p. 143)
Le Village aux Sortilèges a pour sous-titre Chroniques singulières sur la magie rustique dans les pays du « Cœur de France ». Dès le début, l’eau est présente : « Aux confins de l’Allier et du Cher, il est un tout petit village dont le clocher aigu se reflète dans l’écluse d’une rivière aux mille sources, fraîche et sinueuse comme le dit son nom : la Tortaize. » (Jean-Louis Boncœur, Le Village aux Sortilèges, p. 15) L’eau peut être éclat de lumière ou d’angoisse : « (…) la rivière coulait avec ses luisances de reptile (…) » (id., p. 216).
Dans d’autres chapitres, nous trouvons l’eau parsemée dans les remèdes de grands-mères, aidant à guérir les malades. Les recettes peuvent nous paraître peu appétissantes mais l’important était le résultat escompté. « Tout un monde sépare les fades tisanes aux « simples », des infâmes mixtures à base de fientes, de venins, de sang et de jus putrides, prescrites par certains thaumaturges rustiques inspirés par Albert le Grand. » (id., p. 63) On trouve l’eau dans les applications sur la peau, les décoctions proposées pour guérir. On peut par exemple : « ingurgiter (…) des hectolitres de bouillon aux herbes, supporter les frictions « à la goutte » (…), la compresse, sur le front tiède et empuantie d’ammoniaque, d’eau sédative… (…). » (id., p. 64)
Une longue liste est présentée par ordre chronologique sous forme d’un « Tableau de plantes curatives et salutaires pour les « chrétiens » et les bêtes, utilisées dans la région de Saint-V… » (id., p. 66). L’eau est ici à mi-chemin entre remède médical et croyances. Elle a la première place puisqu’il faut prendre ces herbes en infusion ou parfois en décoction contre la toux, l’avortement, la constipation, la jaunisse, les douleurs, le rhume… Jean-Louis Boncœur cite en premier, les herbes de la Saint-Jean prises en infusion ou macération comme les fleurs de sureau-hièble contre l’infection des plaies. Puis les autres plantes ont leur place : elles peuvent être mises en application sur la peau ou macération, emplâtre, gelée. (p. 67) Nous pouvons citer par exemple, les pétales de « lys » qui « en macération dans l’eau-de-vie », sont utilisées « contre brûlures et plaies ». (id., p. 67) ou les graines de plantain en compresse d’infusion contre le zona (id., p. 68). Une seule est utilisée en flagellation, l’ortie contre les lumbagos et les rhumatismes. Personnellement, je dirai que ce remède se rapproche de sévices avec la pensée que seul un mal peut traiter un autre mal. Mais savez-vous qu’il existe une seule herbe appelée le « guéritout » et qui, employée en infusion, est salutaire pour la plupart des maux ? Cette herbe était sacrée chez les vieux Celtes et c’est … la verveine. (id., p. 69)
Nous ne résistons pas à citer quelques remèdes empiriques où l’eau est présente : « L’urine (la sienne !), souveraine pour couper la fièvre » (id., p. 71), l’infusion de clous rouillés pour traiter l’anémie (id., p. 71), « le sirop de « lumas » (escargots) contre le rhume et la toux » (id., p. 72), le sang d’un enfant prélevé au bout du doigt et à boire mélangé à de l’eau bénite contre les caternes c’est-à-dire les vers du foie (id., p. 74), du savon dans l’eau-de-vie pour les entorses (id., p. 76), etc.
Le chapitre suivant concerne les recettes à base de plantes et ingrédients divers, par exemple capillaire, bourrache et écorce de charme en décoction, pour traiter l’engorgement du foie. (id., p. 75) Une seule fois, on spécifie qu’il faut utiliser de l’eau de la fontaine (id., p. 76). On utilise aussi de l’urine (id., p. 78), du vin (id., p. 73), du vin blanc (id., p. 75) ou l’eau-de-vie (id., p. 75). Le fait que le traitement soit peu ragoûtant n’enlève en rien à la croyance en son efficacité comme le fait de penser que « L’urine des autres, c’est « bon » aussi (…). » (id., p. 78) De même « le pissat de chèvre pour le coup de sang : c’est sans pareil ! » (id., p. 78)
Nous ne ferons pas la liste des brouets, drogues, onguents et philtres que Jean-Louis Boncœur nous fait connaître et qui ont été transmis de génération en génération. (id., p. 77) Nous partons ensuite avec l’auteur, vers les « limites de la foi et de la superstition » (id., p. 106). Entre croyances liées à l’habitude et traditions religieuses, la frontière est souvent mal définie et le basculement de l’un à l’autre est facile, par exemple dans l’usage des choses bénites à des fins curatives. Jean-Louis Boncœur nous cite le cas d’un curé qui « s’encolérait tout rouge contre ces croyances impies qui mêlent (…) le Bon Dieu et ses saints à la magie. » (id., p. 111).
Dans le chapitre suivant, « La fête aux rats » (titre du chapitre) est à l’honneur. Jean-Louis Boncœur nous décrit de manière savoureuse, les mœurs de la campagne en particulier le « brave curé Charles » qui doit d’abord accepter « le bol de méchant café réchauffé » (id., p. 114). Après quoi, il officie dans toute la maison, avec « le seau d’eau bénite et le goupillon » (id., p. 115) pour chasser les rats. Vient ensuite la récompense. Les paysans lui offrent le couvert et veillent « à bien remplir l’assiette et le verre ». (id., p. 115) Toutefois à la fin du repas, il lève « sa tasse de « goutte » de prune pout trinquer (…) » (id., p. 115) et s’esclaffant, il dit : « À la vôtre à tous : c’est la fête aux rats !... » (id., p. 116) Jean-Louis Boncœur nous livre la prière accompagnée d’aspersion d’eau bénite, ou mieux encore « d’eau dite de SAINT-GRAT, faite par un prêtre revêtu de ses ornements sacerdotaux » ; en voici un extrait concernant l’eau bienfaisante : « que partout où cette eau sera répandue, ne subsistent rats, lirons (lérots), ramèches (musaraignes) (…) ou autres bêtes nuisibles aux biens de la terre et à la paix des mondes. » (id., p. 117)
Jean-Louis Boncœur nous parle de la tradition du buis trempé dans l’eau bénite même par les incroyants comme « le Fernand de « La Chaume » » (id., p. 119) qui se vantait d’être athée mais disait : « pour le buis des Rameaux, c’est sacré ! » (id., p. 120) C’était pour lui, un vrai talisman, un porte-bonheur. Sa femme, « la grosse Louise » (id., p. 123) remplissait une bouteille dans le bénitier de l’église, pour faire sa provision d’eau bénite. Les autres paroissiennes firent pareil et le curé de s’étonner devoir le bénitier presque vide. Louise faisait ensuite sa distribution générale au cimetière et chacun avait droit à sa ration dosée selon son appréciation personnelle de chaque personne, aspergeant certains avec « une ration royale ! Glou… glou…glou…glou… » (id., p. 125), d’autres de quelques maigres gouttelettes, « un petit glouglou de moindre importance » (id., p. 125). Mais il faut garder une poire pour la soif alors Louise s’affole de voir qu’il ne reste plus qu’un fond de bouteille. Elle le rapportera à la maison, « transvasera dans une fiole spéciale son reliquat de l’eau bénite du matin qui prendra place, sur le rayon d’en haut, auprès des bouteilles naïvement étiquetées, comme des crus, (…) « Eau de Lourdes 1950 », (…) « Eau bénite des Rameaux 1967 ». » (id., p. 128)
Dans une autre histoire (id., p. 149), le bruit de l’eau donne envie d’uriner aux trois garçons qui ont bu en revenant de la fête, « trois chopines de vin gris » (id., p. 149). Ils se soulagent donc naturellement au pied d’un calvaire et n’y pensent qu’après. Ils en rient, crachent dans leurs mains puis attaquent le calvaire de bois à la cognée pour le transformer en menus morceaux. Plus tard, un autre passe et s’acharne à le remettre sur pied, obtenant ainsi un don transmissible de génération en génération. Les descendants firent élever « une belle croix neuve » (id., p. 155) qui « fut bénite en cérémonie par les curés des trois paroisses (…). ». (id., p. 155) Ici l’eau toute puissante a le dernier mot.Nous pouvons aussi citer les jeteurs de sorts et ceux qui lancent des sortilèges mineurs (id., p. 191). Dans Le puis maléfique (id., p. 219), l’eau peut être instrument de vengeance. Le praticien « emportait, à fins d’analyse, une fiole d’eau du puits qui lui semblait suspecte. » (id., p. 220) Tous les gens de la ferme sont intoxiqués sauf un qui se justifie ainsi : « Moi… je bois que du vin et je mange pas de soupe !... » (id., p. 221) À la fin, le coupable est trouvé et l’eau a le dernier mot par la bouche du rescapé : « Oui, je t’ai vu vider deux fonds de poches de scories dans le puits, (…) et, depuis ce temps-là, je mange plus de soupe et je bois que du vin pur ! Pas si bête ! » (id., p. 222)
Dans Le Diable aux champs, l’eau a une place de choix comme les titres de certains chapitres nous le prouvent déjà : « Les meneurs de nuées » (Jean-Louis Boncœur, Le Diable aux champs, p. 92). « Le diable aux champs c’est aussi la colère du ciel, les éléments déchaînés qui ont de tout temps causé aux hommes « de la nature » les plus grandes frayeurs (…). » (id., p. 92) Partant de l’incompréhensible, les meneurs de nuée proposaient un remède pour lutter contre le déchaînement des éléments.
Jean-Louis Boncœur nous montre les croyances basées sur le psychisme et incluant l’eau : « Si les soucis que leur donne l’averse, le grand vent ou les grêlons sont d’ordre purement matériel, (…) la nuée d’encre chargée de tonnerre, est, elle d’ordre purement psychique. » (id., p. 92) Les gens « évoquent avec terreur ce « feu du ciel » que l’eau ne peut éteindre… » (id., p. 92)
Jean-Louis Boncœur nous transmet toutes ces coutumes et rites très sérieux à l’époque. L’eau a souvent une connotation religieuse en rapport avec un fait météorologique, « (…) lorsque tonne et gronde et roule au lointain des cieux, la voix terrible de l’orage… » (id., p. 93), les paysans du Berry pensent que c’est une manifestation divine : « Le Bon Dieu se fâche ! » (id., p. 93) De même lorsqu’une nuée de grêle menace les raisins mûrs, le prêtre prie : « il récitait, face à la menace du ciel, des oraisons spéciales qui détournaient les nuages de grêle (…). » (id., p. 94) Un certain curé avait même le pouvoir exceptionnel de séparer les nuées en deux, « qu’il tranchait, à distance, comme au couteau (…). » (id., p. 94) Voici un extrait de cette oraison :
« Verbe qui avez été chair (…)
Je vous conjure par votre Saint Nom (…)
De daigner nous préserver du péril des nuées
Qui n’apporte pas à la terre l’eau qu’elle attend
Mais la grêle qui la meurtrit (…). » (id.,
p. 95)
Dans le conte de « Celles qui osent laver la nuit… » (id., p. 166), l’auteur ne parle pas d’une fille banale attardée le soir au lavoir, mais d’une âme qui va « vouloir se finir de damner. » (id., p. 167) ou « des mères maudites » (id., p. 168) En effet, certaines mares deviennent maléfiques en fin de journée. L’eau prend alors une connotation morbide et il ne faut pas s’en approcher : « Ce n’est point du linge, (…), c’est une espèce de vapeur, d’une couleur livide, d’une apparence terne et nuageuse (…). » (id., p. 167) Cela peut prendre « apparence de forme humaine et l’on jurerait que cela pleure et vagit sous les coups furieux du battoir (…). Ce sont des âmes d’enfants trépassés sans baptême. » (id., pp. 167 et 168)
Jean-Louis Boncœur fait aussi revivre les superstitions, légendes, miracles, guérisons, à travers les « Eaux maléfiques et sources saintes » comme dans la Mare au Diable (id., p. 169) : « Tantôt c’est la crainte superstitieuse vaincue par la raison : le soleil de la Vérité dissipant les brumes de l’obscurantisme. Tantôt, au contraire, c’est l’attrait du fantastique, la soif d’un « ailleurs » ». (id., p. 173) L’auteur nous décrit la Mare au Diable, alliance d’eau secrète et impression d’étrangeté du lieu, « une dépression humide, presque comblée, feutrée de feuilles mortes (…) Pas d’eaux stagnantes(…). » (id., p. 171) Si vous revenez vers la mi-nuit, vous pourrez comprendre la magie de l’endroit, « après le temps des grosses pluies lorsque coassent les rainettes et hululent, (…) les effraies blanches (…). » (id., p. 171)
L’eau peut être utilisée en tant que métaphore quand Jean-Louis Boncœur nous parle de « soif d’un ailleurs » et de « brumes d’obscurantisme » (id., p. 173). L’eau tend alors vers l’abstraction.
« Les étangs maudits » comprennent les « Eaux mortes » et les « Eaux vives » (id., p. 174). Jean-Louis Boncœur explique le sens accordé à chaque eau, en les opposant : « L’eau courante qui sourd ou jaillit du sol, vivante et fraîche, reste traditionnellement symbole de pureté (…). Au contraire, l’eau morne et verdâtre qui dort dans les creux où fermentent des « pourrissures », exhalant des gaz vénéneux (…), sont symboles de pollution, donc d’impureté. » (id., p. 174)
Jean-Louis Boncœur retrace la mentalité de cette époque où ce qui est bénéfique, est pur et ce qui est maléfique, vient du malin. Ainsi les jeunes amoureux en promenade, peuvent être surpris par une apparition qui peut leur jeter un sort. L’eau peut avoir sa place en cette action et le fait qu’elle soit rouge, n’est pas anodin, rouge du soleil couchant mais aussi rouge de la passion, rouge de l’amour, rouge de la tuerie, rouge de la mort : « C’est alors que, surgissant des eaux rougies par le couchant, se dressait à contre-ciel, la silhouette effarante du moine… » (id., p. 177) Le paysage est imprégné d’eau avec ce jeteur de sort : « Parmi les roseaux, immobile, dans l’eau morte jusqu’à mi-jambes, il attend, il guette (…). » (id., p. 179) Dans la tradition du Berry, il fait partie de ceux qui jettent des maléfices.
Les « fonts-saintes » (id., p. 180) correspondent aux sources sacrées du Cher et de l’Indre et Jean-Louis Boncœur en dresse la liste pour maintenir le souvenir (id., pp. 182 à 184) : «(…) ces Saintes-Fontaines dont les eaux possèdent, si l’on en croit la tradition, une ou plusieurs vertus bénéfiques (…). » (id., pp. 180 et 181) Il en donne les caractéristiques qui peuvent nous étonner comme au Lourouer, celle consacrée à saint Laurent, où l’eau « aide à faire pleuvoir en cas de sécheresse. » (id., p. 183). Les eaux ne traitent pas uniquement des coliques, affections de la vue, guérison des fièvres ; certains procédés ne sont pas toujours très chrétiens quand il s’agit de faire du mal à un voisin : à Argent-sur-Sauldre, celle consacrée à « saint Bon » et « saint Mauvais », « Accorde toute protection » et « Accorde moyens de vengeance et nuisance ». (id., p. 182)
Partons en « Pèlerinages aux sources miraculeuses ». Nous savons que sainte Solange est la « patronne du Berry » ; le pèlerinage le plus réputé est donc celui de cette sainte dans le Cher. Dans le martyr de sainte Solange décapitée, l’eau a toute sa place puisque cette femme traverse les eaux : « Traversant l’Ouatier au plus profond de sa fontaine elle se rend jusqu’à l’église de Saint-Martin où Dieu avait marqué sa sépulture. » (id., p. 188). Nous pouvons aussi citer le pèlerinage de la fontaine de la Bonne Dame de Vaudouan près de Briantes dans l’Indre. Dans cette histoire, l’eau sert d’intermédiaire pour faire passer le message du ciel. Une bergère priait au bord de l’eau :
« (…) La source coulait à ses pieds
Jaillissant d’un tas de rochers (…) » (id.,
p. 189)
La bergère a alors vu flotter sur l’eau, une statue de bois représentant l’image de Marie. À chaque fois que cette statue a été mise autre part, elle disparaît et est revue à l’endroit de sa découverte jusqu’à ce qu’une église soit construite en ce lieu. (id., p. 182)
Parfois l’eau est seulement discrètement présente par l’intermédiaire d’une empreinte humide : « Mais, arrivés aux « Gibets », ils ne retrouvèrent pas, sous la dalle, le crapaud maléfique : seulement, profondément imprimée dans la terre argileuse sa forme encore humide. » (id., p. 266).
Ainsi l’eau même dans « Le Diable aux champs », garde ses vertus bénéfiques pour ceux qui savent utiliser ses dons.
Dans le roman policier Le moulin de la Vieille Morte, l’eau, peut être inquiétante comme lorsqu’elle rend le corps mort qu’elle a déformé. C’est d’ailleurs par cette présentation que le roman commence : « Le cadavre était là, étrangement couché sur les pierres moussues du vieux déversoir, près du gué, les bras plongés dans l’eau trouble et le visage de profil, mi-parti blême et verdâtre : une joue dans la vase et un œil au ciel… » (Jean-Louis Boncœur, Le moulin de la Vieille Morte, p. 1)
Dans ce passage, l’eau est incorporée à l’humain ; elle l’imbibe de son odeur de vase et d’algues. Elle est actrice du drame dans le sens où elle accentue le côté morbide. Jean-Louis Boncœur nous montre le contraste saisissant entre « une joue dans la vase » et « un œil au ciel », mettant une touche d’humour noir dans cette description inattendue.
L’eau peut être calme, « une source vive qui faisait verdoyer largement les deux buttes » (id., p. 45) ; traîtresse, elle peut détendre l’atmosphère lorsque le gendarme Poupin glisse sur la « boue jaunâtre qu’il fallait franchir, (…) en deux enjambées prudentes, tout en s’enlisant jusqu’au-dessus de la cheville… » (id., p. 45) et nous rions spontanément en lisant la description de la scène : « Le gendarme Poupin lâcha un juron ; il venait précisément de s’enfoncer des deux pieds, jusqu’à la tige de ses leggins, dans l’argile ocreuse du vivier… » (id., p. 45)
L’eau a un rôle actif dans ce roman policier car elle peut aider ou tromper le gendarme par les traces qu’elle laisse, par les objets qu’elle cache ou restitue : « (…) il avait repéré, entre les roseaux du bord, la chute furtive de quelque chose de noir, glissant de la poche du noyé lorsque les gars l’avaient tiré de l’eau…(…) le noyé, le carnet noir… (…). » (id., p. 70)
L’eau peut se mêler aux sentiments comme lorsque le gendarme voit la grosse fille « pleurer au bord de la rivière (…). Elle tend le cou, curieusement, vers la sombre nuée qui coule, puis vers le ciel, déjà éclairci à l’ouest. ». (id., p. 160) L’attitude de cette femme face à l’eau, est-elle indice de culpabilité, expression d’un remords, attente ou simplement douleur d’avoir perdu un être cher ?
L’eau est aussi là à travers les modes de pêche, d’appât, les types de poissons « l’ablette », « le gros brochet », les « goujons » selon les endroits (…). » (id., p. 63). L’auteur décrit les habitudes des poissons par exemple en cas d’orage, l’eau étant brouillée : « Pour le gardon, c’était fini ! A moins de se rabattre sur les goujons que ce brouillage allait peut-être exciter à mordre (…). » (id., p. 158)
Il aime employer des expressions du terroir comme la « mosière », petit marécage (id., p. 45), les « ralets », crapauds au cri plaintif (id., p. 171), ou les « chaves » (id., p. 3), souches creuses que l’on peut trouver au ras de l’eau, abris pour les rats. Jean-Louis Boncœur peut donner vie à l’eau, parlant de sa « voix grave » (id., p. 2) ou du « clapotis des vaguelettes qui faisait un bruit mouillé de baisers » (id., p. 232).
Jean-Louis Boncœur nous fait aimer le pêcheur pris sur le vif, dans l’ambiance de la pêche car il n’y a pas que la prise d’un poisson qui est importante mais aussi la beauté du cadre, la vie de la nature. Il nous décrit un pêcheur du dimanche qui recherche le calme et dont le cœur bat au rythme des éléments : « Mais l’inspecteur était un sage et il savait se réjouir des mille petits riens qui font le charme de la pêche : l’ablette qu’on a « failli » prendre, le gros brochet qu’on a vu… les trois goujons qui palpitent dans votre dos, avec un petit bruit mouillé… l’éclair bleu du martin-pêcheur… la ronde de tulle vert des frêles libellules… » (id., p. 63) L’eau peut osciller entre rêve, poésie, évasion : « sur les pierres à fleur d’eau, frangées d’écume où danse la lune. » (id., p. 240) et retour à la réalité de la pêche ou de la recherche du criminel : « Le regard plonge dans le reflet verdi du ciel, puis vient se river au fétu rouge et blanc de la plume qui dérive (…) ; l’univers latent se réduit à ce lambeau d’ocre vert, image du ciel noyé, dans l’image renversée des arbres en un puzzle d’opale à la fois immuable et mouvant. (…) Son imagination l’entraîne vers les problèmes pleins d’embûches que son métier lui impose (…). » (id., p. 63) Mais l’inspecteur oublie tout lorsque le poisson mord : « Voici l’éclat fuselé de la bête qui jaillit hors de l’eau au bout du fil soudain tendu…Ce n’est qu’un éclair qui replonge avec un « floc » sonore. » (id., p. 64) Peu importe pour lui la prise ou non du poisson mais l’instant vécu et l’évasion car ce sont « de vraies touches de fond qui font tressaillir l’âme du pêcheur fervent… » (id., p. 69) Il ressent la joie de : « s’évader une seule fois vers les sables du grand fleuve aux eaux basses (…) » (id., p. 66)
Jean-Louis Boncœur élargit son champ d’action pour mettre à l’honneur les gens du pays au contact de l’eau : le braconnier « vidait, en plein jour, les écluses de tous les moulins de la Sinaize pour rafler, au panier, dans la vase les « carbeaux » (chevesnes) de la fausse rivière… et qui, par les nuits de nouvelle lune, tendait, tout nu, des « araignées (filets de braconniers) » (id., pp. 31 et 32).
L’auteur manie l’humour lorsqu’il nous parle du garde-pêche qui n’a pas toujours la meilleure place : « C’était lui, [le braconnier] qui avait flanqué à l’eau le garde-pêche, un Saint-Hubert trop zélé qui l’avait surpris en train de pêcher au carbure dans une anse isolée de la rivière. » (id., p. 32) Il a l’art de décrire l’eau du Berry d’une manière savoureuse comme : « (…) dans cette anse calme où les pêcheurs du dimanche venaient souvent appâter au chènevis (…) » (id., p. 2). L’ambiance de pêche et d’eau imbibe le lecteur qui voit comme dans un film, se dérouler l’histoire si vivante des poissons et des gens près de la rivière.
Dans ce roman policier, l’eau est décrite par Jean-Louis Boncœur à la fois dans sa variabilité et dans sa permanence : « La rivière ! Elle était toujours là… depuis toujours… (…) Sa voix variant au gré des heures du jour, entourait le moulin mort d’une constante sollicitude. » (id., p. 232). La rivière révèle le concret de la mort mais garde l’indicible : « Mais chut ! la rivière est discrète, elle s’est contentée de rendre le corps… elle gardera le secret… » (id., p. 233) L’eau témoigne de notre fragilité d’être : « Le courant nous emporte, comme il emporte ce fétu ridicule, rouge et blanc au bout de son fil tenu… » (id., p. 241) Jean-Louis Boncœur garde le plus important pour la fin du roman : « (…) sur l’herbe du pré la bête d’argent aux yeux rouges : le commissaire vient de prendre son premier gardon. » (id., p. 242)
Jean-Louis Boncœur a eu la chance de connaître la petite-fille de George Sand, Aurore, puis ses enfants adoptifs, Georges et Christiane qui ont été pour lui, des amis. Il a pu ainsi se laisser pénétrer de l’âme de Nohant qu’il nous fait partager dans son ouvrage romancé A Nohant, chez la Dame… Lorsque l’eau est représentée, elle emplit le texte de vivacité, de fraîcheur et de jeunesse comme dans la description de la pêche aux écrevisses en Creuse : « (…) la Dame a dit : « Tout le monde à l’eau : on va pêcher à la main ! (…) l’eau était fraîche, elle riolait doux entre les pierres plates qu’on soulevait bien précieusement pour surprendre les écrevisses… » (Jean-Louis Boncœur, A Nohant, chez la Dame…, p. 147). Après la pêche, Jean-Louis Boncœur nous fait partager un moment de détente comme un rêve : « la grande baignade à cul-nu dans une anse profonde de la grand’rivière, à l’abri des yeux du commun… Quatre ou cinq belles filles toutes nues, s’ébattent dans l’eau, au soleil, ça promettait d’être drôle ! (…) ». (id., p. 147) Nous savons que George Sand appréciait les bains de rivière : « Elle aimait se baigner dans l’Indre, les jours de grande chaleur… (…) Et elle faisait la folle dans l’eau… ». (id., p. 166)
Jean-Louis Boncœur sait nous montrer l’importance de la place de l’eau dans les légendes, traditions et paysages du Berry. L’eau vit, bat au rythme des émotions, des pèlerinages, des demandes de guérisons. Il a su rassembler ces documents, pour conserver la mémoire locale. Il fait ainsi œuvre de témoignage sur la diversité de l’eau et les traditions qui y sont liées.
28 décembre 2010
Catherine RÉAULT-CROSNIER
Bibliographie :
Jean-Louis Boncœur, Contes du Berry, éditions Magnard Fantasia, Paris, 1978, 187 pages
Jean-Louis Boncœur, Le Village aux Sortilèges, éditions Fayard, Paris, 1979, 412 pages
Jean-Louis Boncœur, Le Serpent d’Or, éditions Magnard, Paris, 1980, 29 pages
Jean-Louis Boncœur, Le Diable aux champs, éditions Fayard, Paris, 1981, 378 pages
Jean-Louis Boncœur, Le moulin de la Vieille Morte, éditions Christian Pirot, Saint-Cyr-sur-Loire, 1983, 243 pages
Jean-Louis Boncœur, A Nohant, chez la Dame…, éditions de La Nouvelle République, Tours, 1995, 192 pages
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