DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LES RUINES DU CIEL

 

de Christian BOBIN

 

aux Éditions Gallimard, 2009, 186 pages

 

 

Raconter l’histoire de la destruction de Port-Royal par Louis XIV et parallèlement chercher dans les ruines de notre société, des traces de bonheur, peut paraître une gageure mais dans les mains de Christian Bobin, cela devient un art du vitrail qui permet de faire passer la lumière.

Imbibé de poésie, le soleil n’est pas décrit pour lui-même mais comme symbole à la fois du Roi-Soleil et en son coucher, de la fin d’un monde pour permettre l’éclosion de la notion d’éternité : « Le soleil se couchait au-dessus de la montagne des boulets. Son globe orangé a disparu en une seconde. Lire et écrire sont deux points de résistance à l’absolutisme du monde. » vers « (…) la joie éternelle de se sentir mortel. » (pp. 12 et 13) Puisque le monde terrestre est fait pour passer, la cruauté mourra elle aussi.

Christian Bobin nous transmet son attente d’un ailleurs : « Je ne suis pas fait pour ce monde. J’espère que je serai fait pour l’autre. » (p. 13) alors il crée avec ses mots, un éden : « Les parfums des fleurs sont les paroles d’un autre monde. » (p. 14)

Les mots sont messagers du sens profond de l’acte d’écrire : « Les livres sont la résidence secondaire de l’âme. Quand elle pousse les volets de papier contre le mur, une lumière entre partout dans la pièce. » (p. 15)

Alors écrire, c’est vivre pour transmettre la lumière qui conduit à la foi : « Il n’y a aucune différence entre croire et vivre. » (p. 16). C’est aussi franchir les barrières du temps, être en communion avec tous, vivants et morts : « il y aura toujours un « demain » et les visages familiers reviendront, passé la nuit de leur disparition. » (p. 16) de même qu’ « Il n’y a qu’une seule vie et elle est sans fin. » (p. 19), de même que nous vivons dans l’apparence du réel en sous-estimant le côté fondamental de l’inexprimable amour qui est de toute éternité.

Christian Bobin connaît la finalité de l’écriture quand il nous dit : « Les livres sont des cloîtres de papier. » (p. 21). Oui, les livres peuvent être prière, offrande, don à l’autre, contemplation, recueillement et nous donner un avant-goût de paradis pour que « l’âme soit réconfortée. » (p. 22) comme le poète « Émily Dickinson a passé ses jours et ses nuits dans la prunelle de Dieu : invisible et voyant tout. » (p. 28)

Les pages d’un livre défilent comme les années et peuvent nous faire prendre conscience du temps ; chaque page tournée, fragile souffle de vie, comme chaque moment s’envole vers le passé : « La vie à chaque seconde s’éloigne de nous comme la chouette effraie déploie ses ailes neigeuses à l’instant où l’on la découvre. » (p. 29)

Le temps fuit, parfois gâché et nous sommes façonnés de lenteur et de regret : « Tout ce qu’on fait en soupirant est taché de néant. » (p. 33)

Parfois c’est dans la simplicité pure que l’on retrouve le sens du vrai : « La vision d’un chat noir au milieu des pissenlits jaunes : j’étais au paradis des yeux. » (p. 35) Christian Bobin nous dit de garder un cœur d’enfant, de ne pas chercher à nous faire remarquer, de vivre comme un souffle ou un doux rire pour mieux accéder à l’ineffable présence. Là encore les mots sont poésie de la spiritualité : « L’âme de Thérèse de Lisieux est une petite fille qui tire Dieu par la manche. » ou « La harpe est le rideau de perles du paradis. » (p. 62)

Ici, l’enfance est sublimée en sa confiance tranquille. J’aime ces images de joie naïve, d’enfance débordante et qui nous font entrer dans la simplicité de gestes quotidiens dans l’importance des faits anodins qui donnent du baume à notre cœur : « La main d’une brise qui rebrousse le duvet sur le ventre d’un moineau, (…) une phrase dans un livre, vaillante comme une petite fille sautant à la corde : les vrais secours ne sont jamais spectaculaires. » (p. 114) Dieu est là, dans les toutes petites choses de la vie, peintre de la création ; il se révèle à travers la beauté fragile et éphémère, comme essence fondamentale de l’être au monde : « Le papillon aux ailes orangées s’est posé sur la fleur bleue du chardon, comme au bout du pinceau de Dieu la touche parfaite. » (p. 120)

Christian Bobin noue le concret passé à notre présent par un lien mystique comme lorsqu’il décrit un tableau de Vermeer : « Le pain et la beauté sont deux royaumes comparables, deux nourritures indispensables à la vie éternelle de chaque jour. » (p. 37) De même, notre passé est en nous, au travers de ceux qui sont morts et présents, même au travers des objets, passeurs de message : « Ses enfants se sont partagés les paniers et aujourd’hui ils s’en vont faire leurs courses, leur père mort à leur bras, léger comme l’air au bord des oseraies. » (p. 36)

Les réflexions de Christian Bobin transpercent la banalité apparente et la subliment pour nous faire passer le cap de l’apparence vers la compréhension de l’essentiel : « Les mains des nouveaux-nés et celles des vieillards sont à un millimètre de l’infini. » (p. 131) Les visages sont faits pour se répondre : « Le visage des mères tombe en cascade sur le visage de leurs enfants au berceau. » (p. 132)

Nous sommes tous fragiles, poussé par des envies parfois malsaines ou cruelles ; il faut trouver le chemin de pureté : « La sainteté c’est juste de ne pas faire le mal qu’on a en soi. » (p. 45)

Christian Bobin est artiste dans l’âme, peintre et poète. Il écrit un tableau, joue avec les couleurs, les rêves et sait les comprendre : « Le rose maculé de gris des nuages me clouait le bec comme font les grands maîtres avec leurs disciples pressés. » (p. 47) La nature est source d’émerveillement toujours renouvelée : « Les corolles luisantes des boutons d’or dans le pré : un tableau à peine fini, la peinture n’a pas eu le temps de sécher. » (p. 71)

Nous reposons sur des ruines, ruines d’un temple comme celui de Port Royal que Louis XIV fit détruire, ruines de notre société actuelle, ruines de nos échecs mais notre fragilité ne fait-elle pas notre grandeur ? « Le sens de cette vie c’est de voir s’effondrer les uns après les autres tous les sens qu’on avait cru trouver. » (p. 72)

Les ruines ressemblent à la longue décrépitude de nos vies, chemin vers la mort mais n’est-ce pas le passage obligatoire pour une résurrection ? « Mourir est une saveur que nous connaîtrons tous, un pain de lumière dont nous sommes les moineaux effrayés. » (p. 150)

La sagesse n’est-elle pas de ne pas vouloir tout expliquer à tout prix, d’autant plus que nos explications cartésiennes sont souvent vaincues par le temps ou l’amour ? Oublions la vanité de nos déclarations. Il nous faut comprendre que les faits routiniers, répétitifs peuvent être ceux qui ont le plus d’importance : « Jean-Sébastien Bach écrit ses suites pour violoncelle comme le chat fait sa toilette – même scrupule à ne rien négliger, (…). » (p. 170)

La destruction, les ruines, n’est-ce pas grâce à cela que nous reconstruisons le monde ? « C’est par sa destruction totale que Port-Royal triomphe : le Bien finit toujours par perdre, c’est sa manière de gagner. » (p. 181)

Par cette vision apocalyptique de dématérialisation, Christian Bobin nous fait partager son livre Les ruines du ciel. Il nous aide à comprendre avec les mots de l’âme, combien nous nous leurrons de puissance matérielle, combien nous oublions l’essentiel si proche de nous pourtant.

 

15 novembre 2010

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER