DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

L’HOMME-JOIE

de Christian BOBIN

 

aux Éditions L’iconoclaste, 2012, 184 pages.

 

Christian Bobin reste un narrateur ouvrant portes et grilles, découvrant des espaces libres, inhabituellement vus. À chacun d’y suivre son chemin à sa propre manière.

Il peut nous emporter près des couleurs pour nous les montrer différemment tel « ce bleu » vu « dans le matin fraîchi d’avril » (p. 13). Il nous fait partager ce trésor « Il avait la douceur du velours et l’éclat d’une larme » (id.). Ainsi, avec lui, nous nous évadons. Christian Bobin nous chuchote l’intimité pour voir autrement : « Je n’ai rien fait aujourd’hui et je n’ai rien pensé. Le ciel est venu manger dans ma main. » (pp. 13 et 14)

L’infime devient important et le réel s’estompe. Il nous parle à sa manière d’un oiseau invisible pour certains : « Il ne faisait aucun bruit. Il était aussi simplement vêtu d’or qu’un poème. » (p. 15) Alors nous comprenons que l’auteur nous emmène près de l’essentiel à peine perceptible.

Nous revivons car nous oublions le monde qui nous dévore, celui des guerres pour partager avec lui, des moments forts et délicats : « (…) un oiseau aux ailes d’or fracasse les murailles du monde. C’est quelque chose d’inespéré. » (p. 16) Par lui, l’à peine visible devient porteur d’éternité.

Le nom de Dieu est cité « à des années-lumière de nous » (p. 26). Christian Bobin s’éloigne des gens sérieux, reconnus et met à l’honneur des êtres et des choses si souvent reniées : « Les gitans, les chats errants et les roses trémières savent quelque chose sur l’éternel que nous ne savons plus. » (p. 26)

Nous nous étonnons de sa vision de l’amour « c’est quand quelqu’un se met à vous parler comme une rivière, comme une étoile (…). » (p. 60) Il nous entraîne près de la fleur du chèvrefeuille enivrante, « celle qui n’est plus là, celle qui est sous la terre, celle qui n’est pas sous terre mais auprès des anges (…). » (id.) Ici nature, mort et vie s’unissent et il reste le parfum du rêve.

L’oublié devient l’essentiel : « La moindre pâquerette cherche désespérément à se faire entendre de nous. » (p. 61) Ses mots peuvent nous paraître à la fois chuchotés et grandioses car Christian Bobin nous guide hors du monde de la consommation, des guerres, de la violence pour côtoyer un autre monde : « Des souffles colorés traversent le pré. Les fleurs sont les premières gouttes de pluie de l’éternel. » (p. 62)

Alors, nous sommes prêts à entendre « un bruit d’ailes dans le feuillage du temps. » (p. 63)

Dans ce livre, sont insérées des pages bleues, plus épaisses que les pages blanches, et écrites à la main. Les mots plus intimes y jaillissent dans toutes leurs formes pour prendre sens, nous éclairer, nous ressourcer, hors des paroles.

De retour aux pages blanches, Christian Bobin nous emporte dans son idéal de vie. « Un livre est voyant ou il n’est plus rien. Son travail est d’allumer la lumière dans les palais de nos cerveaux déserts. » (p. 98)

L’écrivain reconnaît combien les livres emplissent sa vie d’un sens profond, les rendant indispensables pour lui : « J’ai lu plus de livres qu’un alcoolique boit de bouteilles. Je ne peux m’éloigner d’eux plus d’un jour. J’ai passé des étés dans leurs chapelles fraîches, taillées dans la falaise crayeuse d’un beau silence. » (p. 113)

Christian Bobin n’hésite pas à unir la géométrie à ses pensées à travers les mouvements d’un compas pour saisir la force de volonté nécessaire pour arriver à la perfection : « Les âmes sont des compas dont la pointe tremble à l’instant de se planter. Seuls les saints en tracent le cercle parfait. » (p. 119)

Il nous présente les fous comme « des trésors vivants ». (p. 133) Selon sa propre pensée, nous sommes plus écervelés que ceux que nous jugeons d’après notre manière de vivre. Il nous propose de revoir l’échelle de nos valeurs et jugements envers ceux qui ne sont pas comme nous.

Il fait revivre la poésie, si délaissée actuellement et nous montrer son importance en lien avec le cosmos et la l’amour : « Car c’est être poète que regarder la vie et la mort en face, et réveiller les étoiles dans le néant des cœurs. » (p. 153)

Il veut vivre d’essentiel par sa parole car elle restitue « le plus précieux à ceux que le monde dépouille. » (p. 170)

Avec lui, nous suivons le chemin des fleurs qui réapparaissent souvent dotées de sentiments, au fil de ce livre. Elles côtoient ceux qui cherchent à monter plus haut. Ils peuvent se heurter à un leurre dangereux : « Une araignée grimpait à sa corde d’argent de l’autre côté de la vitre. Elle filait droit au ciel comme une parole sans prudence. » (p. 178)

Avant de nous envoler nous aussi, partons avec Christian Bobin dans « le bleu du ciel » (p. 179), couleur déjà présente au début de ce livre. Ainsi le cercle parfait est réalisé. À nous d’entendre comme l’auteur, un « rire, le même que celui des fleurs », celui qu’il veut « partager » alors il nous l’offre. (p. 180) Il est présence en ce livre.

 

10 février 2020

Catherine RÉAULT-CROSNIER