DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

GEAI

de Christian BOBIN

 

aux éditions Feryane, 1999, 203 pages en gros caractères.

 

L’écrivain Christian Bobin a l’art de nous emporter ailleurs, dans un monde mystérieux. Il fait revivre une femme « morte depuis deux mille trois cent quarante-deux jours. » (p. 9) Il l’appelle « Geai » d’où le titre de son livre.

L’autre personnage de ce livre s’appelle Albain, un garçon âgé de huit ans. Il découvre cette femme noyée dans les glaces du lac de Saint-Sixte et devient amoureux d’elle par son sourire. Christian Bobin nous transmet la force de cette morte : « le sourire de Geai fait remonter en surface du lac de Saint-Sixte tout le bleu du ciel qui avait coulé dedans. » (p. 12) Il nous la présente : « Geai est prise sous les glaces, à deux centimètres de la surface. » (p. 12) Elle lui paraît très grande et capte son attention. Il essaie de la comprendre : « Les géantes ne connaissent rien de plus passionnant qu’un petit morceau d’âme rose et gluant, fripé, affamé. Les géantes sont là depuis le début du monde (…). » (p. 21) Albain est fasciné par son sourire presque immortel : « Un sourire est comme une armée d’avant-garde, une modification de la chair qui survit à la chair, (…). » (p. 24). Lorsqu’il en parle dans une rédaction à l’école, sa maîtresse le félicite pour son histoire, pensant qu’il l’a imaginée. Il prend conscience que « La vérité, c’est incroyable. » (p. 30) Christian Bobin nous présente les parents de l’enfant à sa manière : « Le père d’Albain, c’est l’orage. La mère d’Albain, c’est l’arc-en-ciel. » (p. 33) D’une autre manière, nous pourrions dire : le père toujours là surveille son fils, pas la mère très souvent absente mais quand elle est là, elle rayonne par sa présence.

Quand Albain retrouve Geai, il lui parle à travers la glace et une connivence s’installe entre eux :

« – (…) C’est comment votre nom ?
– Appelle-moi Geai, cela ira très bien.
– Jet comme un jet d’eau ?
– Non, comme l’oiseau, comme le geai. » (p. 40)

Par le talent de l’auteur, nous oscillons entre une vie très lointaine et un présent bien réel même quand il donne la parole à cette femme : « J’ai reçu le nom de Geai quand j’ai cessé de respirer. » (p. 41)

Albain emmène sa meilleure amie voir Geai. Quand elle apprend qu’il la voit depuis quinze jours et ne lui en a pas parlé avant, elle est jalouse. Albain comprend alors qu’il est difficile de taire quelque chose à une amie puis de lui révéler : « Mon Dieu, protégez-nous de ceux qui nous aiment. » (p. 51)

Quand sa petite amie et lui, ne se voient plus, Albain est triste. En plus, sa famille lui interdit de voir Geai. Alors un miracle se produit. Elle vient à lui, dans sa chambre : « Je m’ennuyais de toi depuis quinze jours. » (pp. 59 et 60)

Albain doute de sa présence alors elle lui explique : « Tu me vois : il est impossible de voir quelqu’un – de ce côté de la vie ou de l’autre côté, peu importe – si on ne l’aime pas. » (p. 62)

Plus tard, il se réveille à l’hôpital, le corps abîmé sans comprendre depuis combien de temps il est ainsi. Le médecin lui dit qu’il a eu un accident en faisant de la luge.

Il y a un blanc dans sa vie ; son corps lui semble cassé de partout. Il reste ailleurs, attiré par « ce qui flotte légèrement au-dessus » (p. 78) Il aime « regarder, indéfiniment regarder, passionnément regarder, seulement regarder. » (p. 79) Régulièrement il revoit Geai, rêve ? vision d’un ailleurs ? ou présence pour lui seul ? Et toujours revient l’image de Geai assise, une « jeune femme en robe de coton rouge. Souriante. » (p. 87) Quand elle revient, il aime sentir sa présence. Pour lui, l’essentiel est de « Voir, entendre, aimer. » (p. 128)

Pour qu’il reste dans le réel, ses parents l’obligent à travailler. Après plusieurs emplois, il devient « génial réparateur de jouets » (p. 186). Il fait alors la connaissance de deux femmes, la mère et la fille qui portent le même prénom, « Rosamonde – première et seconde » (p. 186). Il s’attache à elles et leur cède la boutique sans s’en aller. Geai, elle, va s’effacer peu à peu tandis qu’Albain refait surface dans le réel grâce à ces « deux créatures vivantes, (…), douces d’impatience et de gaieté » (p. 203). Par elles, il retrouve « à leurs lèvres, dans leurs yeux, le même sourire que Geai. » (p. 203)

 

2 octobre 2020

Catherine RÉAULT-CROSNIER