DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS

 

LE DERNIER AMOUR DE GEORGE SAND

 

d’Évelyne Bloch-Dano

 

aux Éditions Grasset, 2010, 315 pages

 

 

Évelyne Bloch-Dano est journaliste au Magazine littéraire et à Marie-Claire. Elle est l’auteur chez Grasset des premières biographies de Madame Zola (1998, Grand prix des lectrices de Elle), de Madame Proust (2004, Prix Renaudot essai), d’une biographie de Flora Tristan (2001, prix François Billetdoux de la SCAM), d’un récit La biographe (2007), d’un essai La fabuleuse histoire des légumes (2008, prix Eugénie Brazier) et maintenant de cet essai, Le dernier amour de George Sand.

Dans ce livre, nous avons un aperçu de la vie de George Sand, de sa boulimie d’écriture, de l’impact du partage de sa vie à Nohant avec ses enfants et petits-enfants, de ses amours, de la vie politique de l’époque et tout ceci à travers les quinze dernières années de sa vie, celles où elle a vécu avec le graveur Alexandre Manceau qui fut son secrétaire, son ami, son amant. Ils ne se quitteront plus jusqu’à la mort du graveur. Ce fut l’amour de la fidélité et de l’apaisement : « Il est ma force et ma vie » (p. 7).

En 1849, George Sand a quarante-cinq ans. Elle est une romancière affirmée. Elle est admirée de Balzac et Dostoïevski. Elle est engagée sur le plan politique pour la cause des femmes et du peuple. Elle est muse du romantisme et une célébrité reconnue. Son fils invite à Nohant le graveur Alexandre Manceau qui a trente-deux ans. George Sand et ce dernier vont connaître un amour de quinze ans, interrompu par la mort de Manceau.

George Sand ne sait pas si elle doit croire à l’amour durable. Elle a connu de nombreux hommes dont Chopin : « Neuf ans de vie commune où elle avait été plus mère qu’amante (…). » (p. 12) Mais elle n’a pas connu l’amour paisible car il était un « musicien exigeant, possessif, hypersensible, si malade et si doué. » (p. 12) Déjà son mariage avec Casimir Dudevant n’avait pas été une réussite et en femme en avance sur son temps : « (…) elle avait négocié avec Casimir le droit de partager son temps entre Paris et Nohant et s’était installée dans la capitale avec son nouvel amant Jules Sandeau, un étudiant en droit de dix-neuf ans aux cheveux bouclés. » (p. 14)

George Sand n’a jamais fait les choses selon les convenances mais selon son bon plaisir par exemple lorsqu’elle se choisit un prénom masculin « George ». Cela peut être « un prénom masculin, orthographié à l’anglaise » (p. 15), ou « Georgeon » qui signifie diable en berrichon. Elle écrit et les romans se succèdent. Elle veut ainsi affirmer sa personnalité hors du commun. Elle sera immortalisée par Nadar qui « lui donnera la première place dans son célèbre panthéon qui met en scène 250 écrivains. » (p. 16)

Elle aime le château de Nohant, la gentilhommière de sa grand-mère, « Mme Dupin de Francueil » (p. 30). C’est là qu’elle a grandi, enfant puis « adolescente habillée en garçon galopant au côté de son précepteur (…) » (p. 31) ; elle s’affirme différente des autres : « Elle résiste à toutes les contraintes qui pèsent alors sur une fillette de son milieu : ne pas travailler, ne pas courir, éviter le soleil et le grand air, (…) vivre enfin sous une cloche pour être ni halée, ni gercée, ni flétrie avant l’âge ». (p. 31) George Sand a toujours su ce qu’elle voulait et s’est toujours battue pour gagner.

Pourquoi avec Alexandre Manceau, les choses de l’amour ne se sont-elles pas passées comme d’habitude ? Alexandre Manceau a su l’observer, rendre service, prendre son temps, se rendre indispensable, s’affirmer homme amoureux passionné, respectueux d’elle, présent, dévoué et George Sand qui avait moins la fougue de sa jeunesse, a pu se reposer sur lui en toute confiance : « La femme amoureuse célèbre aussi l’amant ‘à la fois chat caressant et chien fidèle’. » (p. 56) Elle est plus âgée : « Elle se contente de l’aider à lui plaire, en amante experte sachant jouer de sa féminité. » (p. 57)

Cette période d’amour calme sera productive puisque George Sand publiera « pas moins de 50 livres, dont 26 romans, une vingtaine de pièces de théâtre dont 17 seront montées à Paris (…) ». (p. 69) Sa fécondité littéraire sera à l’image de son chevalier servant qui en secrétaire dévoué, passait beaucoup de temps, à recopier ses pages, faire son courrier, etc. Il la déchargeait de tâches matérielles ce qui lui permettait de se consacrer à l’écriture. Il est prêt à accourir à ses moindres désirs, lui qui est en « position inégale, subalterne, en apparence – elle décide, elle organise, elle ordonne, il exécute (…) » mais bien sûr « chacun trouve son compte ». (p. 95) Il est « l’homme de l’ombre (…). Le miracle est qu’il n’en soit pas dévirilisé, que ces gestes apparaissent comme des preuves d’amour et non des signes d’infériorité. » (p. 97) Évelyne Bloch-Dano analyse très bien la complémentarité de ces deux êtres, là où beaucoup n’auraient pas cru qu’un tel couple puisse fonctionner aussi bien. En effet, « (…) si Manceau vouvoie George Sand et l’appelle Madame, elle le tutoie. Comment ne pas voir dans ce décalage, respect d’un côté, familiarité de l’autre, un trait significatif de leur relation ? » (p. 120) Évelyne Bloch-Dano a très bien compris le psychisme de George Sand, partagée entre le besoin de materner l’homme aimé et celui de se sentir supérieure et indépendante. « Aimer un homme de treize ans plus jeune, c’est peut-être conjuguer le printemps à l’automne… » (p. 145)

Évelyne Bloch-Dano nous parle aussi de l’histoire et de la politique du temps de George Sand, des barricades, de la rébellion du peuple dans la misère, de la période trouble à Paris, de l’insurrection, de la proclamation de l’état de siège, de la dissolution de l’Assemblée, de l’établissement du suffrage universel. « Nous sommes le 2 décembre 1851. Louis-Napoléon Bonaparte a réussi son coup d’État, préparé dans le plus grand secret. » (p. 122) Puis il est élu par vote des Français alors « On procède aux premières arrestations. » (p. 124)

Évelyne Bloch-Dano analyse le fonctionnement de la société de l’époque avec beaucoup de justesse, par exemple la place des grands-parents : « Le XIXe siècle marque le triomphe des grands-parents, inséparable du rôle croissant de la famille bourgeoise. De la comtesse de Ségur à Zulma Carraud, les spécialistes de la littérature enfantine sacrifient à ce culte. » (p. 152)

George Sand est une « bonne » grand-mère qui « vit par procuration une nouvelle maternité » (p. 159) avec Nini, sa petite fille qu’elle adule, « un lien supplémentaire dans leur couple, l’enfant qu’ils n’auront jamais » (p. 159). Mais elle reste une mère, trop possessive vis-à-vis de son fils Maurice et trop opposée à sa fille, Solange qui est agressive à l’emprise de sa mère. (p. 156) Solange analyse très bien la situation : « Nos instincts qui sont les mêmes se heurtent. Nos idées, nos sentiments, nos appréciations qui diffèrent empirant le désaccord. » (p. 246) George Sand peut avoir des positions choquantes vis-à-vis de sa fille « jusqu’à parler de ‘prostitution’ à propos du train de vie luxueux de Solange » (p. 249) car elle n’accepte pas que celle-ci se fasse entretenir luxueusement par des hommes, elle qui a vécu de son travail.

George Sand ressent une grande douleur à la mort de la fille de Solange, Nini à cinq ans et demi. François Rollinat, ami de toujours, reste proche d’elle puisque Manceau écrit : « Rollinat avait la nouvelle dans sa poche et ne voulait la donner que demain ». (p. 171) Plus tard, ce sera la mort de son petit-fils de un an, le fils de Maurice cette fois : « Manceau accompagne Maurice à l’inhumation dans le caveau familial où reposent le père de Casimir et la première petite fille de Solange, morte elle aussi (…). » (p. 287) Nous voyons que Manceau est présent à chaque épreuve douloureuse et aide de manière pratique. Il veut tout partager et pas simplement le plaisir, pour faire vraiment partie de la famille.

Alexandre Manceau offre un nid d’amour à sa bien-aimée à Gargilesse. Il « s’emploie à doter la maison de tout le confort moderne. ‘Tout Argenton sait qu’il y a à Gargilesse, un M. Manceau qui aura des lieux avec une cuvette à l’anglaise’ ». (p. 199) Manceau veut lui offrir un cadeau pour protéger son amour. En ce lieu, « Manceau a son aimée pour lui tout seul, ou presque. » (p. 202) Alexandre est toujours prêt à aider et à faire plaisir, à enlever tous les soucis qui passent près de sa bien-aimée. Par exemple il peut payer « de sa poche le loyer de l’appartement parisien de George, sans même le lui dire. » (p. 221)

George Sand a écrit un courrier très abondant mais elle ne veut pas que ses lettres d’amour en particulier celles à Chopin, parviennent à la postérité et elle se fait aider par ses amis pour les détruire : « En janvier 1857, François Rollinat, au nom de George Sand, propose que tous se retrouvent pour brûler le précieux dépôt. » (p. 209)

Au nom de son action pendant les barricades, George Sand aurait pu être inquiétée. Elle ne le fut pas car « son amitié avec le Prince Napoléon et sa position de conciliatrice la mettent à part dans l’opposition. (…) A ses yeux, toujours, le compromis sans la compromission… » (p. 216)

Puis Alexandre Manceau tombe malade et nous reconnaissons les symptômes de la tuberculose qui a fait tant de ravages à l’époque : « Comment la compagne de Chopin ne craindrait-elle pas le symptôme terrible de la phtisie dans cette toux qui fatigue ‘son bon ange gardien ratatiné’ ? » (p. 233)

George Sand continue d’écrire. Ses livres sortent comme dans un flot intarissable. Elle est sélectionnée pour le prix de l’Académie française mais ne sera pas laurée. (p. 241)

La santé d’Alexandre Manceau se dégrade ; il dit lucide et sans rancune : « C’est si simple de se lasser des vieux amis, (…). C’est comme les vieux habits, ça devient désagréable à voir. » (p. 268) Évelyne Bloch-Dano comprend bien la manière de penser d’Alexandre Manceau qui a aimé George Sand et a voulu la servir en chevalier galant : « Cet homme qui a vécu en se dévouant souffre de se sentir inutile et vit sa fragilité comme une déchéance. » (p. 294) George Sand sait aussi qu’il va mourir alors « Elle s’en veut de ne pas pouvoir le soulager, de ne pas être capable de lui remonter le moral parce qu’elle-même est trop affectée. Elle ne dort plus, elle en vit plus. » (pp. 296 et 297) Elle note sur un de ses agendas : « Il est ma force et ma vie ; quand il est le plus faible physiquement, moi je suis la plus faible moralement. » (p. 298) Quand il est mort, elle ajoute : « Oui, oui, mais toi, qui m’as tant aimée, sois tranquille, ta part reste impérissable. » (p. 300)

Évelyne Bloch-Dano a bien su analyser l’esprit de George Sand au travers de cet amour de quinze ans, sa fécondité littéraire par la présence fidèle et dévouée de son ami, leur partage de nombreux moments et de la vie familiale, la paix tranquille que cet homme a su lui donner en même temps que des preuves d’amour et de respect. Évelyne Bloch-Dano conclue en montrant comment George Sand lui fait honneur même après sa mort : « Dix jours après la mort d’Alexandre Manceau, elle avait commencé un nouveau roman. Elle l’intitula : Le Dernier Amour. » (p. 302)

Dans ce livre, Évelyne Bloch-Manceau a su ciseler l’histoire de George Sand autour de ce personnage peu mis en avant auparavant et qui pourtant, a su devenir et rester essentiel à cette femme écrivain pour son épanouissement : « Ce dernier amour révèle toute une vie, celle de George Sand car c’est la période de maturité d’une femme. » (conférence autour de son livre à la bibliothèque municipale de Tours, le lundi 15 novembre 2010)

 

3 décembre 2010

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Dans un courriel daté du 13 décembre 2010, Évelyne Bloch-Dano a écrit : « Chère Madame, Merci mille fois pour ces pages si riches et si précises sur Le dernier amour de George Sand. Bien sûr, vous avez mon plein accord pour les mettre en ligne. Bien cordialement »