Académie du Berry
Séance solennelle du 8 octobre 20185 à Issoudun (Indre)
Remise du prix 2016 de l’Académie du Berry,
au Pr Michel Fardeau
Allocution de Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix
Nous sommes heureux et honorés d’accueillir le Professeur Michel Fardeau, médecin formé à la neurologie clinique à la Salpêtrière età la biologie cellulaire à la Sorbonne, Directeur de recherche émérite au CNRS, professeur honoraire au conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Membre correspondant de l’Académie des sciences en section « Biologie humaine et sciences médicales » (élu le 22 avril 1996), fondateur et premier Directeur médical et scientifique de l’Institut de Myologie.
Le Pr Michel Fardeau a eu une carrière exceptionnelle aussi bien au niveau médical qu’humain. Né en 1929 à Paris, il a un lien avec le Berry, par sa famille paternelle. Il vit en région parisienne (92330 Sceaux) mais revient très souvent en Berry. Engagé au niveau de la vie locale au Blanc, il a été élu du conseil municipal (jusqu’en 2013).
En 1962, il a créé le premier service de recherche microscopique électronique dévolu à la biologie et la pathologie du tissu musculaire dans le laboratoire de neuropathologie de l’hôpital de la Salpêtrière, institut dévolu au muscle et à ses pathologies. Par ses recherches, il a montré l’importance de la cytochimie et de la microscopie électronique pour l’étude et le diagnostic des maladies musculaires, donnant ainsi à la myologie le statut de spécialité à part entière. En 1967 et 1968, il travaille à Washington, dans le laboratoire de W. King Engel puis de retour en France, s’oriente vers les maladies musculaires héréditaires.
Après avoir exercé en tant que directeur de recherche au CNRS à partir de 1977, il crée l’unité de recherche Inserm 153 « Biologie et pathologie neuromusculaires » et la dirige de 1978 à 1993 puis celle intitulée « Développement, pathologie, régénération du système neuromusculaire » de 1994 à 1996. Il s’intéresse aussi aux greffes cellulaires dans le but de reconstruire du muscle à partir de greffes de cellules satellites (1980).
Titulaire de la chaire d’enseignement « Insertion sociale des personnes handicapées » (1987), pour améliorer leur prise en charge, il obtient en 1998, par un concours de circonstances, une chaire d’insertion sociale auprès des personnes handicapées au CNAM, charge qu’il a exercée pendant dix ans. En parallèle de sa vie de chercheur, il a enseigné les problèmes de prise en charge des handicapés, non pas sous un angle médical, mais sous un angle pluridisciplinaire et essentiellement social. Il a été récompensé par de nombreux prix et son travail a été reconnu par des sociétés savantes étrangères qui ont fait appel à lui comme associé. Il a fait partie de plusieurs académies, parmi lesquelles l’Académie des sciences, en qualité de correspondant, et a été membre du Comité consultatif national d’éthique (1986 – 1990).
De 1997 à 2004, il a été Directeur médical et scientifique de l’Institut de Myologie, dédié aux maladies musculaires, à l’hôpital de la Salpêtrière, fondé en 1997 par l’association française contre les myopathies (AFM) en partenariat avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et l’INSERM dont il a été membre du Conseil scientifique (1982 – 1996) puis président du comité Inserm d’éthique en recherche médicale et santé (2000 – 2004).
Dans le cadre de son travail au conservatoire national des arts et métiers, il réalise en 2002, un rapport sur les personnes handicapées qu’il a ensuite lu au Sénat. Celui-ci s’intitule « Personnes handicapées : analyse comparative et prospective du système de prise en charge ». Ce rapport lui a été demandé par le cabinet du Premier ministre, ensuite relayé par les différents ministres des Affaires sociales ou des ministres dédiés aux personnes handicapées. Il a su trouver les jalons nécessaires à la réussite de son travail, prenant contact avec les conseillers d’ambassade de France à l’étranger et les conseillers dans différentes ambassades étrangères en France. Il s’est alors investi avec ténacité et courage, pour l’intégration scolaire des personnes handicapées, pour leur insertion professionnelle, pour l’amélioration de leurs conditions de vie, pour leur maintien au domicile par exemple avec l’accessibilité au logement, aux autobus… Il s’est basé alors sur l’expérience des pays de l’Europe du Nord où tout est accessible aux handicapés et aussi au Québec. Il a montré que la France avait du retard en ce domaine même si des aménagements commençaient à être réalisés. Dans certains pays limitrophes, pas plus riches que nous, ils ont été rendus obligatoires par une législation bien avant la France, par exemple, feux sonorisés, trottoirs et bus accessibles.
Le Pr Michel Fardeau a voulu que cesse l’insuffisance criante des programmes de développement de la recherche dans le domaine du handicap, que toute personne ait droit à une pleine citoyenneté, en lui donnant les moyens de l’exercer physiquement et mentalement, c’est-à-dire en lui permettant de remplir sa vie de citoyen, pour la construction d’une Europe sociale. Il plaide pour une aide de proximité en particulier à travers des associations. Il relate l’insatisfaction des handicapés non seulement matérielle, mais aussi leur souhait d’être reconnus comme dignes, comme tout le monde d’où le surtitre de son rapport : « Comme nous, comme vous, tout simplement ».
Le Pr Michel Fardeau a été l’invité de France Culture, par exemple en 2007 (le 7 août), pour traiter de « Handicap et Europe sociale » en particulier en référence aux travaux de l’Organisation Mondiale de la santé, des associations de personnes handicapées et des études universitaires. Dans une autre émission en 2007 (le 11 septembre), il a aussi abordé l’histoire du handicap intellectuel ou acquis dès la naissance.
Le parcours professionnel de ce professeur est étonnant, à la fois scientifique par ses recherches, et humanitaire pour son aide auprès des plus démunis. Il se présente lui-même comme « un personnage hybride », « médecin et biologiste fondamental ».
Le Pr Michel Fardeau a édité de nombreux livres (aux
éditions Odile Jacob), reflets de son engagement médical et humain.
Certains sont coécrits tels :
– Rencontre de biologie et de pathologie
musculaires : Hôpital de la Salpêtrière, Paris, 2-3 novembre 1981.
1982) de François Gros et Michel Fardeau ;
– L’Homme réparé : artifices,
victoires, défis de Louis Avan et Michel
Fardeau (1988) ;
– Droit au travail et handicap : L’obligation
d’emploi entre mythe et réalité.
Nous pouvons citer L’Homme de chair (2005, éditions Odile Jacob), dans lequel le Pr Michel Fardeau aborde le fonctionnement des muscles, leurs terminaisons nerveuses, permettant mouvement, force et résistance. En comprenant mieux les mécanismes d’action des muscles, nous cernons mieux comment agir dans l’espoir d’une guérison.
Parmi ses nombreuses distinctions, il a reçu la médaille de vermeil de la Ville de Paris des mains du maire de la capitale, Bertrand Delanoé et le 15 décembre 2015, la Grande Médaille de l’Académie nationale de médecine pour l’ensemble de sa carrière consacrée à la biologie et à la pathologie du muscle, en particulier en créant l’Institut de Myologie à la Salpêtrière.
Le Pr Michel Fardeau, n’a jamais vraiment pris complètement sa retraite puisqu’il est toujours membre du conseil scientifique de l’Association française contre les myopathies (AFM) et consultant bénévole au Laboratoire d’histopathologie de son successeur, le Docteur Norma B. Romero de l’Institut de Myologie.
Premier Président fondateur du conseil scientifique de l’Association française de lutte contre les myopathies, ce médecin humaniste, a relevé le défi de garder de grandes responsabilités, dès le départ, et a continué à travailler dans ce sens. Il s’est dévoué à la prise en charge des problèmes de maladies musculaires sur le plan somatique et biologique, et également sur le plan social. Il écrit : « il est impossible pour moi de ne pas voir la personne, l’être humain, derrière sa maladie, ses cellules ou ses gènes. »
Oui, nous sommes heureux de remettre le prix de l’Académie du Berry au Professeur Michel Fardeau, humaniste et chercheur reconnu en particulier dans la spécialité de myologie qu’il a créée à la Salpêtrière.
Catherine Réault-Crosnier
Bibliographie :
http://www.senat.fr/rap/r01-369/r01-36981.html
http://www.lanouvellerepublique.fr/Indre/Actualite/24-Heures/n/Contenus/Articles/2013/03/19/Le-professeur-Fardeau-a-l-honneur-1376796
http://www.franceculture.fr/personne-michel-fardeau.html
http://www.amazon.fr, livres de Michel Fardeau
http://www.academie-sciences.fr/fr/Liste-des-membres-de-l-Academie-des-sciences-/-F/michel-fardeau.html
http://www.histcnrs.fr/histrecmedcopie/entretiens/fardeau/fardeau-bio.html
Remise du prix de l’Académie du Berry au Pr Michel Fardeau.
De gauche à droite : Alain Bilot, président de l’Académie du Berry, Michel Fardeau, Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix de l’Académie du Berry.
Réponse du Pr Michel Fardeau, lauréat.
Madame la présidente,
Vous avez eu la bonté de rappeler que ce Prix n’était pas la première récompense, la première médaille que je recevais. Mais par votre choix – dont je ne connais toujours pas toutes les raisons – vous avez touché quelque chose de très sensible en moi : mon attachement au Berry, je vais essayer de vous en faire partager l’histoire, et la profondeur.
Je suis à cet égard un enfant de la Guerre, de la dernière Guerre. En septembre 1939, notre père, médecin installé à Paris, allait être mobilisé. Il est donc venu nous chercher, notre maman, mon frère et ma sœur, dans la petite localité normande, où nous étions en vacances. Il nous a embarqués dans sa voiture, direction Paris où nous avons passé une dernière nuit dans notre appartement de l’avenue Parmentier. Une halte le lendemain matin dans le Bois de Vincennes me permit de ramasser un marron déjà germé, et quelques heures plus tard nous étions au Blanc, dans la maison de mes grands-parents paternels. J’ai planté le marron. Je n’imaginais pas, personne n’imaginait, que nous allions rester cinq ans au Blanc.
J’ai donc été inscrit pour la rentrée scolaire 1939, au collège du Blanc. Ce collège n’avait pas une grande réputation. On disait même que c’était l’avant-dernier collège de France, celui de Saint-Flour étant parait-il, encore pire. Mais la guerre allait bousculer comme beaucoup d’autres institutions, ce vieux collège. Sa population va doubler, ou peut-être même tripler, avec l’arrivée des « réfugiés ». Et le corps professoral va être bouleversé et bien sûr enrichi. C’est ainsi que j’ai bénéficié des meilleurs professeurs que l’on puisse imaginer.
Laissez-moi en citer quatre. En sciences naturelles, un homme charmant et très cultivé, Monsieur Bonneville, en mathématiques et en physique, un couple (« les Roffi »). Elle, professeur intraitable et redoutée en mathématiques, lui, jeune chercheur en piézoélectricité, chassé de son université de Clermont par l’arrivée des Alsaciens de Strasbourg, devenu professeur dans ce modeste collège pour gagner sa vie. C’était également une terreur, en particulier pour les élèves des classes littéraires et parmi les « matheux », il en choisissait chaque année un, pour l’envoyer à Polytechnique – l’école où il n’avait pu aller. Cette année là, en seconde, ce fut moi. Je fus donc initié non seulement à la physique mais à la résolution des problèmes difficiles de Concours Général et au travail manuel. Ma vocation de chercheur et sans doute née là, à treize ou quatorze ans, dans l’atmosphère enfumée de ce laboratoire de physique-chimie. Le quatrième est mon professeur de français, latin, grec, arrivé en 1943 au collège du Blanc, qui tranchait par son allure avec les autres professeurs : le regard perçant, les cheveux noirs et drus, il devint presque instantanément notre Dieu. Nous lui dédiions poèmes et dictionnaire. Et son prestige fut multiplié au centuple lorsque nous découvrons, au premier défilé de la libération de notre ville, qu’il était assis dans un side-car derrière un fusil mitrailleur. Jacques Parpais était résistant, il fut d’ailleurs agent de liaison, à vingt ans, du premier parachuté en France du SOE anglais.
Voila pour ma formation scolaire. Notre papa disparut à la fin de la guerre. Il était un grand résistant, l’un des premiers sans doute, à entrer dans les rangs de l’Armée Secrète dans une région – celle du Blanc, qui fut une région de haute résistance, par la proximité de la Brenne et la proximité de la ligne de démarcation. Ma maman resta donc seule au Blanc sans grandes ressources, autre que son activité de couturière, avec mon petit frère et ma petite sœur. Pour moi, je remontais en 1946 seul à Paris, et je désobéis à mes professeurs de mathématiques et de physique, inscrit pour entrer en hypotaupe au lycée Saint-Louis. Je suis allé me mettre dans la queue des inscriptions au PCB : j’avais décidé de faire médecine.
Ce furent des années de grande excitation intellectuelle. Le Saint-Germain des Prés de la libération. Les études de médecine, avec ma formation en physique et en mathématiques, me parurent d’une déconcertante facilité. Arriva le 20 octobre 1949, j’allais avoir vingt ans. Ma maman qui avait pu ouvrir avec sa sœur une maison de couture près des Champs-Élysées, me proposa son atelier pour y faire la fête. J’y invitais tous mes collègues externes du Service Mondor, j’étais déjà dans la Salpêtrière. Mais, sauf une, c’étaient tous des garçons. Il me fallait trouver des filles. Je décidais alors de retrouver la petite fille avec laquelle j’avais passé les vacances au bord de la mer, avec laquelle nous avions participé aux mêmes fêtes, et avec laquelle je jouais les après-midis au square Parmentier au cœur du XIe arrondissement. Je me souvenais qu’elle habitait rue de la Roquette. Et ce jour, ce 20 octobre, je retrouvais non seulement Michèle mais sa maman, sa tante, son papa. J’avais une nouvelle famille. Le coup de foudre. Je suis d’ailleurs allé annoncer aussitôt à mes camarades de sous-colle – je commençais à préparer l’Internat – qu’une catastrophe était arrivée : j’étais amoureux. Et Michèle fille et Michel garçon ne se sont plus quittés.
Quelques années plus tard, l’Internat accompli, je me suis engagé au CNRS, dans la recherche, comme je m’étais promis de le faire. Mes maîtres d’alors en sciences et en neurologie, m’ont orienté vers le système musculaire, un domaine médical en complète déshérence depuis un siècle et demi, alors qu’il était né à la Salpêtrière. Quoi de plus attirant pour un jeune chercheur d’autant que ce domaine, avec de nouvelles techniques, commençait à se réveiller outre-Manche et outre-Atlantique. Ayant eu la chance d’être formé à la microscopie électronique, et envisagé de monter une petite équipe de recherche, je m’installais avec un ingénieur et deux techniciennes dans le grenier d’une vieille division de la Salpêtrière. Et les résultats novateurs arrivèrent très vite, l’équipe s’étoffa, le laboratoire occupa bientôt tout le premier étage de la Division Risler, et connut vite une bonne notoriété internationale. Les États-Unis, la venue un soir dans ce grenier des représentants d’une toute jeune association de malades atteints de maladies neuromusculaires, autour de Bernard Barataud et ce fut le début d’une aventure qui se développe encore aujourd’hui, celle de l’AFM et la renaissance d’une discipline médicale orientée vers cette pathologie, la myologie. Vous l’avez rappelé, madame la Présidente, il est donc inutile d’y revenir.
Laissez moi dire seulement en conclusion qu’une des morales de cette histoire c’est que la vocation de chercheur nait généralement très précocement et que finalement, je suis resté fidèle à ma promesse, pas seulement vis-à-vis de mes professeurs du collège du Blanc, mais à ma promesse de jeune scout que j’ai prononcée à l’âge de dix ans au Bois de la Botterie, à la porte du Blanc. Je crois me souvenir que l’on dit « d’abord servir », je crois que l’on ajoutait Dieu et son prochain. Pour Dieu, il me faudrait un autre long discours. Pour mon prochain, je crois n’avoir pas trop failli à ma promesse.
Michel Fardeau
Le Pr Michel Fardeau au premier plan,
et Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix de l’Académie du Berry.
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