Académie du Berry

Séance solennelle du 24 octobre 2015 à Saint-Amand-Montrond (Cher)

 

Remise du prix 2015 de l’Académie du Berry,
à M. Rémi Maillard

 

Allocution de Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix

 

 

Artiste Maître-laqueur et décorateur de renommée internationale, Rémi Maillard est devenu un vrai Berrichon, puisqu’il réside à Aize (Indre) où il a son atelier ; vous pouvez le rencontrer, le samedi et le dimanche, en Sologne, dans sa coquette boutique, à Nançay (Cher) au n° 5, route de Vierzon, à l’enseigne « ART’S & DECO », jouxtant sa galerie « Prométhée », où nous pouvons découvrir des objets rares et merveilleux pour la décoration de la maison.

Peintre décorateur de formation, styliste de mode pour la haute couture, il a travaillé pour de grands noms comme Ted Lapidus, Popy Moreni, Fath, Castelbajac… Il a aussi conçu neuf grandes toiles de quatre mètres de hauteur, pour le musée du Cirque à Vatan (Indre). Il a participé aux décors du film Vatel « Le cuisinier du Roi », et de nombreux décors lui ont été commandés.

Dès 1982, il découvre la laque, matière de substance animale ou végétale, qui permet des effets lumineux étonnants et nécessite une grande maîtrise. Très doué et très consciencieux, il recherche la perfection, créant des œuvres de grande qualité.

Après un long apprentissage, ponctué de séjours en Extrême-Orient et de stages dans les ateliers chinois de Paris, il parfait sa pratique en même temps qu’il approfondit des documents anciens, et notamment toute la bibliographie relative à l’Art du Laque, sans oublier les visites permanentes dans les Musées, pour avoir une vision globale de cet art.

Il s’investit encore plus dans cette voie artistique après avoir rencontré le grand laqueur d’art déco, Bernard Dunand, fils aîné de Jean Dunand, le grand Pape de la Laque du XXème siècle.

Très rapidement, il présente de nombreuses œuvres et les expose en France et à l’étranger. En mars 1991, il est distingué par l’UNESCO à Paris, où il expose, salle Miro, une vingtaine d’œuvres. Chaque année depuis 1992, il réalise plus de trente expositions en France, en Europe, et même aux États-Unis. Son but est de redonner vie à cet art.

En avril 1994, il rencontre donc, Bernard Dunand, laqueur, à la mémoire duquel son exposition avait été dédiée, au Centre Culturel Michel Simon, à Noisy-Le-Grand. Son talent est alors unanimement reconnu.

En octobre 1995, il est l’invité d’honneur lors d’une grande exposition à Limoges (Haute Vienne) au Pavillon du Verdurier ; Mme Yoshida Kuniko, attachée culturelle auprès de l’ambassade du Japon, lui fit l’honneur de son déplacement, et admira en autre, parmi plus quarante œuvres, sa fresque en laque de 4 m de largeur x 4 m de hauteur, en gravure Coromandel, dorée à la feuille d’or : l’une des techniques les plus rares aujourd’hui, alors que cette même technique fut en vogue au 18ème siècle.

En avril 1996, sa notoriété est une nouvelle fois confirmée, lors d’une exposition à Antibes. Il réalise alors des objets d’arts de prestige, commandés par Monsieur l’architecte-conservateur du Palais Grimaldi à Monaco, et des trophées pour le groupe Ferrari en autres…

Il a reçu de nombreuses distinctions et honneurs bien mérités : médaille d’argent aux Artistes Français, nombreuses médailles d’or, Grand Prix Régional des Métiers d’Art, Prix des arts appliqués, et médailles d’or dans de nombreuses villes de France. Il a été aussi honoré par la Royal Academy à Londres, la Société Nationale des Beaux Arts. Primé au Japon, ses œuvres y sont collectionnées…

Rémi Maillard a réussi à adapter l’ancien procédé de laquage chinois sur volume en respectant les origines très anciennes de la laque, datant plus de huit mille ans, en Chine puis codifié et sublimé au Japon. Il est ainsi devenu un spécialiste de la laque de Chine et du Japon, alliant création et tradition, donnant un souffle personnel, contemporain non figuratif.

Des travaux prestigieux bien spécifiques à sa technique lui sont demandés, décors, dorures à la feuille d’or et d’argent, restauration, meubles peints, patines, trompe l’œil, etc.

Toutes ses créations sont faites à la main sur support bois et autres supports. Il utilise des procédés traditionnels ancestraux : mise en forme du support, entoilage et encollage, enduits, imperméabilisation du support, mise en teinte, pigments minéraux en poudre, vernis flatting passé à la brosse de soie, mise en place des décors dont certains incrustés de coquilles d’œuf et de nacre (techniques les plus abandonnées des laqueurs).

La technique de la laque nécessite beaucoup de patience. Il faut minutieusement poncer la pièce puis après ces divers ponçages et polissages, des laquages successifs, après des mois de travail et d’efforts, des temps de séchage et de repos, l’œuvre est lustrée pour obtenir profondeur et brillance.

Son art souvent abstrait nous emporte dans un univers lumineux et harmonieux.

Citons parmi ses nombreuses et prestigieuses expositions personnelles de par le monde :
– celle à l’UNESCO en 1991, comme précisé ci-dessus ;
– au Palais du Sénat à Paris en 2010 ;
– au Château d’Eau / Château d’Art à Bourges en 2011 ;
– au Musée-couvent des Cordeliers à Châteauroux au printemps 2014 ;
– au Château de Valençay pendant l’été 2014 ;
– en février 2015, sa participation au salon Régional des Métiers d’Art à Orléans ;
– sa participation aux journées Européennes des Métiers d’art, en mars 2015.

Invité par la ville de Rambouillet et par Monsieur Gérard Larcher, Président du Sénat, Rémi Maillard a présenté ses nouvelles créations au Palais du Roi de Rome du 30 mai au 30 août 2015, dans le cadre de son exposition exceptionnelle « Transparences et lumières ».

Des films ont été réalisés sur son art et ses expositions, en particulier « L’Âme du Laque » (au Sénat en 2010), « Art et matière » (Bourges 2011), un documentaire « Travail en atelier » (printemps 2014), « Laques et Lumières » en 2014 (concernant l’exposition au Musée-couvent des Cordeliers à Châteauroux.

Un très récent portrait a été réalisé par les équipes de France-Télévision /France 3 National et diffusé sur les chaînes.

Rémi Maillard écrit : « La laque est une école d’humilité, de patience, d’équilibre. L’amour du travail bien fait, de l’exception et de l’unique. »

Rémi Maillard a su transformer les objets créés par ses soins, en œuvres admirables. Il est l’un des derniers grands maîtres de la Laque, technique exigeante qui demande un travail d’excellence, c’est pourquoi à l’unanimité des membres du Haut Conseil de notre académie dirigée par notre président, M. Alain Bilot, vous avez été choisi comme lauréat du prix 2015, au vu de votre travail et de votre art exceptionnel, connu dans le Berry et dans le monde entier.

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Remise du prix 2015 de l'Académie du Berry à M. Rémi Maillard.

De gauche à droite : M. Rémi Maillard, lauréat, Mme Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix, et M. Alain Bilot, président de l’Académie du Berry.

 

Réponse de Rémi Maillard, lauréat.

 

 

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis de l’Académie du Berry,

 

En cette séance solennelle d’automne de 2015, je vous adresse mes plus vifs remerciements, pour m’avoir sélectionné tout d’abord, pour ce Prix de l’Académie 2015, qui m’est décerné. Ainsi que pour tous ces éloges me concernant.

Je vous exprime donc toute ma reconnaissance et ma gratitude.

Je remercie tout particulièrement Michel Delaume, que je retrouve aujourd’hui, et avec qui, j’ai pu échanger de nombreuses fois. Michel, toujours discret, m’avait d’ailleurs fait état brièvement, de cette belle Académie du Berry ; mais j’avoue ne pas y avoir prêté d’avantage attention ; quelle fut ma surprise, de découvrir le mail de Madame Catherine Réault-Crosnier, m’ayant annoncé ma sélection.

Je mesure aussi, ce long voyage de ma vie, que j’ai parcouru (voyage, qui me paraît si court, aujourd’hui), car, si, Maître en ce métier je suis ; tout est encore à redécouvrir ; et apprenti, toute notre vie, nous sommes.

Ce beau voyage, au cœur de la laque, je le dédie à Monsieur Seizo Sugawara, ce jeune laqueur japonais, de dix-huit ans, qui arriva en FRANCE, en 1898, avec une délégation japonaise, pour l’exposition universelle de 1900, à Paris.

Il initia à la laque une Irlandaise, Eileen Gray, avec laquelle, il a ouvert une école ; elle fut sa première élève, son nom restera indissociable à celui d’Eileen Gray. Malheureusement, trop avant-gardiste, le travail d’Eileen Gray fut reconnu sur le tard.

Monsieur Seizo Sugawara initia ensuite, le grand Jean Dunand, dinandier, dont le nom restera marqué avec le style naissant de l’époque « Art Déco ».

Monsieur Seizo Sugawara s’est éteint en 1940, telle une ombre à l’âge de soixante ans ; malheureusement peu d’archives – voir pas du tout – le concerne.

Qui suis-je donc ?

Lorsqu’à quatorze ans, je quittai ma Normandie natale pour apprendre et engranger ce que devint ma vie, ces moments de solitude et de douleur me permirent de renaitre et de devenir l’homme nouveau, dont parle Louis Claude de St. Martin, philosophe-mystique du 18ème siècle… J’étais loin de m’imaginer de venir m’installer et vivre en Berry.

De Gisors (Eure) où je suis né, puis Montjavoult, Rennes, Quimper, Combrit Ste-Marine (Finistère), puis Kermabeuzen (couvent des Franciscains) où à vingt-deux ans, j’y entrais – le temps du noviciat, le temps de panser mes blessures, le temps d’une transformation en profondeur, pour, ensuite, un an plus tard, partir vers d’autres horizons… La Turquie, puis Paris, la capitale, qui m’ouvrait ses bras…

Paris, capitale de toutes les folies, de tous les dangers, aussi. Après, bien des petits boulots, j’ai travaillé, comme sous-traitant, pour Ted Lapidus, et pour les plus grands noms de la haute couture, et le Moyen-Orient. C’est avec mes collègues, Odile Favario et Paulette Bonizec, avec qui, nous partagions un local dans le quartier de la Bastille, que les collections défilaient au fil des saisons…

Lors de ma rencontre avec Paulette Bonizec, je compris que mon destin allait basculer, pour m’orienter vers la laque – je compris à la seconde, lorsque je vis entrer cette petite bonne femme énergique, avec son accent méditerranéen, et coiffée comme nulle autre, que mon chemin artistique serait lié au sien.

En effet, Paulette Bonizec était aussi laqueur, et professeur de dessin. Avec le recul, mon ressenti se révélait juste. Aujourd’hui, Paulette est âgée de plus de quatre-vingt ans ; elle travaille toujours, et me téléphone très souvent ; et à son tour, me demande des conseils, pour restaurer des laques retrouvées chez les antiquaires !

Je louais, alors, un petit studio inoccupé au dernier étage d’un immeuble dans le 16ème arrondissement – rue de Passy – avec la complicité de la concierge de l’immeuble, où j’ai pu y réaliser mes premiers panneaux laqués. Devenu parisien, il m’arrivait d’aller diner, quelquefois « au Petit Quincy » où l’on y dégustait quelques spécialités du Berry, sans savoir – à l’époque – où géographiquement se situait cette province ; le destin se chargeant de me la faire découvrir.

Quelques années plus tard, je louais une maison à Orçay (Cher), tous près de Nançay, où le garage devint mon atelier, le week-end.

En 1991, ce fut l’achat de ma maison actuelle à Aize (Indre), où tout allait changer. Qu’il est loin ce temps, où j’envahissais toute sa surface en atelier, dans l’attente de la réalisation des travaux de restauration, que je réalisai chaque week-end. Ce lieu devint mon havre de paix, où je m’y ressource, où je vis, où je travaille, où la terre est venue mienne ; ses vallons et ses bois ont été pour moi, ma guérison, et ma force ; aujourd’hui, mon sanctuaire.

En 2004, à Nançay (Cher), je crée en parallèle, avec ma boutique de décorations pour la maison à l’enseigne « Art’s & Déco », ma propre galerie à l’enseigne « Prométhée ».

Depuis toutes ces dernières années, je présente mes créations nouvelles dans le cadre d’expositions personnelles à Paris, Bourges, Châteauroux, Orléans, le château de Valençay, et tout récemment, à Rambouillet, où le deuxième personnage de l’état m’a permis de réaliser une très grande exposition au Palais du Roi de Rome – Monsieur Gérard Larcher ayant pris le temps de visiter à mes côtés, cette exposition représentant sept années de travail.

Ce beau métier de laqueur, je regrette de vous en offrir uniquement la résultante, le produit fini ; car, le plus beau pour moi, c’est sa naissance, avec ses difficultés, parfois même ses souffrances.

Métier d’intimité, de surprise, de découverte, que l’on ne peut percevoir et comprendre, qu’en le pratiquant. Métier alchimique, la matière au fil des mois se transforme, s’enrichit, s’illumine vers cette lumière, qui la définit et dont elle a besoin pour vivre, et pour exister – cette lumière qui fait sa vie, mais, qui est aussi le miroir de celui qui l’a conçue, polie au fil du temps et de la patience. Métier de contemplation, qui, par sa rigueur, ses mouvements répétitifs, par le choix du silence, m’ont permis de retrouver cette intériorité méditative du monastère, et a fait pour moi, de ce métier, un support d’éveils, où le meilleur de l’humain se révèle :

« Chercheur de Lumière ».

Ce métier, malgré tout, est en danger : il fut un métier d’homme, car très physique ; les femmes, aujourd’hui, qui l’ont adopté, sont en majorité, attirées par son lustre, sa brillance, son luxe, son prestige ; pour cela, elles sont allées à la facilité, en abandonnant les techniques fondamentales du métier. La nouvelle génération, par dépit pour la tradition, innove dans sa recherche, mais en fait un tout autre métier, qui ne correspond plus à celui d’origine.

Nos institutions sont sourdes et ont oublié, qu’avec la deuxième guerre mondiale, l’élan de la créativité n’a pas connu l’essor mérité ; car, à cette époque, la France comportait les meilleurs décorateurs, créateurs, ébénistes, designers qui utilisaient la laque – 1920 / 1930 ayant marqués une empreinte dans les arts décoratifs ; et dont je suis l’héritier.

Quoiqu’il en soit, je resterai fidèle défenseur des traditions, du savoir ancestral, par ses techniques dans la création contemporaine, car le chemin nous a été tracé avant nous, par d’autres laqueurs, qui, avec la même passion, ont expérimenté.

Sans Seizo Sugawara, Eileen Gray, Jean Dunand, je ne serai pas laqueur aujourd’hui, et je ne peux, qu’humblement, les en remercier, et leur dédier cette journée.

 

Rémi MAILLARD.

 

Rémi Maillard, lauréat du prix 2015 de l'Académie du Berry.

M. Rémi Maillard pendant sa réponse.

 

Site Internet : remimaillard.com