Académie du Berry

Séance solennelle du 13 avril 2013 au château de Valençay (Indre)

 

Remise du prix annuel de l’Académie 2012,
à Sylvie Germain

 

Allocution de Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix

 

Le prix de l’Académie du Berry est remis chaque année, à une personne honorant le Berry par son action. Monsieur Alain Bilot, notre président actuel, m’a nommée présidente de ce prix en 2006 et je le remercie de sa confiance. La lauréate 2012, recevra son prix tout à l’heure, sous forme d’un produit du pays, une poterie du Berry.

Le prix 2012 est décerné à Mme Sylvie Germain qui honore le Berry par ses livres d’une grande intensité littéraire et pour lesquels elle a reçu de nombreux grands prix. Sylvie Germain est née à Châteauroux en 1954. Son arrière grand-père paternel né en Sologne, a quitté sa région natale pour partir à la guerre de 1914 et n’y est pas revenu ensuite. Sa famille déménage peu de temps après sa naissance. Cette région retient malgré tout, l’attention de notre lauréate puisqu’un de ses livres, L’enfant Méduse, se passe en Berry, même si cette région n’est pas nommée directement.

Lors de la remise du prix annuel de l'académie du Berry 2012, le 13 avril 2013 au château de Valençay.

Lors de la remise du prix annuel de l’académie du Berry 2012.
De gauche à droite : Maurice Bazot, chancelier, Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix, Sylvie Germain lauréate 2012.

Sa biographie

Dans les années 1970, elle suit des études de philosophie à la Sorbonne, où enseigne entre autres professeurs, le philosophe Emmanuel Lévinas. Elle présente un mémoire de maîtrise sur la notion d’ascèse dans la mystique chrétienne, puis une thèse de doctorat en philosophie sur le thème du visage. (« Perspectives sur le visage. Trans-gression ; dé-création ; trans-figuration »).

Elle a travaillé comme documentaliste puis comme fonctionnaire au Ministère de la Culture (1981 – 1986), et comme professeur de français et de philosophie à l’école française de Prague (1986 – 1993). Depuis son retour en France en 1994, elle se consacre à l’écriture.

 

Son œuvre

Sylvie Germain a publié de nombreux livres chez de grands éditeurs dont les éditions Gallimard pour Tobie des Marais en 2000, les éditions Albin Michel pour Magnus en 2005 et L’inaperçu en 2007. Ses livres ne sont pas passés inaperçus car ils possèdent une force étonnante d’émotion et de mysticisme, pour nous aider à comprendre et à vaincre les blessures de la vie.

Sylvie Germain a reçu de nombreux prix littéraires dont le prix Femina pour Jours de colère en 1989, le Prix de littérature religieuse (décerné par des libraires spécialisés dans la littérature religieuse), pour Les Échos du silence en 1997, le prix Jean Giono pour Tobie des Marais en 1998 et le Goncourt des lycéens pour Magnus en 2005. En 2011, elle a reçu le prix Jean Monnet de littérature Européenne, décerné à Cognac.

En 2010, Sylvie Germain a été mise à l’honneur dans le cadre du colloque des cinq Académies en région Centre, à Châteauroux. Le thème étant « L’eau en région Centre », j’ai traité du sujet « Les écrivains en Berry et l’eau » et je l’ai mentionnée ainsi que son livre Tobie des marais mais j’aurai pu aussi citer L’enfant Méduse. Le thème de l’eau, très fort en cette région, a une place importante dans son œuvre.

Sylvie Germain a publié récemment plusieurs livres à tendance philosophico-religieuse dont en 2011, Quatre actes de présence et en 2012, Rendez-vous nomades (chez Albin Michel). Ces titres sont à eux seuls, déjà significatifs de sa démarche, la recherche d’une présence et de Dieu en lien avec l’éternité, un Dieu à renommer.

 

Sa production

Sylvie Germain a écrit de nombreux livres de grande qualité littéraire et humaine. En 1984, elle publie, son premier roman Le Livre des Nuits (suivi de Nuit-d’Ambre, saga familiale de près de sept-cents pages), qui reçoit six prix littéraires.

Dans L’enfant méduse, elle va sur les traces de ce passé lointain berrichon puisque l’histoire se déroule dans un village du Berry. Nous retrouvons des caractéristiques de cette région, les landes, les marais peuplés d’oiseaux, d’insectes, de crapauds et de fées invisibles, l’atmosphère de sorcellerie et de magie des contes berrichons comme dans les livres de Jean-Louis Boncœur et celle d’imprégnation de brume et d’eau proche de George Sand.

« Des eaux magiques qui lancent des sanglots de bronze dans les brumes des soirs d’avril. Les marais alors retentissent comme si dans les profondeurs de leurs vases des royaumes engloutis sonnaient le glas à la volée. Des cités dont les crapauds sont tout à la fois les princes et les hérauts, les forgerons et les sonneurs de cloches. Les chants d’amour des crapauds sont funèbres et grotesques, ils parent de sons mortuaires les tourments du désir, (…). » (pp. 142 et 143)

« Le crapaud psalmodiait une obscure prière, pétrie de boue, de nuit et de chagrin. » (p. 33)

En Berry, se trouvent aussi les fées, les maraudeurs, les sorciers, les jeteurs de sort, les mal-morts :

« Une Fade malheureuse y vivait. Personne ne l’avait jamais vue, cette pauvre fée au cœur navré, mais ses pleurs d’invisible faisaient pitié. (…) Le chagrin de la fée se tordit dans les flammes, monta au ciel et disparut. » (p. 29)

« Les revenants, souvent, c’est de la souffrance qui maraude, ce sont des âmes aux abois, de pauvres âmes sans repos qui ont perdu leur corps et tout asile sur la terre, (…). » (p 181)

La lumière qui d’ailleurs porte le titre d’un chapitre (p. 79), fait partie intégrante de l’histoire bien qu’elle soit cachée :

« Ce n’est pas le jour, ce n’est pas la nuit. C’est un temps tout autre, c’est un frêle point de tangence entre les minutes et l’éternité, entre l’émerveillement et l’effroi. C’est le cœur du monde qui se montre à nu – un cœur obscur ceint de gloire. » (p. 16)

« (…) nous sommes tous faits de poussières d’étoiles mortes et tous nous redeviendrons des poussières, pour à la fin être à nouveau des étoiles. » (p. 71)

Sylvie Germain ne se limite pas à ces empreintes de pure beauté champêtre. Elle se trace une ligne de conduite hors des sentiers battus. À côté de ces oasis de beauté, elle nous conduit vers la misère humaine et ses perversités pour nous montrer comment un être humain peut dévier et un autre être tué dans son corps et dans son esprit. La nature reste pour nous permettre de reprendre souffle à côté la dureté des faits vécus, trop cruels, presque inhumains…

Sylvie Germain se sert de la beauté des fleurs empreintes de messages à décoder, pour faire passer ses idées insensiblement, goutte à goutte, imperceptiblement, et nous montrer la fugacité de toute chose, de tout être. Le pourpre du cœur de la rose, n’est-il pas une manière indirecte de nous parler de l’indicible, le viol d’une fillette ?

« L’odeur des pommes et des poires se mêle au parfum poivré des roses sombres qui commencent à ployer en cercle autour du vase de faïence. De temps en temps se détache un pétale qui tombe avec mollesse. La lumière s’enfonce dans les plis des corolles, rosit, à peine, le pourpre des pétales. (…) La fleur voluptueuse où l’insecte avait trouvé la mort, s’effondre et s’exfolie. Les roses sont d’éphémères tombeaux. Le petit corps blond et léger comme un brin de paille gît parmi les lambeaux violacés de la rose. Un même oubli emporte dépouille et sépulture. » (p. 164)

L’enfant abîmée dans sa chair va devenir l’enfant méduse qui casse toute relation personnelle. Lucie a perdu toute confiance en l’homme qui restera pour elle, à jamais, l’ogre dévoreur, insatiable qui lui a tout pris, son corps et son âme. Puis un jour, ce sera l’espoir d’une paix possible prête à éclore dans sa vie étiolée, fragile, hésitante Il faudra encore un autre temps, pour que la blessure cicatrise sans jamais disparaître, pour réapprendre à vivre. Sylvie Germain nous le confie avec délicatesse en final, comme l’arrivée de la lumière dans la nuit de Noël :

« Là-bas, là-bas, le plus merveilleux de tous les là-bas luit doucement au cœur de l’ici et de l’instant présent. Là-bas, ici, une enfance nouvellement née luit dans la paille blonde. » (…) Dans son regard couleur de nuit, toujours. Mais désormais, nuit de Nativité. » (p. 313)

Dans Tobie des Marais, elle allie émotions fortes et mysticisme en se référant au livre de Tobie dans la Bible. Les descriptions de l’eau sont belles, poétiques, emplies d’une force naturelle pouvant aller jusqu’à la violence sauvage, rappelant une vision de déluge ou de fin du monde. À la manière de George Sand, l’eau peut aider à la prise de décision car le passager ne se décide à intervenir que parce que : « (…) la pluie avait cessé aussi subitement qu’elle avait éclaté (…) » (p. 16) et dans ce vertige d’eau, un petit enfant paraît encore plus désarmé, vacillant à vélo : « C’est un petit enfant qui zigzague sur la route et file dans l’autre sens. » (p. 16) Chez Sylvie Germain, l’eau a une puissance vivante et une beauté poétique étonnante qui tend vers la lumière et l’espérance, même lorsqu’elle est enfantée dans la douleur, la violence ou les non-dits de même que Tobie est fait pour connaître une autre vie car du début du monde à la fin du monde, il reste l’eau et la lumière.

Dans Magnus, le personnage central est un ours en peluche « Magnus est un ourson de taille moyenne, au pelage assez râpé, (…) » (p. 16), confident d’un petit garçon qui ne comprend pas les évènements graves qu’il vit, sa mère fuyant sous les bombardements de Hambourg et se transformant en une torche vivante ; l’orphelin sera ensuite adopté par un couple, dont la femme tentera d’annihiler son passé, et dont le mari ne s’intéressera guère à l’enfant. Ce n’est qu’au sortir de l’enfance et de la guerre, que le garçon comprendra qui était réellement cet homme qu’il croit encore être son père : un bourreau nazi. Et beaucoup plus tard, il apprendra qu’il a été en fait un enfant adopté.

Dans L’inaperçu, Sylvie Germain nous emporte au royaume des non-dits, des blessures si difficiles à cicatriser, celles de l’injustice et de la fragilité de l’être. Hors du champ est le titre de son dernier roman paru en 2009, où elle aborde la place de l’être humain, qui à force d’être négligé, oublié, finit par perdre toute consistance, jusqu’à sa visibilité. Elle sait se consacrer à l’essentiel et trouver les mots justes pour mieux nous faire comprendre l’importance de se reconstruire.

Avec elle, dans tous ses livres, il y a toujours une place pour l’espoir et le devenir, mais aussi une attente, une quête d’un ailleurs pour reconnaître l’insondable, une philosophie proche de Lévinas. Nous pouvons citer en exemple, un fragment de son dernier livre Rendez-vous nomades : « Dieu caché, intensément discret, attendrait donc des hommes le dépliement et le déploiement de son être – ce Je suis éternel – sur cette terre, et dans le temps de ce monde. »

 

Conclusion

Oui, Sylvie Germain avec des mots justes et aimants, brise les blessures et aide chacun à progresser sur le chemin qui est le sien. Son style étonnant empli de sentiments et de réflexions complète la puissance de son écriture au service de l’autre. Nous sommes donc très heureux de lui remettre le prix de l’Académie du Berry sous forme d’une poterie du Berry avec toutes nos félicitations.

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Bibliographie

Sylvie Germain, Tobie des Marais, Éditions Gallimard, collection Folio, 2000, 265 pages

Sylvie Germain, L’enfant Méduse, Éditions Gallimard, 1991, 318 pages

Sylvie Germain, Magnus, Éditions Albin Michel, Paris, 2005, 280 pages

Sylvie Germain, L’inaperçu, Éditions Albin Michel, Paris, 2008, 294 pages

 

Remise du prix annuel de l’académie du Berry 2012, à Sylvie Germain.
De gauche à droite : Maurice Bazot, chancelier, Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix, Alain Bilot, président de l'académie du Berry, et Sylvie Germain.